Eglises d'Asie

La presse et l’affaire Chân Tin

Publié le 18/03/2010




On ne connaît pas encore avec certitude le nombre et l’identité des personnes qui, aux mois d’avril et mai derniers, ont fait l’objet de mesures d’incarcération ou de mise en résidence surveillée. La presse vietnamienne s’est montrée à ce sujet fort discrète. Seuls, ont bénéficié d’une relative publicité les cas du P. Chân Tin et de M. Nguyên Ngoc Lan, mis en résidence surveillée le 16 mai 1990, ainsi que celui de Michael D. Morrow, arrêté le 23 avril 1990, relâché le 14 mai 1990, et interrogé, selon ses propres dires, sur ses relations avec les milieux catholiques dissidents.

Dès le lendemain, le quotidien du Parti, “Nhân Dân” (Le Peuple) et la “Voix du Vietnam” (radio officielle) (16) annonçaient la nouvelle et la commentaient abondamment. Le même jour, le quotidien de Hô Chi Minh-Ville, “Saïgon Giai Phong” (Saïgon libéré) consacrait à l’affaire un article et un éditorial. L’article citait “in extenso” le communiqué du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville. On y apprenait en particulier que les deux intellectuels catholiques impliqués dans l’affaire n’étaient pas l’objet de la même mesure administrative. Au P. Chân Tin, étaient appliquées les dispositions de la loi concernant l’interdiction de résidence. M. Nguyen Ngoc Lan, lui, se voyait assigné à résidence. Il est probable que dans la réalité, ces deux mesures auront exactement le même effet.

L’éditorial insistait sur le trouble jeté au sein de la population par les propos et les agissements anti-socialistes du P. Chân Tin et celui qui est appelé son “collaborateur effectif”, M. Nguyên Ngoc Lan. “Les croyants comme les non-croyants n’ont d’autres aspirations que de vivre en paix, dans l’union et la concorde, d’édifier pour eux une vie prospère, de construire leur pays à qui la politique de renouveau offre désormais de belles perspectives. La conscience et le patriotisme de notre peuple ne peuvent admettre aucune action susceptible de provoquer un quelconque bouleversement de l’ordre socialAprès le plenum du mois de mars dernier, le maître mot reste la “stabilité politique”, y compris à l’intérieur de l’Eglise catholique puisque l’auteur de l’article du “Saigon Giai Phong” reproche au P. Chân Tin et à son ami d’avoir dans leurs écrits et propos, attaqué directement l’orientation de l’Eglise vietnamienne, telle qu’elle est définie dans la lettre commune des évêques de 1980, d’avoir mis en cause la hiérarchie et, surtout, le Comité d’union des catholiques patriotes.

C’est cependant, dans le journal “Công An”, (Sûreté), organe de la Sûreté de Hô Chi Minh-Ville, en date du 23 mai 1990 que l’on trouve les détails et les commentaires les plus intéressants sur l’affaire. On y décrit la fouille des appartements des deux intéressés:

” Dans la matinée du 16mai 1990, en même temps qu’étaient promulguées les mesures administratives concernant les intéressés, les organes responsables entreprenaient la fouille des deux chambres personnelles de Nguyen Tin et Nguyên Ngoc Lan, au couvent des pères rédemptoristes, 38, rue Ky Dông . Ils ont saisi 4 kilos de documents: journaux, courrier ainsi qu’une chronique journalière calomniant le régime. Il y avait aussi de nombreux documents et journaux venant de l’étranger ou sur le point d’y être envoyés, des lettres de Mr Nguyên Tin pour le père Nguyên Hô Dinh, responsable de la revue “Notre Dame du Perpétuel Secours” en Californie.(17)

“(…) lorsque a commencé la perquisition, (la secrétaire) était en train de dactylographier les sermons sur le repentir. Elle a précipitamment caché machine à écrire et documents. Lorsque on l’a interrogée sur les raisons de cet acte, elle a répondu: “Il fallait bien que je cache ces documents!”

Les commentaires du journal de la police d’Hô Chi Minh-Ville se réfèrent au Code pénal promulgué en 1985. Ils indiquent en particulier tous les articles auxquels le P. Chân Tin a contrevenu:

Article 82 : délit de propagande contre le régime socialiste:

– Propager des slogans de guerre psychologique, répandre de fausses nouvelles, créer le trouble dans la population

– Créer, détenir, diffuser des documents, des produits culturels dont le contenu s’oppose au régime socialiste.

Article 81: Délit de sabotage de la politique d’union:

– Susciter la haine, la discrimination, la division nationale, attenter à l’égalité des communautés des minorités nationales du Vietnam.

Article 117 : Délit de calomnie:

– déformer la vérité ou propager des allégations dont on sait clairement qu’elles sont mensongères en vue d’attenter à l’honneur d’autrui ou de lui faire subir un préjudice.

Après avoir énuméré toutes les activités du P. Chân Tin qui tombent sous le coup de ces articles et mis en relief la peine qu’il aurait dû mériter pour chacune d’entre elles (de 1 à 15 ans de prison), le journal de la Sûreté approuve l’indulgence du Comité populaire à son égard, compte tenu de son grand âge (plus de 70 ans) et des mérites qu’il s’est acquis en collaborant, avant 1975, à la lutte contre l’impérialisme.

Dans cette revue de presse sur l’affaire Chân Tin, la palme du laconisme doit certainement être attribuée à l’organe du Comité d’union des catholiques patriotes, “Công Giao Và Dân Tôc” qui, dans son numéro du 27 mai 1990, se contente simplement de citer le texte intégral du communiqué du Comité populaire, sans y ajouter ni commentaire ni prise de position …