La commission était composée de représentants du Conseil oecuménique des Eglises, de la Conférence chrétienne d’Asie, et de membres de groupes de soutien japonais aux travailleurs immigrés. Pendant les 5 jours de son enquête dans le grand Tokyo, elle a rendu visite à de nombreux groupes, parmi lesquels:
des immigrés et des demandeurs d’asile
des groupes de soutien, chrétiens ou autres, travaillant avec les immigrés
des avocats et des juristes expérimentés dans ce domaine
des fonctionnaires du département de l’immigration, au niveau local et national
des parlementaires et des membres de leurs secrétariats
Cette commission d’enquête avait été invitée au Japon par la Coordination chrétienne sur les problèmes des réfugiés et des ouvriers immigrés.
Etablie en septembre 1989, cette Coordination a pour but de sensibiliser le gouvernement et le public afin que les droits des immigrés soient garantis en ce qui concerne leur séjour et leur travail légaux au Japon. Elle essaie aussi d’encourager et de promouvoir l’engagement des Eglises dans ce domaine. En invitant la commission d’enquête au Japon, elle a eu l’intention de faire pression sur le gouvernement japonais à travers le Conseil oecuménique des Eglises. Elle est déterminée aussi à en appeler à la Commission des Nations unies pour les droits de l’homme en ce qui concerne cette question, sur la base de l’information rassemblée par la commission d’enquête.
Les faits
A partir des témoignages d’ouvriers immigrés et de demandeurs d’asile, recueillis pendant 5 jours par la commission d’enquête, et après avoir rencontré des fonctionnaires, des politiciens, des juristes et des groupes de soutien, un certain nombre d’inquiétudes peuvent être notées.
Beaucoup des ouvriers immigrés rencontrés par la commission n’avaient pas de papiers, avaient dépassé le temps de séjour prévu par leur visa, et se trouvaient donc dans l’illégalité. Cette situation les rend particulièrement vulnérables aux abus et à l’exploitation. Quand leurs droits ne sont pas respectés, ou qu’ils ont besoin de soins médicaux, ou que leurs salaires ne sont pas payés, ils hésitent à demander de l’aide car ils ont peur d’être déportés.
Beaucoup de maladies et d’accidents du travail passent ainsi inaperçus. Un Philippin, rencontré par la commission, qui ne peut plus travailler à cause d’un accident du travail et qui affirme que son appartement a été cambriolé, a dit à la commission qu’il n’osait rien faire à ce sujet par peur d’être déporté.
Confrontés à des abus patronaux, les ouvriers ne peuvent rien faire: ils estiment qu’ils ne peuvent pas aller porter plainte à la police, ou introduire leur cas au tribunal. Un immigré, décrivant les mauvais traitements qui lui avaient été infligés par son employeur, expliquait que, dans sa situation, l’employeur pouvait se permettre tout ce qu’il voulait. “Devons-nous répondre avec nos poings, ou devons-nous continuer à être victimes d’abus? C’est le dilemne terrible dans lequel la plupart d’entre nous se trouvent” affirmait-il.
Problèmes causés par la révision de la loi sur l’immigration
Les amendements apportés à la loi sur l’immigration sont devenus effectifs le 1er juin 1990. Selon ces nouvelles dispositions, tout employeur qui a engagé un travailleur étranger en situation illégale après le 1er juin 1990, est passible d’amendes et d’emprisonnement. La commission d’enquête estime que cette loi est mal comprise, et il y a des rapports qui affirment qu’elle aurait été délibérément mal interprétée par les autorités du département de l’immigration. Par ailleurs, au moment du séjour de la commission d’enquête, la traduction des amendements n’était pas disponible, ce qui signifie que la majorité des immigrés qui ne lisent pas le japonais ne peuvent pas comprendre la loi.
Pour le grand nombre des travailleurs sans papiers qui restent encore au Japon, la situation est très difficile. Il est beaucoup plus difficile de trouver du travail. Un jeune immigré qui n’a pas de travail stable et qui est obligé de se louer à la journée a raconté qu’il était sans travail depuis 10 jours: “Je veux travailler tous les jours. Il est possible que mon logeur m’expulse car je n’ai pas payé mon loyer depuis 15 jours. Aujourd’hui, mes amis peuvent me nourrir, mais demain ? Je peux travailler; le problème c’est qu’on ne nous accepte pas. Je n’ambitionne pas un salaire élevé, je veux simplement survivre. Devrions nous, parce que nous sommes philippins ou pakistanais, aller à la sortie de la gare pour mendier ? Non, nous avons notre fierté et nous ne voulons pas de charitéAuparavant, il essayait d’économiser de son salaire pour envoyer de l’argent à sa famille, mais ce n’est plus possible. Maintenant, c’est une question de survie.
En ce qui concerne le système pénal, les rapports révèlent un traitement discriminatoire des Asiatiques, à tous les stades du processus judiciaire. Depuis l’arrestation jusqu’au jugement en passant par l’enquête de police, les Asiatiques sont traités plus durement, à crime égal, que les Japonais ou les Occidentaux. La commission d’enquête a été informée sur des cas de traitement inhumain d’ouvriers étrangers victimes de violences verbales et physiques infligées par des fonctionnaires de la police et du département de l’immigration.
Un immigré birman a été battu par un employé du bureau de l’immigration pour avoir fumé une cigarette dans une section “non-fumeurs”. Un ouvrier pakistanais qui discutait avec un fonctionnaire de l’immigration sur la possibilité d’une extension de son visa, a été brutalement expulsé du bureau et son passeport jeté dans le hall d’entrée. Un jeune Srilankais a été brutalement appréhendé dans la rue par la police, et étendu face contre terre pendant qu’on lui passait des menottes: on le soupçonnait de transporter de la drogue. Pendant l’interrogatoire il a été frappé à la tête avec une raquette de baseball. Innocent, il a été ensuite relâché.
Les fonctionnaires de l’immigration ont assuré à la commission d’enquête que des interprètes étaient disponibles pour les immigrés qui ne parlent pas anglais ou japonais. Cependant, la commission a aussi été informée de cas dans lesquels, l’absence ou l’inadéquation de l’interprétation avaient causé des problèmes pour les immigrés. Par ailleurs, les interprètes sont souvent perçus comme étant du côté de la police ou des autorités du département de l’immigration, et non pas comme des agents de communication neutres.
Les demandeurs d’asile
La commission qualifie de “scandaleux” le bas pourcentage d’obtention d’asile politique par les demandeurs qui ont fui leurs pays d’origine à cause de la guerre ou de la persécution. Depuis 1982, moins de 200 personnes ont obtenu le statut de réfugié sur la base de la Convention des Nations unies de 1951. Les demandeurs d’asile dont la demande est rejetée reçoivent souvent un permis de séjour temporaire; mais ils doivent le renouveler tous les mois et ont besoin d’un garant pour éviter d’être détenus. La commission a rencontré des demandeurs d’asile iraniens et afghans. La commission remarque que, alors que certains pays dans le monde doivent faire face à des centaines de milliers de réfugiés fuyant la guerre et la violence d’Etat, la politique du Japon de n’accorder le statut de réfugiés qu’à moins de 25 personnes par an amène à se poser des questions quant à la position du gouvernement en ce qui concerne les droits de l’homme.
Ceux qui sont en détention peuvent être “rachetés” s’ils ont un garant. Celui-ci, pour environ 9 000 F, obtient la garde du détenu qui est placé sous sa responsabilité. Le garant, qui est souvent aussi un employeur, peut ainsi se procurer une main d’oeuvre soumise: elle est en effet totalement dépendante de l’employeur qui peut, à tout moment, retirer sa garantie et la renvoyer en détention.
Les femmes
S’est aussi révélée scandaleuse, la situation faite aux femmes asiatiques travaillant dans l’industrie des loisirs. Sans doute l’existence d’une industrie du sexe est-elle courante dans les pays industrialisés, mais la situation apparaît bien pire au Japon. La commission a reçu de nombreux témoignages concernant des entremetteurs qui recrutent des femmes dans certains pays d’Asie grâce à des promesses mensongères. Les femmes sont ensuite achetées et vendues par des propriétaires de clubs, forcées à se prostituer, et isolées par leurs employeurs; elles sont ainsi dans l’impossibilité de protester ou de s’échapper.
Leur dépendance et leur ignorance du japonais les rendent virtuellement prisonnières de leurs employeurs qui sont souvent associés aux organisations criminelles du pays. Un avocat affirme que ces femmes sont victimes de discriminations multiples: elles sont étrangères, travaillant illégalement, femmes, travaillant dans l’industrie du sexe. Cette discrimination à plusieurs faces rend possible la continuation de ce commerce de chair humaine.
En plus de ces problèmes, les gouvernements du tiers monde préfèrent fermer les yeux quand leurs propres citoyens sont exploités ou maltraités. Par leur silence et celui de leurs ambassades respectives, ils sont aussi coupables de violation des droits fondamentaux de ces travailleurs immigrés.
Beth Ferris, représentante du Conseil oecuménique des Eglises dans la commission d’enquête et qui travaille dans le Comité oecuménique mondial d’aide aux réfugiés, explique que, de bien des manières, la situation du Japon en ce qui concerne les immigrés est similaire à celle des autres pays industrialisés en termes de violations des droits de l’homme et de discrimination. Elle note cependant quelques différences spécifiques qu’elle résume en trois points:
Le Japon, contrairement aux autres pays industrialisés, n’a pas étudié la possibilité d’accorder une amnistie à ceux qui ont vécu et travaillé au Japon pendant un certain temps.
La loi, au Japon, est appliquée de manière plus restrictive et il y a moins de flexibilité dans les cas qui n’entrent pas dans son cadre rigide.
La situation des demandeurs d’asile est scandaleuse, étant donné le rôle important joué par le Japon dans la Commission des Nations unies sur les réfugiés.