Eglises d'Asie

LES CATHOLIQUES ET LA NATION Un discours de M. Mai Chi Tho, ministre de l’Intérieur

Publié le 18/03/2010




Le socialisme mis en question

Il s’agit d’une crise du socialisme qui, certes, touche plus particulièrement les pays de l’Europe de l’Est, mais qui a aussi des répercussions très fortes sur le monde entier, et par conséquent sur notre peuple (2). Chez nous, aucun milieu n’est resté à l’abri de cette crise y compris le parti communiste. Chacun réfléchit et adopte une attitude déterminée à l’égard de cette question actuelle. Car, notre pays est placé sous la direction du parti communiste et il est en train d’avancer vers la période préliminaire du socialisme.

Quelle est donc la question qui nous est posée par cette crise mondiale? En ce qui me concerne, je m’interroge ainsi: Qu’y a-t-il de non satisfaisant dans l’idéal communiste ? Qu’est-ce qui pourrait faire remettre en question le marxisme léninisme ? Le régime socialiste n’est-il donc plus capable de déployer sa vitalité et sa supériorité ? Quelle orientation notre pays doit-il suivre ?

Supériorité de l’idéal marxiste

Nous, les communistes, suivons aussi notre conscience… nous avons le sens des responsabilités. Nous aussi nous nous mettons en question et réfléchissons pour savoir ce qu’il faut faire, pour savoir comment apporter la justice sociale, la paix, la stabilité, la satiété, le bonheur à notre peuple. L’idéal communiste consiste à faire en sorte que dans la société, il n’y ait plus d’oppression de l’homme par l’homme ( … ). Y a-t-il quelque chose de repréhensible dans cet idéal ? Je pense même que cet idéal n’appartient pas aux seuls communistes. Toutes les couches sociales, toutes les religions, tous les individus ne désirent pas autre chose. Les idéaux du christianisme, du bouddhisme, du Seigneur Jésus, de Sakyamouni ne sont pas différents. L’Ecriture sainte parlant de la mission du Seigneur Jésus dit ceci: « Dieu m’a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres; il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vie, renvoyer les opprimés en libertéQue faisons-nous d’autre! Que peut-il y avoir de mauvais dans un tel idéal ! La théorie marxiste comporte deux volets: le matérialisme dialectique et le matérialisme historique. Pour ce qui concerne ces deux chapitres fondamentaux du marxisme, je ne connais pas encore d’arguments de caractère scientifique qui puissent me les faire abandonner. Je crois au marxisme et je crois qu’il a un fondement dans la réalité. Dans le contexte de la situation actuelle, au sein de cette crise du socialisme je veux parler du Vietnam comme d’une réalité, comme d’un terrain d’expérimentation du marxisme.

Preuve de la supériorité du socialisme par l’histoire du Vietnam

Après l’invasion de notre pays par les colonialistes, au sein des divers mouvements de résistance ( … ), il y a eu des lettrés patriotes, remplis de courage, comme Hoàng Hoa Tham, Phan Dinh Phung, Phan Boi Chau, Phan Chu Trinh, Nguyên Thai Hoc; cependant tous ont échoué devant les forces colonialistes; aucun n’a trouvé une voie pour libérer le pays. Cette impuissance a été parfaitement exprimée par un des dirigeants du parti nationaliste: « C’est dans l’échec que l’on devient hommePhrase admirable pour le courage qu’elle suppose, mais qui exprime, mieux que toute autre, l’impasse des lettrés.

Telle était la situation jusqu’à ce que Hô Chi Minh parte à la recherche d’une voie de salut pour le pays et qu’il rencontre le marxisme-léninisme. Lorsqu’il l’eût rencontré, il s’écria: « Voilà ce dont le Vietnam a besoinEt c’est ainsi que nous avons pu libérer le pays en 1945. Le marxisme-léninisme a été appliqué au Vietnam et il l’a conduit à la victoire là où les anciens lettrés avaient échoué, précisément parce qu’ils n’avaient pas eu recours à cette doctrine. C’est une vérité que personne ne peut refuser. On peut dire ce que l’on veut, mais on ne peut pas ne pas admettre le rôle qu’a joué le marxisme-léninisme au Vietnam. On admet généralement aussi que la victoire de la résistance antifrançaise au Vietnam a sonné le glas du colonialisme ancien dans le monde. Après le Vietnam, une série de pays d’Afrique, d’Amérique latine, ont continué la lutte, se sont libérés et conquis leur indépendance. Ainsi, n’aurions-nous pas le droit d’être fiers de notre peuple, fiers de la lumière que le marxisme a apporté au Vietnam, fiers du parti communiste vietnamien ?

Ce parti est le fruit de la tradition nationale; en même temps, il est le produit de la nouvelle science de la société et de la Révolution. Il est aussi le résultat du mouvement révolutionnaire mondial. S’il n’y avait pas eu cette convergence, comment aurions-nous pu abattre l’impérialisme ? L’impérialisme, en effet, a son système et sa force; si nous n’avions pas porté à son plus haut sommet l’esprit national, si nous n’avions pas joui du soutien de la révolution mondiale, nous aurions échoué. Nous avons abattu l’impérialisme français grâce à la force de notre peuple, grâce à notre direction; mais aussi grâce au soutien si précieux que nous a accordé le bloc socialiste et le mouvement révolutionnaire mondial. Il n’y avait que le marxisme-léninisme pour avoir une force et une envergure mondiales. Sans lui, jamais nous n’aurions pu bénéficier des ressources d’un système mondial.

Après la libération de 1975, nous pensions pouvoir jouir d’une paix durable. Certains parmi les dirigeants du Parti et de l’Etat affirmèrent alors: « Après la victoire dans la guerre antiaméricaine, aucun impérialisme n’osera toucher au Vietnam ». Et à l’époque, beaucoup ont été d’accord avec cette phrase. En effet, quel pays pouvait encore oser nous attaquer, après l’échec d’un pays impérialiste aussi puissant que les Etats-Unis, jouissant d’un niveau scientifique et technique aussi élevé. Hélas, comme nous nous en sommes aperçus, 3 jours seulement après la libération, les soldats de Pol Pot débarquaient sur l’île de Thô Chu et 5 jours plus tard, sur l’île de Phu Quôc (3). Par la suite, ils ne cessèrent de harceler nos frontières jusqu’à ce que la guerre éclate et s’aggrave dans les années 1977 – 1978. Ce fut ensuite le conflit avec l’expansionnisme aux frontières du Nord. C’est ainsi que nous sommes entrés dans une nouvelle guerre pendant plus de 10 ans. Elle fut plus longue que la guerre antifrançaise et nous a coûté autant en hommes et en biens. Les moyens militaires étant plus modernes, les dépenses furent particulièrement élevées car il ne s’agissait plus de fantassins se déplaçant à pied, mais de chars, d’engins motorisés, d’avions. Nous savons aussi que ces trois guerres, nous avons dû les subir, sans possibilité de faire autrement.

Oui, nous pouvons le dire: personne ne chérit autant la paix que le peuple vietnamien. Lui seul est à même de comprendre la paix, car, seuls ceux qui ont subi la guerre avec ses deuils et ses souffrances sont de vrais amoureux de la paix. C’est une donnée constante de l’affectivité et de la psychologie humaine, une exigence objective de la vie.

Le Vietnam et les « dragons » de l’Asie du Sud-est.

Certains raisonnent ainsi: « En quoi, le peuple vietnamien est-il inférieur aux autres pays du monde, aux pays de l’Asie du Sud-est ? Il n’ a rien à envier à la Corée du Sud, à Hongkong, à Singapour. Pourquoi ces pays sont-ils devenus de nouvelles nations industrialisées? C’est à cause de l’incapacité du parti communiste vietnamien : c’est lui qui empêche le Vietnam de progresserJe tiens à dire que notre Parti a fait des erreurs; il a eu des insuffisances, mais seulement dans le domaine économique et social; car sur le plan militaire, nous avons appliqué le marxisme-léninisme de manière extrêmement correcte. En matière économique et sociale, nous avons péché par volontarisme, bureaucratisme et dirigisme. Nous en avons fait la critique au 6ème Congrès et nous nous sommes corrigés. Notre changement a eu des effets incontestables. Ces erreurs tiennent à une mauvaise application du marxisme et non pas à sa nature. Vous savez bien qu’un des fondements du marxisme est la dialectique et que le volontarisme n’en fait pas partie; au contraire il s’oppose à elle.

Considérons maintenant la situation actuelle de ces pays. C’est vrai, dans l’Asie du Sud-est, il y a eu la naissance de nouvelles nations industrialisées; la Thaïlande, la Malaisie, elles aussi, en feront bientôt partie. Comment y sont-elles arrivées ? En premier lieu, je voudrais vous faire remarquer que pour développer l’économie, il est déterminant de jouir de la paix et de la stabilité. Depuis combien de temps la Corée, Hongkong, Taïwan, Singapour, sont-ils en paix ? La Corée depuis 37 ans et les autres pays depuis 45 ans. De plus, le développement économique a besoin d’infrastructures, à savoir un réseau de communications et une industrie de base.

Lorsque la Corée s’est libérée du pouvoir japonais, quel était l’état de son réseau de communications et de son industrie ? En occupant la Corée au début de ce siècle, le Japon avait formé le projet d’attaquer la Mandchourie et de s’en servir comme base pour envahir l’Asie du Sud-est. Il fallait donc que les Japonais édifient sur place une industrie lourde, une industrie de guerre avec des matières premières locales, le Japon en étant lui-même dépourvu. Car en effet, amener les matières premières au Japon pour construire là-bas des chars et des bateaux qui seraient, ensuite, transportés en Corée, puis en Chine et en Asie du Sud-est, constituait une dépense inutile. C’est la raison pour laquelle, le Japon édifia une industrie lourde en ce pays. A sa libération, la Corée du Sud la conserva, de même que la Corée du Nord qui bénéficiait, par exemple, d’une centrale hydroélectrique d’une capacité d’un million de kWh.

Et nous ? Qu’avons-nous reçu?

Qu’avons-nous reçu ? Après 1945, nos plus grandes industries étaient les mines de charbon de Hon Gai, les tissages de Nam Dinh et d’autres petites entreprises comme les distilleries de Binh Tây. Au sud, il y avait Bason, un certain nombre de minoteries. Après la guerre antifrançaise et la libération de la moitié du pays, nous avons établi quelques implantations d’industrie lourde, mais l’aviation américaine a tout détruit pendant la guerre, non seulement les usines, mais le réseau routier et les ouvrages d’art. Au sud, vous le savez bien, ce n’est qu’après 1968 que les Américains s’aperçurent que, pour contrer la résistance, ils ne pouvaient se contenter de faire couler le sang de leurs soldats, mais qu’il fallait instaurer une guerre où coule aussi le sang des gens du Sud-Vietnam. C’est alors qu’il créèrent une classe capitaliste, espérant qu’elle suivrait une voie anticommuniste. C’est alors qu’au sud, il y eut un développement capitaliste, mais, uniquement, dans la petite industrie. Il n’y avait rien en matière d’industrie lourde ou de fabrication mécanique.

Telle était notre situation de départ. Comment pouvions-nous aller vite, d’autant plus que nous étions toujours en guerre ? Les Etats-Unis, pendant la guerre, disaient qu’ils voulaient nous faire revenir à l’âge de la pierre, projet qu’ils n’ont pas encore abandonné aujourd’hui. La Chine, elle, affirmait vouloir épuiser le Vietnam et le laisser exsangue. Nous avons été isolés alors que les nations investissaient capitaux et techniques dans les pays dont nous venons de parler. Entre eux et nous, la situation était totalement différente. C’est pourquoi je considère que la conclusion de ceux que j’ai cités tout à l’heure est tout à fait hâtive … Ces personnes n’ont pas les connaissances suffisantes pour discuter de ce problème. On raconte qu’autrefois un peintre avait peint un cheval, et qu’il avait placé son tableau à un carrefour pour que les passants puissent apporter leurs critiques. Un jour, passa un maréchal-ferrant qui, s’apercevant que les sabots étaient mal représentés, déclara qu’un peintre qui ne savait pas peindre un sabot de cheval n’était pas digne d’être peintre. Au départ du maréchal-ferrant, le peintre rectifia les sabots du cheval sur son tableau. Un peu plus tard, le maréchal-ferrant repassa et fut tout à fait satisfait de la retouche apportée aux sabots. Il se mit alors à critiquer la tête du cheval qui, selon lui, était peu ressemblante. Lorsqu’il fut parti, le peintre examina la tête du cheval et conclut qu’il n’y avait rien à retoucher. Le maréchal-ferrant revint pour la troisième fois et, voyant la tête du cheval inchangée, s’irrita contre ce peintre qui avait tenu compte de sa première observation et qui s’obstinait à négliger la seconde. Le peintre s’avança alors et lui dit qu’un maréchalferrant devrait s’en tenir aux sabots des chevaux et ne point s’occuper de leur tête.

Tentative de division et démocratie à l’américaine

La tradition de l’unité dans la lutte chez le peuple vietnamien, est si forte que l’impérialisme et l’expansionisme, lorsqu’ils veulent attaquer le Vietnam, commencent par s’en prendre à cette unité en semant la division. Car ce peuple est tel, son union est telle que s’il n’est pas divisé, personne ne peut le vaincre. Naturellement, l’impérialisme n’a pas réussi à déchirer notre unité qui reste l’élément déterminant de notre victoire. Il ne faut pas cependant être subjectif au point de ne pas voir qu’il nous a porté des coups sévères, et qu’aujourd’hui, il continue ses tentatives de division.

Et en premier lieu, dans cette crise du socialisme, les impérialistes sèment le trouble dans l’esprit des gens du peuple, dans celui des communistes. Et une fois que le trouble sera dans les esprits, ils organiseront des désordres. Comme vous le savez bien, lorsque l’on ne garde pas scrupuleusement la doctrine chrétienne, lorsqu’on n’est pas fidèle à sa source, c’est l’Eglise elle-même qui est divisée: il ne peut en être autrement. C’est pourquoi, sans trêve, les impérialistes « divisent pour régner », cherchent des fissures par lesquelles ils puissent s’introduire et créer la désunion. C’est la façon de s’imposer de l’impérialisme et de l’expansionisme. Prenez, par exemple, les exodes… N’est-ce pas après la défaite de l’impérialisme français que s’est produit le grand exode des catholiques du Sud ? Après 1975, ce fut le tour des collaborateurs de l’ancien régime. Pour l’expansionisme chinois, ce fut l’exode des sino-vietnamiens (4). Rien n’a changé: du vin ancien dans des outres neuves!

Chaque fois que j’ai eu l’occasion de rencontrer des journalistes étrangers, quand j’étais encore à Hô Chi Minh-Ville, ou tout récemment, ils m’ont abondamment parlé des déficiences du Vietnam. Chaque fois, je leur demandais: « Si le Vietnam avait joui des mêmes conditions de paix, de stabilité et des mêmes investissements que les nouvelles nations industrialisées, selon vous, serait-il aujourd’hui leur égal ? » – question à laquelle je n’obtenais pas de réponse. J’ai posé alors la question inverse: « En supposant que ces pays aient dû affronter la même situation que nous, la guerre, le face à face avec toutes nos difficultés, puis encore la guerre et, enfin, le boycott, seraient-ils comme nous, mieux que nous, pires que nous ? » Un journaliste m’a répondu: « S’ils avaient été dans la même situation que vous, ils ne seraient certes pas comme vous, car vous avez une extraordinaire tradition de lutte contre l’agresseur ».

( … ) (L’auteur parle ici des remboursements de dommages de guerre que le Japon, la France et les Etats-Unis auraient dû verser au Vietnam)

Ces impérialismes qui sont nos débiteurs, voilà qu’ils se mêlent de nous enseigner ce que sont les droits de l’homme, ce qu’est la démocratie… La démocratie de la France, des Etats-Unis, nous la connaissons. Nous avons bénéficié de la démocratie française et américaine dans notre pays même. Comment la voyons-nous? Je veux le dire, il n’y a pas de pays plus riche que les Etats-Unis, mais il n’y a pas de pays où il y ait autant de crimes. 6 ou 7 présidents sont morts assassinés. Telle est la démocratie américaine en Amérique. Mais la démocratie américaine au Vietnam ! Nous avons déjà bénéficié de l’égalité des peuples à l’américaine, des droits de l’homme à l’américaine, et il y a encore aujourd’hui des personnes pour faire l’éloge de la démocratie américaine: je ne comprends pas. Je ne peux comprendre que ces personnes qui ont bénéficié de cette démocratie, dans les souffrances que l’on sait, puissent aujourd’hui la considérer ainsi.

Maintenant, il faut ajouter que la crise du socialisme remplit de joie les impérialistes et leurs alliés. Ils espèrent ardemment qu’elle entraînera, selon la stratégie des dominos, la chute successive des pays encore socialistes, en particulier, celle du Vietnam, objectif principal des Etats-Unis. Ces derniers voudraient se débarrasser du « syndrome vietnamien », mais ils ne le peuvent. Ils portent encore tout le poids de leur défaite au Vietnam. Ils pensent que l’occasion de réparer leur honneur leur est offerte. Pour cela, ils se servent de tous les stratagèmes, y compris l’utilisation des Vietnamiens à l’étranger.

Je tiens à dire que le peuple vietnamien respecte infiniment le peuple américain, et qu’il veut l’alliance avec lui et son gouvernement dans une collaboration raisonnable. La propagande peut abuser le peuple américain pendant un temps, mais viendra le moment où il comprendra et où il nous soutiendra. L’opinion, aujourd’hui, se rallie de plus en plus à cette vision des choses.

D’ailleurs, les Etats-Unis ne détiennent plus aujourd’hui l’hégémonie mondiale. L’Europe affirme sa différence. Nous avons avec elle des relations économiques qui se développent de plus en plus, quoique lentement. Récemment le gouvernement italien a exprimé son accord pour nouer des relations économiques avec nous et nous a accordé, en aide et en prêts, quelque centaines de millions de dollars. La somme n’est pas encore très considérable, mais il est clair que le gouvernement italien ne suit pas la politique américaine.

Ces temps derniers, nous avons expulsé quelques Américains pour activités portant atteinte à la sécurité nationale. Ils se sont plaints que nous ne nous comportions pas correctement vis-à-vis des personnes qui venaient collaborer avec nous. Les Vietnamiens manqueraient-ils à ce point d’intelligence pour ne pas savoir quelle attitude adopter à l’égard de ceux qui viennent les aider, comme l’ont publié, à tort, un certain nombre de journaux étrangers? Nous accueillons avec joie toutes les aides venant du monde entier, toutes les bonnes volontés, toutes les collaborations, mais sans hésitation, nous ferons obstacle à toutes les activités visant à semer la désunion et saboter notre pays. Cela d’ailleurs ne relève pas seulement de la responsabilité du parti communiste, mais aussi de la vôtre, vous tous qui m’écoutez. Notre objectif, aujourd’hui, est de garantir la paix, l’indépendance, la stabilité, le développement. Sans stabilité, pas de paix, pas d’édification du pays.

Le chemin à suivre

Du temps des Français, au sein même de l’Eglise, il y avait de la discrimination. Tout était fait par les Français, bien que nous ne manquions pas de compétences. Je me souviens de la consécration de Mgr Nguyên Ba Tông (5). J’avais alors 8 ou 9 ans. Bien que non chrétien, je me suis aussi réjoui. Nos fidèles, eux aussi, ont été victimes de l’oppression et ont été cruellement trompés, au point qu’il est devenu difficile de distinguer ceux qui sont morts pour la foi et les collaborateurs des Français, comme l’a montré l’affaire des canonisations (6). A cette époque, beaucoup de fidèles catholiques, dans un esprit de foi, ont pensé que, devant la persécutions des empereurs et des seigneurs, il ne leur restait qu’un appui: celui des Français. Ils ont fait cela, non pas avec l’intention de trahir leur pays, mais avec celle de protéger la religion. ( … ) C’est un point fort difficile à analyser et qui nous a inquiétés. Le gouvernement n’a jamais voulu interdire les canonisations.

Je voudrais maintenant parler de la question des aides. Il est probable que l’époque où les aides ont été les plus abondantes fut celle de l’impérialisme américain (7). Nos religions jouissaient d’une grande aisance matérielle, des établissements les plus beaux, et le plus rapidement construits. Cependant, il faut dire aussi que cette prospérité apparente était accompagnée d’une grande pauvreté en matière doctrinale et morale. Plus les églises et les pagodes étaient somptueuses, plus elles étaient loin de la masse des fidèles. Je pense que, pour ce qui concerne les communistes, il en est de même. Plus leurs établissements sont vastes, plus ils s’éloignent de la population. Notre peuple a fait l’expérience de l’aide; il a connu les souffrances qui l’accompagnent. Je souhaite que, vous aussi, vous en tiriez les leçons.

Depuis le 6ème Congrès (8), le parti communiste vietnamien a changé, non seulement pour ce qui concerne l’économie, mais aussi dans les domaines politique, culturel, social et même religieux. Maintenant, la réparation des églises, la libre circulation, les voyages à l’étranger … sont plus faciles qu’auparavant. Naturellement, il y a encore tel ou tel problème. Mais le respect de la liberté religieuse est davantage garantie qu’autrefois. Nous avons, derrière nous, toute une histoire complexe, avec des époques où nous nous sommes entretués. Pour faire disparaître tous les préjugés, il nous faudra encore, des deux côtés, beaucoup d’efforts et de temps. Récemment j’ai participé à une rencontre entre les députés de l’Assemblée nationale et leurs électeurs dans la province de Ha-Nam-Ninh. J’ai rencontré là des responsables religieux. On m’a soumis beaucoup de cas comme, par exemple, celui d’une horloge d’église endommagée, pour laquelle on ne donnait pas l’autorisation nécessaire pour la réparer. J’estime que lorsque les gens possèdent une horloge, ils en font ce qu’ils veulent. Pourquoi donc, lorsqu’elle est arrêtée, les empêcher de la réparer ? Oui, il reste encore beaucoup de questions de ce genre. Mais je souhaite que vous agissiez de la manière suivante: je n’ai rien à redire si vous réparez vos églises, car ce sont des lieux de culte. Je me suis exprimé sur cette question dans le journal « Dai Doan Kêt » (9). Je souhaite que la réparation des églises soient accomplie pour améliorer le culte et non pas pour faire étalage de puissance, ce qui rendrait encore plus complexe la situation et qui, selon moi, n’est pas un motif religieux.

Vous posez aussi un certain nombre d’autres questions: l’ordination des prêtres, le sort des prêtres de retour de rééducation. Je veux répondre que nous ne souhaitons qu’une chose: que ces prêtres retrouvent le chemin de l’unité nationale, de la défense de la patrie. Un prêtre encore rempli de préjugés contribuera à déstabiliser notre vie. C’est pourquoi, en ce qui concerne les prêtres anciens aumôniers militaires, nous n’aurons aucune hésitation pour ceux qui auront reconnu leurs erreurs, et qui rentreront dans la vie sociale avec un esprit de dévouement pour leurs fidèles et de solidarité avec le peuple pour l’édification du pays.

Je voudrais aussi dire ceci: vous exigez de nous que nous changions encore davantage. Mais j’exige la même chose de vous. Avez-vous changé? Il ne manque certes pas de catholiques pour participer aux divers mouvements. Dans les familles catholiques, il ne manque pas non plus de blessés de guerre ou de morts pour la patrie. C’est une nouveauté; on trouve aussi chez les prêtres beaucoup de comportements corrects. Mais nous exigeons les uns des autres d’aller encore plus vite dans le changement. Car il n’est pas possible que seul l’un des deux partenaires avance d’un pas et que l’autre reste sur place. Le coeur du Seigneur est infiniment généreux, pourquoi le nôtre est-il si étroit ? Je pense que lorsque l’on croit au Seigneur, il faut vivre comme Lui. Au plus profond de moi-même, je crois que le Seigneur est un révolutionnaire, lui qui a une origine pauvre. Je respecte infiniment Jésus et Sakyamouni, parce que ces deux hommes du passé ont trouvé un si bel idéal. Ainsi, je ne peux être d’accord avec ceux qui agissent différemment de lui. Le dessein du Seigneur est universel: il ne se soucie pas seulement de ses brebis, mais aussi de tous les hommes de ce monde. Je voudrais citer des paroles du Seigneur que j’aime particulièrement: « De toute la force de son bras, il a dispersé les superbes, il a jeté les puissants à bas de leur trône, il a élevé les humbles. Les affamés, il les a rassasiés et les riches, il les renvoyés les mains videsDans un des documents de Vatican II, il est dit: « Les joies et les espoirs, les tristesses et les soucis des hommes de notre époque, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les soucis des disciples du Christ, et il n’y a rien de vraiment humain qui ne trouve d’écho en leur coeur, (Constitution « Gaudium et Spes »). Et aussi « En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien plus envers Dieu lui-même, et il met en danger son salut éternel ». Il est clair que le Seigneur se préoccupe des hommes en dehors de l’Eglise. La lettre commune de la Conférence épiscopale du Vietnam de 1980 affirme la même chose. Alors, agissons-nous selon la volonté du Seigneur ? Je souhaite que vous vous préoccupiez, avec tout notre peuple, de la situation où nous nous trouvons. Comme vous le savez, notre situation, c’est une économie et une société encore en difficulté, des ennemis à l’extérieur qui cherchent à nous attaquer. Je souhaite que vous, qui êtes les dirigeants spirituels d’une partie de notre nation, conseilliez à vos fidèles et à vos subordonnés de ne pas « pêcher en eau trouble », de ne pas considérer que le temps est venu de se venger …

Pour notre part, nous avons fait notre autocritique au 6ème Congrès et nous continuons à la faire. Je ne sais si l’Eglise peut faire de même, si elle peut remettre en question son histoire d’une manière impartiale et objective, si elle peut reconsidérer l’histoire de l’image de l’Eglise au Vietnam, juger si son comportement a été conforme aux enseignements du Seigneur. Ce n’est pas une chose facile. Mais ceux qui se sont sacrifiés pour un idéal doivent le faire sans hésiter.

Notre voeu, c’est la réconciliation nationale, comme l’a proclamé l’oncle Hô: « Union, union, grande union, succès, succès, grand succès ». Notre pays a beaucoup souffert. Il nous faut faire en sorte que diminuent la souffrance et la désunion et que croisse l’unanimité pour nous opposer aux forces ennemies, réactionnaires et impérialistes, qui menacent notre pays. Etes-vous prêts à partager nos responsabilités? Ou voulez-vous rester en dehors ? Si vous ne marchez pas avec nous, cela signifie que vous ne pouvez pas vous unir à nous, mais cela signifie aussi que vous vous opposez à nous. Cela ne peut signifier autre chose.

Je terminerai en souhaitant que vous partagiez mes opinions dans l’intérêt de la nation, dans l’intérêt de la vie profane, dans l’intérêt de la religion. ( … )