Eglises d'Asie – Corée du sud
« UN IMMENSE ESPOIR AU COEUR DES COREENS » Une interview de Mgr Dupont, évêque d’Andong
Publié le 18/03/2010
Il faut dire tout d’abord que cette réunification suscite un immense espoir au coeur des Coréens dans tous les secteurs de la population. Il faut ajouter que, contrairement à l’Allemagne qui était divisée du fait d’une guerre qu’elle avait provoquée, la Corée, elle, a été divisée, en 1945, dans des circonstances qui n’étaient pas de sa responsabilité. En outre, la guerre sans merci de 1950-53, entre le Nord et le Sud, n’est pas encore terminée. Les hostilités sont simplement interrompues par un armistice, et beaucoup de Coréens du Sud qui ont connu la guerre gardent encore une méfiance viscérale envers l' »ennemi » du Nord. Pourtant, la Corée constitue depuis quinze siècles une entité nationale homogène. De ce fait, beaucoup de Coréens du Sud originaires du nord et la majorité des jeunes qui n’ont pas connu la guerre brûlent d’un profond désir de réunification. Les autorités sont donc obligées de tenir compte de cette aspiration populaire ainsi que de la conjoncture internationale.
Le président Roh Tae Woo a publiquement déclaré à plusieurs reprises, qu’il considérait désormais la Corée du Nord comme un frère et partenaire. Un certain nombre de réticences subsistent malgré tout et il y a loin des paroles aux actes. Depuis près de 40 ans, la Corée du Sud a développé une idéologie sécuritaire contre l’ennemi du Nord… Elle était peut-être historiquement légitime. En tout cas, elle a servi de justification à toute l’organisations sociale et aux lois anticommunistes qui n’ont pas encore été abrogées: elles interdisent, en particulier, tout contact non autorisé, avec le régime de Pyongyang. C’est en vertu de ces lois que plusieurs personnalités ont été emprisonnées ces derniers mois après des voyages « illégaux » en Corée du Nord (1). Ces voyages et les réactions qu’ils suscitent de la part du gouvernement montrent bien les contradictions dans lesquelles les autorités se débattent.
Il reste que le gouvernement veut garder fermement le contrôle de toute stratégie visant à la réunification.
Quelle est la position de l’Eglise catholique dans cette affaire ?
Le cardinal Kim et la Conférence épiscopale pensent, eux-aussi, que, au niveau de l’Eglise, une coordination est nécessaire et que des initiatives intempestives dans ce domaine ne peuvent qu’amener des résultats négatifs. Par ailleurs, le cardinal Kim est officiellement administrateur du diocèse de Pyongyang et, en tout ce qui concerne la Corée du Nord, il reste en lien étroit avec la Secrétairerie d’Etat à Rome. C’est ainsi qu’une messe a été officiellement célébrée à Pyongyang par un prêtre, représentant le cardinal. Celui-ci avait aussi formé le projet d’envoyer des missionnaires, prêtres et religieuses, au Nord. Ce projet a échoué, peut-être en raison d’initiatives prises par certains groupes comme l’Association des prêtres pour la justice. L’un de ceux-ci, le P. Paul Moon est en prison pour avoir fait un voyage « illégal » en Corée du Nord.
Vous connaissez bien cette Association. Pouvez-vous nous en parler ?
Tout d’abord, cette Association des prêtres pour la justice n’est pas une organisation structurée; elle fonctionne de manière très informelle, sans statut et sans règlement. Tous les prêtres peuvent participer aux réunions qui décident et organisent les activités ponctuelles de l’Association. Elle n’a aucun mandat officiel de l’Eglise. Cependant, je crois qu’elle représente une certaine sensibilité à l’intérieur de l’Eglise qui doit être prise en compte.
En ce qui concerne la réunification, ces prêtres pensent que le gouvernement n’est pas sincère dans ses proclamations et qu’il faut donc le forcer à avancer dans ce domaine en mettant en lumière ses contradictions. C’est ce qui s’est passé le 15 août dernier. Le gouvernement avait déclaré que tous les Coréens qui le désiraient pourraient aller au Nord pour fêter la « libération » de 1945… Mais tout le monde savait bien que les autorités du Nord mettraient des conditions qui seraient refusées par celles du Sud. Malgré tout, les prêtres pour la justice ont décidé de faire une demande officielle pour pouvoir célébrer la messe ce jour là simultanément au Nord et au Sud. 15 d’entre eux se sont donc présentés au point de passage de Panmunjon et ont été refoulés par les forces de sécurité du Sud, sous l’oeil des caméras et des journalistes.
Ces prêtres pour la justice sont très conscients du rôle ambigu qu’a joué l’Eglise catholique durant l’occupation japonaise. Je crois qu’ils voudraient en quelque sorte laver la « culpabilité » historique de l’Eglise; l’une de leurs motivations principales dans cette affaire, est de montrer à l’opinion publique coréenne que l’Eglise de Corée est partie prenante des aspirations profondes du peuple en ce qui concerne la réunification et bien d’autres problèmes. Ils ont un impact non négligeable dans certains secteurs de l’opinion publique.
Ceci dit, le problème est qu’à l’heure actuelle leurs relations avec le cardinal Kim et la Conférence épiscopale ne sont pas des meilleures.
Ne pensez-vous pas que ce débat autour de la réunification a quelque peu tendance à faire passer sous silence d’autres problèmes importants qui minent la société coréenne?
Tout à fait. On pourrait presque dire que ce concept de « réunification » joue aujourd’hui le même rôle que l’idéologie sécuritaire hier, à savoir qu’il occulte les problèmes humains et sociaux créés par la modernisation et le modèle de développement choisi par la Corée. Le problème que je connais le mieux est celui du monde agricole qui est en pleine déliquescence aujourd’hui. Chaque année, 500 000 paysans quittent leurs villages parce qu’ils ne peuvent plus vivre de la terre. Ils grossissent la masse des ouvriers les plus exploités des grandes villes. Si la tendance continuait, il n’y aurait plus de paysans en Corée dans 10 ans.
A ce propos justement, on a l’impression, de l’extérieur, que le Mouvement paysan catholique que vous connaissez bien, est quelque peu en perte de vitesse aujourd’hui…
Je crois que la question ne se pose pas de cette manière. Il faut revenir en arrière pour comprendre ce qui se passe dans ce domaine. Le Mouvement paysan catholique était au départ un mouvement d’action catholique comparable à ce qu’était la Jac en France. C’était la seule organisation de paysans qui existait en Corée. Elle a beaucoup fait pour la défense du monde agricole en général. Elle a forcé en particulier la banque agricole fondée par le gouvernement à redevenir ce qu’elle était supposée être: une coopérative prenant en compte les intérêts des paysans. Elle a également amené le gouvernement à fixer le prix du riz d’une manière plus conforme aux coûts de production… Pendant les années de dictature, elle a été à l’avant-garde des aspirations populaires.
Cependant, les paysans catholiques ne forment qu’une infime minorité de la population paysanne totale. Peu à peu, le Mouvement paysan catholique a été obligé d’évoluer. Il a d’abord fondé un mouvement parallèle regroupant les paysans protestants. Ensuite, à mesure que son rôle syndical et économique s’accroissait, il a été amené à jouer un rôle moteur dans la création d’une Coordination paysanne nationale sans référence chrétienne explicite, même si, aujourd’hui encore, ce sont des militants catholiques qui en occupent les responsabilités principales.
Ces évolutions ont amené le Mouvement paysan catholique à se poser des questions sur son identité propre. Je constate qu’aujourd’hui, le Mouvement retrouve ses racines chrétiennes et est en train de se donner un rôle plus conforme à son identité chrétienne. Ayant pris du recul par rapport à la Coordination nationale qui remplit efficacement son rôle syndical et économique, les paysans catholiques font, de leur côté, une analyse scientifique très sérieuse du modèle coréen de développement. Leur réflexion se poursuit autour de deux pôles: d’une part, la défense de l’environnement qui a souffert énormément de l’industrialisation sauvage du pays, et d’autre part, l’idée de communauté à la base dans les villages pour reconstruire une société malmenée par la modernisation.
En ce qui concerne l’Eglise elle-même, un certain nombre d’observateurs pensent qu’elle a du mal à s’adapter aux conditions relativement plus démocratiques prévalant aujourd’hui… Il était peut-être plus facile de dénoncer les violations des droits de l’homme du temps de la dictature…
Il faut dire d’abord que l’attitude ferme de l’Eglise durant les années de la dictature a amené un grand nombre de Coréens à porter un regard positif sur l’Eglise. Celle-ci a, à ce moment-là, donné une certaine image d’elle-même. Aujourd’hui, cette image s’est passablement transformée: on remarque davantage que l’Eglise s’occupe d’approfondissement spirituel, d’oeuvres sociales pour les handicapés, les pauvres et les petits en général… Elle parle moins, parce qu’il y a moins de raisons d’intervenir publiquement. Peut-être fallait-il faire une pause !
Il faut dire cependant que l’Eglise s’est surtout développée dans les classes moyennes de la société coréenne et assez peu dans les classes pauvres. Personnellement, je ressens ce problème profondément. A l’occasion de visites pastorales dans mon diocèse, j’ai cherché des explications à ce phénomène. La communauté catholique est extrêmement fervente et zélée. Ses membres n’hésitent pas à donner largement de leur temps et de leur argent à leur paroisse. Peut-être avons-nous ainsi donné une image de l’Eglise et créé des exigences de vie chrétienne inaccessibles à ceux qui n’ont pas beaucoup de temps et guère d’argent à offrir. Cela est vrai aussi pour un certain nombre de mouvements chrétiens dont le langage et les buts sont spécifiques des classes moyennes.
L’argent est certainement un problème auquel l’Eglise coréenne doit faire face. Dans mon diocèse, nous en parlons d’ailleurs assez librement et certains prêtres, par exemple, n’hésitent pas à proposer que, plutôt que d’avoir à gérer des constructions coûteuses, l’Eglise se contente d’installations plus précaires et vive davantage dans le provisoire. Il faut dire, cependant, que ce sont là des notions encore largement absentes de l’Eglise de Corée.