Eglises d'Asie

AFFAIRE CHAN TIN – NGOC LAN Autour d’un événement

Publié le 18/03/2010




Une attaque sur deux fronts

Dans la matinée du 16.06.1990, à 8h 30 , des policiers de la Sûreté se présentaient au domicile du professeur Nguyên Ngoc Lan, rue Tân Phuoc, dans le 10ème arrondissement de Hô Chi Minh-Ville. Ils le priaient de ne pas quitter les lieux, et d’attendre l’arrivée de leurs supérieurs. Nguyên Ngoc Lan était seul chez lui, sa petite fille étant déjà partie à l’école et sa femme, Thanh Vân, à son travail dans le 5ème arrondissement.

Environ une demi-heure plus tard, 3 agents de la Sûreté pénétraient dans les locaux qui étaient autrefois le siège de la revue “Notre-Dame du Perpétuel Secours” (1), dans l’enceinte de l’église et du monastère des pères rédemptoristes de Hô Chi Minh-Ville. Là, ils rencontraient le Père Chân Tin et lui exprimaient leur intention de s’entretenir avec lui et le Père Cao Dinh Tri, supérieur du couvent et curé de la paroisse “Notre-Dame du Perpétuel Secours”. Le Père Chân Tin les conduisit aussitôt au parloir du monastère et leur fit savoir que son supérieur était en réunion à l’extérieur. Les agents l’envoyèrent chercher aussitôt. A l’arrivée de celui-ci, il y avait déjà une dizaine d’agents entassés dans la petite salle ; l’un d’entre eux était muni d’un haut-parleur. Le père Chân Tin avait déjà compris que quelque chose d’important se préparait mais il s’efforçait de garder son calme et sa décontraction…

Expulsé …

Deux officiers de police lui lurent alors le décret lui signifiant son expulsion hors de la ville et son assignation à résidence à Duyên Hai. Aussitôt après, ils lisaient l’ordre de perquisition du bureau et du domicile. Ils lui demandèrent alors de signer ces deux documents. Le père refusa de signer, tout en ajoutant qu’il était prêt à les laisser exécuter ces deux ordres. Il les pria seulement de le laisser prendre quelques vêtements. Les policiers refusèrent et l’invitèrent à monter dans le véhicule qui allait l’amener à Duyên Hai. C’était un minibus climatisé de douze places, appartenant à l’hôtel “Rex” et conduit par un chauffeur de cet établissement. Auprès du père s’assirent aussi un commandant de police du 16ème district, et trois autres agents de la Sûreté. Sur la route, la voiture était escortée d’une série d’automobiles et motocyclettes de la police, escorte destinée sans doute à disperser tous les rassemblements qui auraient pu faire obstacle au transport du père. Après avoir parcouru 70 km , emprunté deux bacs, le véhicule arrivait à Duyên Hai, vers 14h 30. Là, les agents de la Sûreté de la ville avec leurs confrères de Duyên Hai établissaient un document qui confiait l’exilé à la responsabilité du père Diep, un jeune prêtre rédemptoriste, curé de la petite paroisse de Cân Thanh.

… et assigné à résidence

Pendant ce temps, chez Nguyên Ngoc Lan, des représentants de la Sûreté de tous grades ont continué d’affluer. A 10h, il y avait le directeur adjoint du Service de la sécurité et des enquêtes de la ville, un cadre de la Sûreté de la capitale, des directeurs adjoints du 10ème arrondissement, du 6ème district, le vice-président du Comité populaire du 10ème, le président du 6ème district, etc.: en tout, plus de 30 personnes. Ces forces considérables faisaient face à un personnage malingre (Nguyên Ngoc Lan ne pèse pas plus de 40 Kg), sujet à des baisses de tension, des fatigues subites et des somnolences. Auprès de lui, se tenait Huynh Thanh Van, appelée pour servir de témoin.

La police lut alors le décret n° 161/QD, daté du 15.05.90, signé du Comité populaire de la ville: il assignait à résidence le citoyen Nguyên Ngoc Lan pour une période de trois ans (il lui est interdit de quitter le 6ème district du 10ème arrondissement) pour agissements contraires à la loi et atteinte à la sécurité nationale ainsi qu’à la tranquillité et à l’ordre publics. Prié par la police de signer le procès-verbal de l’exécution de ce décret, en qualité de citoyen assigné à résidence, Nguyên Ngoc Lan s’est exécuté. Il a simplement mentionné au-dessus de sa signature: “J’accepte d’exécuter les ordres, mais j’en rejette les motifsCommentant plus tard cette phrase, dans une lettre envoyée au P. Chân Tin, Nguyên Ngoc Lan a expliqué: “J’ai exécuté les ordres comme on est obligé de le faire lorsque l’on est devant un feu rouge ou que l’on a un révolver braqué sur la poitrine” (2). Ce fut ensuite la lecture de l’ordre de perquisition des lieux. La fouille de tous les papiers, documents et livres de la maison a duré trois heures. Un procès-verbal a consigné la réquisition d’un certain nombre de papiers et de documents, du journal que tenait Nguyên Ngoc Lan, de son courrier. La police emportait aussi, pour enquête, 74 cassettes (de la musique classique) et une bande vidéo.

A 13 heures, tout était terminé. Avant de partir, les responsables de la police promirent à l’intéressé qu’il recevrait bientôt leur visite pour quelques séances de rééducation, puisqu’il refusait de reconnaître la justesse des raisons ayant motivé les mesures prises contre lui.

Dans l’après-midi, il était appelé au bureau du responsable de la Sûreté du district. Ce dernier lui commentait les articles du décret d’assignation à résidence. Nguyên Ngoc Lan se contenta de faire deux remarques:

1 – Dans l’état de santé où il se trouvait actuellement, il pouvait avoir besoin de secours urgents. Si cela se produisait, pouvait-il sortir du district? Le représentant de la Sûreté lui a répondu: “Il faudra demander une autorisation auparavant

2 – Nguyên Ngoc Lan a ajouté: “Je suis un chrétien et veux vivre associé à la communauté ecclésiale, pouvoir participer à la messe dans une église. Or, dans le district, il n’y en a pasLe cadre a immédiatement répliqué: “Dans ce cas, faites une demandeNguyên Ngoc Lan a continué: “C’était une simple remarque. Le Seigneur respecte entièrement ma liberté; il ne me forcera pas à aller à la messe alors que je suis dans cette situation …

Une publicité déconcertante

Ce n’est pas la première fois que les autorités vietnamiennes procèdent à des assignations à résidence ou à des arrestations. Depuis 1989, le Parti communiste vietnamien s’inquiète à la perspective des troubles politiques que pourrait provoquer la continuation de la politique de “rénovation” et d'”ouverture”. ( … ) Au début du mois de mai, le gouvernement a, dans le secret, assigné à résidence d’anciens résistants fort connus, comme Nguyên Ho, Ta Ba Tông, Huynh Tâm Mam, pour avoir contacté la presse étrangère, émis des critiques, et exigé une réforme rapide de l’appareil économique et administratif. Mais ces mesures n’ont pas été annoncées publiquement et l’on n’a pas révélé le lieu de leur assignation.

Ce qui s’est passé pour le P. Chân Tin et M. Nguyên Ngoc Lan est entièrement nouveau. On dirait que l’Etat a ressenti le besoin d’agir en plein jour et de justifier ces mesures à l’intérieur comme à l’extérieur.

Dès l’après-midi du 16 mai ( les assignations à résidence ont eu lieu le matin), tous les journaux de la ville ainsi que les représentants des agences et de la télévision étaient convoqués à une séance d’étude. On leur lut de nombreux extraits des sermons sur “le repentir” (3). Il leur fut rappelé que les deux hommes avaient eu des agissements contraires à la loi, nombreux et cyniques. En particulier, on fit allusion à une réunion qui aurait eu lieu dans une paroisse, le 12 avril, et qui était destinée à inciter à la rébellion. Les 3 sermons du P.Chân Tin furent qualifiés de signaux de bataille (coups de canon annonçant l’offensive). Pourtant, l’Etat a soigneusement dosé les mesures prises contre les deux hommes, s’efforçant de montrer qu’il n’était pas sans égards pour des personnes qui avaient eu, autrefois, des contributions positives dans le mouvement anti-américain de salut national. Cependant un cadre âgé, de haut niveau, a déclaré: “Autrefois, on trouvait le journal “Debout!” (4) dans toutes les églises et c’était un bon signe pour nous. Si, aujourd’hui, ses deux anciens rédacteurs se comportent ainsi à notre égard, il faut se demander ce qui motive ce changement d’attitude

Le 16.05.1990, les radios, la télévision de Hô Chi Minh-Ville et de Hanoï rapportaient les mesures administratives prises contre le père Chân Tin et M. Ngoc Lan et les justifiaient.. C’était ensuite le tour des journaux de Hanoï et de Saïgon, de l’agence France-Presse, de la B.B.C. …

Le 17, Le Comité du Front patriotique de la ville, dont le Père Chân Tin a été membre jusqu’au début de l’année 1989, convoquait 50 prêtres et religieux de diverses paroisses, monastères et séminaires, pour faire connaître et justifier la décision du Comité populaire de la ville d’appliquer des mesures administratives à l’encontre des deux intéressés.

Tout cela nous amène vers une unique conclusion: voilà un régime en pleine impasse économique et politique, ne sachant plus vers où se tourner … Depuis l’affaire Chân Tin – Nguyên Ngoc Lan, de nombreuses organisations ont dénoncé les précédentes arrestations restées secrètes. La diffusion des sermons sur la pénitence s’est accrue.

Exil …

Dans la matinée du 16/05/90, alors que le P. Chân Tin était encore dans le véhicule qui l’amenait à Duyên Hai, le secrétaire adjoint du district convoquait le prêtre chargé de la paroisse pour s’entretenir avec lui de l’accueil de l’exilé. Il lui disait: “Le P.Chân Tin est mon bienfaiteur. Il nous a entretenus, ma mère et moi, lorsque j’étais en prison. D’ailleurs ma mère vient de me demander de ses nouvelles

La Sûreté du district exigeait que les visiteurs du père Chân Tin soient enregistrés et déclarés. Mais devant l’opposition de ce dernier, elle a cédé. Seuls, ceux qui viendraient de la ville et désireraient passer la nuit chez le père devront se faire enregistrer.

Cependant, le père Chân Tin ne peut s’empêcher de ressentir cette assignation à résidence comme un fardeau douloureux: lui pèse particulièrement sa séparation d’avec de nombreux amis et camarades du Vietnam et de l’étranger. Il ne peut plus parler fort et faire entendre au loin sa voix pour la cause du peuple et des droits de l’homme.

Le 22 mai, la Sûreté de la ville s’est, à nouveau, déplacée à Duyên Hai pour “une séance de travail” avec le père; elle lui a rappelé les limites de sa villégiature: assignation de trois ans, impossibilité de sortir de la commune de Can Thanh, présentation à la Sûreté tous les 15 jours.

Le père a décrit ainsi son attitude à des amis: “C’est à cause du peuple, que j’ai lutté sous l’ancien régime. C’est toujours à cause de lui que je demande à l’Etat et au Parti d’entrer dans le repentir. L’expulsion de Chân tin n’est pas un signe de repentir!… Partout où nous sommes, nous conservons notre liberté d’enfants de Dieu, lorsque nous avons dit ce que notre conscience nous dictait de direDans une lettre adressée à Nguyên Ngoc Lan, il a repris la conclusion de son dernier sermon, empruntée à saint Paul: “On peut m’enchaîner, mais la Parole du Seigneur ne peut être enchaînée. Le seul danger est que nous enchaînions nous-mêmes la Parole de Dieu

… et isolement

Quant à Nguyên Ngoc Lan, au lendemain de sa mise en résidence surveillée, il a éprouvé une joie toute particulière lorsqu’il a entendu le speaker de la télévision mentionner, parmi les crimes qui lui étaient reprochés, celui d’avoir été “le collaborateur particulièrement efficace du P. Chân Tinson ami intime. Malgré les nombreuses marques de sympathie qui lui sont parvenues de toutes parts, y compris de cadres et de militants révolutionnaires, son isolement est sans doute plus grand que celui de son ami. Ne connaissant pas les limites exactes du 6ème district qu’il n’a pas le droit de franchir, il a décidé de s’enfermer chez lui et de refuser tout entretien avec la police. Par ailleurs, son épouse Thanh Vân, employée de l’Etat, a été invitée à quitter son emploi le 1er juin 1990. Ce licenciement a d’ailleurs provoqué l’indignation et la protestation de toute la cellule des travailleurs de son entreprise. Dans une lettre envoyée au Comité populaire de l’arrondissement, ils ont demandé à celui-ci de bien vouloir s’expliquer sur cette mesure.