Eglises d'Asie

NOS INQUIETUDES FACE A LA REALITE SOCIALE

Publié le 18/03/2010




Une déclaration de la Commission Justice et paix de l’Eglise de Corée

Que la société actuelle permette aux hommes de mener une vie heureuse dans la justice et la paix, c’est fondamentalement la volonté du Créateur, c’est aussi une aspiration universelle.

Pourtant, si l’on observe la réalité sociale d’aujourd’hui, il est indéniable que les conditions nécessaires pour jouir d’un tel bonheur sont encore très loin d’être réalisées dans leur ensemble. Quand on regarde en arrière, depuis notre déclaration d’avril 1989 (1), force est de reconnaître que notre société reste traversée par des déséquilibres chroniques et des désordres qui perturbent presque tous les secteurs : politique, économique, social, culturel, éducatif etc. Grande est la responsabilité de la classe politique, grande en particulier celle du gouvernement qui, par ses manoeuvres dilatoires, n’a pas su liquider de manière satisfaisante le contentieux datant de la Vème République ni assurer une révision des lois iniques (2).

C’est pourquoi, sans négliger en la matière notre examen de conscience d’hommes religieux, nous désirons une fois encore exposer clairement notre point de vue sur la situation, espérant ainsi rendre témoignage, dans notre société, à une justice et à une paix authentiques.

1 – La réunification

La réunification de la patrie est, pour notre peuple, la condition indispensable à l’établissement de la paix sur la péninsule coréenne.

Le principal obstacle à la réunification de la patrie se trouve dans le manque de volonté politique de la part des dirigeants du Sud et du Nord. Le souci infantile de préserver égoïstement leur pouvoir prévaut sur celui de la prospérité et du bonheur de leur peuple. Tant que se fera sentir cette obstination chez les dirigeants de Corée du Nord comme du Sud, il est vain d’espérer quoi que ce soit d’un quelconque dialogue. N’est-il pas intolérable que la réunification de la patrie soit ainsi soumise aux intérêts et aux manoeuvres des pouvoirs politiques en place ? La réunification de la patrie n’est possible que si l’on met en pratique un généreux esprit de réconciliation, d’amour, de compréhension et d’accueil mutuels, de complémentarité réciproque enfin, pour répondre aux besoins des uns et des autres. Sur cette base d’amitié réciproque pourra alors s’effectuer un partage des ressources humaines et matérielles dans tous les domaines. Tout débat sur la réunification qui sacrifierait cette réciprocité indispensable serait voué à l’échec.

De plus, les pouvoirs publics, au Sud et au Nord, se doivent d’entreprendre la révision de lois qui, comme celle dite de la « sécurité nationale », rendent difficile sinon impossible un processus de réunification. Il faut également libérer sur le champ les personnalités emprisonnées pour s’être engagées en faveur de la réunification. Même si la rencontre qui, après 45 ans, vient d’avoir lieu entre le premier ministre du Sud et le premier ministre du Nord nous laisse sur notre faim, nous espérons que l’esprit qui y a prévalu portera des fruits à l’avenir.

2 – Situation économique

Il n’y a pas pour l’homme de problème plus immédiat que celui d’avoir à satisfaire ses besoins quotidiens (nourriture, logement, habillement). Et lorsque la justice sociale n’est pas effective, il n’y a pas de paix ni de bonheur durables pour une société. Comme les besoins économiques sont ceux que les gens ressentent le plus vivement, il ne faut pas s’étonner qu’ils suscitent aussi chez eux les intérêts et les appétits les plus puissants.

Il suffit d’observer notre situation actuelle, en Corée, pour vérifier la banalité d’un tel constat. Une économie perturbée y entraîne des situations patentes d’injustice et des difficultés évidentes. C’est là le résultat d’une attitude individuelle de mépris du bien commun, mais aussi celui des égoïsmes collectifs, avec les comportements économiques aberrants qui les accompagnent. Lorsque, dans une société comme la nôtre, certains travailleurs ont un revenu mensuel qui ne dépasse guère les 100 000 wons (136 wons = 1 F) tandis que des membres d’autres classes sociales peuvent sans hésiter s’offrir des produits de luxe coûtant des dizaines de millions, n’a-t-on pas la preuve flagrante d’une société malade de son économie ?

Nous déclarons une fois de plus avec force que la justice sociale exige d’être pratiquée concrètement. Pour cela, outre une juste répartition des sols et l’usage des fonds publics pour le bien commun, il est nécessaire que soit mise en oeuvre une politique économique audacieuse en faveur des classes défavorisées – ouvriers, paysans, pêcheurs -et du quart-monde. De plus, en vue de la mise en pratique effective d’un ordre économique équitable, il est indispensable que les crimes économiques les plus cyniques soient punis sévérement et impartialement.

3 – Violation des droits de l’homme, dignité humaine bafouée

Dans une société où n’existent ni la justice ni la paix, la violation des droits de l’homme est monnaie courante, et c’est l’image même de l’homme qui s’en trouve mise en péril.

Même après l’avènement de la VIème République, les droits de l’homme continuent d’être violés sans vergogne par les pouvoirs publics ; la violence demeure comme une menace permanente sur la tête d’honnêtes citoyens. L’appât du gain entraîne toutes sortes de comportements délictueux de la part des fonctionnaires: ces comportements l’emportent trop souvent sur les méthodes administratives normales. Il faut déplorer qu’une minorité continue ainsi à imposer sa loi dans notre société.

Des tâches importantes s’offrent donc à nous de façon impérative : restaurer la morale publique, éliminer la méfiance mutuelle, cultiver la véritable dignité humaine. Signalons encore, comme exigences de l’heure, la réforme nécessaire de la classe dirigeante dans tous les secteurs et, surtout, le juste usage des fonds publics par l’administration.

4 – Environnement et pollution

La nature est le grand héritage commun confié à la communauté humaine par le Dieu créateur dans le but de gérer la vie sur cette terre. Nous avons la grave responsabilité non seulement de rechercher les moyens de faire un juste usage de cet héritage, mais encore de le transmettre aux générations à venir. Qui ne voit qu’aujourd’hui le problème de la dégradation de la nature est universel ? En Corée notamment, l’accélération de ce processus est telle qu’elle met en danger la santé des hommes qui y vivent.

Protection de l’environnement et lutte contre la pollution ne sauraient être simplement l’affaire d’individus isolés. C’est la communauté humaine tout entière qui doit produire un effort collectif en vue de prendre des mesures effectives dans ce domaine. Une volonté de rejoindre l’intention créatrice de Dieu et une attitude de respect à l’égard de l’ordre cosmique s’imposent aujourd’hui comme des tâches. Pour donner un coup d’arrêt à la détérioration de l’espace naturel, il nous faut rejeter résolument tout matérialisme et tout opportunisme ainsi que la mentalité qui fait prévaloir l’égoïsme sur l’esprit de communauté.

L’absence de traitement des eaux sales ou des ordures, les matières toxiques déversées par les entreprises, la pollution de l’air par les automobiles, la négligence sur les plages ou dans les lieux touristiques, tout cela est le produit d’une attitude globale devant la vie. Il faut nous rappeler que la protection de l’environnement, justement comprise, a besoin d’une foi éclairée et d’un engagement en faveur de la justice et la paix.

Réunis en cette 19ème Assemblée plénière de la Commission Justice et paix de l’Eglise de Corée, c’est après avoir passé en revue les événements de l’année écoulée que nous avons décidé de publier les opinions dont fait état la présente déclaration. Nous exprimons l’espoir que, grâce à un effort conjoint de nos frères dans la foi et de nos compatriotes de bonne volonté, la justice et la paix s’en trouveront davantage pratiquées dans notre société.

Le 7 septembre 1990

Pak Jong-Il, évêque de Masan

président de la Commission Justice et paix (Corée)