Eglises d'Asie

“LA FOI EST LE FONDEMENT DE MON ENGAGEMENT POLITIQUE” Une interview de Paul Shih Ming-teh

Publié le 18/03/2010




[Après avoir passé 25 ans de sa vie en prison, le journaliste catholique Paul Shih Ming-teh a été libéré sur parole le 20 mai 1990 (1). Originaire de Kaoshiung au sud de l’île, il était le dernier des organisateurs de la grande manifestation de 1979 pour les droits de l’homme à Kaoshiung, à être encore en prison depuis cette date. Il avait d’abord été condamné à la prison à vie; puis, après la mort du président Chiang Ching-kuo en janvier 1988, sa peine avait été réduite à 15 ans.

Auparavant, entre 1961 et 1975, il avait déjà fait 14 ans de prison pour “rébellion” alors qu’il accomplissait son service militaire.

Depuis 1985, il a mené une grève de la faim intermittente dans sa prison pour demander des réformes démocratiques. Il était nourri de force par ses geôliers. “Amnesty International” l’avait adopté comme prisonnier d’opinion.]

Vous revenez d’une visite médicale. Comment va votre santé ?

Je souffre du dos, du foie, des reins et de quelques autres ennuis dûs à mon séjour en prison. Je ne pèse plus que 46kg à cause de la grève de la faim. Mais, spirituellement, je me sens bien. En prison, je me suis astreint à des activités quotidiennes de routine plutôt que de me laisser aller à la dépression en me disant que j’allais mourir bientôt.

Votre grève de la faim a été très longue avec des interruptions. Combien de temps a-t-elle duré ?

Je suis probablement recordman du monde: ma grève de la faim a duré, avec quelques interruptions, 4 ans et 2 mois. Il y a eu des périodes critiques, mais j’ai toujours été convaincu que je pouvais la supporter.

Pourquoi vous étiez-vous mis en grève de la faim ?

C’est l’assassinat, en octobre 1984, d’Henry Liu, auteur d’une biographie critique du président Chiang Ching-kuo, qui m’a convaincu qu’il fallait s’opposer aux méthodes du Kuomintang.

Vous avez été libéré sur parole le 20 mai. Comment cela s’est-il passé ?

Ces 10 dernières années j’ai toujours clamé mon innocence. En avril 1989, des membres du Parti démocrate de progrès (2) sont venus me voir pour me dire que le président Lee Teng-hui allait m’amnistier à l’occasion de sa prise de fonction. Peu avant celle-ci, on m’a donné trois papiers qu’on m’a demandé de signer, mais je les ai déchirés. Du moment que j’étais innocent, il n’y avait rien à signer.

Le 20 mai vers minuit, tous les gardes ont disparu de l’hôpital général (3); mes amis et les journalistes ont pu pénétrer dans ma chambre. J’étais le dernier des 20 prisonniers politiques libérés ce jour là, et j’ai quitté l’hôpital le 21 mai à la première heure. Je n’avais ni carte d’identité ni passeport, mais je me sentais libre. Les policiers me saluaient, et même les “continentaux” (4) me montraient de la sympathie dans la rue.

Comment jugez-vous l’attitude de l’Eglise catholique dans cette affaire ?

De manière générale, l’Eglise catholique ne s’est guère préoccupée de moi, sauf durant ces deux dernières années, quand le P. Hung Shan-chuan a commencé à venir me voir régulièrement en prison. Je crois que les catholiques ici sont très conservateurs. La situation est très différente de celle des Philippines et de l’Amérique latine où des prêtres, des religieuses, des fidèles s’engagent activement pour la justice sociale. Ici, les catholiques sont plutôt du côté du Kuomintang.

Est-ce que des membres de la hiérarchie ecclésiastique sont venus vous voir en prison ?

Il y a 3 ans environ, Mgr Piero Biggio, de la nonciature apostolique, est venu me voir. Il était sur le point de quitter le pays, et j’ai eu le sentiment qu’il était retenu, dans sa volonté d’agir en ma faveur, par la Conférence épiscopale de Taiwan.

Qu’en est-il des autres Eglises ?

Je suis spécialement reconnaissant à l’Eglise presbytérienne de Taiwan. Ses membres -y compris le Rév. Kao Chun-ming, ancien secrétaire général, – m’ont protégé alors que je me cachais après les incidents de Kaoshiung (5). Ils n’ont pas été tentés par les 100 000 dollars américains offerts pour ma capture (6). Un des pasteurs de l’Eglise du Nouveau Testament venait aussi me voir une fois par semaine quand j’étais à l’hôpital, pour prier et lire la Bible avec moi. De plus, cette Eglise m’a aidé à publier mon livre.

Vous avez été en rapport avec plusieurs “dénominations” chrétiennes. A laquelle vous identifiez-vous aujourd’hui ?

Je suis chrétien. Les “dénominations” m’importent peu.

Lisez-vous les Ecritures ?

Je lis 2 ou 3 chapitres chaque jour. Je préfère le Nouveau Testament et son message de paix, à l’Ancien Testament et ses récits vengeurs et violents. L’Evangile et les lettres des apôtres m’ont aidé à fonder ma foi sur l’esprit d’amour. C’est là une source de mon engagement dans la lutte pour la démocratie.

Que pensez-vous du nouveau premier ministre Hau Pei-tsun ?

Si cet ancien homme fort des militaires, ministre de la Défense et général à quatre étoiles, cherche le soutien de l’armée pour devenir un dictateur, le peuple de Taiwan doit s’opposer à lui. Cependant, la situation a tellement évolué qu’il va se sentir coupable s’il n’améliore pas les structures démocratiques. Personnellement, je n’ai pas de haine vis-à-vis de Hau Pei-tsun. Je fais confiance au pouvoir du peuple pour éviter le retour d’un régime militaire.

Qu’avez-vous écrit ces 10 dernières années ?

J’ai écrit un journal et des essais. Ils ne sont pas encore publiés; ils comportent 2 millions de caractères chinois environ. Mon dernier livre, “Printemps en prison”, qui en est à sa deuxième édition, m’a rapporté 80 000 dollars américains.

Quelle est votre évaluation des 10 dernières années de votre vie en prison ?

J’ai fait de mon mieux. Cette période de ma vie a une signification spéciale parce que la souffrance ouvre de nouveaux horizons. Je pense, en fin de compte, que cette longue période de ma vie en prison n’a pas été vaine.

Avez-vous des plans pour le futur ?

Je n’ai pas de pouvoir politique réel et je suis physiquement affaibli, mais j’ai l’intention de tout faire pour promouvoir les mouvements démocratiques et la paix.