Eglises d'Asie

FIDELITE ET ESPERANCE Une interview de Mgr Nguyen Minh Nhât, évêque de Xuân Lôc, président de la Conférence épiscopale du Vietnam

Publié le 18/03/2010




Depuis un an, monseigneur, vous présidez la Conférence épiscopale. Pouvez-vous nous parler de son fonctionnement et, éventuellement, des difficultés que vous rencontrez ?

Son fonctionnement n’est pas encore parfait. C’est ainsi que deux membres du Conseil permanent, Mgr Nguyên Huy Mai, décédé le 4 août dernier, et Mgr Huynh Van Nghi n’ont pas reçu l’approbation du gouvernement pour exercer leur mandat. On leur a reproché d’être en difficulté avec les autorités locales (1). Les commissions que nous créons doivent jouir elles aussi d’une autorisation spéciale du Bureau des Affaires religieuses. Au mois de décembre dernier, cette autorisation a été refusée à la commission des oeuvres sociales que nous voulions mettre en place. Ces commissions sont pourtant extrêmement utiles à l’Eglise du Vietnam. La commission pour la liturgie est en train d’achever la traduction du livre des heures. Une version pour les fidèles est déjà prête. La version destinée aux prêtres et aux religieux suivra bientôt. C’est l’épiscopat français qui nous a offert le papier bible nécessaire à cette édition.

Il reste toujours aussi difficile de réunir notre Conférence épiscopale. Nous n’avons qu’une assemblée annuelle et une réunion du conseil permanent. Il nous faut, chaque fois, demander une autorisation des autorités qui nous fixent, elles-mêmes, le lieu et la date. Nous pensons que la prochaine réunion aura lieu à Hanoi au début de l’année prochaine, au mois de février ou mars. Le Bureau des Affaires religieuses tient beaucoup à ce que cette réunion ait lieu à Hanoi: “C’est là, nous a-t-on fait savoir, que doivent se discuter les choses”.

Malgré tout, notre Conférence devient un instrument de plus en plus efficace au service des 25 diocèses de l’Eglise du Vietnam – un instrument de coordination et d’unification -en premier lieu au sein de l’épiscopat lui-même qui a maintenant surmonté le traditionnel clivage nord-sud.

Récemment, une délégation du Vatican, conduite par le cardinal Etchegaray, s’est rendue au Vietnam. Comment évaluez-vous cette visite officielle ?

Nous avons été extrêmement réconfortés par la récente visite du cardinal Etchegaray au Vietnam. Sa personnalité et la sympathie qu’il a manifestée à notre pays ont fait une très profonde impression, non seulement dans notre Eglise mais aussi chez les non-chrétiens. Les journaux ont parlé de lui, et les autorités civiles ont été séduites par son sens de la négociation et sa compréhension. Peu avant son retour à Rome, il a publiquement manifesté l’amour qu’il porte au Vietnam, “ce pays de fleuves et de mer”. Citant un de nos proverbes: “On peut sonder le fond des fleuves, mais où est la perche qui sondera le coeur de l’homme?”, il a déclaré avoir appris à connaître, durant son voyage, la profondeur du coeur vietnamien et a invité ses interlocuteurs à découvrir le coeur de l’Eglise. Deux administrateurs apostoliques, qui avaient été nommés par le Vatican sans autorisation préalable du gouvernement, ont aussi été reconnus par celui-ci à l’occasion du voyage de la délégation romaine.

Depuis plusieurs mois, on parle d’une éventuelle visite d’évêques français au Vietnam. Où en est-on aujourd’hui de ce projet ?

Le cardinal Decourtray nous a informé en effet que l’épiscopat français désirait nous rendre visite; nous en avons été très heureux. Cependant en réponse à notre demande, le Bureau des Affaires religieuses nous a fait savoir que, pour le moment, à une visite officielle, il préférait de simples voyages de tourisme. C’est ainsi que Mgr Sarrabère, évêque de Dax, est venu nous voir. M. Chinh, qui fait fonction de responsable des Affaires religieuses, l’a reçu seul.

L’attitude du gouvernement vis-à-vis de l’Eglise a-t-elle évolué ces dernières années ?

Depuis le 6ème Congrès du Parti communiste vietnamien, en décembre 1986, l’espace de liberté de l’Eglise catholique au Vietnam s’est peu à peu étendu. Les évêques peuvent désormais circuler plus facilement dans leurs diocèses respectifs. Il y a quelques années, pour chacun de mes déplacements, j’étais obligé de faire tamponner 10 fois par 10 services différents, mon autorisation de circuler. Aujourd’hui, il me suffit d’envoyer mon secrétaire informer l’autorité locale de l’endroit où je désire me rendre. Ces deux dernières années, j’ai eu aussi la joie d’ordonner de nouveaux prêtres pour mon diocèse: dix, l’an dernier, et cinq, cette année.

Se sont aussi relâchés, en partie, la pression et le contrôle exercés sur le clergé. Les prêtres et religieux, prisonniers ou en rééducation, ont, dans leur grande majorité, été rendus à la liberté. Il reste cependant encore un certain nombre de prêtres en prison, en particulier, le supérieur général de la congrégation de Marie co-rédemptrice et son assistant. Le père Thu, le supérieur général, âgé de 83 ans, s’est montré très courageux et a refusé d’être libéré s’il n’était pas autorisé à revenir dans son monastère.

Il faut aussi ajouter que les prêtres, anciens prisonniers ou rééduqués, n’ont pas la permission d’exercer leur ministère. Par exemple, sur les 274 prêtres que compte mon diocèse (2), 38 sont dans ce cas. La Conférence épiscopale a souvent demandé au gouvernement de retirer cette interdiction de ministère. Selon les réponses qui nous ont été faites, on exige de ces prêtres un certain nombre de conditions: ils doivent avoir recouvré leurs droits civiques, avoir fait la preuve qu’ils se sont amendés, être pris en charge par un évêque qui doit faire une demande aux autorités en précisant le poste qu’il lui confiera.

Comment envisagez-vous l’avenir dans ce domaine ?

Pour ce qui concerne la situation du clergé, en cette année 1990, les perspectives sont meilleures qu’autrefois. Certes les difficultés subsistent encore: depuis 1985, mon diocèse a perdu 89 prêtres; la relève n’a été assurée que par 15 nouveaux prêtres. Dispersés dans le diocèse, nous avons pourtant 300 séminaristes, dont 80 ont achevé leurs études de théologie sans que nous ayons encore l’autorisation de les ordonner prêtres. Mais notre diocèse reste privilégié par rapport à certains diocèses du Nord-Vietnam. Dans le diocèse de Lang Son à la frontière chinoise, il n’y a qu’un seul prêtre. Son évêque, Mgr Du, nommé depuis plus de 30 ans, vient seulement d’être reconnu par les autorités, grâce à l’intervention du cardinal Etchegaray. Le diocèse de Bac Ninh a deux évêques; mais il n’a que deux prêtres officiels pour une population de 90 000 catholiques.

Malgré tout, la situation s’améliore. Quatre séminaires fonctionnent déjà au Vietnam. Un cinquième sera ouvert à Nhatrang l’an prochain. Un autre est prévu à Huê, lorsque la situation du diocèse, actuellement sans archevêque, sera réglée. Il y a certes de nombreuses limitations. Sur les 50 candidats que j’avais présentés pour le grand séminaire de Hô Chi Minh-Ville, les autorités n’en ont retenu que 11. De plus, les critères du gouvernement ne sont pas exactement les nôtres. Nous ne les connaissons d’ailleurs pas très clairement: nous savons seulement que les candidats doivent avoir moins de 30 ans, avoir terminé leurs études secondaire, avoir accompli leur service militaire ou civil. Ils doivent, eux et leurs familles, avoir fait preuve de patriotisme.

Pour le moment, dans chacun des séminaires du Vietnam, seule une classe fonctionne. A Hô Chi Minh-Ville, il avait été prévu un recrutement tous les 3 ans. Mais voilà déjà quatre ans qu’il n’a pas pu avoir lieu. Le recrutement et la formation du corps professoral constitue aussi, pour nous, un problème sérieux. Pour le moment, il n’est pas question d’envoyer des prêtres dans les universités occidentales. Pour le pays, cette formation ne constitue pas une priorité.

Pouvez-vous, monseigneur, nous parler du peuple chrétien du Vietnam ?

Pour caractériser l’attitude du peuple chrétien au Vietnam, trois termes s’imposent: la foi, la ferveur, la persévérance. Le peuple chrétien, aujourd’hui, peut, avec moins d’entraves qu’autrefois, vivre selon ses convictions profondes. Cependant, il y a encore des limites dans la libéralisation générale que l’on observe depuis le 6ème Congrès. Il fut une époque où dans certains endroits, le culte n’était autorisé que le dimanche et pendant une heure seulement. Tout devait se faire durant cette heure là: eucharistie, catéchèse, etc. Ce n’est plus le cas. Notre diocèse fête, cette année, le 25ème anniversaire de sa fondation. C’est pour nous l’occasion d’intensifier nos efforts en matière de catéchèse en direction des enfants, mais aussi des adultes, à l’occasion de certains événements, comme par exemple, le mariage. Cependant, officiellement, la catéchèse est toujours limitée à l’église, quelquefois au presbytère et se fait souvent le dimanche. Nous manquons aussi cruellement de publications religieuses, de livres de théologie, de spiritualité … Les seules publications officielles de l’Eglise sont les calendriers liturgiques annuels.

J’éprouve beaucoup d’admiration pour mes compatriotes chrétiens du Vietnam. Ils sont forts, vaillants et joyeux; ils ont fait preuve de courage, de force et de fidélité. Ils l’ont montré en 1988, à l’époque des canonisations contestées par le gouvernement. Il me semble que leurs frères non chrétiens leur reconnaissent ces mêmes qualités et les estiment. D’ailleurs, les conversions sont nombreuses, aujourd’hui,même s’il m’est impossible de fournir des statistiques.

L’expression de Mgr Nguyên Kim Diên, en 1979, “Le catholique, un citoyen de second rang”, est-elle encore juste aujourd’hui ?

Il me semble que l’opinion des autorités de l’Etat a évolué en ce domaine aussi. Lors d’une rencontre avec le chef de l’Action populaire et le représentant du Bureau des Affaires religieuses, à l’occasion de la visite de la délégation romaine, il m’a été dit: “La religion n’est pas un épiphénomène, mais une réalité qui doit être prise en compte. Il ne fait pas de doute que la religion rend les hommes meilleurs: elle leur apprend à respecter la loi et l’ordre. Elle contribue beaucoup au bien commun. C’est pourquoi, il ne doit pas y avoir de vexations contre les religions”.

Ce jugement est vrai en ce qui concerne les catholiques. Ils ont beaucoup contribué au bien commun du Vietnam. L’action des religieuses, dans le domaine de la santé, de l’éducation, des oeuvres sociales est reconnue de tous. Ces temps-ci, les chrétiens ont pris beaucoup d’initiatives. Certes, on ne les voit pas encore nombreux dans l’administration et parmi les cadres. Mais désormais, ils peuvent achever leurs études secondaires et s’inscrire à l’université. Par ailleurs, pour les postes délicats qui exigent probité et honnêteté, on fera tout naturellement davantage confiance à un catholique, à plus forte raison, à une religieuse.

Nous avons beaucoup entendu parler des lettres publiques et des sermons du P. Chân Tin, à Ho Chi Minh-Ville, critiquant sévèrement le régime ainsi que le Comité d’union des catholiques patriotes. Représente-t-il l’opinion générale des catholiques du Vietnam et qu’en pensez-vous, vous-même ?

J’ai moi-même rencontré le Père Chân Tin. Il me semble qu’il a dit la vérité et que beaucoup de catholiques l’ont approuvé. Sans doute, a-t-il parlé trop fort ! Il a été mis en résidence surveillée, ainsi que M. Nguyên Ngoc Lan. La peine aurait été beaucoup plus lourde, il y a quelques années ! Ici aussi, nous pouvons constater une évolution.

Que pensez-vous du Comité d’union des catholiques patriotes ?

Le Comité détient l’unique journal catholique du Sud-Vietnam: “Le Catholicisme et la Nation”. Cependant, l’un comme l’autre doivent être considérés plutôt comme des organes de l’Etat. Les articles du journal sont toujours en faveur de la politique gouvernementale et sont très souvent critiques vis-à-vis de l’Eglise. Ils ne donnent pas une idée juste de l’Eglise du Vietnam. Cependant, on peut y trouver les lettres communes de la Conférence épiscopale et les déclarations des évêques.

Lors de la préparation du deuxième Congrès du Comité d’union des catholiques patriotes, deux de ses représentants m’ont apporté une lettre dans laquelle ils se plaignaient d’être soupçonnés à la fois par le gouvernement qui voyait, dans leur mouvement, un moyen détourné de développer l’Eglise catholique, et par la hiérarchie catholique qui les considérait comme un instrument de contrôle du gouvernement. Je leur ai répondu que ces soupçons étaient fondés. Ils ont perdu la confiance des catholiques à cause de leur attitude au moment des canonisations. Ils doivent faire en sorte de retrouver la confiance du peuple chrétien. Ils doivent se faire le reflet des besoins et des aspiration des catholiques vietnamiens auprès des autorités. Il me semble que j’ai été entendu puisque dans ses résolutions, le Congrès a beaucoup insisté sur ce rôle.

En réalité le Comité d’Union est surtout actif à Hô Chi Minh-Ville. Il a très peu d’activités en province. Dans mon diocèse, les membres du Comité collaborent avec moi, dans l’obéissance et la fidélité à l’Eglise.