Eglises d'Asie

L’EGLISE DU JAPON: 444 ANS D’HISTOIRE

Publié le 18/03/2010




Ce dossier présente l’histoire de l’Eglise japonaise « en perspective optique », c’est-à-dire en raccourcissant volontairement les périodes anciennes pour accorder plus d’importance à l’histoire contemporaine, comme dans un paysage où apparaissent en plus gros les plans les plus proches et en plus tassé les plans les plus éloignés.

La période de la première évangélisation (1546-1587)

Tout a commencé il y a 444 ans lorsque, vers 1546, un certain Anjirô, samouraï de la province de Satsuma, au sud du Kyûshû, se mit à la recherche de François Xavier qui missionnait dans la région de Malacca et des Moluques. Encouragé par des marchands et marins portugais à se rendre auprès de ce grand Sage, qui pourrait pacifier sa conscience pleine des remords consécutifs à ses dérèglements, il poursuivit un voyage mouvementé, avec deux de ses serviteurs, jusqu’à ce qu’il rencontre, en 1547, François Xavier à Malacca. Auprès de lui il se convertit, et c’est à Goa, aux Indes, qu’il fut baptisé par l’évêque du lieu, le jour de Pentecôte 1548.

Anjirô se chargea, par la suite, d’accompagner François Xavier jusqu’à sa ville d’origine, le port de Kagoshima, où ils abordèrent sur une mauvaise jonque chinoise, l’an 1549, en la fête de l’Assomption, le 15 août (1).

Cette date est à considérer comme le début de l’évangélisation au Japon. Bien vite François Xavier entreprit un voyage missionnaire, d’abord à Hirado et par la suite à Miyako (Kyôto), la capitale de l’époque, où il pensait pouvoir obtenir une audience de l’empereur. Ce fut en vain. De retour vers le sud, il put fonder un premier centre de chrétienté à Yamaguchi sur l’emplacement d’un temple désaffecté. Rappelé très vite aux Indes, il dut quitter le Japon en s’embarquant à Funaï (Oïta), où il acquit la sympathie du daïmyô local, Otomo Yoshihige. En route pour Goa, il mourut dans l’île de Shangchwan (2), au large de Macao, en décembre 1552.

Ses 27 mois d’apostolat au Japon avaient laissé une chrétienté de quelques milliers de nouveaux baptisés.

Des renforts de jésuites portugais permirent à cette chrétienté naissante de se développer rapidement. En 1582, on comptait 75 missionnaires et 150 000 baptisés dont 125 000 dans l’île du Kyûshû. Une ambassade japonaise se rendit même en Europe et fut reçue par le pape Grégoire XIII.

Parmi les néophytes de l’époque, plusieurs bonzes et plusieurs daïmyôs, dont certains devenus célèbres, comme Takayama Ukon, qui entraînaient avec eux des familles de leur entourage.

Ces succès n’étaient toutefois pas sans susciter résistance et méfiance de la part des ministres bouddhistes en particulier. Cependant, la protection ou la tolérance des shôguns Ashikaga Yoshiteru, puis Oda Nobunaga, jouait en faveur des jésuites : bienveillance autant que geste politique semble-t-il.

En effet, lorsque par la suite, il s’avéra que les progrès du christianisme risquaient de déstabiliser l’ordre politique et religieux de l’archipel, et que les daïmyôs chrétiens risquaient de devenir un possible contre-pouvoir, l’attitude du shôgun se fit plus réticente. Dès 1587 – déjà – Toyotomi Hideyoshi fit connaître qu’il voyait d’un mauvais oeil le prosélytisme « acharné » des missionnaires ; pourtant, au début de son règne, en 1582, il avait permis aux jésuites de résider à Osaka et d’y prêcher. A cette époque, la chrétienté du Japon comptait 250 églises et 200 000 fidèles; un peu plus tard, en 1595, elle en comptera 300 000 avec 137 missionnaires. Rien d’étonnant à ce que ces chiffres aient fait réfléchir le pouvoir qui avait déjà eu maille à partir avec les daïmyôs du sud.

La période des persécutions et de la fermeture (1587-1844)

Le premier décret de bannissement des missionnaires, par Hideyoshi, date de 1587, ainsi que l’ordre d’exil du daïmyô Takayama. Celui-ci finira ses jours à Manille, aux Philippines. Suivit une période de provisoire tolérance et, en 1593, le gouverneur espagnol des Philippines résolut d’envoyer des franciscains – espagnols – au Japon. Jésuites portugais et franciscains espagnols ne s’entendaient guère, étant donné le principe du partage des zones d’influence fixées par le Pape Alexandre VI entre Espagne et Portugal.

Un événement précipita les décisions qui entraînèrent la première persécution : l’affaire du San Felipe, un galion espagnol qui fit naufrage en 1596 et dont les Japonais, suivant les usages de l’époque, confisquèrent la cargaison. Les réclamations et menaces du capitaine castillan s’accompagnèrent de déclarations sur la puissance de l’Empire de Sa Majesté le roi d’Espagne, dont les conquêtes se réalisaient avec le concours « de la religion et des armes ». Il n’en fallait pas tant pour décider Hideyoshi.

Dès le 9 décembre 1596, neuf religieux sont arrêtés à Miyako et Osaka. D’autres les suivront. Ils sont conduits, au cours d’une longue et pénible marche, jusqu’à Nagasaki, lieu choisi pour leur exécution. A Nagasaki existait déjà à l’époque une chrétienté florissante, et c’est là que se trouvaient la plupart des missionnaires auxquels Hideyoshi entendait imposer son autorité. Le 5 février 1597, les 26 premiers martyrs du Japon sont crucifiés sur la colline de Tateyama, jésuites, franciscains et simples chrétiens confondus dans une même exécution. Leurs corps furent laissés exposés neuf mois sur les croix (3).

Le début du XVIIème siècle sera marqué par une alternance de tolérance et de persécutions, de violence et d’accalmies. De nouveaux missionnaires peuvent encore pénétrer parmi lesquels des augustiniens et dominicains ; parmi ces derniers, le premier missionnaire français du Japon, Guillaume Courtet (4). Il sera martyrisé.

En 1614, le célèbre shôgun Tokugawa Ieyasu publie un édit visant à la complète suppression du christianisme. Par la suite, l’application de cet édit entraînera progressivement l’expulsion des missionnaires ou leur emprisonnement et exécution ; les chrétiens furent soumis à une impitoyable persécution qui s’étendit à tout l’archipel de façon systématique. En même temps, le pays était totalement fermé à l’étranger. Seul le minuscule comptoir commercial de Deshima, à Nagasaki, sévèrement surveillé, était réservé aux marchands hollandais. En 1622, ce fut la grande persécution de Nagasaki, en 1623 celle de Yedo (Tôkyô). En 1637, de nombreux chrétiens participèrent à un soulèvement paysan près de Nagasaki, à Shimabara. La liquidation de cette jacquerie marqua le début de l’isolement total des chrétiens en même temps que la volonté d’extermination du christianisme : exil, tortures, travaux forcés, tracasseries policières, obligation de se soumettre au « efumi » (ou « fumie »), c’est-à-dire de fouler aux pieds des symboles religieux, propagande antichrétienne… Toute tentative de pénétration missionnaire était vouée à l’échec. Les chrétiens ou bien apostasièrent, ou bien subirent le martyre par milliers, ou bien réussirent à survivre malgré tout dans cette tourmente, l’une des plus implacables que l’histoire ait jamais connue.

Beaucoup s’organisèrent sans prêtres, en Eglise clandestine, par groupements de petits quartiers, avec baptiseurs et chefs de prière, utilisant toutes sortes de subterfuges pour dissimuler leur culte secret, comme l’usage de statuettes de la déesse Kannon camouflant la Vierge Marie, ou des décorations de sabres évoquant la croix chrétienne.

La période de la résurrection et de la reprise (1844-1873)

Autant la persécution fut systématique, autant la capacité de survie fut étonnante… et ceci pendant plus de 250 ans. Un très long silence.

Ce long silence, ce silence où il semblait que Dieu lui-même s’était absenté pour toujours, comme l’a évoqué le roman d’un auteur catholique, Endô Shûsaku, best-seller dans les années 1970, – et qui fut porté au cinéma – ce silence d’une Eglise isolée et réduite à la plus mystérieuse kénose, ce silence qui semblait devoir se poursuivre encore longtemps, interpellait pourtant l’Eglise universelle et plus particulièrement la Congrégation de la Propagande. Déjà, dès 1831, celle-ci avait imaginé d’envoyer des missionnaires par la Corée, en confiant la préoccupation de l’Eglise du Japon et de la Corée à la Société des Missions Etrangères de Paris. Mais il fallut attendre le 28 avril 1844 pour qu’une première tentative puisse réussir. Contre toute attente M. Forcade, venant de Macao, quartier général des missions catholiques pour l’Extrême-Orient, parvint à débarquer à Naha, sur l’île d’Okinawa, petit port du royaume des Ryûkyûs, déjà sous contrôle japonais. Il put se maintenir deux ans sur place, sous une surveillance des plus sévères, profitant de son séjour pour mettre au point un lexique de langue japonaise. L’exploit fit sensation, et le pape Grégoire XVI, sans attendre, nomma Forcade premier vicaire apostolique des Ryûkyûs et du Japon. Sacré évêque à Hongkong, il ne put malheureusement jamais revenir dans son vicariat (5). Par la suite, Naha devint une base de passage qui permit à d’autres missionnaires de prendre pied sur les grandes îles du Japon.

En juillet 1853, le commandant Perry, au nom du président des Etats-Unis, se présentait en rade d’Edo avec sa flotte de « vaisseaux noirs » ; il mettait le Japon en demeure de s’ouvrir au commerce et aux relations avec les autres nations. Plusieurs pays suivirent son sillage : Angleterre, Russie, Allemagne et, bien sûr, la France qui profita des négociations pour obtenir que des missionnaires soient autorisés au titre des missions diplomatiques. En 1858, les premiers traités étaient signés avec les principales puissances. Dès 1858-59 des missionnaires pouvaient s’installer dans certains ports (Hakodate, Yokohama, Nagasaki), mais uniquement au service des étrangers.

En 1859, une mission était ouverte à Hakodate ; en 1862, une église était construite dans la concession de Yokohama ; en 1865, celle de Nagasaki était inaugurée et peu après, le 17 mars 1865, s’y produisit un événement unique dans les annales de l’histoire de l’Eglise : la découverte des chrétiens cachés qui avaient survécu à plus de 250 ans de persécution. M. Petitjean (6) les accueillait dans la toute nouvelle église d’Oura, devant la statue de la Vierge. L’épisode le plus émouvant en est l’accueil du petit groupe de chrétiens du village d’Urakami se présentant devant l’autel et disant : « Notre coeur, à nous tous, ici, est le même que le vôtre… Nous sommes d’Urakami, et là, presque tous nous avons le même coeur… »

Ainsi l’Eglise ressuscitait de son silence plus que bicentenaire. Très vite, mais avec précaution et prudence, les retours de certains chrétiens cachés s’effectuèrent, malgré la vigilance des autorités civiles toujours prêtes à réagir. Il ne fallut guère attendre: dès 1866 les tracasseries reprirent. Puis ce furent des perquisitions, des emprisonnements et finalement l’exil de chrétiens vers des régions isolées avec des traitements odieux qui prouvaient que la persécution n’était pas terminée. Entre-temps, M. Petitjean avait été nommé vicaire apostolique, mais il se trouvait évêque d’un troupeau totalement dispersé (7). Ailleurs, quelques conversions avaient eu lieu, mais dans la plus grande discrétion.

La période de l’impérialisme et du nationalisme (1873-1945)

Les temps changeaient; le paysage politique se modifiait et la longue période de domination shôgunale faisait place à un régime de restauration impériale. L’ère Tokugawa était close. C’était l’ère nouvelle, la grande ère Meiji, commencée en 1868 avec sa politique d’ouverture progressive, de modernisation et de « gouvernement éclairé ». Ce nouveau régime allait relâcher, grâce aux insistances et pressions diplomatiques des pays étrangers, la persécution antichrétienne qui finit par s’adoucir ; le décret impérial du 14 mars 1873 mettait fin à cette longue histoire de rejet total ; les chrétiens exilés, au moins ceux qui avaient survécu à l’épreuve, regagnèrent leurs foyers, mais c’était dans un état de pauvreté absolue.

L’Eglise connut alors un développement soutenu ; le nombre de missionnaires – tous Français à l’époque – augmentait, passant de quelques unités à plusieurs dizaines, les ports ouverts se multipliaient, l’intérieur du pays n’était plus interdit : ce fut le début de la grande période des missions ambulantes, où les voyages apostoliques étaient une des techniques courantes permettant des fondations rapides de communautés qui, pour la plupart, finissaient par se développer et s’équiper, dans les villes et les bourgs beaucoup plus que dans les campagnes. La curiosité des Japonais pour ce qui venait de l’étranger était vive, mais les préjugés n’avaient pas pour autant disparu. Bien des bonzes voyaient d’un mauvais oeil l’arrivée de ces concurrents. Bientôt les missions protestantes, orthodoxes et anglicanes, entraient en action dans un contexte d’époque qui n’était pas du tout oecuménique.

Au moment de la proclamation de la nouvelle Constitution, en 1889, la communauté catholique comptait 40 000 fidèles. Depuis 1865, elle s’était bien étoffée, avec les retours de chrétiens cachés (de la région de Nagasaki surtout) ; tous d’ailleurs ne rejoignirent pas l’Eglise et certains continuèrent à fonctionner en communautés clandestines (« kakure kirisutan ») (8). Dans le centre et le nord du pays, où il n’y avait pas d’implantation ancienne, c’était une mission de pénétration et de défrichement qui gagnait peu à peu les différentes provinces avec plus ou moins de bonheur, en laissant derrière elle de petites communautés généralement bien desservies par des catéchistes, hommes à tout faire et d’un esprit missionnaire souvent exemplaire.

La Constitution de Meiji de 1889, longuement préparée, reconnaissait enfin officiellement la liberté de croyance et de religion. C’était une nouveauté de toute première importance pour l’Eglise. Quelques années auparavant, en 1885, le pape Léon XIII avait adressé une lettre de sympathie à l’empereur Meiji par l’intermédiaire de l’évêque de Tôkyô, Mgr Osouf. En 1891, la hiérarchie était instaurée avec 4 diocèses : Tôkyô, Hakodate, Osaka et Nagasaki. L’Eglise était donc libre, reconnue et organisée. Elle connaissait un réel développement. Les responsables de la mission voyaient déjà un âge d’or poindre sous leurs yeux et, en 1890, le premier synode national, qui se tint à Nagasaki, s’y prépara dans l’optimisme.

Mais l’âge d’or de l’Eglise n’advint pas. La Constitution de 1889 lançait le pays dans une aventure à la fois de modernisation, de développement du sentiment national et, petit à petit, d’un type de gouvernement qui allait provoquer un grand brassage social, culturel et politique, amenant des changements de mentalité, des chocs d’idées nouvelles dont beaucoup, venues d’Europe, étaient antichrétiennes. Les missionnaires remarquèrent, dès la fin du siècle, un ralentissement dans les résultats de leurs efforts, et ceci en fonction du contexte général qui allait entraîner le Japon dans des aventures nationalistes et souvent xénophobes.

Ceci n’empêcha pas un nombre important de fondations diverses, non seulement d’Eglises mais aussi d’institutions telles qu’écoles, orphelinats, congrégations religieuses, les plus anciennes étant les Frères Maristes, les Dames de Saint-Maur, les Soeurs de Chauffailles, les Soeurs de Saint-Paul de Chartres et assez vite aussi les Trappistes et Trappistines. L’influence de l’Eglise de France, par Missions Etrangères interposées, était prédominante et presque inévitable, avec une certaine dose de jansénisme larvé. On s’explique aussi pourquoi le culte de Notre-Dame de Lourdes se répandit vite au Japon. Le christianisme – au moins le catholicisme – était la religion des Français, et l’Eglise d’Oura désignée comme la « Pagode française ».

Cette religion des Français, des étrangers, était bien sûr peu attirante pour le Japonais moyen; elle pouvait même paraître suspecte. Le nationalisme de la période Meiji freinera bel et bien la marche de l’Eglise dans son espoir d’un possible âge d’or.

Assez souvent marqué de chauvinisme, ce nationalisme se manifesta, entre autres, pendant la guerre sino-japonaise de 1894. Le paroxysme en sera atteint quand l’Angleterre, la Russie et la France interviendront pour obliger le Japon à rétrocéder la péninsule de Lia-Tung. L’humiliation ne sera pas oubliée. Par contre, la guerre russo-japonaise (1905), qui se termina par la première victoire du Japon sur une nation occidentale, provoqua un sentiment de fierté nationale tel que les pauvres missionnaires occidentaux se trouvèrent plutôt gênés aux entournures. Il n’était pas rare de voir les chrétiens suspectés ou mis en quarantaine, les missionnaires reçus à coups de pierres, ou attaqués par la grande presse.

En 1906 mourait Mgr Osouf, premier évêque de Tôkyô, à une époque où, selon l’expression d’un de ses missionnaires, le Père Ligneul, « la liberté religieuse, dont on avait tant espéré, était loin de produire l’effet qu’on attendait… » Triste constat. Sous des apparences d’ouverture, le Japon s’était, en accord parfait avec sa Constitution, replié sur un refus poli mais soupçonneux par rapport au prosélytisme chrétien. Résistance active et violente au temps des persécutions, ou résistance passive et civilisée, cordiale et respectueuse du temps de l’Empereur Meiji, c’était au fond le même réflexe conservateur.

L’expansion n’était pas achevée, loin de là. Progressivement la Corée était colonisée et annexée de façon brutale (1910) (9). La pénétration vers la Sibérie et la Mandchourie commençait. Profitant du traité de Versailles, après la première guerre mondiale, le Japon pouvait en plus agrandir son contrôle sur des comptoirs en Chine (Shandong) et sur certaines îles du Pacifique (Iles Carolines, Marshall et Mariannes). Taiwan avait été annexée dès 1895. Au moment de la guerre 14-18, l’Empereur Taishô avait déjà succédé à Meiji (1912). Mais le nationalisme était le même.

L’Eglise pourtant poursuivait une progression discrète (75 000 chrétiens en 1919). Plusieurs nouvelles circonscriptions ecclésiastiques étaient créées. Un délégué apostolique était nommé en 1919. En 1927, Mgr Hayasaka, à Nagasaki, devenait le premier évêque japonais. D’autres instituts religieux ou missionnaires étaient, depuis le début du siècle, venus renforcer les prêtres diocésains et ceux des Missions Etrangères de Paris. Ceux-ci avaient beaucoup investi et très vite dans la formation de prêtres japonais. Au début de l’ère Shôwa (1926), on compte 86 000 chrétiens et 140 prêtres dont 40 japonais ; dominicains, franciscains, jésuites et autres sont là.

Cette ère Shôwa, qui aura duré 62 ans et ne s’est terminée qu’en janvier 1989, fut marquée par la montée continue du nationalisme, de l’impérialisme à outrance, et du militarisme fanatique. L’affaire du Mandchoukouo prolongée par l’envahissement de la Chine entraîna le Japon dans le paroxysme de la guerre du Pacifique (1941-45) qui mondialisa le conflit de la deuxième grande guerre. Le culte de l’empereur, par rapport auquel l’Eglise avait dû se compromettre plus au moins pour éviter le pire, était intégré au shintoïsme d’Etat centré sur le culte de la Nation et de l’Empereur, au service de la grande aire de coprospérité asiatique dominée par le Japon.

L’Eglise devait filer doux et marcher dans le système. Tous les évêques devront être Japonais. Les missionnaires étrangers seront surveillés, et parfois piégés dès les années 30. Les choses devinrent plus dramatiques après l’attaque de Pearl Harbour (1941). Chrétiens et missionnaires étrangers étaient suspects, considérés comme des espions en puissance. L’atmosphère de persécution était de nouveau présente : arrestations, incarcérations, menaces, propagande hargneuse, méfiance, suspicion, contrôles de police, etc. L’Eglise se faisait petite et pauvre ; beaucoup de prêtres se trouvaient au front dans tous les coins du monde, au service de leurs pays respectifs.

L’Empereur Hiro-Hito et les durs de la faction militariste menaient le combat sacré. La responsabilité de l’empereur lui-même a été débattue, et le sujet très vite classé comme tabou et occulté. Mais il est impossible de penser qu’il n’ait pas participé aux décisions qui entraînèrent le Japon dans son aventure au cours des grandes opérations du Sud-est asiatique et du Pacifique.

L’Eglise était alors organisée en « Eglise de l’Empire du Grand-Japon », avec des administrateurs ou délégués envoyés du Japon dans les pays occupés.

Enfin, ce fut Hiroshima et Nagasaki. Ni les kamikazes, ni le « souffle divin » n’avaient pu sauver l’empereur et sa clique.

La période de l’après-guerre (1945-1965)

6 août 1945 à Hiroshima : première bombe atomique. Les pères jésuites sont sur les lieux, dont le Père Arrupe qui deviendra plus tard général de la Compagnie de Jésus.

9 août 1945 à Nagasaki : deuxième bombe atomique. Le centre d’Urakami et sa cathédrale – la plus grande d’Extrême-Orient, élevée dans le quartier des chrétiens ressuscités – est dévastée. Parmi les victimes des milliers de catholiques (10). Parmi elles, le professeur Nagaï, héros des « Cloches de Nagasaki ».

15 août 1945, fête de l’Assomption et anniversaire de l’arrivée de François Xavier au Japon; l’empereur Hiro-Hito fait connaître à la nation sa décision de cesser les hostilités : « En persistant à vouloir combattre, nous allons non seulement vers l’effondrement complet et vers la disparition de la nation japonaise, mais encore vers l’annihilation totale de l’humanité et de la civilisation… Il nous faut donc supporter l’insupportable et tolérer l’intolérable. »

L’acte de reddition fut signé sur le « Missouri », de la marine américaine. C’est le général MacArthur qui le reçut en tant que commandant suprême pour les puissances alliées. L’occupation commençait. Le système impérial était pourtant maintenu, grâce à des recommandations faites, entre autres par un jésuite, auprès des autorités américaines.

Le 1er janvier 1946 cependant, l’empereur proclamait le caractère non divin de la personne impériale. La nouvelle Constitution (1946) imposée par l’Amérique prévoyait la séparation de la religion et de l’Etat. Le shintoïsme d’Etat, qui fut le moteur de l’acharnement sacré du Japon pendant la guerre, n’avait plus de statut privilégié.

On put croire un moment que le Japon ne pardonnerait pas aux nations chrétiennes la défaite infligée. Certains missionnaires pensaient à un repli discret. Par contre les évêques japonais firent une demande pressante aux instituts missionnaires et religieux pour aider le Japon et son Eglise à ressusciter une nouvelle fois. Le Vatican et la Congrégation de la Propagande investirent beaucoup, profitant du choc incommensurable sous lequel le Japon se trouvait prostré. On voyait là une chance unique pour le christianisme.

De fait, l’envoi en nombre considérable de missionnaires, religieux et religieuses, fut la politique qui suivit la guerre pendant une vingtaine d’années. De nouvelles fondations accompagnèrent les reconstructions. Le nombre de baptêmes augmentait, passant de 4 000 baptêmes d’adultes pour l’année 1946 à 12 000 pour l’année 1952. Le nombre des prêtres étrangers grossissait rapidement (250 en 1946 et 1 200 en 1958) – une poussée particulièrement rapide qui s’explique en partie par le fait que beaucoup de missionnaires expulsés de Chine furent envoyés au Japon. De plus, les vocations japonaises de prêtres, religieux et religieuses, suivaient ce mouvement de croissance. La population catholique passait de 108 000 en 1946 à 308 000 en 1963. Tous les espoirs étaient permis pour un grand mouvement vers le catholicisme, tandis que les Eglises protestantes connaissaient, elles aussi, une période d’expansion rapide.

L’organisation de l’Eglise suivait avec la création de nouveaux diocèses (il y en avait 16

en 1963) et le développement du système des districts qui permet à un évêque de confier des circonscriptions différentes à des instituts religieux ou missionnaires divers: ceux-ci prennent en charge l’ensemble du district, y compris les finances, le personnel à fournir et aussi le type d’apostolat (11).

Rome fournissait une aide soutenue qui venait compléter tous les secours provenant des pays occidentaux, Amérique et Australie comprises. Ecoles, universités, jardins d’enfants, institutions sociales, activités de presse… Toutes ces oeuvres s’engageaient dans des services correspondant aux besoins de l’après-guerre.

De nombreuses paroisses furent aussi créées à cette époque, permettant l’implantation matérielle de bases missionnaires dans la plupart des villes au moins de moyenne importance : 330 en 1947 ; 775 en 1962.

Toutes ces organisations recevaient un statut juridique officialisé par la législation du pays. L’heure était à un certain succès et à un réel optimisme. L’Eglise avait pignon sur rue, quoique modestement.

L’optimisme, d’ailleurs, reflétait l’ambiance générale du pays au cours de ces années. La démocratisation imposée par MacArthur avait été apprise par l’élève japonais à l’écoute de son maître américain, détesté et admiré tout à la fois. Les efforts de reprise économique furent couronnés de succès, et l’on vit le Japon passer d’un état de prostration à celui de puissance économique. Le traité de San Francisco (1951) mettait fin à l’époque d’occupation militaire par les Américains ; le Japon redevenu souverain et libre se mettait avec acharnement à la revanche économique. Dès 1950, la guerre de Corée provoquait la croissance accélérée de l’industrie nippone amenée à soutenir l’effort militaire américain. Le premier ministre, Yoshida Shigeru – le Churchill du Japon – fut l’homme à poigne qui sut donner au pays des structures lui permettant de foncer dans la reconstruction. Il mourut en 1967, après avoir reçu le baptême (12).

L’Eglise participa à cet effort par ses oeuvres sociales, caritatives, scolaires etc… En 1949, l’anniversaire de l’arrivée de saint François Xavier au Japon fut célébré dans tout le pays : une relique du saint – un bras, habituellement conservé à l’église du Gesù de Rome – fit le tour de l’archipel. La relance missionnaire marquée par cette commémoration se concrétisait par des initiatives apostoliques.

Des oeuvres ou mouvements catholiques commencèrent à surgir. Les conférences de Saint-Vincent de Paul connaissaient un bel essor ; la Légion de Marie se développait un peu partout ; la JOC était fondée en 1949 et manifestait une rapide expansion au moment où le monde ouvrier se trouvait à la base du gigantesque effort de relance économique ; les étudiants étaient organisés en une association dynamique ; des « katoken » (groupes d’étude sur le catholicisme) apparaissent dans un certain nombre d’universités, parfois dans des entreprises. Plusieurs universités catholiques commencent à jouir d’un certain prestige : Sophia (Université des jésuites à Tôkyô) ; Seishin (Université féminine du Sacré-Coeur à Tôkyô) ; Nanzan (Université du Verbe Divin à Nagoya) etc.

Plusieurs auteurs chrétiens, romanciers ou essayistes, commencent à percer dans le grand public (Endô Shûsaku, Sono Ayako, Miura Shûmon, Tanaka Sumie), et leur carrière n’est pas close. Un missionnaire comme le père Candau, m.e.p., connu pour ses conférences et articles dans la grande presse, connaît un large succès. Le père Hoivers, s.j., curé de la célèbre paroisse St-Ignace de Tôkyô, bénéficie d’un grand rayonnement pastoral et culturel; il ira même jusqu’à écrire le livret d’une pièce de théâtre « kabuki » sur l’histoire d’une noble chrétienne de l’époque des persécutions, Hosokawa Gratia.

Enquêtes et sondages effectués de temps à autre montraient que l’image de marque du catholicisme était plutôt bonne : religion ouverte, moderne, sérieuse quoique austère, rendant des services à la société ; ces sondages révélaient qu’il y avait toujours 3 ou 4 fois plus de sympathisants que de chrétiens dans l’Eglise: des sympathisants, donc, qui étaient peu nombreux à entrer dans cette Eglise.

Les relations diplomatiques avec le Vatican étaient renforcées dès 1952, avec une inter-nonciature, alors qu’auparavant il n’y avait qu’une simple délégation. Cette même année, le Comité national catholique était créé, jouant le rôle d’organisation centrale établie pour l’ensemble de l’Eglise au niveau national.

En 1960, Mgr Doï, archevêque de Tôkyô, était fait cardinal par le pape Jean XXIII, devenant ainsi le premier cardinal de l’histoire du Japon (13). C’était au moment où l’Eglise préparait le concile Vatican II.

En 1962, l’Eglise du Japon célébrait le centenaire de la première église, celle du Sacré-Coeur de Yokohama ; cet événement marquait en somme le début de la période conciliaire qui ira de 1962 à 1965. Pour le Japon, cette période correspondait à la préparation des Jeux Olympiques de Tôkyô (première Olympiade en Asie), qui eurent lieu en octobre 1964, et furent décisifs pour l’accélération fulgurante de la croissance économique japonaise.

Le prince héritier Aki-Hito, devenu empereur en 1989, avait épousé en 1959 une roturière éduquée à l’université catholique du Sacré-Coeur ; beaucoup y voyaient un bon présage.

Les signes du temps étaient chargés de sens. C’est ainsi que l’Eglise du Japon entra dans le Concile.

De 1962 à 1965, on vit surtout les évêques faire des allées et venues entre Rome et le Japon, et tenir leurs diocèses au courant de la marche du Concile lui-même. La grande presse n’en faisait pas un événement qui méritât intérêt ; ce sont surtout les instances catholiques qui, petit à petit, présentèrent aux fidèles du Japon les nouveautés, tendances, évolutions qui surgissaient au fur et à mesure des sessions. Cependant, les traductions en japonais prenant un temps considérable, une partie de l’information et de la documentation concernant les conclusions du Concile parvenait par les sociétés religieuses et missionnaires ayant leur quartier général en Occident, et dont les missionnaires étaient assez soucieux de mettre en place les nouvelles orientations. C’est ainsi que l’influence du Concile se fit sentir à travers deux canaux : les évêques eux-mêmes, et les missionnaires étrangers branchés sur leurs instituts ou leurs sources propres.

Pour les évêques, l’expérience de l’internationalité et de la charge de l’Eglise universelle étaient une grande première, qui les sortait de leurs préoccupations généralement limitées à l’archipel nippon. Le cardinal de Tôkyô fut même l’un de ceux qui firent le pèlerinage de l’ONU à New York pour y accompagner le pape Paul VI. En 1964, ce même cardinal inaugurait la nouvelle cathédrale de Tôkyô, une réussite architecturale due au fameux Tange Kenzô, et audacieux symbole d’une Eglise qui se veut appartenir aux temps modernes dans le sens proposé par le Concile : ouverture au monde et à la société d’une part ; effort d’adaptation d’autre part. L’Eglise du Japon s’avançait avec prudence dans cette ligne. Les premières retombées du Concile se firent sentir progressivement.

Dans le domaine de la liturgie, le passage à la langue vernaculaire obligeait à des choix concernant le type de langage à préférer, classique ou bien courant, et ceci avec des tâtonnements. Des efforts d’adaptation musicale obligeaient à trouver des compositeurs qui se mirent à la tâche. Les traductions de beaucoup de textes demandaient du temps et des spécialistes qui n’étaient pas légion : souvent les évêques eux-mêmes se partageaient le travail.

Dans le domaine de la catéchèse, des efforts étaient faits déjà depuis un certain temps. Il suffit d’examiner les différents manuels utilisés depuis le XIXème siècle pour se rendre compte du perpétuel renouvellement auquel a été soumise cette catéchèse, celle des catéchumènes adultes en particulier. L’approche biblique prenait un peu le pas sur l’approche dogmatique ou morale.

Dans le domaine de l’oecuménisme, les choses se faisaient gentiment sur le terrain, dans une ambiance où il n’y avait pas trop de résistances et où des bonnes volontés se manifestaient tant du côté catholique que du côté protestant ; les communautés protestantes, dont la plus importante est l’Eglise réformée du Japon, se montraient parfois moins enthousiastes que les catholiques. Des réunions entre prêtres catholiques et ministres protestants devinrent assez courantes, des réunions de prière commune aussi, ainsi que des grandes célébrations publiques à l’occasion de Noël, sans compter des actions coordonnées en certaines circonstances.

Par contre, l’effort de dialogue avec les religions non chrétiennes était une nouveauté soulignée par le concile du Vatican, mais où des habitudes nouvelles étaient à créer. Shintoïsme, bouddhisme, bien sûr, mais aussi nouvelles religions qui prolifèrent depuis le XIXème siècle ou le XXème siècle et dont certaines, comme le Sôkagakkai, d’inspiration bouddhique réformiste, se montraient particulièrement agressives à l’égard du christianisme (14). Il fallait procéder avec beaucoup de tact en évitant les ambiguïtés toujours possibles.

Enfin, le Concile obligea l’Eglise du Japon à reconsidérer son organisation, à commencer par la Conférence des évêques, qui procéda à sa restructuration dès 1966, alors que l’internonciature devenait nonciature.

Cependant, l’Eglise était déjà entrée dans une époque où la vague d’après-guerre était moins significative, les baptêmes moins nombreux, les catéchumènes aussi, tandis que le nombre de missionnaires étrangers atteignait son maximum de 1 275 en 1967, pour commencer à diminuer par la suite. On entrait dans une autre phase, celle de l’après-Concile, où l’accélération du développement du pays s’accompagnait d’une sorte de ralentissement de l’évangélisation.

La période de l’après-Concile (1965-1980)

Les années qui suivirent le Concile, et qui furent surtout consacrées à son application, connurent, en même temps qu’un effort de rénovation, un certain flottement.

La réforme liturgique qui se faisait beaucoup plus lentement qu’ailleurs, pour des raisons de difficultés de traduction et d’adaptation, laissait souvent les chrétiens un peu déroutés par manque de préparation, aussi bien qu’à cause d’un attachement sentimental à des formes traditionnelles d’expression de la foi. Pourtant, des expériences se répandaient assez naturellement, ne serait-ce que la célébration de la messe sur « tatamis » (nattes japonaises) en position accroupie sur les talons ; les célébrations de ce genre convenaient parfaitement aux rites habituels, principalement dans les maisons ; les réunions de quartiers dans les familles s’y prêtaient bien. L’abandon des chants latins pour de nouveaux hymnes ou des mélodies japonaises en déroutait certains, et les fervents de musique religieuse classique sont parfois restés sur leur faim par rapport aux nouvelles compositions dont la qualité musicale fut souvent mise en doute.

Cette évolution de la liturgie, destinée à être plus ouverte et plus proche des gens, fit apparaître également une nouveauté : la multiplication des demandes de mariage à l’église par des couples non chrétiens mais plutôt sympathisants. Tous n’ont pas été reçus de la même manière, mais ces demandes ont été de plus en plus souvent satisfaites, au moins dans certaines églises qui ont cherché à organiser l’accueil de ces couples en exigeant un minimum de préparation comportant une simple présentation du christianisme. Le débat n’est pas achevé sur ce sujet, et les évêques ont donné des instructions permettant d’être à la fois accueillant mais aussi prudent ; en effet, le risque de commercialisation de ce genre de cérémonial, dont les jeunes semblent de plus en plus friands, n’est pas sans ambiguïté. Certains pasteurs restent intransigeants sur la spécificité du mariage chrétien ; d’autres saisissent ces occasions pour une première évangélisation de couples généralement de bonne volonté, et sympathiques à l’égard de l’Eglise. Mais là aussi les tâtonnements demeurent.

L’après-Concile, qui correspondait à l’après-Olympiade, fut une période de remous et d’effervescence sociale. Les mouvements de contestation étaient actifs, et parfois virulents. Les étudiants en particulier étaient connus pour leurs engagements, et on les voyait souvent dans la rue. La révolution de 68 avait sa version japonaise avant 68. Mais tout s’accéléra à partir de ce moment-là. La contestation universitaire fit beaucoup parler d’elle. L’université catholique Sophia, à Tôkyô, connut des moments de charivari qui eurent des retombées jusque dans le grand séminaire de Tôkyô ; nombre de séminaristes se sentaient mal à l’aise dans le type de formation qui leur était proposé suivant le modèle jésuite ; petit à petit, la direction de la formation passa des jésuites à la Conférence des évêques, qui chargea des prêtres diocésains de la responsabilité du grand séminaire (15). Par contre, le grand séminaire de Fukuoka, confié aux sulpiciens, resta beaucoup plus calme.

Certains jeunes prêtres et d’autres moins jeunes, étrangers ou japonais, prirent le large et l’hémorragie consécutive à ces départs, même si elle fut plutôt calme et sans grandes turbulences, touchait tout de même l’opinion des communautés et avait des répercussions sur l’effectif du clergé. La crise des vocations, qui gagnait les Eglises occidentales, affecta directement l’envoi de missionnaires qui furent moins nombreux à rejoindre le Japon, tandis que les vocations locales étaient en régression. Le nombre total des prêtres diminua sensiblement : 1 930 en 1970 ; 1 850 en 1980.

Le Japon se trouvait de plus en plus lancé dans la conquête économique avec ses slogans du « doublement du revenu », et ses réalisations du genre des superpétroliers battant des records de gigantisme. La disponibilité pour les préoccupations religieuses ou spirituelles subissait le contrecoup de cet échauffement. L' »animal économique » s’enflait. Le Japon commençait à être désigné comme « Troisième Grand » (16). L’Exposition universelle d’Osaka démontrait aux visiteurs la capacité du Japon, au début des années 70, à se situer à un très haut niveau de modernité. L’Eglise entendait être présente à cette manifestation de grande envergure, en participant à la construction d’un pavillon chrétien oecuménique assez modeste, mais tout de même témoin et signe dans ce festival dédié au « progrès et à l’harmonie ».

La même année 1970, le Japon accueillait à Kyôtô, près d’Osaka, la Conférence mondiale des religions pour la paix. Cette date peut être considérée comme le début des rencontres de ce genre (oecuméniques, interreligieuses, internationales) qui se tiendront par la suite au Japon avec une certaine régularité.

Les nouveautés, les hésitations et flottements, en même temps que l’ouverture engagée, obligeaient les évêques à plus de concertation sur des sujets multiples : problème des séminaires, réformes conciliaires, mise en place de structures plus adaptées, certain manque de résultats visibles de la mission… Leur assemblée annuelle devait petit à petit se roder à une forme de travail en accord avec l’idéal de collégialité né du Concile. Ce n’était pas si simple, malgré le petit nombre de diocèses (16 depuis la création du diocèse de Naha en 1973) et d’évêques. En effet, le type de catholicisme issu des chrétientés persécutées puis ressuscitées dans le Kyûshû, et plus particulièrement dans la région de Nagasaki, est fort différent du type moins traditionnel que l’on trouve ailleurs.

La Conférence des évêques se mit à travailler en collaboration avec la Conférence des supérieurs majeurs d’instituts religieux et missionnaires. Celle-ci – ainsi que l’Association des religieuses par la suite – devait, conformément à l’esprit du Concile, chercher à favoriser une plus grande cohésion entre les nombreux instituts (plus de 40 pour les instituts masculins et plus de 70 pour les féminins). En 1972, un comité de travail épiscopat-Conférence des religieux permettait de mettre sur rails ce genre de collaboration. Pendant longtemps la Conférence des supérieurs sera dominée par les étrangers mais, peu à peu, une évolution se fera, et les Japonais prendront de plus en plus de responsabilités de direction dans leurs congrégations. Chez les religieuses cette japonisation sera beaucoup plus rapide.

Dans les diocèses et les paroisses où la pratique des chrétiens était également touchée par un inévitable phénomène de sécularisation, la mise en oeuvre du mouvement conciliaire dépendait beaucoup des évêques et des prêtres. Dans certaines communautés, les chrétiens se mirent vite à prendre de plus en plus de responsabilités et d’initiatives, tandis que la tendance cléricale restait le lot de divers îlots peu conciliaires. Le système de la division en districts bien séparés ne favorisait pas tellement un grand brassage pour marcher de concert dans le mouvement de réforme.

Avec toutes ces lenteurs ou hésitations, la population catholique augmentait bon an mal an de quelques milliers, dépassant les 300 000 en 1963 pour atteindre les 400 000 en 1979. La fréquentation dominicale régulière se situait au-dessus de 30%, en moyenne, ce qui est fort convenable, compte tenu des exigences sévères de la vie et des contraintes du milieu.

Depuis longtemps, l’Eglise a investi dans la presse catholique avec des tirages le plus souvent modestes, mais avec une grande variété de publications. L’organe le plus officiel de l’Eglise, le « Katorikku Shinbun » (Journal catholique), a connu bien des avatars au cours de son existence, mais a toujours poursuivi sa mission, en particulier l’information sur l’esprit du Concile. En 1974, il s’installait dans l’enceinte des bâtiments du Centre catholique de Tôkyô, quartier général de la Conférence épiscopale. Porte-parole officiel de cette Conférence, il a toujours essayé de s’adapter, sans avoir jamais pu satisfaire pleinement l’attente de l’ensemble de l’Eglise. La multiplicité des autres publications l’empêche aussi de s’assurer une grande diffusion, ne serait-ce que parmi les chrétiens. Toujours est-il que les évêques entendent en faire l’un des organes privilégiés de l’information et de la communication dans l’Eglise.

Du côté de la radio et de la télévision, une oeuvre comme celle du « Bon pasteur » (17) a beaucoup investi dans des programmes distribués sur l’ensemble du territoire ; mais le coût très élevé de ces productions n’a jamais permis une diffusion très large ; il faut dire que, de leur côté, les protestants ont également beaucoup misé sur l’apostolat par les mass media, si bien que l’ensemble protestant-catholique représente une présence non négligeable dans la masse des émissions.

Parmi les structures mises en place après le Concile, il faut souligner en particulier la commission « Justice et paix » qui, petitement, a fini par gagner du terrain en s’engageant dans des campagnes de conscientisation sur des questions d’actualité. Elle aura rendu grand service à l’Eglise de Corée lorsque le régime de la Corée du Sud pratiquait une politique d’obstruction de l’information sur ses violations des droits de l’homme. Elle a fait campagne sur des projets de loi concernant le temple Yasukuni dédié aux morts des guerres impériales, en défendant le principe de séparation de la religion et de l’Etat. Elle a milité aussi pour le désarmement, contre les déchets nucléaires, le statut des parias au Japon, et en bien d’autres causes qui font la une de l’actualité ; ses diverses prises de position lui auront valu d’être parfois considérée comme une commission « progressiste » et son président, Mgr Sôma, évêque de Nagoya, comme un évêque « rouge ».

Dans la même période, la « Caritas-Japon », correspondant aux autres « Caritas » du monde, se développait. La générosité des Japonais, qui marque le développement de l’Eglise dans les années où l’économie a pris un bel essor, a permis à cet organisme caritatif de passer d’une politique d’assistance « ad intra » à une politique d’aide internationale. Des demandes du monde entier lui sont adressées. Elle ne gère d’ailleurs qu’une partie des fonds envoyés à l’étranger, car nombreuses sont les instances qui peu à peu ont pris l’habitude de s’engager financièrement dans divers projets sur les 5 continents. Cette aide vers l’extérieur se manifeste aussi par des envois de missionnaires dans une quarantaine de pays ; cet effort déjà ancien s’est amplifié: au début du siècle, il s’agissait d’aider des compatriotes émigrés en Amérique du Sud, au Brésil en particulier (18). Par la suite, ces envois se sont élargis à bien d’autres régions et il y a aujourd’hui plus de 300 missionnaires japonais à travers le monde, parmi lesquels un grand nombre de religieuses. Il existe aussi des laïcs missionnaires. Les organismes qui suivent et promeuvent ce mouvement missionnaire font un effort de coordination dans le cadre de la commission de coopération internationale.

A partir de 1976-77, l’arrivée au Japon de réfugiés d’Indochine, les « boat-people », posa à l’Eglise des problèmes nouveaux ; le gouvernement japonais, peu enclin à l’accueil de ces réfugiés, ne pouvait pourtant pas pratiquer une politique de fermeture ; l’Eglise de son côté fit pression pour une attitude d’ouverture humanitaire. La « Caritas-Japon », en particulier, organisa des structures d’accueil et sensibilisa la communauté catholique à la situation des réfugiés, vietnamiens surtout, dont bon nombre étaient catholiques. Ce fut une occasion imprévue de pousser l’Eglise à une ouverture vers les pays d’Asie par rapport auxquels habituellement l’Eglise du Japon se montrait plutôt réservée.

Cette ouverture sur l’Asie avait déjà commencé un peu à se manifester au niveau de l’épiscopat, grâce aux réunions de plus en plus fréquentes de la FABC (Fédération des conférences épiscopales d’Asie), dont le fonctionnement régulier se mit en marche à la suite du voyage du pape Paul VI à Manille en 1970. Les contacts avec d’autres épiscopats d’Asie, des travaux au sein de commissions telles que le BISA (Institut épiscopal pour l’action sociale), des voyages d’évêques ou d’experts, occasionnèrent un brassage favorisant une plus grande ouverture de l’épiscopat japonais aux problèmes des Eglises d’Asie. Trop habituée, dans le passé, à ne regarder que Rome ou les Eglises occidentales dont elle se sentait dépendante, l’Eglise du Japon développait ainsi sensiblement sa conscience asiatique et sa solidarité avec des Eglises proches comme Taiwan, Hongkong, Corée, Philippines etc… De plus, bon nombre de Japonais – et parmi eux des chrétiens – circulaient de plus en plus de par le vaste monde – pour des raisons professionnelles ou autres – découvrant ainsi d’autres Eglises et d’autres façons de vivre la foi. Cette dimension asiatique de la solidarité entre Eglises aura été une des retombées très positives de cette période de l’après-Concile. La présence au Japon de nombreux Coréens, descendants de ceux qui étaient venus, forcés, au moment de la colonisation de la Corée par le Japon à partir de 1910, n’était d’ailleurs pas sans poser de problèmes ; même dans l’Eglise une certaine ambiguïté était repérable. La commission « Justice et paix » eut l’occasion de se préoccuper de ces situations souvent confuses et délicates, et d’entamer une réflexion sur les rapports historiques entre Corée et Japon. Cette réflexion se poursuivra probablement encore longtemps et pourra favoriser des liens de solidarité entre les Eglises concernées.

L’aggiornamento des années 70 faisait son chemin, au point que des chrétiens éloignés de l’Eglise durant cette période de rénovation s’y trouveront dépaysés dix années après, lorsque le hasard les ramènera au bercail. Pourtant des lenteurs sont à signaler : c’est ainsi que certains textes liturgiques ont mis dix ans avant d’être promulgués ; certaines traductions n’ont pratiquement jamais été faites (lectures du bréviaire) ; le code de droit canonique, nouvelle version, ne pourra être publié qu’en 1991. La première publication officielle des textes complets des messes du dimanche et de la semaine en livrets pratiques date de 1989. Un livre de prières officiel devrait être publié mais il aura fallu attendre 20 ans pour qu’une décision soit prise à ce sujet. En attendant, des initiatives individuelles ou locales ont donné lieu à des publications plus ou moins provisoires, faute de mieux. La publication de la Bible oecuménique – une opération très coûteuse -aura demandé 18 ans avant d’être réalisée en 1987.

Les préoccupations de mise à jour de nouvelles formes ou moyens de travail risquaient aussi de faire oublier la dimension missionnaire de l’Eglise. On parlait de liturgie, de catéchuménat par étapes, de commissions diverses, de rencontres avec protestants ou anglicans, d’autonomie financière, mais il fallut attendre 1972 pour qu’un texte un peu percutant rappelle la mission d’évangélisation : « L’Evangile dans la société ». Ce message missionnaire de la Conférence épiscopale était très court ; il rappelait trois aspects de la mission : l’évangélisation par la proclamation de la Parole ; l’évangélisation par le témoignage de vie, et l’évangélisation par la construction et la formation de communautés vraiment chrétiennes dans les paroisses, mouvements, groupes ou associations diverses. A vrai dire, ce texte ne fit pas de bruit. Par contre le suivant, publié en 1976, avait une autre tournure. Intitulé « La Mission au Japon », il était publié sous la responsabilité de la commission épiscopale pour la pastorale missionnaire et se situait dans la dynamique du synode des évêques sur l’Evangélisation (1974), d’où était sortie la charte des missions modernes, « Evangelii nuntiandi », de Paul VI. Le nouveau texte avait été travaillé par diverses instances et tenait compte de la grande variété des possibilités missionnaires concrètes : proclamation, préévangélisation, témoignage de vie, rôle des paroisses, rôle des laïcs, rôle des mass media, formation missionnaire, aspects missionnaires de la liturgie, rôle et formation des catéchistes, etc. Il faisait également un rapide constat de la situation très minoritaire de l’Eglise, mais aussi des possibilités offertes dans le contexte de grande tolérance dont l’Eglise pouvait bénéficier.

Ce texte de 1976 ne donna pas lieu a des réactions extraordinaires ; il eut le mérite, tout de même, de devenir un instrument de travail qui permit la naissance d’un troisième document publié, en 1979, par le Centre de recherches missionnaires de l’épiscopat, mis sur pied entre temps. Ce document fut intitulé « Pour l’évangélisation de la société japonaise ». Il utilise un langage plus neuf et a été discuté à divers niveaux avant de trouver sa forme définitive. Il fait mention de l’évangélisation de la société japonaise telle qu’elle est ; il précise que l’Eglise elle-même s’évangélise en évangélisant ; il insiste sur l’aspect communautaire de l’évangélisation ainsi que sur les communautés autres que les paroisses ; il rappelle la préoccupation des petits, des faibles et des pauvres, comme priorité missionnaire, et l’importance de la solidarité avec l’Asie, continent avec lequel les relations sont chargées d’un lourd contentieux historique.

Ce travail eut le mérite d’ouvrir des horizons plus larges et de sortir de certains clichés, qui font de la mission une affaire où l’on cherche surtout à gagner du terrain par une augmentation numérique des catéchumènes, et par conséquent des nouveaux baptisés. Les chiffres des baptêmes d’adultes de cette époque stationnaient à un niveau plutôt bas, inférieur à 5 000 par an (4 025 en 1974, l’année la plus faible).

Malgré l’effort de réflexion que représente ce texte, il est difficile de dire qu’il eut une grande répercussion ; ce fut plutôt un travail de spécialistes ou d’initiés sans retombées sur l’ensemble de la communauté catholique japonaise.

Ainsi, vers la fin des années 70, bien qu’un effort réel et tranquille d’adaptation du Concile ait été poursuivi, les résultats au niveau des « succès missionnaires » (pour reprendre un langage qui date) n’étaient pas évidents. En 1979, l’élévation au cardinalat de l’archevêque de Nagasaki, Mgr Satowaki, remplaçant le deuxième cardinal japonais, Mgr Taguchi, d’Osaka, décédé en 1978, était le signe d’une sympathie romaine pour la chrétienté de cette terre des persécutions, mais elle n’apportait pas un souffle très neuf. Le nouveau cardinal avait déjà 75 ans, l’âge normal de la retraite.

La période contemporaine (1980-1990)

En mai 1980, les évêques japonais, menés par le nouveau cardinal, président de la Conférence épiscopale, faisaient, pour la première fois collégialement, leur visite « ad limina ». C’est à cette occasion que fut adressée au pape Jean-Paul II une invitation à faire un voyage pastoral au Japon.

Deux autres événements au cours de cette année sont à considérer comme significatifs: tout d’abord la déclaration de la Conférence épiscopale sur le projet de loi concernant la possible nationalisation du temple shintoïste Yasukuni de Tôkyô, symbole du militarisme moderne du Japon depuis l’ère Meiji jusqu’à la fin de la guerre du Pacifique. S’opposer à ce projet de loi, soutenu par d’importants groupes de politiciens du parti libéral ainsi que des factions plus au moins nationalistes, c’était aller contre une tendance qu’on commençait à dénoncer depuis plusieurs années. Nationaliser ce temple dédié aux héros sacralisés des guerres japonaises (criminels de guerre compris), c’était aller contre la Constitution de 1946 qui ne prévoit pas qu’une religion – serait-ce le shintoïsme – puisse être privilégiée par rapport aux autres. Que des évêques prennent officiellement position sur un sujet directement politique consituait une grande première au sujet de laquelle beaucoup, même parmi les chrétiens, n’étaient pas d’accord.

Un événement d’un autre ordre attira aussi l’attention du grand public sur l’Eglise catholique et le catholicisme en général. Ce fut la grande exposition du Vatican, qui circula dans une dizaine de villes, de décembre 1980 à avril 1981. Elle était organisée dans le cadre de la visite du pape au Japon en février 1981. Tout en faisant un certain étalage des richesses culturelles et artistiques du Vatican, elle permettait de vulgariser certaines connaissances sur l’existence de ce petit Etat et sur le catholicisme des temps modernes : Jean-Paul II au moment de sa visite pastorale, le Père Kolbe (19), ancien

missionnaire au Japon et martyr du nazisme, et enfin, Mère Theresa dont la célébrité atteignait le Japon grâce à des groupes de soutien constitués en lien avec son oeuvre.

L’année 1981 sera dominée par la visite de Jean-Paul II, du 23 au 26 février. Le temps -froid, gris et neigeux – ne fut pas de la partie et les rassemblements prévus ne furent pas gigantesques, mais le pape, à Tôkyô, Hiroshima et Nagasaki, passa bien la rampe, servi par des medias bien intentionnés et généralement sympathiques. La visite de courtoisie à l’empereur Shôwa (Hiro-Hito) en fit tiquer certains, mais elle fut discrète, courte et simple. C’est sans doute l’appel de Hiroshima qui eut le plus grand impact, étant donné le lieu et la solennité du message proclamé en 8 langues, et qui s’adressait à un public beaucoup plus large que la petite communauté catholique du Japon qui ne représente que 0,3% de la population (20).

Peu de temps après, ce fut le tour de Mère Theresa. Sans complexe aucun, elle prit la parole en faveur des pauvres et du respect de la vie, fermement opposée à l’avortement tranquillement pratiqué au Japon de façon quasi généralisée. Son passage fut l’occasion d’une petite fondation dont les quelques religieuses se mirent au service de femmes ou jeunes filles désireuses d’éviter l’interruption de grossesse.

Le célèbre Walesa, de « Solidarité », fut aussi accueilli ; homme de grande foi et militant politique et syndical, il ne pouvait pas passer inaperçu. En 1982, le Père Kolbe était canonisé à Rome; l’Eglise du Japon participa à l’événement. Un grand portrait à l’huile, depuis ce temps, décore la salle de réunion de la Conférence épiscopale.

C’est dire l’impact des vedettes slaves sur l’Eglise du Japon.

Au début des années 80, la communauté catholique vient de franchir le cap des 400 000, et la venue du pape lui aura donné une conscience plus universelle en même temps qu’un encouragement en vue du nouvel effort d’ouverture missionnaire dont les évêques se préoccupent. Un texte de la commission de pastorale missionnaire de l’épiscopat, dans la ligne des encouragements de Jean-Paul II, lance, en 1982, un nouvel appel intitulé : « La grâce du baptême pour tous et chacun ». Prenant en compte la situation très minoritaire du petit troupeau catholique au Japon, mais aussi l’influence élargie qu’on peut reconnaître à l’Eglise, ce message invitait les chrétiens à plus de dynamisme. Il n’eut guère de retombées.

Une démarche originale, elle aussi dans la ligne de la visite du pape à Hiroshima et à Nagasaki, fut le voyage d’une délégation de l’Eglise du Japon au siège des Nations Unies à New York ; elle remit au siège de l’ONU des signatures en faveur du désarmement, au cours de la conférence mondiale organisée en mai 1982. Le 30 mai, toujours dans la même ligne, une réunion oecuménique organisée à la cathédrale de Tôkyô prenait clairement position contre l’armement nucléaire. La même année – 1982 – les évêques décrétaient une période de prière pour la paix qui aurait lieu tous les ans du 6 août (anniversaire de Hiroshima) au 15 août (anniversaire de la fin de la guerre). Hiroshima et Nagasaki devenaient les lieux privilégiés de cette « décade pour la paix ». Ainsi l’Eglise s’engageait de plus en plus officiellement dans le mouvement pour la paix et le désarmement, au cours de cette année qui allait voir, en octobre, la canonisation du père Kolbe, missionnaire et martyr.

Toujours dans la même ligne, c’était au tour de Don Helder Camara, en 1983, d’être l’hôte du Japon et de témoigner sur la paix et la justice ; l’occasion de sa visite était la réception d’un « Prix de la paix » qui lui était décerné par le président Niwano, du Risshôkôseikai, importante organisation néobouddhique très engagée dans les mouvements mondiaux pour la paix.

Lorsqu’en 1983, Mgr Shirayanagi, archevêque de Tôkyô, succède au cardinal Satowaki comme président de la Conférence épiscopale, celle-ci publie une lettre pastorale sur le « Désir de la paix », qui montre bien l’engagement continu de l’Eglise du Japon en ce sens. Ce thème sera repris en d’autres occasions comme la rencontre nationale de « Justice et paix » en octobre 1983, qui traitait des « Mouvements pour la paix ».

Ainsi la visite du pape au Japon, en particulier aux deux villes atomisées, avait été reprise dans le sens où elle avait été perçue, d’abord et surtout comme un geste en faveur des engagements de l’Eglise universelle au service de la paix. Tous les ans, Hiroshima et Nagasaki n’ont cessé et ne cesseront d’être des lieux privilégiés de rassemblements et rencontres de prière qui, au mois d’août, attirent croyants et non-croyants là même où, au paroxysme de la guerre, ont été vécus les événements les plus insensés dans lesquels le Japon porte une grosse part de responsabilité. Chacun peut se faire alors une idée de ce que serait la guerre totale et prier pour qu’elle n’ait jamais lieu.

L’Eglise du Japon a été elle-même victime de la guerre puisque la bombe atomique de Nagasaki toucha l’église de la plus importante communauté catholique du pays (21). En même temps, elle n’oublie pas, qu’avant d’être victime, le Japon a aussi été agresseur et l’acteur principal du pire drame qu’aient vécu les pays d’Asie du Sud-est et du Pacifique, et ceci depuis la période militariste des années 30.

1984 : cette année peut-être considérée comme un tournant. Elle est marquée par plusieurs événements d’inégale importance, mais allant tous dans le même sens : une insistance plus marquée et plus volontaire pour une évangélisation renouvelée.

En mai, le diocèse d’Okinawa célébrait l’anniversaire de la reprise de l’apostolat au Japon. 140 ans auparavant, alors que les persécutions sévissaient toujours, M. Forcade avait réussi l’exploit de débarquer à Naha et d’y demeurer deux ans dans l’attente de voir le pays s’ouvrir petit à petit à une certaine tolérance. Cette célébration rappelait le culot missionnaire de cette époque du XIXème siècle. Au même moment, la visite du pape en Corée, avec la canonisation des martyrs à Séoul, offrait à l’importante délégation japonaise le spectacle d’une Eglise dynamique et courageuse, dont le développement reste surprenant. De leur côté, les assemblées générales des supérieurs d’instituts religieux et missionnaires, aussi bien hommes que femmes, se fixaient un programme de travail et de réflexion insistant sur la prise en compte des réalités sociales du pays, et plus particulièrement des plus démunis et des laissés-pour-compte.

Les évêques, de leur côté, ayant remarqué que les documents, publiés depuis plusieurs années dans le sens d’une reprise de l’évangélisation, étaient restés lettre morte, décidèrent de s’y prendre autrement. C’est ainsi qu’est né le « Kihon Hôshin » (ensemble d’orientations de base), au moment de l’assemblée plénière de l’épiscopat en juin 1984. Ce projet avait pour but de rassembler les forces vives de l’Eglise et de les mobiliser pour une approche plus missionnaire de la société japonaise. Le document publié à l’époque, très court, et qu’on pourrait intituler « Priorités missionnaires pour le Japon », comprend deux parties, l’une énonçant les objectifs, et l’autre les moyens à mettre en oeuvre.

En ce qui concerne les objectifs, les évêques insistaient de nouveau sur la nécessité de passer de communautés de type plutôt pastoral à des communautés plus missionnaires. Ils notaient que si, dans la société japonaise, existent bien des pierres d’attente évangéliques, la société dans son ensemble est marquée par des contradictions et des tares, des injustices et des oppressions dont beaucoup de petites gens, de pauvres et de faibles sont les victimes. Parler des pauvres au Japon, dans une société moderne et développée, pouvait paraître une gageure, mais qui ne connaît les situations d’injustice ou de marginalisation dont l’Eglise a eu et a encore l’occasion de parler, et pour lesquelles elle essaie de s’engager avec ses petits moyens : alcooliques, victimes des pollutions, ouvriers journaliers ou autres, travailleurs étrangers, réfugiés, jeunes en rupture de société, vieillards plus ou moins isolés, handicapés divers, groupes victimes d’une ségrégation plus que séculaire, résidents coréens, femmes asiatiques exploitées ou victimes de l’industrie du sexe, descendants de cette ethnie moribonde que sont les Aïnous, etc. Autrement dit, l’Eglise se préoccupe de l’envers du décor planté par la réussite économique faisant du Japon un brillant et enviable modèle de développement.

Pour mettre en oeuvre cette reprise missionnaire, les évêques prévoyaient, comme moyens, trois niveaux de réflexion et d’engagement : les paroisses et diocèses d’une part, les instituts religieux et missionnaires avec toutes leurs oeuvres d’autre part ; de plus -et c’est cela la nouveauté – ils projetaient une rencontre nationale qui se tiendrait à des périodes successives et dont la première devait avoir lieu en 1987, rassemblant des représentants de tous les diocèses, aussi bien évêques que prêtres, religieux, religieuses, chrétiens et chrétiennes. Ce projet était neuf ; il provoqua de la surprise, un certain intérêt et beaucoup de questions.

A la même époque, fin juin 1984, était publié un document officiel de l’épiscopat sur le respect de la vie, tenant compte de la problématique spécifique du Japon en matière d’avortement en particulier, et touchant aux questions familiales et sociales liées à cette problématique.

Décidément, l’épiscopat entendait se montrer de plus en plus directif, et assumer son rôle de leadership beaucoup plus qu’il ne l’avait fait antérieurement. C’est sans doute la principale nouveauté marquant cette période.

Pourtant, on ne peut pas dire que l’appel des évêques et leur projet aient été reçus par tous avec un grand enthousiasme. Certains le trouvaient allant de soi et sans grande originalité ; d’autres le recevaient comme un blâme de ce qui avait été fait jusqu’à présent, ou de ce qui n’avait pas été fait ; plusieurs avaient un peu peur des conséquences possibles qu’on pouvait déjà entrevoir, ne serait-ce qu’une certaine confrontation ou interpellation de la société et de son ordre établi. Pour une minorité comme l’Eglise catholique, n’était-ce pas présomptueux ? Relever les défis n’avait guère été son habitude face à une société qui avait longtemps, et jusqu’à la guerre du Pacifique, eu tendance à écraser ou marginaliser l’Eglise pour la mettre au pas. Marcher dans le sens souhaité par les évêques comportait un risque, celui de sortir d’une certaine tranquillité, propre aux petites communautés un peu recroquevillées sur elles-mêmes.

Cependant, la visite « ad limina » des évêques à Rome en août-septembre 1985, et le synode sur le Concile de Vatican II, la même année, confirmèrent l’épiscopat dans sa démarche et la ligne qu’il avait définie : oui, le Concile était clairement réaffirmé ; oui, les orientations proposées au Japon en 1984 étaient une voie concrète pour vivre l’esprit du Concile. Ainsi donc, pour éviter que le projet reste trop vague et non suivi, on imagina d’entendre les réactions de la base en organisant des « séances d’écoute » par grandes régions, où se retrouvaient plusieurs diocèses, et au co