Il fut un temps où les pays arabes étaient un paradis pour les gens du Kerala. Ils ont cessé d’être l’endroit rêvé “où coulent le lait et le miel”. Le retour de ces émigrés du Moyen-Orient ne peut manquer d’avoir une profonde influence sur cet Etat où la consommation est importante et les salaires conséquents, mais qui connaît aussi le taux de chômage le plus élevé du pays.
L’abondance venue du Golfe a fait monter le niveau de vie des castes inférieures et des classes sociales les plus défavorisées. Ainsi, par exemple, à Puthenthope, un petit village de pêcheurs, dont la majorité sont catholiques, plus de 420 personnes travaillaient au Koweit. Par tradition, les habitants du village vivaient de la pêche, mais les “gars du Golfe” ont fait passer leurs compatriotes de la pauvreté à une situation confortable. Les huttes à toits de palmes ont fait place à des maisons en dur, avec terrasse. Mais le rêve est terminé. Et le rapatriement des 420 émigrés signifie qu’il va falloir revenir aux moyens traditionnels d’existence.
Puthenthope n’est pas le seul village dans ce cas. Le Kerala compte nombre de “poches-Moyen-Orient”: Chavakad, Moothakunnem, Kodamagatham, Triprayar, Chetuva, Therikulam, etc. Toutes ces régions étaient peu à peu passées de l’ère “village de huttes” à la période “colonie de luxe”.
La guerre du Golfe affecte tous les secteurs de l’Etat. D’après M. K.N.Raj, un éminent spécialiste de l’économie, les attitudes sociales et les comportements économiques vont devoir être remodelés de façon radicale.
Alors que la guerre du Golfe continue dans toute sa furie, son effet est ressenti non seulement sur le plan socio-économique, mais dans une sorte de psychose qui atteint de nombreuses couches de la société au Kerala. Alors que les incertitudes sur le plan économique mettent en danger les relations familiales, la peur s’établit, au sein des familles, pour ceux qui sont encore là-bas, exposés à la guerre. Et l’on estime que sur les 600 000 Indiens employés au Moyen-Orient, au moins 50% appartiennent à des familles pauvres.
Depuis l’invasion du Koweit et son annexion à l’Irak, des crises profondes ont affecté le secteur socio-économique de l’Inde. Lorsque, le 17 janvier 1991, la guerre fut déclenchée, l’économie déjà fragile du pays est arrivée à son point de rupture. Et l’espoir de voir le conflit se terminer rapidement a été déçu. Ces premiers mois de 1991 sont difficiles pour tout le monde.
Sur le plan économique, l’arrivée des réfugiés est cause de nombreux soucis. On estime entre 10 et 15 milliards de roupies (entre 2,8 et 4,2 milliards de FF) les sommes importées officiellement par les travailleurs du Golfe. Sans elles, la croissance économique de l’Etat en serait demeurée au point zéro.
Un résultat direct de la crise du Golfe a été la montée en flèche de la criminalité et des activités antisociales dans les régions à fort pourcentage de migrants. Les jeunes dont les parents travaillent au Moyen-Orient sont plus vulnérables que les autres. Beaucoup d’entre eux se livrent à l’usage de la drogue ou de l’alcool. Selon M. P.K.Nair, ancien chef du département de sociologie à l’université du Kerala, ces jeunes habitués à un certain style de vie risquent fort d’adopter des méthodes antisociales pour le maintenir. Au cours d’un séminaire organisé récemment à Delhi sur les problèmes des migrants en provenance du Golfe, d’éminents sociologues ont exprimé leur crainte de voir les relations familiales se briser à la suite de la crise du Moyen-Orient.
La guerre affecte encore le statut social des émigrés. Ceux-ci, en raison de leur situation économique, étaient jusqu’à présent considérés avec respect. Désormais, on les regarde de haut. S’ils cherchent à se marier, ils ne présentent plus le même intérêt.
Cette guerre du Golfe affecte tout le tissu social du Kerala. La réinsertion des réfugiés pose de nombreux problèmes. D’abord, l’économie tellement fragile de l’Etat est devenue encore plus vulnérable, du fait de l’arrivée de ces nombreux travailleurs. Elle a beaucoup de mal à absorber cet afflux de bras nouveaux et les problèmes d’emploi s’en trouvent multipliés. Naturellement, si préférence était donnée à ces nouveaux venus, cela ne pourrait plaire aux 3 200 000 chômeurs déjà recensés, dont la majorité sont des gens qualifiés. Les plus de 100 000 rapatriés rentrés au Kerala ont déjà participé à des manifestations, demandant qu’on s’occupe d’eux. Le problème de leur réinsertion se trouve compliqué du fait qu’ils sont, pour la plupart, non-spécialisés ou semi-spécialisés.
Afin d’aider à cette réinsertion, le gouvernement de l’Etat a proposé la création d’un fonds spécial. Celui-ci serait financé par le gouvernement fédéral à raison de 15% de l’argent remis en Inde par chaque travailleur par l’intermédiaire des banques ou autres moyens légaux. Ce fonds spécial pourrait de plus servir d’assurance contre les risques encourus à l’étranger par les travailleurs immigrés et leurs familles, contre la perte soudaine de leur emploi, pour l’établissement d’un capital de réinsertion, d’aide sociale et autres mesures humanitaires.
L’ancien premier ministre, M. V.P. Singh, avait accepté le principe de ce fonds spécial. Mais il fut obligé de démissionner avant que rien n’ait pu être fait. Le gouvernement actuel va de crise en crise. Il n’a pas été capable de mettre sur pied un programme viable ni de préparer un plan d’aide en faveur de ceux qui sont le plus affectés par la guerre du Golfe. Si l’on attend encore, de nombreuses couches de la société indienne risquent bien d’être arrêtées dans leur effort de développement.