Eglises d'Asie – Corée du sud
LA MISSION MESSIANIQUE DE MOON Nouvelles stratégies en prévision de la réunification
Publié le 18/03/2010
La rencontre Gorbatchev-Moon
De toutes les étranges images que nous aura offertes, ces derniers mois, un communisme en difficulté et souvent emporté dans la tourmente, il en est peu de plus étranges que celle d’un Mikhaïl Gorbatchev souriant, posant bras dessus-bras dessous avec Moon Sun-myung, le prédicateur, mieux connu en général pour son anticommunisme farouche. En rencontrant le dirigeant soviétique au début de l’année 1990 à Moscou, Moon a marqué un jalon historique dans son offensive évangélique vers l’Union soviétique et la Chine, mouvement dynamique dont le point culminant, pour lui, doit se situer en Corée du Nord.
Si Moon ne compte que quelques dizaines de milliers d’adeptes, aujourd’hui, à 70 ans, le leader charismatique exerce plus d’influence que jamais auparavant sur l’échiquier politique de l’Asie du Nord-est. Nombreux sont les Sud-Coréens qui pensent que sa rencontre d’avril 1990 avec Gorbatchev a préparé le rendez-vous de juin du président Roh Tae-woo avec le dirigeant soviétique, suivi par la décision de Moscou d’établir des relations diplomatiques avec Séoul.
Nouvelle priorité: l’Asie en passant par l’URSS
L’empire tentaculaire de Moon, regroupant des dizaines et des dizaines de sociétés commerciales ou autres, rapatrie à l’heure actuelle ses ressources des Etats-Unis vers l’Asie, obéissant en cela à la priorité nouvelle que son leader, Moon, assigne à la région. C’est ainsi que des groupes, affiliés à l’Eglise de l’Unification de Moon et à son Association du Saint-Esprit pour l’unification de la chrétienté mondiale, se sont engagés à investir un minimum de 250 millions de dollars US dans une usine d’automobiles en Chine. Moon consacre, par ailleurs, des sommes considérables au lancement d’un journal à Séoul, et a reçu l’autorisation d’ouvrir une université en Corée du Sud.
Cette politique des bras ouverts en direction de l’Union soviétique peut sembler bizarre chez un homme comme Moon, associé depuis toujours à l’aile la plus dure du mouvement anticommuniste. Ses organisations gardent des liens très étroits avec des groupes de droite, aux Etats-Unis et au Japon, où il ne fait nul secret de son désir de jouer un rôle politique. Mais cette diplomatie tous azimuts, apparemment désordonnée, est dans la logique des convictions de Moon, pour qui la Corée est la Terre promise, et la chute du communisme en Union soviétique, une étape qui doit servir sa cause. « Je vois, en toute certitude, une renaissance morale et économique se faire en Union soviétique, dont les effets bouleverseront le monde entierdéclarait Moon en avril 1990, devant la Conférence mondiale des médias qui se tenait à Moscou sous l’égide de son organisation.
« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour encourager et soutenir cette renaissance… Je crois que l’Union soviétique va jouer un rôle clé dans ce plan, que Dieu a conçu, de construire un monde où règnera une paix authentique et durable. Cette vaste union de nations, qui va de l’Extrême-Orient, où elle est limitrophe de la Corée, jusqu’au coeur même de l’Europe, a pour destin naturel d’être un pont entre l’Europe et l’Asie
Kwak Chung-hwan, proche collaborateur de Moon et responsable des missions outre-mer, rapporte que dix missions de l’Eglise de l’Unification sont d’ores et déjà présentes en Union soviétique, bien que l’Eglise y compte moins de 1000 adhérents.
Chine : des investissements considérables
La Chine occupe une place plus importante encore dans les plans de Moon. Comme beaucoup de Coréens de sa génération, Moon a été éduqué dans une « sodang », école primaire confucéenne, et se sent proche de la sensibilité chinoise. Une telle fascination pour l’Union soviétique et pour la Chine peut sembler en contradiction avec l’anti-communisme militant que Moon n’a cessé de prêcher depuis 40 ans; elle s’inscrit pourtant très logiquement dans sa détermination à libérer du communisme la Corée du Nord, et à gagner de nouveaux disciples à son christianisme de type évangélique et messianique. Les contacts politiques au plus haut niveau sont un des fers de lance de la stratégie de Moon. L’argent en est un autre.
L’usine d’automobiles de 250 millions de dollars que Moon a l’intention de construire dans le sud de la Chine sera, dans ce pays, la plus grosse entreprise à capitaux entièrement étrangers, et elle lui donnera un poids politique dans un pays qui cherche désespérément à attirer des capitaux étrangers et à améliorer son image de marque auprès des investisseurs internationaux. En outre, Moon a promis de réinvestir ses bénéfices en Chine, ce qui, bien entendu, n’est pas pour déplaire aux responsables chinois.
Du point de vue de l’Eglise de l’Unification, le projet de réinvestissement a aussi ses avantages, car l’Eglise veut construire une ville nouvelle qui lui donnera un point d’ancrage solide en Chine. Le pari étant, par ailleurs, que ces investissements permettront au groupe Moon d’acquérir une « masse critique » qui le protégerait pratiquement contre tout revirement politique, quel qu’il puisse être.
Le projet a attiré l’attention des dirigeants chinois au plus haut niveau. M. Li Peng, le premier ministre, a visité le site retenu pour l’usine et, au début du mois de septembre 1990, le numéro deux dans la chaîne de commandement Moon, le redoutable Pak Bo-hi, ancien membre des services de renseignements coréens, a demandé audience à M. Jiang Zemin, secrétaire général du Parti communiste chinois, afin de le remercier de sa visite officielle sur le site de l’usine. Dans une interview accordée à la Far Eastern Economic Review, Pak, visiblement soucieux de ménager les susceptibilités chinoises, a souligné que le projet n’était pas un moyen détourné d’obtenir des conversions. « Nous voulons faire de cette usine une entreprise prospèrea-t-il déclaré. Il a ajouté: « Une fois que nous commencerons à faire des bénéfices, comment utiliser au mieux ces bénéfices sera pour nous une autre source de joie. Nous avons pour ce pays un projet d’expansion industrielle assez ambitieux
Pourtant, de l’avis des membres de l’Eglise qui connaissent bien Moon et la façon dont il fonctionne, dans cette aventure chinoise la rentabilité financière ne vient qu’après la constitution d’un potentiel d’influence. Pak lui-même a convenu que « nous ne venons pas en Chine avec des objectifs politiques immédiats, mais je souhaite effectivement améliorer la situation politique entre les deux Corées. Pour la Corée du Sud, la Chine est très importante. Pas simplement en relation avec la Corée du Nord, mais d’un point de vue économique
L’Eglise, à ce jour, disposerait de 10 missionnaires et de plus de 1000 adhérents en Chine. Selon Kwak, qui est aussi directeur et rédacteur en chef du nouveau journal lancé par Moon en Corée du Sud, la Chine est « très intéressante » pour l’Eglise, étant donné l’importante population coréenne qui vit dans la région du nord-est. Cet intérêt s’est traduit par l’inauguration, en 1987, d’une école d’ingénieurs financée par Moon à l’université Yongmyung, dans la région de Mandchourie habitée par des populations d’origine ethnique coréenne.
Corée du Nord: être présent quand le régime s’effondrera
Bien que Moon ait été une des figures de proue des mouvements anticommunistes depuis des décennies, son Eglise n’a eu aucune part dans l’effondrement du système communiste en Europe de l’Est et en Union soviétique. D’après des sources internes, Moon est déterminé à ne pas répéter la même erreur le jour, inévitable selon lui, où le gouvernement nord-coréen se désintégrera. « Pour l’Eglise, Pyongyang est au bout du chemin. La Corée du Nord est à prendreselon l’expression d’un membre de l’Eglise proche des centres de décision. Dans une interview, Kwak a soutenu que l’Eglise avait déjà trois missionnaires en Corée du Nord.
La rencontre avec Gorbatchev, l’usine d’automobiles en Chine, la possibilité de construire trois autres foyers industriels sur la côte orientale de la Chine et jusqu’à Vladivostok en Union soviétique, voilà autant d’étapes qui ont pour but de s’assurer une influence auprès de Moscou et de Pékin, deux gouvernements en mesure de faire
pression sur Kim Il Sung, le leader nord-coréen. Moon a même déclaré qu’il voulait tenir la prochaine session de sa Conférence mondiale des médias à Pyongyang et aurait, dit-on, proposé une aide financière à la Corée du Nord en échange d’une autorisation de se réunir là-bas.
L’Eglise survivra-t-elle à Moon ?
L’âge de Moon explique peut-être cette fébrile redéfinition de son groupe; c’est en tout cas un facteur au moins aussi important que les changements qui ont balayé un monde communiste en décomposition. Moon, à 70 ans, sait sans doute que les messies ne sont pas éternels. Certains, dans l’Eglise, disent qu’après la mort de Moon la succession devrait passer d’abord à sa femme, puis à un de ses fils.
Mais la question est de savoir si l’Eglise et l’empire de Moon pourront lui survivre. Le groupe Unification aura, probablement, à faire face aux mêmes problèmes de succession que n’importe quelle autre entreprise en Corée du Sud. « Une fois le père fondateur mort, restera une organisation sociale importante, dont les activités se maintiendront avec des intérêts commerciauxtel est l’avis de Spencer Palmer, qui enseigne les sciences religieuses à l’université Brigham Young de l’Etat de l’Utah aux Etats-Unis, et qui a étudié le mouvement Moon. « L’institution continuera, mais son coeur, son esprit auront disparu. Sans Moon, elle cessera d’être une croisade, elle perdra sa force spirituelle et prophétiqueA l’intérieur de l’organisation, c’est Pak qui reste le bras droit de Moon. Pragmatique, cet homme est aussi à l’aise quand il s’agit de négocier avec le gouvernement chinois ou avec des anticommunistes acharnés; la rumeur veut en outre qu’il soit le seul vraiment au fait des finances de l’Eglise et capable d’en débrouiller l’écheveau compliqué. Kwak est le seul réel rival de Pak depuis qu’il a été nommé à la direction du « Segye Ilbo », le nouveau journal de Moon. Alors que Pak n’a adhéré à l’Eglise qu’après sa carrière de fonctionnaire, Kwak, lui, s’est converti quand il était encore étudiant. Comme Pak, Kwak est un administrateur pragmatique, et un homme de poigne. Les deux hommes sont indispensables au maintien de la cohésion de l’Eglise et de son réseau compliqué d’affaires et d’organisations, même s’ils ne prétendent, ni l’un ni l’autre, dégager le même charisme que Moon.
Une respectabilité nouvelle
Il est remarquable que l’Eglise ait toujours su tirer parti de l’adversité. En 1982, Moon était accusé de fraude fiscale aux Etats-Unis. Il a réussi alors à mobiliser en sa faveur des groupes aussi différents que l’Eglise mormone et l’Union américaine pour la défense des libertés civiques, alléguant qu’il était poursuivi pour ses convictions religieuses. Moon a quand même été condamné pour fraude fiscale, et emprisonné, mais à sa libération, en 1985, il a su se prévaloir de la légitimité que le soutien de ces groupes lui avait donnée, pour infléchir sa trajectoire et restaurer sa réputation.
En effet, sauf au Japon, l’Eglise a largement abandonné le prosélytisme de rue que pratiquaient ses disciples, les « moonies » ou « lunatiques », comme on les avait alors surnommés, et qui lui avait valu une si mauvaise réputation en Occident dans les années 70 et 80. La plupart de ses adeptes d’alors ont, depuis longtemps, quitté l’Eglise, et ceux qui y sont restés, en règle générale, ont une famille, des responsabilités financières, et leurs priorités sont autres qu’il y a 10 ans ou plus, quand ils venaient de se convertir. Au
fur et à mesure que l’Eglise s’est éloignée de l’évangélisation de rue, elle a choisi de se lancer dans des initiatives commerciales, espérant ainsi s’assurer indirectement des moyens de pression. Les journaux que Moon possède aux Etats-Unis et en Corée du Sud, sa nouvelle université, les dizaines de colloques ou de séminaires qui sont organisés, ont pour objet de rallier l’appui, au moins tacite, des lecteurs ou des participants. « Le mouvement ne veut pas rester à l’écart des grandes religions. Ces gens veulent du pouvoir et de l’influenceobserve Palmer.
Corée du Sud: des amitiés au sommet
C’est certainement vrai en Corée du Sud. L’Eglise y a connu des problèmes dans ses relations avec les dirigeants nationaux, mais le climat politique plus libre du gouvernement Roh semble lui réussir. Après l’affaire du « Koreagate » et le scandale du trafic d’influence à Washington, qui avait éclaté vers le milieu des années 70, le différend s’était accusé entre le gouvernement sud-coréen et l’Eglise. A tel point que, sous la présidence de Chun Doo-hwan, la troupe de danse « Little Angels » que patronne l’Eglise s’est vu refuser des passeports pour une tournée à l’étranger.
Du temps de Chun Doo-hwan, les responsables de l’Eglise avaient envisagé de créer un nouveau parti politique, l’idée étant que Pak se présenterait aux élections présidentielles de 1987. L’idée a finalement été abandonnée, mais cette année-là, la direction de l’Eglise a commencé à réviser ses réflexes anticommunistes et a établi des relations avec les hommes politiques de l’opposition, dont Kim Dae-jung.
Dans le même temps, Pak a conservé ses liens d’amitié avec Kim Jong-pil, fondateur de l’Agence centrale coréenne de renseignements et l’un des dirigeants du parti au pouvoir, le Parti libéral démocratique. Par ailleurs, en tant que directeur du « Segye Ilbo », Kwak a, lui aussi, l’occasion de rencontrer régulièrement les dirigeants politiques tels que Roh et Kim.
Il reste que la diplomatie menée en franc-tireur par Moon a provoqué certaines tensions entre l’Eglise et l’Etat. Le représentant du ministère des Affaires étrangères sud-coréen à Moscou n’a pas été invité à la Conférence mondiale des médias et n’a reçu aucune information sur la teneur de l’entretien Moon-Gorbatchev. A l’un des collaborateurs du président Roh Tae-woo qui l’appelait au téléphone depuis le bureau présidentiel de la « Maison-bleue » à Séoul pour avoir des détails, Pak a répondu que si le président voulait savoir ce qui s’était discuté entre Moon et Gorbatchev, il pouvait s’en enquérir auprès de Moon lui-même en rendant visite à ce dernier dès qu’il serait rentré d’Union soviétique.
Si sa politique étrangère vaut des succès à Moon, dans son propre pays il n’a que peu de disciples. Kwak affirme que 80 000 personnes pratiquent régulièrement dans les églises Moon en Corée du Sud, mais d’autres sources internes suggèrent que le chiffre exact serait plus proche de 20 000. Les membres coréens sont, en règle générale, plus âgés et d’un niveau d’instruction moindre que leurs homologues occidentaux et beaucoup, comme Moon lui-même, sont originaires de la Corée du Nord.
Le Japon reste la base la plus solide
Kwak a beau indiquer que l’Eglise dispose de missionnaires dans plus de 80 pays, son véritable dynamisme, financier et structurel, se trouve au Japon, où les membres travaillent en général pour l’Eglise à plein temps. C’est ce que l’Eglise appelle ses « membres centraux ». L’Eglise avance le chiffre de 50 000 membres centraux et 300 000 sympathisants dans des organisations affiliées, pour l’ensemble du Japon. L’avocat Yasushi Higashizawa, qui a défendu les dossiers des victimes d’escroqueries alléguées contre l’Eglise, estime, quant à lui, que l’Eglise ne compte à l’heure actuelle que cinq à six mille membres japonais à plein temps. Pour lui, le mouvement a perdu du terrain depuis deux ou trois ans, en raison d’une assez large réaction critique de la part du public, d’articles de presse négatifs, et de nombreux procès gagnés contre des entreprises liées à l’Eglise.
Au début des années 70, les missionnaires de Moon avaient précisément essayé de transplanter aux Etats-Unis et en Europe le modèle japonais, qui implique une loyauté aveugle à Moon. Les résultats avaient été, en général, désastreux. « L’Eglise a échoué en Occident parce qu’elle a voulu imposer un système de caractère japonaisdéclare Daniel Davies, professeur à l’université Sonhwa et adhérent de l’Eglise de longue date. « On a tenté de transformer des chrétiens occidentaux en fidèles disciples orientaux
Le fossé entre membres japonais, coréens et occidentaux, n’a rien pour surprendre, mais il rend plus difficile la réalisation du rêve de Moon d’édifier une Eglise qui vienne transcender les frontières nationales et qui puisse survivre à son fondateur. La question est de savoir si Moon, pendant les années qui lui restent à vivre, sera en mesure d’avoir un impact, et lequel, dans la définition des nouveaux équilibres de pouvoir en Asie du Nord-est.