Eglises d'Asie

MESSAGE AU PEUPLE DE DIEU

Publié le 18/03/2010




Quand les premiers évangélisateurs venus d’Espagne abordèrent nos rivages, ils y trouvèrent un peuple divisé. Les mers et les détroits séparaient nos îles les unes des autres. Les différences de cultures et de dialectes empêchaient nos ancêtres de se comprendre entre eux. La tâche essentielle de la première évangélisation devait être une oeuvre d’unification. Celle-ci fut accomplie par notre foi commune en Jésus-Christ, par le pain unique de l’Eucharistie et, en un seul corps, l’Eglise, Corps mystique du Christ.

Nous devons au zèle apostolique et aux sacrifices de ces anciens missionnaires d’être devenus un peuple, une nation. Des îles Batanes aux îles Tawitawi, nous retrouvons la même dévotion à Marie et aux saints, les mêmes fêtes et processions du Santo Nino, les même oeuvres de pénitence tout au long du Carême. Au bout de presque 500 ans de christianisme, nous devrions être la lumière qui apporte la foi aux pays d’Orient. Nous devrions être renommés pour notre conduite chrétienne et notre fidélité à la justice, à la charité, à la paix. Depuis tout ce temps, qu’est-il advenu de notre peuple et de notre pays?

Des questions douloureuses nous hantent. Après cinq siècles de christianisme, pourquoi la majorité de nos frères et soeurs vivent-ils encore dans la pauvreté? Chaque jour, dans les rues de nos villes, des enfants mendient leur nourriture, les yeux creux, le ventre ballonné. Combien de nos paysans restent sans terre à cultiver! Combien de pêcheurs ne trouvent plus de rivages où lancer leurs filets! Leurs mains sont tentées d’échanger charrues et filets devenus inutiles contre les armes de la violence et de la destruction. Nos rivières sont polluées. Notre culture a perdu son unité. Nos esprits et nos coeurs sont assaillis par le manque de respect et la violence. Pourquoi notre pays est-il divisé par les conflits et les luttes pour le pouvoir? Pourquoi nos oppositions, nos préjugés régionaux, nos barrrières linguistiques? Pourquoi sommes-nous incapables de transcender nos différences au nom d’une unité supérieure et d’une plus grande solidarité?

470 ans après que Magellan eut planté la première croix dans notre sol; 409 ans après le premier synode de Manille; 354 ans après le martyre de Lorenzo Ruiz; 46 ans après la destruction de la cathédrale de Manille; 38 ans après le premier concile plénier des

Philippines, 29 ans après l’ouverture de Vatican II; 5 ans après la reconquête, par notre peuple, de ses droits politiques; 70 heures après le commencement de la guerre du Golfe: cherchant, avec l’aide de l’Esprit-Saint, à discerner les signes des temps, l’Eglise des Philippines a inauguré son deuxième concile plénier.

Nous étions 489 participants, venus de toutes les parties de l’archipel. Pendant quatre semaines, nous avons vécu ensemble au centre de formation St-Charles, dans notre archidiocèse de Manille. Nous y avions apporté le rêve de notre peuple d’une Eglise revivifiée, d’un pays réévangélisé. Nous avions apporté avec nous la charité et ces valeurs évangéliques grâce auxquelles les structures d’injustice et de corruption pourront être démantelées.

Mais nous avons aussi apporté au concile nos propres manquements individuels, notre état de pécheurs, nos doutes, nos divisions. Nous, les premiers, avions besoin de nous convertir. Il nous a fallu apprendre l’humanité, par l’écoute des autres. Nous avons dû apprendre le respect mutuel. Nous avons appris à obéir aux mouvements de l’Esprit. Nous nous sommes faits “serviteurs de la vérité”, afin de devenir, progressivement, une communauté centrée sur le Christ. Tout au long de notre voyage conciliaire, nous avons senti la présence de Marie, notre mère et notre modèle.

Le concile n’a pas voulu être une tribune au service d’intérêts camouflés. Il a également refusé l’autoritarisme et le légalisme. Il a voulu être le lieu d’une rencontre avec le Christ, seul architecte de nos communautés chrétiennes, lui qui bâtit son Eglise selon le plan de son Père. Et Celui-ci veut qu’elle soit une communion de vie, d’amour, de vérité… Dans l’Esprit, il rassemble ceux qui se repentent et croient en la communauté des disciples.

Alors qu’approche l’an 2 000, le Christ ordonne à cette communauté – à nous, laïcs, religieux, clergé, de l’Eglise catholique aux Philippines – d’être l’Eglise des pauvres:

– une Eglise qui vive dans la pauvreté évangélique, qui sache unir un véritable détachement des possessions matérielles à une profonde confiance dans le Seigneur, notre seule source de salut;

– une Eglise qui sache défendre et faire valoir les droits des pauvres, même au risque de se voir rejeter ou persécuter par les riches et les puissants;

– une Eglise où les pauvres, égaux à tous dans leur dignité de chrétiens, non seulement sont évangélisés, mais deviennent eux-mêmes évangélisateurs;

– une Eglise où personne ne soit si pauvre qu’il ne puisse rien donner et personne si riche qu’il n’ait rien à recevoir.

L’idéal de cette Eglise des pauvres reste la communauté de Jérusalem, où “les croyants étaient un, d’esprit et de coeur” et où personne ne se trouvait dans le besoin car chacun partageait, dans l’amour.

Telle est l’Eglise que, en toute humilité, nous espérons voir émerger comme fruit du Concile.

(Traduction EDA du texte paru dans “The Philippine Star”, Manille, 18.02.91)