Les autorités ont été promptes à réagir. Elles craignent que ce nouveau groupe ne forme la base d’une opposition qui serait capable de remporter les élections de 1992, voire de renverser le régime comme l’ont fait dernièrement, en Europe de l’Est, des mouvements semblables. Du côté des forces armées, un de leurs porte-parole déclara cette initiative inutile: quiconque a des propositions à faire peut fort bien les présenter par les institutions en place. Du côté du gouvernement, M. Wahid a été sommé de s’expliquer les 8 et 9 avril devant des fonctionnaires du Secrétariat d’Etat et du ministère de l’Intérieur. En fait, ce sont la réputation même et l’influence dont jouit le fondateur du “Forum” qui inquiètent en haut lieu, où l’on semble ignorer la formation, huit jours plus tôt, d’une “Ligue pour la reconstruction de la démocratie”, patronnée par des défenseurs – moins en vue – des droits de l’homme.
Finalement, M. Rudini, ministre de l’Intérieur, déclara que, les éclaircissement désirés ayant été satisfaisants, l’association de M. Wahid serait autorisée à fonctionner sous certaines conditions. “On sait maintenant qu’il s’agit d’un chat, non pas d’un tigre”, déclara celui-ci aux journalistes, le 12 avril, en leur faisant part des limitations qui lui avaient été signifiées: modifier la dénomination du groupe car le mot “démocratie” fait peur; ne pas l’institutionnaliser; l’ouvrir à quiconque souhaite en faire partie; rendre ses débats publics. Toutes réserves que le leader musulman a déclaré accepter.
Parmi les 45 membres fondateurs de son “Forum”, on compte des juristes, des journalistes, des scientifiques, des professeurs. Plusieurs d’entre eux sont catholiques, dont au moins un prêtre, jésuite et philosophe, le P. Mudji Sutrisno qui, dès le 6 avril, était intervenu dans le débat en assurant: “Nous n’avons pas encore ici de démocratie: pour cela, un dialogue serait nécessaire; or, ce qui existe, c’est un monologue par lequel les instructions d’en haut sont communiquées au peuple”.
Il n’est pas impossible qu’un intérêt populaire pour des perspectives plus démocratiques n’en vienne à déstabiliser le régime et son président. Pourtant, note “The Economist”, qu’on le veuille ou non, c’est grâce à M. Suharto que les gens “ont leurs trois bols de riz par jour. La démocratie, ça fait bien; mais beaucoup d’Indonésiens sont sans doute attachés à l’homme qui leur a rempli l’estomac”.