Eglises d'Asie

CONTRIBUTION DE LA CONFERENCE EPISCOPALE AU VIIème CONGRES DU PARTI COMMUNISTE VIETNAMIEN

Publié le 18/03/2010




REPUBLIQUE SOCIALISTE DU VIETNAM

Indépendance – Liberté – Bonheur

Hanoï, le 14 avril 1991

Respectueusement adressé à monsieur le Secrétaire général du Parti communiste vietnamien

et

à monsieur le Président du Conseil des ministres

à monsieur le chef du Comité d’action populaire du Comité central

à monsieur le chef du Bureau des Affaires religieuses par intérim.

Monsieur le secrétaire général,

Avant de réunir le 7ème congrès du Parti communiste vietnamien, le bureau exécutif du Comité central du Parti a publié deux documents,  » la plate-forme politique » et le « projet de stratégie » (1); il a en même temps demandé à toutes les couches de la population de donner leur avis. C’est avec joie que nous accueillons cette initiative.

En tant que citoyens, passionnément intéressés par le sort de notre patrie, et dirigeants de la communauté des fidèles catholiques, nous autres évêques vietnamiens, en guise de contribution, tenons à vous faire part, avec franchise, des opinions suivantes.

I – L’édification du pays

1 – La rénovation du pays, telle qu’elle a été proposée par le 6ème Congrès du Parti communiste vietnamien, a été accueillie avec joie par notre peuple. Ses premiers effets sont en train de changer peu à peu le climat de la vie dans notre pays. Cependant, cette rénovation ne s’est appliquée pour le moment qu’aux domaines économique et politique. Elle devrait aussi toucher d’autres domaines d’activités comme la société, la religion, etc. Elle devrait encore être mise en oeuvre plus rapidement pour ne pas prendre du retard par rapport à l’évolution du monde et aux rapides transformations de notre temps. Tel est le souhait fervent de notre peuple.

2 – Selon nous, pour édifier le pays il est essentiel de tenir compte des points suivants:

Il faut que le « service et le développement de l’homme dans son intégralité » constituent les objectifs prioritaires. Il s’agit d’un but à la fois concret, facile à comprendre et capable de susciter un large consensus au sein du peuple tout entier. Il est nécessaire d’admettre que l’homme est l’objet commun du souci de toutes les communautés de la société, qu’elles soient croyantes ou non croyantes.

Le socialisme a proposé de nombreux idéaux élevés: la fin de l’exploitation, l’établissement de la justice sociale, l’édification du bonheur pour les hommes, autant d’idéaux en harmonie avec la doctrine de justice et de charité de notre Eglise.

Si, pour répondre aux aspirations du peuple, on veut réaliser ces nobles idéaux, il est nécessaire qu’existent des structures adaptées et un personnel compétent et de bonne volonté.

Partout, la démocratie politique constitue le souhait le plus ardent du peuple. Cependant, il faut reconnaître qu’il n’est pas simple ni facile de la mettre en pratique car, très souvent, les réalisations que l’on en fait tombent dans le formalisme. Partout et en tout temps, les hommes ont toujours recherché une démocratie qui ait un contenu véritable, à savoir: le droit d’avoir des opinions, des certitudes et des croyances personnelles – le droit de dire franchement ce que l’on pense véritablement – le droit d’être écouté lorsque l’on formule une opinion – le droit que soient pris en compte les intérêts personnels légitimes. Naturellement, en revanche, chacun doit accomplir son devoir civique, et s’efforcer de ne pas porter tort au bien commun ainsi qu’aux intérêts légitimes du prochain.

– La détermination de l’objectif pour l’édification du pays deviendra plus simple si l’on place « la patrie avant toute chose ». Il faut éviter d’assimiler la patrie avec le socialisme. Selon nous, le socialisme est aussi au service de la patrie et du peuple. Cela d’ailleurs est suggéré dans l’expression « prendre le peuple comme fondement » ou « la maîtrise du peuple » (2).

II – La question religieuse

Dans cette contribution, nous n’aborderons pas les questions en rapport avec la situation actuelle de notre pays, comme la concussion, les pratiques négatives et la gestion relâchée qui ont fait dépérir notre économie et appauvri notre pays, ou encore l’effondrement de notre éducation nationale, la dégradation de la conduite morale chez les jeunes, la croissance de certain fléaux sociaux et de la criminalité. Ceci a déjà été mentionné dans les contributions des autres milieux sociaux, et les raisons d’une telle situation ont été analysées dans la presse et lors de certains séminaires.

Nous n’aborderons ici que la question religieuse. C’est une des questions les plus complexes. Elle a des liens directs avec la démocratie, la question de l’union nationale et de la stabilité sociale.

Bien qu’actuellement notre pays doive faire face à de nombreux et urgents problèmes, nous pensons que la religion est un problème important, car elle concerne nos compatriotes croyants de toutes religions qui constituent la majorité de la population.

Eglises d’Asie – n° 114 – 1er juillet 1991 – Document annexe

1 – La Constitution proclame la liberté religieuse. Mais dans les faits, l’application de cet article rencontre de nombreuses difficultés et obstacles. Les décrets en matière religieuse ont toujours été très sévères dans leur réglementation des activités religieuses et plusieurs articles visent davantage à limiter la liberté de culte qu’à la garantir. De nombreux articles sont bâtis sur le modèle : « Il est permis de … mais il faut demander la permission … « , et cela semble totalement contradictoire.

D’autres articles stipulent qu’un certain nombre d’activités religieuses doivent, pour avoir lieu, bénéficier d’une permission, par exemple la réparation des églises, l’ordination des prêtres. Mais ces permissions sont très rarement accordées. C’est à cause de cela que tant d’églises se sont écroulées ou menacent de tomber en ruines, et qu’au Nord-Vietnam le manque de prêtres se fait si cruellement sentir.

D’autres articles encore sont beaucoup trop imprécis. Il en résulte qu’ils sont compris de façon différente selon les régions, les cadres et, généralement, dans un sens qui va contre les intérêts de nos compatriotes catholiques. Par ailleurs, cette imprécision est une occasion pour les autorités régionales d’établir arbitrairement des règlements qui limitent la liberté de croyance et qui sont en contradiction avec la loi commune à tout le pays.

Lorsque nos compatriotes croyants contreviennent aux stipulations du décret, ils sont jugés et punis. Mais dans le cas où ce sont des cadres qui violent les articles de ce décret, il n’y a aucune sanction.

2 – Nous savons bien que l’Etat a l’intention de protéger la religion et de créer les conditions nécessaires au déroulement des activités religieuses. Mais le domaine religieux est à la fois complexe et délicat. Les cadres, qui se consacrent à ce travail, devraient comprendre, exactement et objectivement, la vie religieuse et la psychologie des croyants. Cette compétence est nécessaire à tous les échelons afin que soient créées des conditions favorables à des contacts amicaux, et pour que soient évitées des frictions regrettables.

3 – Parmi les droits de l’homme, le droit à la liberté religieuse est particulièrement important; c’est bien pourquoi il doit être scrupuleusement respecté et considéré comme un droit et non pas un privilège.

4 – Nous pensons que n’importe quel code, décret ou résolution concernant la religion doit recueillir, avant d’être adopté – comme cela se fait pour les lois concernant d’autres domaines – l’opinion de toute la population, et surtout celle des croyants de toutes religions: cela afin d’éviter que son application ne heurte le sentiment des diverses communautés religieuses.

Nous avons été informés par le Bureau des Affaires religieuses et par d’autres organes du gouvernement que l’Etat se préparait à publier un décret de réglementation des activités religieuses. Nous attendons et souhaitons que l’Etat s’informe de notre opinion pour éviter les inconvénients énoncés plus haut et pour que la vie religieuse se déroule pour le mieux.

5 – Actuellement de nombreux diocèses du Nord-Vietnam manquent gravement de prêtres, et les séminaires qui ont reçu de l’Etat la permission de fonctionner manquent

de prêtres enseignants. Nous nous permettons de suggérer que, dans le décret qui est sur le point d’être publié, soit inséré un article facilitant la venue de prêtres originaires du Sud au service des diocèses du Nord, et permettant aux séminaires d’inviter des prêtres venus d’ailleurs à dispenser leur enseignement chez eux.

6 – La caractéristique de notre religion, c’est le service des pauvres et nous voulons partager avec eux. Nous prions l’Etat de bien vouloir créer pour nous des conditions qui nous permettent de réaliser notre idéal caritatif, en particulier dans les régions reculées. Ce faisant, nous avons pour unique intention de servir, et non pas d’accroître notre prestige personnel ou celui de notre communauté.

Monsieur le Secrétaire général,

L’année dernière, de nombreux événements ont mis en relief le changement d’attitude de l’Etat à l’égard de notre religion. Dans le domaine des relations avec le Saint-Siège, il y a eu, en particulier, la première visite officielle d’une délégation de haut niveau du Vatican au Vietnam. Elle a ouvert une voie heureuse, raisonnable et prometteuse, comme nous l’a affirmé, le 24 novembre 1990, le pape Jean Paul II. Aussi bien, nous espérons que les propositions ci-dessus bénéficieront de votre attention et seront rapidement réalisées.

Avec nos salutations respectueuses.

Pour la Conférence épiscopale:

Mgr Nguyên Minh Nhât,

président

Mgr Lê Phong Thuân,

secrétaire