Eglises d'Asie

Déclaration de la Conférence épiscopale d’Indonésie au sujet des événements de Timor Oriental (1)

Publié le 18/03/2010




1. Parmi les efforts pour trouver une solution au problème de Timor Oriental, il nous semble important d’accorder une grande attention à ce qui est ressenti et vécu par le peuple de Timor Oriental, et d’en tenir compte. C’est ce qui nous a poussés à déclarer à la presse, le 14 novembre, que “la Conférence épiscopale allait suivre et étudier l’évolution de la situation à Timor Oriental”. Dans ce but, le P. Alfons Suhardi, ofm, reponsable du Service de documentation et d’information de la Conférence épiscopale, est allé à Dili du 22 au 26 novembre. De même, Mgr J. Darmaatmaja, s.j., président de la Conférence épiscopale et Mgr M.D. Situmorang, ofm Cap, secrétaire général, y sont allés le 25 et revenus le 27 novembre.

2. Ces visites se sont avérées extrêmement utiles, car nous avons pu rencontrer ceux qui ont assisté de très près aux événements, ceux qui ont reçu les rapports des témoins oculaires. Nous avons pu entendre les informations qui circulent à Dili et ses environs, mais qu’on n’entend nulle part ailleurs.

Ces informations qui circulent donnent des événements une version très différente des rapports officiels, et elles apportent des éléments nouveaux. Par exemple, dans de nombreuses familles, on ignore si le mari, l’enfant, un parent est encore en vie ou non, car il reste beaucoup de gens soignés à l’hôpital militaire, et personne n’a le droit de leur rendre visite. De même, on ignore où ont été enterrées les victimes. Certains rapportent que les corps des victimes ont été traités de façon inhumaine: traînés et jetés dans les bennes des camions. Les familles n’ont pas été prévenues lorsqu’on a enterré les corps. On ignore également si la sépulture a été faite religieusement ou non. Quant au nombre des victimes, certains disent (qu’elles remplissaient) 3 camions, d’autres, plus d’une centaine. L’identité des morts par balles n’est pas certaine. On estime qu’il y a plusieurs membres du Fretilin, des manifestants, et aussi des gens venus en masse en réponse à l’invitation lancée par radio auparavant. Pourquoi l’armée a-t-elle tiré, entraînant la mort de nombreuses personnes? C’est une question que se posent beaucoup de gens, car justement les coups de feu ont éclaté près de l’entrée du cimetière de Santa Cruz, loin de l’endroit où ont été poignardés deux militaires. Si vraiment c’était pour se défendre, fallait-il pour cela autant de victimes? Et pourquoi n’a-t-on pas empêché les manifestants de se mélanger à la foule ordinaire qui prenait part à la cérémonie au cimetière?

3. C’est pourquoi il nous semble indispensable que ce qui a trait aux événements du 12 novembre soit porté au grand jour, grâce à une enquête objective. En effet, dans une situation confuse comme celle-ci, sont colportées des informations qui risquent d’exagérer la réalité. C’est actuellement la tâche de la commission nationale d’enquête. La fusillade qui a entraîné la mort de nombreuses victimes innocentes n’est pas la “politique” du gouvernement, ni celle de l’armée. Aux dires de beaucoup, de nombreux militaires ont surveillé la manifestation comme il le fallait. Certains disent même qu’au moment de la fusillade, des militaires ont tenté d’arrêter leurs camarades en train de tirer. Autre élément: après que deux des leurs aient été blessés à coups de couteau par des manifestants, les militaires qui se trouvaient dans le voisinage n’ont pas, dit-on, répliqué immédiatement. Quant aux rumeurs selon lesquelles dans l’après midi du 12 novembre un certain nombre de gens auraient été exécutés (1), elles sont mises en doute par des sources généralement bien informées.

C’est pourquoi nous regrettons sincèrement que, en raison du comportement d’un groupe de militaires, l’intégrité morale, la respectabilité et la crédibilité de la nation soient remises en cause à la face du monde aussi bien qu’à l’intérieur du pays, à plus forte raison encore à la face du peuple de Timor Oriental dont il faut gagner la confiance.

4. Nous demandons à tous d’aider la commission nationale d’enquête (1) en créant un climat qui permette à chacun de pouvoir exprimer ce qu’il sait, et en garantissant la sécurité de celui qui s’exprime. La tâche de la commission nationale d’enquête est difficile, car en ce moment, chacun préfère se taire, pour sa propre sécurité.

5. Dans la relation des événements du 12 novembre on a parlé de l’implication de la paroisse catholique de Motael. Lorsque, le 28 octobre, l’armée est entrée dans l’église et le presbytère de Motael, Mgr Belo était présent. Celui-ci a reconnu que des personnes y avaient été trouvées et qu’on les avait faites sortir. Il a aussi dit qu’on ne lui avait jamais montré d’armes blanches qui y auraient été découvertes. Pourtant, lorsque le curé de Motael a été interrogé à la police, on l’a conduit à une table: s’y trouvaient des armes blanches, des affiches et d’autres choses encore qui, selon la police, avaient été découvertes dans le presbytère.

Il n’est pas dans notre intention de nous étendre sur l’implication éventuelle de la paroisse catholique de Motael dans cette affaire, car cela risque d’être pris pour une entreprise d’autojustification partiale. S’il est avéré qu’un prêtre est impliqué dans les événements du 12 novembre, il faut bien sûr examiner son degré de participation et prendre les sanctions qui s’imposent, comme pour n’importe quel autre coupable. Nous tenons cependant à préciser que l’évêque, les prêtres, les religieux et religieuses de Timor Oriental qui, dans leurs tâches pastorales, doivent être au-dessus de tous les courants politiques, se trouvent dans une situation difficile. Très souvent, ils sont considérés comme manquant de coopération par chacune des parties en conflit. Pas plus tard qu’en septembre dernier, Xanana, le dirigeant du Fretilin, a lancé des critiques violentes, aussi bien à l’encontre du pape que de Mgr Belo.

Quelle est l’attitude de Mgr Belo face aux événements récents? Elle est indiquée dans la lettre pastorale du 22 novembre 1991 (1).

6. Ce qui semble le plus urgent à l’heure actuelle est de redonner au peuple un sentiment de sécurité et la confiance vis-à-vis du gouvernement.

Jakarta, le 28 novembre 1991

Mgr J. Darmaatjama, président de la Conférence épiscopale

Mgr M.D. Situmorang, secrétaire général