Eglises d'Asie

INTERVIEW DU P. TRAN QUY THIEN Ancien responsable national de l’Aumônerie militaire

Publié le 18/03/2010




Actuellement, Hanoi laisse s’en aller un assez grand nombre d’anciens rééduqués et d’autres Vietnamiens dans le cadre du programme O.D.P. Est-ce là la marque de l’esprit humanitaire des communistes vietnamiens?

– Pour comprendre tout cela, il faut réexaminer l’ensemble de la question. Les dirigeants communistes qui craignent un soulèvement général au Vietnam ne redoutent pas directement les éléments de l’ancien régime, récemment rééduqués, et qui pourraient, aujourd’hui, s’insurger pour prendre le pouvoir. Leurs craintes portent en premier lieu sur leurs propres cadres: tous ces hommes qui ont contribué de leur personne et quelquefois de leur sang, à la victoire. Aujourd’hui, ils sont à la retraite ou démobilisés. Ce sont eux qui, dans la société actuelle, ont le niveau de vie le plus bas. Lorsqu’ils regardent leurs “camarades” qui jouissent de toutes sortes de prébendes, il est sûr qu’ils sont tenaillés par l’insatisfaction et l’indignation. Cette classe, à cause de son mécontentement, est toute disposée à s’allier avec nous autres, les “fantoches”.

C’est pour affaiblir les forces issues du mécontentement que le pouvoir est obligé de se débarrasser, au plus tôt, du plus grand nombre possible d’anciens rééduqués. Partent aussi les enfants métis, les personnes qui, dans le cadre du regroupement familial, vont retrouver leurs proches à l’étranger. Les autorités communistes savent bien que, parmi tous ces partants, personne n’a d’affection particulière pour la “patrie socialiste”. Et puis, par esprit familial et par solidarité, les exilés enverront de l’argent et des colis chez eux. La valeur de ces envois se monte chaque année à des centaines de millions de dollars U.S. Cela est largement suffisant pour entretenir les dirigeants actuels et pour donner à leurs valets une vie aisée et heureuse, … largement suffisant aussi pour qu’ils puissent acheter l’armement et les munitions qui leur permettront de mater l’opposition et de réprimer les émeutes.

La situation aujourd’hui, est-elle plus facile que les années précédentes?

– Je ne vois pas qu’elle soit plus facile. Aujourd’hui, les personnes qui n’appartiennent pas à la population urbaine n’ont pas le droit d’acheter de maisons à l’intérieur de la ville. Le titre de résidence (Hô Khâu) est toujours le moyen le plus contraignant qui soit pour contrôler la population. C’est ainsi qu’avant de partir, je n’ai pas vendu l’appartement où j’habitais mais je l’ai cédé à des soeurs pour qu’elles y mènent la vie religieuse. Pour se déplacer depuis leur ancienne résidence en ville jusqu’au 3 ème arrondissement où se trouvait mon appartement, chacune d’entre elles a dû payer trois dixièmes de taël d’or. Le réseau de la Sûreté s’étend partout dans les communes, les districts et les quartiers et chacun de ses agents a pour tâche de surveiller et suivre quelques personnes précises dans le quartier. Il est très difficile à un étranger de s’introduire dans un nouveau quartier. Naturellement, l’argent facilite toutes choses.

En Pologne, les catholiques ont joué un rôle important dans le renversement du régime communiste. Les catholiques vietnamiens en auraient-ils tiré la leçon?

– La situation de l’Europe de l’Est, en particulier celle de la Pologne, exerce une considérable attraction sur la masse des fidèles vietnamiens comme d’ailleurs sur les adeptes des autres religions. Au Vietnam, 90 % de la population adhère à une religion. C’est bien pourquoi, les communistes vietnamiens placent les religions parmi les objectifs qu’ils veulent détruire. Ils ont paralysé beaucoup de religions, du moins leurs institutions formelles. Avec les catholiques, ils n’ont pas réussi, car ces derniers forment un bloc uni du Nord au Sud, à l’intérieur du pays et dans la diaspora. Bien que les catholiques ne dépassent pas 10 % de la population, j’espère cependant qu’ils joueront un rôle positif dans la renaissance de notre pays.

Combien y a-t-il eu de prêtres amenés en rééducation? Et à ce point de vue, quelle est la situation actuelle?

– Après la conquête du Sud par les communistes, plus de 120 prêtres ont été amenés en rééducation. Environ 10 % d’entre eux sont morts durant leur internement. Parmi ceux qui ont été libérés, 54 ont été reconduits dans leur famille pour vivre en résidence surveillée, 3 sont en maison de retraite. Des 97 prêtres anciens rééduqués, seuls sept ont reçu des autorités la permission d’exercer leur ministère. Les autres en sont empêchés par une interdiction expresse. La Conférence épiscopale du Vietnam, à de nombreuses reprises, a demandé aux autorités de laisser ces prêtres exercer leur ministère. Mais les responsables gouvernementaux se sont contentés de vagues promesses.

Au mois d’avril 1975, l’archevêché a permis à certains prêtres de s’exiler avec leurs paroissiens. Je sais que vous aviez cette permission. Mais vous êtes alors resté volontairement au pays. Pourquoi donc aujourd’hui vous expatriez-vous?

– Le rôle du prêtre est de vivre avec ses chrétiens et de rester à leur service. J’ai subi 13 années de captivité, durant lesquelles j’ai été mis aux fers et jeté au cachot par deux fois, une première fois dans le camp de Thanh Phong, une seconde fois, durant 4 mois, au camp de Ha Tây. Durant ces treize années d’exil, j’ai pu vivre avec mes chrétiens davantage et avec plus d’intensité. Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi de rester dans mon pays en 1975. Mais, après ma sortie de prison, cette vie avec mes chrétiens m’a été strictement interdite, la Sûreté me suivant en permanence. Ainsi, toutes les relations que nous autres, anciens rééduqués pouvions avoir avec nos chrétiens, ne pouvaient que leur porter tort. Pour parler autrement, notre sacerdoce était entièrement “neutralisé”. C’est pour cela que l’archevêché nous a permis de partir à l’étranger.

Dans un repas que nous faisions avec lui avant de partir, l’archevêque nous a dit: “Je l’ai souvent rappelé aux autorités. Si les prêtres, à leur retour de rééducation, ne peuvent pas exercer leur sacerdoce, que pourront-ils donc faire? Quand on est prêtre, il faut remplir son ministère. Sinon, autant s’en aller dans un pays étranger ! Il y a partout des fidèles et la vigne du Seigneur est plantée sur toute la terre. Travaillez pour les fidèles, pour le Seigneur, partout où vous irez. Quand l’Etat changera et que la situation le permettra, vous reviendrez travailler avec nous”. C’est dans cet esprit que je suis parti.

Ainsi, les presque cent prêtres sortant de rééducation vont tous s’expatrier aux Etats-Unis?

– Non. Beaucoup vont rester. Les uns sont âgés ou de santé défaillante. Les autres ont de vieilles mères qu’ils ne quitteront pas …

Mgr Nguyên Van Binh continue-t-il ses interventions pour ces prêtres afin qu’ils puissent exercer leur ministère?

– A ma connaissance, l’archevêché continue ce type d’interventions en permanence. En fait, peu avant mon départ, j’ai appris que la Sûreté avait convoqué un certain nombre de prêtres, anciens pensionnaires des camps. Après avoir réexaminé leur “curriculum vitae”, un responsable a déclaré: “Nous vous donnons la permission d’exercer votre ministère à une condition: c’est que vous collaboriez avec nous”. Propos que tout le monde a vite compris: il leur était proposé de devenir des délateurs de la police et de lui faire des rapports sur les agissements des fidèles de la paroisse. Bien entendu, pas un des prêtres présents n’a accepté cette condition: ils sont donc toujours interdits de ministère.

Peu avant la réunion du 7ème Congrès du parti communiste vietnamien, la Conférence épiscopale a envoyé à l’Etat une contribution exigeant le respect de la liberté de croyance. Cette contribution a-t-elle exercé une quelconque influence sur le parti communiste?

– Avant ce 7ème congrès, l’Etat communiste, en mal de démocratie, a diffusé partout le texte d’une plate-forme politique en priant les destinataires de donner leur opinion. Beaucoup de religions et d’associations ont envoyé leur contribution et pas seulement les catholiques. Certes, des opinions ont été émises. Mais, que les communistes aient tenu compte de ces opinions, c’est une toute autre histoire ! Selon ce que je sais, cette contribution n’a en rien influencé leurs positions qui restent invariables.

Ce qui signifie que la religion éprouve encore des difficultés.

– Oui. Non seulement elle est encore en difficulté, mais il semble que les difficultés soient plus grandes après le 7ème congrès et surtout maintenant (1). Par exemple, les années précédentes, à cette époque, l’archevêché organisait une retraite pour les prêtres du diocèse de Saigon et des prêtres d’autres diocèses venaient y participer. Cette année, la plupart de ces prêtres n’ont pas pu y aller.

Au mois de mars, Dô Muoi a signé un nouveau décret sur la religion. Pouvez-nous nous parler sommairement de ce décret et des conséquences qu’il aura.

– C’est un décret qui a remplacé celui de 1977. Dans sa forme, l’ancien décret était sévère pour les activités religieuses en général. Celui de 1991 est le résultat des revendications incessantes de la Conférence épiscopale et de celles des représentants des autres religions. Ces revendications affirmaient que, puisque, dans notre peuple, tout le monde adhérait à une religion et avait une croyance, il fallait que notre peuple possède un code législatif qui garantisse son droit aux activités religieuses. Mais en réalité, l’Etat n’a pas publié un code législatif, mais seulement un décret dont il est lui-même le seul instigateur – aucune religion n’a participé à son élaboration. Après sa publication, on nous a convoqué à des réunions d’étude. Au sortir de ces réunions, tous étaient d’avis que le nouveau décret ne représentait aucun progrès par rapport à l’ancien et que, de plus, il apportait des difficultés nouvelles et des ambiguïtés supplémentaires. D’ailleurs, ces ambiguïtés sont volontairement entretenues par l’Etat, de façon à laisser au pouvoir local le soin d’interpréter le décret en fonction des circonstances et de ses propres intérêts.

Pour parler autrement, la liberté de religion au Vietnam est une aumône, un cadeau des autorités et non pas un droit dont jouit la population comme cela est inscrit dans la constitution.

Par ailleurs, dans toutes les nations civilisées, un code législatif tient compte des deux parties: la population et les autorités. Si la population viole la loi, les autorités puniront, mettront en prison, enverront en rééducation. Mais si l’Etat viole la loi, que se passe-t-il? Dans ce cas-là, au Vietnam, les gens du peuple n’ont aucun droit.

A la fin de l’an dernier, on a permis de changer l’appellation “Comité d’union des catholiques patriotes du Vietnam” en “Comité d’union du catholicisme vietnamien”; le mot “patriote” a disparu. Le prêtres les plus influents comme Huynh Công Minh, Truong Ba Cân ne font plus partie de cette association. Pouvez-vous nous expliquer ces changements?

– J’ai entendu dire que, lors du congrès de cette association, une raison avait été donnée pour cette décision d’abandonner le terme “patriote”: le désir d’abréger l’appellation de l’association. La réalité, à mon avis, est différente. Toute association dont l’appellation comporte le terme “patriote” est boycottée par nos compatriotes qui y voient une création des communistes. Il en est de même chez les catholiques; ils n’aiment guère les prêtres “patriotes et “nationalisés” (quôc doanh). L’abandon de ce mot est une simple ruse de guerre.

Quant au fait que les PP. Huynh Công Minh et Truong Ba Cân n’ont plus leurs noms dans la liste des membres de cette association, cela ne signifie pas qu’ils en ont été chassés.

Ces prêtres ont encore beaucoup de pouvoir. Le décès du Père Vo Thanh Trinh, président en titre du Comité d’union, en est un témoignage. Ce prêtre, originaire de Long Xuyên (2) avait gagné Hanoi en 1954. En 1975, à la naissance du Comité, il en avait été nommé président. Il avait aussi été élu député à l’Assemblée nationale. Dans l’intention d’attirer l’attention des catholiques, le pouvoir lui a organisé des funérailles grandioses, d’une solennité à laquelle aucun prêtre jusqu’à présent n’avait eu droit, même le cardinal Trinh Van Cân, ou encore le cardinal Trinh Nhu Khuê. Sa dépouille a été exposée au palais des congrès , c’est à dire dans l’ancien palais de l’indépendance (3), pour que les délégations de l’Assemblée nationale, du gouvernement ou des religions viennent lui rendre hommage. Cependant, seules, les associations “patriotiques” sont venues. Nos compatriotes catholiques ont considèré le P. Trinh comme un étranger.

Les communistes laissent publier de nombreux journaux. Parmi ceux-ci, y a-t-il des journaux de l’Eglise catholique ou n’y a-t-il que ceux que les “catholiques patriotes” rédigent et publient.

– Oui, aujourd’hui, il y a des centaines de livres publiés par des organes de l’Etat, du gouvernement ou de l’armée. Ils sont exposés et vendus partout sur les trottoirs des villes, de Hanoi à Saigon, y compris des livres et des vidéocassettes pornographiques. Mais, la publication de livres religieux, elle, est très limitée et fort difficile. Il faut une permission pour n’importe quelle publication. Les demandes faites par l’Eglise sont d’habitude refusées sans examen. Malgré ses 6 millions de membres le catholicisme n’a que deux journaux le “Nguoi công Giao Viêt Nam” (le catholique vietnamien) publié à Hanoi et ” Công Giao và Dân Tôc” (Catholicisme et Nation) composé à Saigon.

Bien que le “Công Giao và Dân Tôc” de Saigon ait fait beaucoup de progrès, peu de personnes l’achètent. Plus il y a de textes sur Hô Chi Minh ou Lénine et moins il y a d’acheteurs même au sein du Comité des catholiques patriotes. Les vendeurs de journaux autour de la cathédrale me l’ont affirmé.

Quel est l’état de santé de Mgr Nguyên Van Binh et de Mgr Pham Van Nam, son auxiliaire.

– Ces deux évêques ont participé au repas où j’étais invité avant mon départ du pays. Tous les deux sont très faibles. Notre archevêque a, cette année, 82 ans. Il n’a pas pu présider la dernière retraite à cause de son mauvais état de santé. Il a souvent demandé au Saint Siège de le laisser partir à la retraite, mais sans succès. Ce dernier lui a donné un successeur, Mgr Nguyên Van Thuân que les autorités communistes refusent d’accepter. La santé de ce dernier évêque est actuellement très bonne (4).

Avez-vous des nouvelles du P. Trân Dinh Thu, de la congrégation de la Corédemption, condamné à 20 ans de prison?

– Le P. Tran Dinh Thu qui, lui aussi, a dépassé 80 ans, est de santé très faible. A cause des interventions de l’étranger, les communistes ont plusieurs fois déjà décrété son élargissement. Mais le père a résolu de ne pas sortir de prison tant que les autorités n’auront pas souscrit à deux conditions. En premier lieu, tous ceux qui ont été arrêtés avec lui, dans son monastère, doivent être libérés. Ensuite, tous les établissements confisqués à la congrégation doivent lui être rendus. Les communistes refusant de remplir ces deux conditions, le P. Thu reste en prison.

Pourriez-nous nous éclairer sur l’affaire du P. Chân Tin et Nguyên Ngoc Lan, affaire à l’issue de laquelle ils ont été placés en résidence surveillée.

– Durant le carême 1990, dans l’église des rédemptoristes, le P. Chân Tin a prononcé une série de sermons sur le thème du repentir. Selon lui, tout individu, quelque soit sa position, qu’il soit membre du gouvernement ou de la hiérarchie de l’Eglise, ou encore simplement laïc, devait se repentir, prendre conscience de ses insuffisances afin de renouveler sa vie spirituelle aussi bien que sociale. Ces sermons ont été accueillis chaleureusement par les catholiques qui les ont enregistrés sur bande magnétophone, polycopiés, imprimés et largement diffusés si bien qu’ils ont eu un impact psychologique très profond. Bien évidemment, les autorités ne voulaient de cela à aucun prix et elles ont décidé d’y mettre un terme. Le P. Chân Tin a été assigné à résidence dans une petite paroisse rédemptoriste dans le district de Duyen Hai.

Mr Nguyen Ngoc Lan, lui, a été assigné à résidence dans sa propre demeure, rue Nguyen Tiêu, dans le 5ème arrondissement. Il lui est interdit de sortir de chez lui, sauf en cas de maladie et s’il a demandé la permission auparavant. Il n’a pas non plus le droit de rencontrer une quelconque personne. Je voudrais insisiter sur le fait que il y a eu un certain nombre de prêtres et de laïcs arrêtés pour cette affaire et qu’ils sont encore en prison (5).

Que pensent nos compatriotes du P. Chân Tin et de M. Ngoc Lan, après leur assignation à résidence?

– Avant 1975, ces deux personnes avaient des idées “progressistes” qu’ils exposaient dans le Journal “Dôi Diên” (Faire face). Leurs activités ont causé un certain nombre de tracas à l’ancien gouvernement. Les catholiques moyens de l’époque n’étaient pas loin de les tenir pour des communistes. Mais, après 16 ans, leur voix a donné la réplique à celle du pouvoir communiste; les catholiques ont pensé que cet engagement nouveau avait sa source dans une prise de conscience lucide, qu’il s’enracinait dans un sentiment national puisqu’ils refusaient d’identifier patriotisme et amour du socialisme (c’est à dire du communisme) et ne se résignaient pas à ce que l’on défende le communisme en persécutant nos compatriotes. C’est bien pourquoi, les catholiques de notre pays ont accueili leurs déclarations avec un grand respect.

D’une façon générale, que pensent les communistes vietnamiens des catholiques du pays?

– Il faut diviser les communistes en deux groupes. Il y a d’abord la classe des dirigeants qui, pour des raisons économiques, pour montrer leur esprit d’ouverture, entretiennent des relations avec l’Eglise et le Vatican. Cependant, dans le fond, ils continuent de nourrir de l’aggressivité contre les religions et, en particulier, contre le catholicisme. Puis, il y a les autres, ceux qui sont en train de quitter le Parti, ceux qui ont été mis à la retraite ou encore démobilisés. Ces membres ou ex-membres du Parti sont des hommes de progrès qui aiment le peuple plus que le socialisme. Ceux-là comprennent davantage les catholiques et sympathisent avec eux. Leur premier ennemi, c’est maintenant le Parti, car, selon eux, c’est lui, le véritable opium du peuple qui les a endormis, et non pas la religion comme les communistes avaient coutume de le dire à tort.

Quel est le niveau de vie à Saigon, aujourd’hui?

– La vie y est extrèmement difficile. La population ne mange pas à sa faim. Les enseignants, les ingénieurs n’y ont pas plus de 5 dollars de revenus par mois, c’est dire de quoi nourrir leur famille pendant 7 jours. C’est pour cela que tous doivent avoir un second métier. S’ils sont honnêtes, ils conduisent des petites motos-taxis, ou tirent des remorques. S’ils ont des gros besoins d’argent, ils se lancent dans les affaires frauduleuses. S’ils n’ont aucun souci de morale, ils volent l’argent et les biens de l’Etat. C’est inimaginable, mais 90% des entreprises d’Etat du pays ont fait faillite. Tout autour de Saigon, il y a plus de 10 ponts qui peuvent s’effondrer à n’importe quel moment mais que l’on ne répare pas faute d’argent. Des dizaines d’autres sont inutilisables et personne ne les répare.

De nombreuses délégations catholiques étrangères de haut niveau viennent visiter le Vietnam. Ainsi, récemment, le cardinal Bernard Law de Boston est venu au Vietnam. Connaissez-vous les raisons de leurs visites et les résultats auxquels celles-ci ont abouti?

– Je ne sais pas si ces délégations viennent au Vietnam à l’invitation du gouvernement. Toutes rendent visite à l’archevêché de Saigon. Mais, je sais que partout où vont les membres de ces délégations, même lorsqu’ils participent à la messe, il y a quelques dizaines de policiers en civil qui sont près d’eux et qui les surveillent y compris lorsqu’ils revêtent les habits liturgiques. Ce qui signifie que nous autres, les catholiques du pays, nous ne pouvons, d’aucune façon, prendre contact avec ces délégations étrangères. C’est pourquoi, on peut dire que ces visites de délégations étrangères n’ont aucune influence sur le sort des catholiques et plus généralement de nos compatriotes vietnamiens. D’ailleurs leurs visites ne provoquent aucun écho dans la presse en dehors de quelques lignes dans les deux journaux catholiques mentionnés plus haut.

Cependant, à mon avis, l’invitation de la délégation des Etats-Unis revêtait une importance particulière. Les arrière-pensées politiques des communistes étaient évidentes. Ils ont pensé que les 60 millions de catholiques américains sur une population totale de 260 millions, constitutaient une force non négligeable, et pouvaient devenir leurs porte-parole pour demander la cessation de l’embargo et le rétablissement de relations diplomatiques. Les membres de la délégation, certes, n’ont eu que des motifs humanitaires, mais leur présence au Vietnam a revêtu un aspect politique certain.

Pensez-vous que les communistes vietnamiens songent à “raccommoder” Pékin avec Washington tout comme autrefois Hô Chi Minh avait voulu “raccommoder” Pékin et Moscou?

– C’est une chose certaine. Le Vietnam est en train d’essayer de s’attirer les faveurs de la Chine. Au mois d’août dernier, la télévision vietnamienne a projeté un film feulleton chinois inspiré du “Singe pélerin” (Si-yeou-Ki). A l’heure de l’émission, la ville toute entière était paralysée. Partout, les gens s’étaient regroupés devant les télévisions publiques ou étaient restés chez eux devant leur télévision privée. Les autorités n’ont eu aucune réaction … puisque cela plaisait à la Chine.

Nous voudrions vous poser une dernière question. Les Etats-Unis viennent de renouveler l’embargo à l’encontre du Vietnam. Selon vous, quelles vont en être les conséquences?

– Certes les conséquences en seront fâcheuses pour les communistes vietnamiens. Sinon, ils cesseraient d’en demander la levée. cette année ils espéraient plus que les autres années. L’Economie est descendu au plus bas, la piastre n’a plus aucune valeur. Des billets de 5 000 piastres ont été mis en circulation, et l’on va bientôt émettre des billets de 10 000. Les achats en Union soviétique doivent désormais se régler en devises étrangères. Le commerce avec l’Europe de l’Est s’est achevé cette année. Les communistes vietnamiens n’espèrent d’ailleurs pas que la Chine, trop pauvre, vienne à leur secours. Le vrai recours du Vietnam, ce sont les pays de l’Europe et de l’Asie du sud-est. Déjà un certain nombre de commerçants sont entrés au Vietnam et y ont investi. Mais ce ne sont encore que de petites affaires et des capitaux réduits même si les hauts-parleurs du régime exagèrent l’importance des investissements pour tromper la population. Chez nous tout le monde le sait. Récemment, des responsables gouvernementaux ont claironné très fort qu’ils avaient loué un certain nombre d’avions modernes pour transporter des passagers. Quelques jours plus tard, ils injuriaient les Etats-Unis qui avaient utilisé l’embargo pour empêcher cette transaction. En résumé, si l’embargo se prolonge encore un an, ce sera la fin de toute économie. Et dans ces conditions, ils seront obligés de céder entièrement dans le domaine politique.