Eglises d'Asie

LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX

Publié le 18/03/2010




[ NDLR. Jan Swyngedouw, C.I.C.M., est un missionnaire belge de la Congrégation du Coeur Immaculé de Marie (Missionnaires de Scheut), ordonné en 1960, au Japon depuis 1961. Après ses études de doctorat en sociologie des religions à la section des Etudes religieuses de l’université de Tokyo, il est devenu membre de l’Institut de la religion et de la culture de Nanzan à Nagoya, tout en restant affilié à l’Institut Oriens pour les Recherches religieuses, dirigé à Tokyo par les missionnaires de Scheut. Il est actuellement chargé d’enseigner la culture japonaise à l’université Nanzan. En 1990, le P. Swyngedow a été nommé consulteur du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.]

Parmi les nombreux fruits du deuxième Concile du Vatican (1962-65), la recherche et le développement du dialogue interreligieux apparaissent comme l’un des changements significatifs qui font date dans la vie de l’Eglise catholique. Comme il est dit dans la Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes:

“L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est bon et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent

souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer le Christ qui est ‘la voie, la vérité et la vie’ (Jn 14,6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse, et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses (cf 2 Co 5,18-19). Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux.” (Déclaration 2)

Fidèle aux déclarations solennelles des Pères du Concile, l’Eglise a, en fait, adopté depuis à l’égard des religions non chrétiennes une attitude contrastant avec l’image, qu’elle avait jusqu’alors donnée d’elle-même, d’une religion revendiquant l’exclusivité de la vérité et, par le fait même, en opposition sinon en conflit ouvert avec les autres religions. Nouvelle attitude reconnue de nos jours comme étant essentiellement de nature dialogale et même comme un modèle pour les autres organisations religieuses dans le monde. Evidemment, bien que ce passage “de la confrontation au dialoguecomme le caractérisent souvent les observateurs extérieurs, puisse paraître comme une révolution copernicienne de la pensée et de la pratique de l’Eglise, il n’est pas sans précédents dans l’histoire passée. Pour ne mentionner que quelques éléments, depuis des années déjà, un mouvement toujours plus actif se poursuivait, – que le Concile a formellement encouragé -, pour promouvoir la compréhension et la coopération oecuméniques parmi les différentes Eglises chrétiennes. On pouvait s’attendre à ce que, d’une façon ou d’une autre, ce mouvement oecuménique s’élargisse jusqu’à inclure aussi les traditions religieuses étrangères à l’aire d’influence du christianisme. En outre, souvent exprimées en termes “d’adaptation missionnaire”, “d’indigénisation”, et autres termes analogues, des réflexions et des pratiques nouvelles dans le travail missionnaire existaient déjà avant le Concile. Cette évolution, qui plus tard s’est développée en théorie de plein droit et dans les applications de ce qu’on appelle ordinairement aujourd’hui “inculturationavait ouvert les yeux de l’Eglise sur les valeurs religieuses non chrétiennes exprimées dans les cultures où elle-même est à l’oeuvre, et l’avait poussée à prendre une attitude plus positive à leur égard. En ce sens, ce que le Concile a fait en réalité, c’est reconnaître ces orientations qui étaient déjà sous-jacentes à bien des initiatives, et leur accorder désormais le statut de politique officielle de l’Eglise.

Il ne faudrait pas oublier non plus qu’en dehors du monde chrétien aussi un développement analogue était en cours. Le dialogue interreligieux de nos jours a sans aucun doute été fortement stimulé par le changement d’attitude de l’Eglise catholique romaine, dans la mesure où elle est reconnue comme l’organisation religieuse la plus influente dans le monde. Mais il n’en reste pas moins vrai que les événements survenus dans la société dans son ensemble ont contribué approfondir la conscience qu’ont les hommes un peu partout que la compréhension et la coopération entre les religions sont les voies de l’avenir. “Internationalisation” et “globalisation” pourraient bien être les thèmes sur lesquels se focalise l’attention, étant donnée la situation actuelle de notre planète. En réalité le progrès des contacts interculturels, particulièrement entre l’Est et l’Ouest, a déjà constitué un défi depuis plusieurs décennies, obligeant les gens à repenser leur identité. En 1893, quand se tint à Chicago l’Assemblée mondiale des religions, l’idéal justifiant sa convocation n’était peut-être pas acceptable pour l’Eglise romaine et pour les autres organisations religieuses encore attachées à une conception plutôt étroite de ce que doit être la foi religieuse. Pourtant, à voir les choses après coup, le zèle des organisateurs et participants religieux “libéraux” de cette Assemblée ouvrit la voie à une réflexion sur la réalité du pluralisme religieux, réflexion que devait, tôt ou tard, rendre

nécessaire l’évolution plus radicale et générale vers une interdépendance de toutes les sociétés et cultures du globe.

Le Japon n’a pas échappé à cette évolution. Un simple fait parle de lui-même: le pluralisme religieux dans ce pays est une réalité qui a des siècles d’histoire derrière elle, pluralisme beaucoup plus accusé que cela n’a jamais été le cas dans le monde chrétien. Il ne s’agit pas de nier qu’au Japon aussi l’état présent de la coopération et du dialogue interreligieux est en quelque sorte lié aux évolutions survenues ces dernières années dans d’autres parties du monde. La situation actuelle, comme le reconnaîtraient volontiers la plupart des observateurs de la scène japonaise, est aussi intrinsèquement à mettre en relation avec les conclusions du deuxième Concile du Vatican de l’Eglise catholique et sa nouvelle politique d’ouverture. Cependant, à cause de son héritage historique, le cas du Japon présente certainement quelques traits uniques qu’on ne peut ignorer en étudiant cette question.

Dans les pages qui suivent, nous donnerons un premier aperçu général du contexte dans lequel le dialogue interreligieux d’aujourd’hui a pris naissance et s’est développé. Après une vue d’ensemble de l’histoire la plus récente des relations entre les religions, en insistant particulièrement sur le rôle de l’Eglise catholique dans ce développement, nous ferons ressortir quelques caractéristiques de sa nature et nous indiquerons quelques unes des difficultés qui lui sont inhérentes. Enfin nous porterons notre attention sur la situation présente et sur les perspectives d’avenir qu’elle suscite.

1. Le contexte du dialogue interreligieux au Japon

Si un seul mot pouvait décrire la situation religieuse au Japon, ce serait certainement celui de “pluralité”. Elle a, derrière elle, une histoire de plus de mille ans. Au milieu du VI( siècle après Jésus-Christ, quand le bouddhisme venant de Chine fut introduit au Japon à travers la péninsule coréenne, il arriva dans un pays où existait une tradition religieuse autochtone caractérisée par une sorte d’animisme polythéiste. Cet animisme avait trouvé d’innombrables expressions au service du clan dominant de Yamato qui avait établi un pouvoir central dans ce qui est maintenant la région de Nara-Kyôto, dans l’ouest du Japon. Ce fut précisement cette première rencontre avec une religion étrangère qui fit prendre conscience à la population de l’existence de sa propre tradition autochtone et l’amena à la distinguer du bouddhisme importé – la Voie du Bouddha – en forgeant le terme (en réalité chinois) de Shintô, c’est-à-dire la Voie des Dieux (japonais). Contrairement à ce qui advint dans le cas des religions monothéistes comme le christianisme ou l’islam, le bouddhisme, déjà métissé, au cours de sa longue histoire, avec différents éléments de la culture religieuse indienne et chinoise, n’a pas triomphé de la tradition autochtone. Il en est venu à coexister avec elle de façon à préserver jusqu’à un certain point sa propre identité et à permettre simultanément toutes sortes d’amalgames. Cette coexistence n’a pas été sans créer des problèmes. Mais comme l’indiquent clairement les mots d’introduction de la Constitution en dix-sept articles, la première Constitution du Japon promulguée en 604 par le prince Shôtoku Taishi, “Que l’harmonie soit notre principe directeurc’est le pouvoir d’Etat qui contrôlait ce premier exercice de pluralisme religieux, et ce principe a toujours continué depuis lors à caractériser le monde religieux du Japon, les diverses traditions s’y conformant docilement et rivalisant les unes avec les autres dans leur soummission à l’Etat. A l’intérieur du bouddhisme lui-même, différentes écoles et sectes existaient déjà depuis

le temps de son introduction au Japon. Au cours de son histoire ultérieure beaucoup d’autres furent fondées au Japon même, avec une apogée autour du XIII( siècle, familiarisant ainsi les Japonais avec l’idée que la religion peut s’accommoder d’expressions différentes dont les contraditions mutuelles ne doivent pas troubler la paix du coeur des gens.

Avec l’introduction du bouddhisme et aussi au cours des siècles suivants, des éléments du taoïsme et du confucianisme chinois ont été adoptés par les Japonais. Ces éléments, cependant, ne se sont jamais développés en organisations religieuses séparées mais ont continué à influer sur les traditions existantes du shintô et du bouddhisme. Surtout, alors que le taoïsme se développait spécialement au niveau des pratiques religieuses populaires, le confucianisme a atteint son sommet comme système éthique patronné par l’Etat, en particulier pendant les années du shôgounat des Tokugawa (1600-1868). Si des troubles surgissaient entre les diverses sectes religieuses, – et en dépit du respect et de la révérence des Japonais pour l’harmonie, les cas de ce genre n’avaient rien d’exceptionnel -, c’était le gouvernement qui intervenait et leur “imposait” la paix. La population s’adapta en développant graduellement un système de “division du travail” religieux dans lequel les rituels relatifs à la vie, tout comme ceux ayant trait à la fertilité agricole et centrés sur les communautés locales, furent principalement attribués au shintô, tandis que les rituels de la mort et des morts, comme les obligations relatives à la vénération des ancêtres, centrées sur la famille, furent pour la plupart réservés au bouddhisme.

Il n’est pas surprenant que, lorsque le christianisme (catholique) fut introduit au Japon en 1549, son attitude sans concession à l’égard de ce pluralisme religieux, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan social, soit devenue une des raisons pour lesquelles l’Etat se méfia de lui et le considéra comme une réelle menace pour l’harmonie. C’est pourquoi, après environ un siècle d’efforts missionnaires relativement couronnés de succès, le christianisme fut cruellement persécuté et expulsé du pays comme un élément inadapté au modèle japonais d’harmonie interreligieuse. C’est seulement dans la seconde moitié du XIX( siècle, quand le Japon fut forcé sous la pression étrangère d’ouvrir ses portes au monde extérieur après plus de deux siècles d’isolement, que le christianisme fut à nouveau autorisé, mais dans une atmosphère de méfiance persistante qui provoqua, en plus d’une occasion, des conflits entre les Eglises chrétiennes et les religions japonaises traditionnelles, pour ne pas parler de l’attitude peu irénique qu’avaient les différentes dénominations chrétiennes les unes vis-à-vis des autres. Ce fut aussi l’époque où on assista au Japon à la prolifération de nouveaux mouvements religieux indigènes, soigneusement contrôlés par le gouvernement, ajoutant encore au pluralisme déjà existant.

Quand, en 1912, le ministre de l’Intérieur organisa une rencontre des représentants des groupes shintô, bouddhistes et chrétiens, les invitant à coopérer entre eux, cet événement fut salué par beaucoup comme le commencement d’un dialogue interreligieux avant la lettre. En réalité, pourtant, le seul résultat de la rencontre fut de renforcer le contrôle de l’Etat sur les religions de sorte qu’elles puissent être mieux mobilisées au service de la promotion de la morale nationale. Les religions elles-mêmes n’étaient nullement préoccupées de la coopération entre elles mais seulement de leurs relations avec le gouvernement. Et c’est précisément ce souci qui maintenait la paix entre elles. Quand dans les années suivantes une des plus connues parmi les nouvelles religions du Japon, le Omotokyô, tenta de mettre en pratique son principe de base “toutes les religions poussent à partir des mêmes racines” et établit des liens avec quelques autres groupes religieux, spécialement en Chine, cette tentative, quoique bien intentionnée, ne pouvait qu’aboutir à un échec. Et, de fait, en essayant d’échapper au contrôle direct du gouvernement, toute l’affaire se termina par un désastre. En 1921, puis de nouveau en 1935, les responsables furent emprisonnés pour lèse-majesté et, la seconde fois, l’organisation elle-même fut dissoute sur l’ordre du gouvernement.

Avec la croissance du militarisme japonais, l’emprise du gouvernement sur les religions se renforça, et quand le Japon entra en guerre, – commençant déjà avec l’agression de la Chine dans les années 1930 -, toutes les religions furent contraintes de coopérer à l’effort de guerre, présentant au monde extérieur l’apparence d’une collaboration harmonieuse qui, en réalité, n’était rien de plus qu’une coexistence imposée par des pressions venues d’en haut. Le shintoïsme, qui avait été graduellement transformé en religion d’Etat centrée sur l’adoration de l’empereur, joua un rôle essentiel dans l’application de cette politique. Les citoyens furent obligés de participer au culte dans les sanctuaires shintô pour manifester l’unité de la nation vouée aux dieux. L’Eglise catholique, elle aussi, suivant les directives venues du Vatican, se joignit à cette entreprise, acceptant l’interprétation du gouvernement, selon laquelle l’obéissance pratiquée dans les sanctuaires était une expression publique de patriotisme sans signification explicitement religieuse.

La situation changea radicalement avec la fin de la guerre du Pacifique en 1945 et la promulgation de la nouvelle Constitution qui, pour la première fois dans l’histoire, décréta une complète séparation des religions et de l’Etat, garantissant ainsi le principe de la liberté de religion. Cela signifiait aussi que les diverses traditions religieuses du Japon, pour la première fois dans l’histoire, se trouvaient placées dans une situation où leurs relations réciproques n’étaient plus réglementées d’en haut. Cela les obligeait à trouver de nouveau moyens pour promouvoir un type de coexistence harmonieuse puisque, du moins pour la plupart d’entre elles, l’harmonie était une valeur à préserver à tout prix. Nous verrons dans la section suivante de cette étude comment elles s’y employèrent. Mais pour conclure cette description du contexte dans lequel le dialogue entre les religions s’est développé, il faut ajouter quelques mots sur le panorama religieux du Japon aujourd’hui d’un point de vue plus général.

Ce n’est pas sans raison que le Japon est souvent désigné comme un “grand magasin” ou un “laboratoire” des religions. Le pluralisme religieux qui a régné au long des siècles passés a conduit à une telle prolifération de goupes variés, encore bien vivants à l’époque actuelle, qu’il est presque impossible de repérer ce qui se passe dans ce maquis. Plus de 400 organisations religieuses sont actuellement enregistrées sur le listes du gouvernement comme “personnes morales ayant droit à exercer l’ensemble des activités religieusessans parler des autres, très nombreuses, qui agissent davantage dans la clandestinité. On les divise habituellement en groupes appartenant à la tradition shintoïste (environ 150), à la tradition bouddhiste (environ 170), groupes chrétiens (environ 65) et “les autres” de caractère plus éclectique (environ 30). Le simple fait de l’existence de si nombreux groupes différents dans un même pays pose la question de leurs relations les uns avec les autres et nécessite une régulation permettant leur coexistence pacifique. De surcroît, comme le Japonais moyen recourt à différentes traditions religieuses selon les circonstances, ainsi qu’on l’a indiqué plus haut, la somme des fidèles revendiqués par les divers groupes dépasse de loin la population totale du Japon. Une seule et même

personne, par exemple, sera considérée comme un paroissien du shintô quand elle visitera le sanctuaire shintoïste local à l’occasion d’une naissance dans sa famille ou au moment de la fête annuelle du sanctuaire, et comme un croyant bouddhiste quand elle demandera à un prêtre bouddhiste de célébrer les funérailles de quelque défunt de sa famille ou quand elle participera à un office à la mémoire de ses ancêtres. A une époque récente, en outre, la coutume s’est répandue parmi beaucoup de jeunes gens de célébrer leur cérémonie de mariage dans une église chrétienne et de “faire quelque chose de chrétien” la nuit de Noël. Bien entendu, contrairement à leurs homologues shintoïstes et bouddhistes, les Eglises chrétiennes ne sont pas disposées à désigner ces “fidèles” comme membres de leur communauté. Pourtant ces habitudes nouvelles montrent clairement que le christianisme, lui aussi, est devenu d’une certaine façon un des éléments de cette croyance, constituée de multiples sédiments, qui caractérise la religiosité japonaise.

Nous ne devons pas oublier non plus ces religions qu’on appelle les “nouvelles religions”. Elles ont attiré un nombre considérable de gens qui se rattachent à elles par une affiliation temporaire ou définitive. Dans un bon nombre de cas, ces gens continuent à fréquenter les sanctuaires et les temples shintoïstes et bouddhistes au moment voulu, sans voir là aucune contradiction avec la nouvelle foi qu’ils ont adoptée. En un mot, l’existence de religions variées et organisées en groupes constitués pose peut-être le problème de leurs relations réciproques en tant qu’organisations, mais sur le plan personnel, c’est-à-dire à l’intérieur d’une seule et même personne, le pluralisme religieux est apparemment une réalité acceptée sereinement, aussi longtemps que la participation aux rites des diverses traditions religieuses s’effectue dans un cadre assez bien défini pour permettre d’aller régulièrement de l’une à l’autre selon les circonstances. Aussi, il n’est pas surprenant que le dialogue interreligieux au Japon soit fortement influencé par cette situation et manifeste quelques caractéristiques propres à cette culture religieuse.

2. Histoire du développement du dialogue interreligieux après la guerre

Avec la nouvelle Constitution de 1946 garantissant la liberté de religion à tous les citoyens et adoptant le principe de la complète séparation de la religion et de l’Etat, la période d’après guerre a mis les différentes religions du Japon dans une situation radicalement nouvelle puisque, fondamentalement, l’attitude de l’Etat envers les divers groupements religieux est devenue une attitude de neutralité à l’opposé du contrôle absolu exercé précédemment. Naturellement, des lois ont été votées pour permettre aux religions d’exercer leurs activités convenablement et de manière responsable, comme la “Loi sur les personnes morales religieuses” de 1951 qui, entre autres stipulations, accorde aux religions acceptant d’être enregistrées l’exemption de certaines taxes mais leur demande aussi de fournir certaines informations au gouvernement.

Cette nouvelle situation a eu un double effet. D’une part, la liberté nouvellement acquise a suscité une réelle explosion de ferveur religieuse, manifestée par la naissance et le développement d’innombrables nouvelles religions qui se livrèrent à une compétition féroce entre elles pour attirer des adhérents. On a appelé cette période “l’heure du rush des dieuxDe même, les luttes intestines et les schismes dans les organisations traditionnelles du shintô et du bouddhisme sont devenues monnaie courante, et les luttes d’influence, qui étaient demeurées cachées pendant des années, ont eu lieu au grand jour. D’autre part pourtant, c’est précisément cette explosion de ferveur religieuse, portant en elle-même des germes d’incompréhension plus graves, qui a poussé les

différents groupes à explorer de nouvelles voies pour promouvoir une coexistence harmonieuse puisque désormais le rôle de régulation de l’Etat était quasiment réduit à rien. Déjà dans les années de l’immédiat après guerre, plusieurs alliances se constituèrent unissant des mouvements qui travaillaient à des réformes à l’intérieur des grandes traditions religieuses, comme “l’Alliance nationale pour la réforme à l’intérieur des grandes traditions religieuses, comme “l’Alliance nationale pour la réforme des associations bouddhistes” fondée en 1949. En juin 1954, “l’Association bouddhiste de tout le Japon” s’est établie comme organisme fédérant toutes les dénominations, avec la participation de plus de 60 dénominations. Ces développements s’étendirent aux relations des sectes bouddhistes du Japon avec les bouddhistes d’autres pays où avait commencé une sorte de “mouvement oecuménique”. Malgré les tensions existant au Japon entre certaines personnalités bouddhistes indépendantes qui avaient des positions influentes dans le mouvement bouddhiste universel et les prêtres dirigeants de plusieurs dénominations, la Seconde conférence mondiale du bouddhisme eut lieu en septembre et octobre 1952. C’était la première grande conférence internationale religieuse à se tenir dans le pays. Depuis lors les échanges ont été très actifs entre le Japon et les pays bouddhistes d’Asie.

Dans le monde du shintô aussi on sentait profondément le besoin d’une coopération plus étroite, d’autant plus que le shintô avait perdu son statut de religion d’Etat conformément à l’ordonnance contenue dans ce qu’on appelle les “Directives à propos du shintô” du 15 décembre 1945, et se trouvait réduit au rang de simple tradition religieuse sur pied d’égalité avec les autres. Pour répondre à ce besoin, en février 1946, une “Association des sanctuaires shintô” fut constituée en tant que personnalité juridique religieuse avec tous les droits afférents, regroupant environ 98% des organisations religieuses locales, qu’il s’agisse de sanctuaires indépendants ou de groupes de sanctuaires. D’autre part, la plupart des groupes classés ordinairement dans la catégorie du “shintô des sectes”, c’est-à-dire des groupes religieux appartenant à la tradition shintoïste sans être rattachés au shintô des sanctuaires nationalisés dans la période de l’avant guerre, ont formé leur propre “Association des sectes shintoïstes” ayant le statut d’une sorte d’organisme de liaison.

Quant à la tradition chrétienne, dès juin 1946, un “Comité de liaison pour les chrétiens du Japon” a été établi, avec la participation de la majorité des Eglises et des Missions protestantes, de l’Eglise catholique romaine, de la Sainte Eglise orthodoxe du Japon et de quelques groupes indépendants.

Toutefois ce sont les “nouvelles religions” qui ressentirent le plus fort un défi à relever. En fait il n’est pas exagéré de dire que, particulièrement dans les années 50, les principaux courants de la ferveur populaire au Japon se sont orientés vers ces religions, ce qui n’a pas été sans créer bien des problèmes ni sans répercussions sur la société dans son ensemble. Les principales organisations parmi ces “nouvelles religions” établirent en 1951 “l’Union des nouvelles organisations religieuses du Japon” avec la participation comme membre principal d’un mouvement laïc bouddhiste dans la tradition de Nichiren, le Risshô Kôseikai. Il est évident qu’une des principales raisons qui amenèrent ces religions à se rapprocher les unes des autres se trouve dans la crainte qu’elles éprouvaient face à la tactique aggressive d’un autre mouvement laïc dans la ligne de Nichiren, la Sôka Gakkai qui, contrairement à la plupart des autres groupements religieux du Japon, revendiquait l’exclusivité de la vérité et mettait ses prétentions en pratique par des campagnes très efficaces de prosélytisme dans tout le pays.

L’ensemble de ces diverses associations et organismes de liaison forme la “Ligue religieuse du Japon”. Cette dernière, sorte de fondation à but non lucratif, est l’organisation la plus englobante à l’échelle du pays. Elle permet aux différents groupes religieux qui lui sont rattachés de rester en relation les uns avec les autres selon le principe d’une association libre pour la communication, l’échange d’informations et la coopération à certains projets spécifiques. Ce serait une erreur de considérer cet organisme chapeautant l’ensemble et les unités qui en sont membres comme des modèles d’institutions permettant le dialogue interreligieux comme il est compris aujourd’hui (à l’exception de l’Association des sanctuaires shintoïstes qui, elle, unit réellement tous les sanctuaires-membres sous la protection d’une même organisation). Pourtant ces associations ont joué, et jouent encore, un rôle important en ouvrant pratiquement la voie à leur membres pour qu’ils établissent entre eux les liens amicaux qui ensuite, sous l’influence des tendances existant dans les milieux religieux et dans la société en général, et par d’autres moyens, peuvent évoluer vers une coopération plus étroite.

Le dialogue dans un sens plus précis, c’est-à-dire la rencontre de personnes ayant des convictions religieuses différentes dans le but spécifique d’approfondir la compéhension mutuelle et la coopération, demande des efforts qui, naturellement, ont progressé plus lentement. Il n’est pas étonnant que la préoccupation qui a d’abord rapproché les diverses religions ait été la question de la guerre et de la paix. Déjà en 1947 une rencontre eut lieu à Tokyo, entre représentants de différentes religions, qui donna l’occasion aux participants d’exprimer leur regret d’avoir été incapables de prévenir la guerre, et de s’engager à ne pas commettre à nouveau la même faute. Cependant c’est dans les années 50 après le déclenchement de la guerre de Corée que les groupes religieux s’engagèrent sérieusement dans la participation au mouvement pour la paix. Différentes rencontres ont eu lieu et des organisations ont été fondées, beaucoup d’entre elles prenant des positions pacifistes radicales, nettement orientées à gauche sur le plan politique. Bien que la plupart des personnalités marquantes du mouvement aient été des clercs ou des laïcs bouddhistes, des chrétiens et des adeptes des “nouvelles religions” se montrèrent également actifs. Par exemple en 1958 lors de la fondation de la “Table ronde des croyants pour l’interdictions des bombes atomiques et à hydrogène”, on put vraiment croire que la coopération entre les religions au sein du mouvement pour la paix était lancée sur la bonne voie, la plupart des groupements religieux étant représentés dans ce mouvement, à l’exception des sanctuaires shintô et de l’Eglise catholique. Mais l’euphorie ne dura pas longtemps. Des divergences d’opinions sur les implications politiques des positions adoptées provoquèrent bien vite des scissions dans le mouvement. Cela n’empêcha pas néanmoins la “Conférence des religions du monde pour la paix” de se tenir à Kyoto en juillet 1961, avec des représentants de près de cinquante pays différents. Cette conférence publia une déclaration appelant au désarmement et à la destruction des armes atomiques et à hydrogène. De même, l’année suivante, la “Conférence des croyants japonais pour la paix”, – organisation officielle née à partir de la Conférence internationale de Kyoto -, poursuivit ses activités à l’intérieur du Japon et à l’étranger. D’un autre côté, les réactions venues de l’intérieur de nombreux groupements religieux contre les choix politiques faits par cette organisation se firent de plus en plus violents. Des groupes comme l’Association des sanctuaires shintô et les “nouvelles religions” affiliées à l’Union des nouvelles organisations religieuses du Japon, spécialement le Risshô Kôseikai, réagirent devant cette situation en constituant une nouvelle alliance pour la coopération entre les religions, la “World Conference on Religion and Peace” (WCRP), qui prit peu à peu la direction des mouvements religieux en faveur de la paix au Japon.

La WCRP a son origine dans l’initiative de quelques fidèles américains, comprenant des catholiques, qui au milieu des années 60 lancèrent l’idée de rassembler des croyants pour un dialogue sur les moyens de promouvoir le respect des droits de l’homme, le développement et la paix du monde. Après de modestes rencontres à New York (1964), Washington (1966) et New Delhi (1968), la première Conférence mondiale eut lieu à Kyoto en 1970 avec la participation de plus de trois cents représentants des principales religions du monde venus de trente neuf pays, l’Eglise catholique romaine s’étant activement engagée dans l’affaire. Cette conférence amena la fondation officielle de la WCRP, ou Conférence mondiale pour la religion et la paix, qui seulement trois ans plus tard obtint le statut d’Organisation non gouvernementale (ONG) reconnue par les Nations Unies. On doit faire remarquer que le succès de la Conférence de Kyoto et des activités de la WCRP a été dû en grande partie aux efforts inlassables, et aussi au soutien financier, du Risshô Kôseikai, ce mouvement laïc de bouddhistes japonais qui est aussi une nouvelle religion, sous la direction de son président et fondateur M. Niwano Nikkyo. Ce dernier se distingua nettement comme un des principaux protagonistes du dialogue dans le pays. A la suite de la Conférence de Kyoto, un Comité japonais de la Conférence mondiale pour la religion et la paix fut également établi en 1972, avec M. Niwano comme premier président et, parmi les membres du comité directeur, l’archevêque catholique de Tokyo, Mgr Pierre Shiraynagi.

Depuis sa fondation, le Comité japonais a été très actif, tant sur le plan national que sur le plan international. Grâce à ses commissions permanentes spécialisées dans les droits de l’homme, le développement, le désarmement, les réfugiés, la jeunesse, les femmes, et les relations publiques, – toutes ces commissions organisant des activités suivies sur la base de projets annuels -, le Comité est toujours la principale institution et le principal instrument de dialogue et de coopération entre les religions du Japon. L’ouverture la plus significatice qu’il ait réalisée est peut-être d’avoir amené les autorités de ces religions à se rencontrer, mais il a aussi mis sur pied plusieurs activités dans lesquelles sont engagés les fidèles de la base, comme des camps de jeunes, des actions communes dans des programmes de développement à l’étranger. Il faut ajouter cependant que si la plupart des organisations religieuses ont tissé des liens avec la WCRP, il y a une exception notable. Pour des raisons doctrinales et autres, une des nouvelles religions qui est aussi le mouvement religieux le plus important, mouvement laïc bouddhiste, la Sôka Gakkai, qui revendique 15 millions d’adhérents (sur une population totale d’environ 125 millions au Japon), a constamment refusé de prendre part au dialogue interreligieux et à la coopération. Qui plus est, la Sôka Gakkai a lancé ses propres mouvements pour la paix et d’autres activités humanitaires qui, en un sens, sont en compétition avec ce qui est fait dans ce domaine par les forces conjuguées des autres religions.

Le rôle prépondérant joué par la WCRP ne signifie pas, cependant, que le dialogue interreligieux et la coopération de ce type aient toujours progressé sans accroc ni controverse. Bien que les religions établies – aussi bien de tradition bouddhiste que de tradition shintoïste – aient participé très activement aux réalisations de la WCRP avec de nombreux représentants des Eglises chrétiennes, on ne peut nier l’existence d’un malaise latent ressenti par elles face à l’autorité prise par le Risshô Kôseikai et par quelques autres personnalités venues des “nouvelles religions”. Spécialement dans la seconde moitié des années 1970, époque où la société japonaise dans son ensemble a paru de plus en plus perméable à l’influence des idées nationalistes, les milieux religieux eux aussi ont commencé à évoluer dans le même sens. Il n’est pas étonnant, en particulier, que dans les milieux du shintô, religion autochtone traditionnelle du Japon,

des voix se soient élevées pour revendiquer la position privilégiée que le shintô a occupée dans le passé, c’est-à-dire la position de représentant par excellence de la culture religieuse du Japon. Cette évolution a eu aussi une certaine influence sur le cours du dialogue interreligieux.

En 1978, un groupe d’une vingtaine de Japonais, adeptes de différentes religions appartenant à une autre organisation pour la coopération entre les religions, appelée “Comité des religions japonaises pour une fédération mondiale”, se rendirent à Rome où ils rencontrèrent le Pape et feu le cardinal Pignedoli, alors président du Secrétariat pour les non-chrétiens. En réalité, si l’on considère ses adhérents, le “Comité des religions japonaises pour une fédération mondiale” ne semble guère différent de la WCRP. Pour parvenir, grâce à cette visite, à un résultat un peu plus consistant qu’un simple contact superficiel, une réunion d’étude de quelques jours avait été organisée à Nemi près de Rome. A l’issue de cette réunion, on suggéra que des rencontres du même genre soient organisées en d’autres lieux pour voir ce que les différentes religions ont à dire en commun sur les problèmes éthiques et pour rechercher les points d’accord possible en ce domaine. Après le retour au Japon des participants japonais à cette réunion, les responsables du shintô prirent l’initiative de constituer une “Conférence des représentants des religions du Japon” chargée de patronner une réunion semblable à celle de Nemi, mais cette fois à l’échelle du monde. Au Vatican, le Secrétariat pour les non-chrétiens manifesta d’abord de l’intérêt pour cette sorte de suite donnée à la rencontre de Nemi, et se montra disposé à la patronner avec d’autres. Mais il s’avéra que de nombreux groupes de religieux japonais et la Conférence des évêques du Japon, ces derniers ayant été mis en garde par les membres des Instituts chrétiens de recherche engagés dans le dialogue, étaient fort sceptiques sur les intentions des organisateurs: on craignait entre autres que ceux-ci ne cherchent à obtenir l’aval du Vatican pour des idées favorables au nationalisme japonais. Aussi le Secrétariat romain chercha-t-il à se désengager, en confiant au “Comité pour les non-chrétiens” de la Conférence des évêques du Japon le soin d’organiser la participation catholique à la réunion. La réunion projetée fut plusieurs fois retardée pour différentes raisons, mais elle eut finalement lieu à Tokyo, en juin 1981, de manière beaucoup moins grandiose que prévu à l’origine, avec seulement quinze participants étrangers. On en parle comme du WOREC meeting, c’est-à-dire la réunion du “World Religionists Ethics Congress”, ou Congrès des religions du monde pour l’éthique. Les difficultés survenues à cette occasion ont au moins eu l’heureuse conséquence de beaucoup stimuler la réflexion sur la nature et l’avenir du dialogue dans le pays.

La complication des relations entre toutes ces différentes organisations et les luttes d’influence toujours latentes pour en prendre la direction n’ont pas empêché ce type de dialogue interreligieux et de coopération de se poursuivre jusqu’à ce jour à un haut niveau institutionnel. Parmi les événements de ces dernières années, on trouve en particulier un bon exemple illustrant la situation avec le “Sommet religieux du mont Hiei”, tenu en août 1987 au temple Enryakuji sur le mont Hiei près de Kyoto, temple principal de l’Ecole bouddhiste Tendai, qui célébrait le 1 200ème anniversaire de sa fondation. Ce sommet, qui rassembla à nouveau des représentants des religions du monde entier, avait été organisé comme une suite à la rencontre de prière convoquée par le pape Jean-Paul II à Assise l’année précédente. Il est à noter que l’organisation du Sommet religieux du mont Hiei a été entreprise par les institutions constituant la “Conférence des représentants des religions du Japon”, avec la collaboration sans réserve du “Comité japonais de la conférence mondiale sur la religion et la paix” et du “Comité des religions du Japon pour une fédération mondiale”, en un mot sous les auspices d’organisations qui en même temps se recoupent les unes les autres et sont rivales entre elles.

A côté de ce dialogue de nature “diplomatique”, mené particulièrement entre les responsables religieux, qui rend possible un certain degré de collaboration pour des causes indiscutables comme la paix du monde et qui a donné naissance à un large éventail d’organisations en compétition les unes avec les autres au niveau national comme au niveau international, un dialogue de nature plus strictemenet religieuse s’est également poursuivi. Ce dernier type de dialogue est peut-être moins visible que celui qui a été décrit plus haut mais, en réalité, il a pris tout autant sinon davantage de formes diverses et il est pris en charge par des personnalités religieuses ou des spécialistes agissant à titre individuel aussi bien que par un certain nombre d’instituts académiques spécialisés en ce domaine.

C’est un fait qu’au Japon les initiatives pour un dialogue de ce type entre adeptes de fois différentes ont été presque toujours prises par les chrétiens. Des instituts et centres d’études bouddhistes organisent de temps en temps des conférences et des discussions auxquelles sont invités des conférenciers chrétiens. On trouve en différents cercles un certain intérêt pour l’étude et un désir d’apprendre quelque chose du christianisme. Mais aucun centre bouddhiste spécialisé ne semble faire de ces échanges son souci principal. Peut-être doit-on faire une exception pour la seule Société du bouddhisme d’Orient à Kyoto, qui depuis ses origines en 1921 a joué un rôle important de pont entre le bouddhisme japonais et le christianisme. Son principal objectif a été de présenter le bouddhisme au monde anglophone de manière à le rendre accessible, et nécessairement le dialogue bouddhiste-chrétien est devenu partie intégrante de son effort. Suzuki Daisetsu, qui dirigea la Société pendant les premières décennies, a marqué l’entreprise de son empreinte personnelle et, après sa mort en 1966, la Société a fait des efforts considérables pour poursuivre l’action dans l’esprit de Suzuki. Son journal, Le bouddhiste d’Orient publie des articles sur le bouddhisme, et tient également sa place dans le dialogue en cours entre l’Est et l’Ouest, le christianisme et le bouddhisme. Ces dernières années, il a aussi patronné un certain nombre de séminaires sur le Zen, sur le bouddhisme Shin, et sur des sujets connexes. Société bouddhiste dont les responsables combinent la compétence académique et la foi bouddhiste, société ouverte à des gens de toutes les nationalités et de toutes les religions, elle constitue un forum unique pour le dialogue entre croyants.

Du côté chrétien, les premiers efforts officiels, pour étudier les religions non chrétiennes du Japon dans un esprit de dialogue, ont été entrepris par des missionnaires protestants. Déjà en 1954, un groupe de responsables religieux représentatifs de toutes les croyances du Japon, parmi lesquels se détachait un missionnaire américain, William P. Woodard, fondait “l’Institut international pour l’étude des religions”, comme un centre indépendant, sans attaches sectaires, à but non lucratif. Sous l’implusion du professeur Woodard, son premier directeur, ce Centre patronna des cours et des conférences, et joua d’une certaine façon un rôle de pionnier en favorisant la compréhension entre les religions. La nature du Centre changea quelque peu par la suite, pour évoluer vers l’étude strictement académique, publiant ses travaux dans des publications en japonais et spécialement dans une périodique en anglais, le “Japanese Journal of Religious Studies” (précédemment “Contemporary Religions in Japan”). Quand l’Institut dut fermer ses portes en 1980 pour différentes raisons, le Journal fut confié au “Nanzan Institute for Religion and Culture” (voir ci-dessous) qui a poursuivi sa publication jusqu’à ce jour. En 1987 l’Institut international pour l’étude des religions a repris ses activités mais en se cantonnant à des sujets purement académiques.

Le Centre qui a probablement fait les efforts les plus constants pour promouvoir le dialogue entre croyants au Japon est le “NCC Center for the Study of Japanese Religions” de Kyoto. A l’origine, il a été fondé comme un Institut indépendant par un missionnaire danois, Harry Thomsen, dans le but de promouvoir la connaissance des religions japonaises en vue d’un témoignage missionnaire plus adapté. Il obtint bientôt des assises oecuméniques plus larges quand il devint en 1959 un “Centre d’études du conseil national des Eglises chrétiennes” (National Christian Council ou NCC), sous la direction du professeur Ariga Tetsuro et, plus tard, du professeur Doi Masayoshi, qu’on peut considérer à bon droit comme l’un des plus grands pionniers du dialogue interreligieux au Japon. Les activités du Centre NCC sont multiples. A partir des simples efforts faits au début pour étudier les autres croyances “en vue d’un témoignage efficacetoute une série d’études diverses et de programmes de dialogue se sont développés. Parmi les programmes patronnés par le Centre on peut mentionner:

-les conférences mensuelles sur les Ecritures bouddhistes, commencées en 1966

– les séminaires de trois jours, tenus annuellement, pour les chrétiens japonais dans les temples principaux et d’autres centres religieux, commencés en 1964

– les séminaires annuels de trois jours pour les missionnaires, semblables à ceux qu’on vient de mentionner, commencés en 1974

– les comptes-rendus bi-annuels “Japanese Religions” et “Deai” (en japonais) tenant lieu de forums pour le dialogue et l’information.

Le Centre NCC a également joué un rôle essentiel dans l’organisation des forums suivants:

– La Conférence-table ronde sur la religion, patronnée par le Centre NCC et par quatre centres d’études bouddhistes à Kyoto. Elle se réunit quatre ou cinq fois par an pour discuter de problèmes communs d’intérêt vital, depuis 1968.

– La Conférence sur la religion dans la société moderne (Conference On Religion in Modern Society CORMOS) qui est une rencontre bi-annuelle de responsables religieux et d’universitaires, encouragée par un bon nombre de religions et d’instituts. La première rencontre a eu lieu en 1971 à l’initiative du professeur Doi et du Père Joseph Spae. (Actuellement les rencontres sont réduites à une par an, et le secrétariat est installé dans un institut dépendant d’une secte bouddhiste).

La contribution des catholiques à ce genre de dialogue est fournie par trois instituts, dont le plus ancien est “l’Institut Oriens pour la recherche religieuse” fondé en 1959 par le Père Joseph Spae, C.I.C.M., (Missionnaires de Scheut), et dirigé encore actuellement par des membres de cette congrégation. Il a eu pour souci principal les problèmes de la catéchèse au service de la communauté catholique du Japon. L’étude des religions japonaises s’est développée comme un secteur de sa recherche catéchétique. Tout spécialement sous la direction de son fondateur et premier directeur, le P. Joseph Spae, l’Institut a travaillé activement à promouvoir le dialogue entre croyants, effort poursuivi

ensuite par plusieurs autres membres de la Société de Scheut tant comme une partie du programme de l’Institut Oriens que dans d’autres cadres. A côté du matériel catéchétique édité par lui en japonais, une des publications les plus connues de l’Institut est le “Japanese Missionary Bulletin”, périodique autrefois bilingue et, depuis quelques années, rédigé en anglais seulement.

Le deuxième institut catholique, “l’Institut pour l’étude des religions orientales” de l’université jésuite Sophia à Tokyo, a été fondé en 1970 comme aboutissement naturel d’années de recherches sur le bouddhisme menées par différents savants jésuites comme les Pères Enomiya Lasalle et Heinrich Dumoulin, ce dernier ayant été le premier directeur. Cet institut a mis à la disposition des chercheurs une bibliothèque et des facilités pour la recherche, mais il a aussi grandement contribué au dialogue entre bouddhistes et chrétiens par une série de conférences annuelles faites par des bouddhistes, des chrétiens et des responsables ou universitaires d’autres religions, et publiées par la suite. Le directeur actuel, le Père Kadowaki Kakichi, a été un des artisans du “Programme d’échanges spirituels entre l’Est et l’Ouest” (cf ci-dessous).

Enfin, il faut mentionner “l’Institut Nanzan pour la religion et la culture” fondé en 1975 et relié à l’université Nanzan dirigée par les Missionnaires de la Société du Verbe Divin. Comme son nom l’indique, l’institut vise à trouver des bases pour l’étude et le dialogue en embrassant tous les aspects de la culture japonaise, la religion populaire aussi bien que les religions établies, la philosophie et la théologie. A côté de la participation de ses membres aux rencontres pour le dialogue interreligieux patronnées par d’autres organismes, l’institut organise lui-même des symposiums au cours desquels un petit nombre de chrétiens discutent tel problème spécifique avec des universitaires d’autres religions. Alors que les trois premiers symposiums avaient concentré leur attention sur certains aspects de la rencontre en cours entre bouddhistes et chrétiens, traitant des thèmes comme le “Néant Absolu et Dieu”, le quatrième a exploré un nouveau terrain en permettant une rencontre entre christianisme et shintô sur le thème “La religion, l’universel et le particulier”. Ensuite les symposiums ont repris des thèmes davantage orientés vers le bouddhisme. L’Institut Nanzan s’est spécialement fait connaître en procurant des facilités aux universitaires japonais et étrangers désirant faire des recherches sur la religion en Orient, en prenant réellement part aux rencontres de dialogue, et par ses multiples publications. Outre la publication du périodique académique, “Japanese Journal of Religious Studies”, mentionné ci-dessus, un “Bulletin” annuel, et “Interreligio”, bulletin officiel de l’association du même nom, laquelle est un réseau d’organisations chrétiennes pour la rencontre entre les religions en Asie de l’Est, constitué de représentants d’environ vingt centres de différents pays, les “Symposia Proceedings” (en japonais), et des livres en anglais sur divers aspects de la religiosité en Asie ont attiré l’attention des personnes intéressées par les études en ce domaine et par le dialogue.

Depuis 1977 les trois instituts chrétiens énumérés ci-dessus ont formé une sorte d’association, appelée “Ecumenical Group for the Study of Interfaith Dialogue” (EGSID), soit “Groupe oecuménique d’études du dialogue entre croyants”, qui se réunit deux fois par an pour échanger des informations et discuter des sujets d’intérêt commun.

De par sa nature académique, le travail effectué par les instituts chrétiens pour le dialogue se focalise d’abord sur des rencontres au niveau doctrinal (philosophique et théologique) qu’il s’agisse de conférences ou d’enseignement de ce type donnés par les

instituts eux-mêmes ou de la participation de leurs membres à des activités organisées ailleurs. Il va sans dire que ces conférences et autres rencontres interreligieuses ne sont que la partie visible d’une recherche plus profonde. Elles visent à renvoyer les participants à leurs études pour une recherche plus approfondie sur les autres religions et, peut-être plus encore, à une intense réflexion sur leurs propres traditions. Il faut noter ici qu’au Japon cet effort de recherche et de réflexion personnelles a précédé de beaucoup l’époque des conférences interreligieuses patronnées par les instituts, et qu’aujourd’hui encore un bon nombre d’individus sont activement engagés dans le dialogue hors du cadre institutionnel.

En outre, il faut faire remarquer que ces dernières années des tentatives pour prendre part au dialogue au plan doctrinal ont été faites par des gens venant de milieux qui, du moins dans le monde officiel de la religion au Japon, ne sont pas nécessairement considérés comme fréquentables. Il va sans dire que cette évolution a parfois mis les individus et les instituts engagés dans le dialogue dans une situation délicate. A ce propos il faut parler des rencontres interreligieuses organisées par l’Eglise de l’unification (connue en France comme secte Moon), dont il faut reconnaître que le niveau académique est assez relevé, et des “Conférences internationales de savants et de responsables religieux pour façonner l’humanité future” patronnée par le Mahikari, une nouvelle religion japonaise qui, en sa courte existence d’environ trente ans seulement, est parvenue à attirer des milliers d’adhérents aussi bien au Japon qu’à l’étranger, en leur proposant un curieux mélange de nobles idéaux de paix et de pratiques magiques de guérison tout à fait irrationnelles.

Une autre forme de dialogue interreligieux, allant plus loin, se trouve dans les efforts pour un partage de spiritualité. Parmi les expressions institutionnalisées de ce type de dialogue on trouve le “Colloque bouddhiste et chrétien”, appelé aussi “Conférence d’Oiso”, parce qu’inauguré dans la ville japonaise du même nom en 1967 par un quaker américain, qui existe depuis plus de vingt ans. L’intention était d’entreprendre un dialogue en profondeur, un partage de spiritualité et d’expérience religieuse. Le groupe s’est rencontré deux fois par an au début, puis plus tard une fois chaque année, et a manifestement été une source d’inspiration pour les participants, principalement des catholiques romains et des adeptes du Zen, mais aussi des protestants et des bouddhistes Shin. Comme la “Conférence d’Oiso” insiste sur la nécessité d’une absolue sincérité et du partage en profondeur, les discours et les discussions n’ont jamais été enregistrés. C’est pourquoi elle n’a pas produit de “résultat” substantiel en termes de compte-rendus et autres rapports. Mais elle a par ailleurs grandement contribué à créer une atmosphère de franchise et de confiance entre bouddhistes et chrétiens.

De nature plus officielle sont les “Echanges spirituels Est-Ouest”, patronnés en même temps par les Instituts catholiques de Nanzan et de Sophia avec des partenaires bouddhistes. Ces échanges ont commencé en septembre 1970 avec une quarantaine de moines et de moniales bouddhistes, auxquels s’étaient joints également deux prêtres shintoïstes, partageant pendant trois semaines la vie monastique de monastères bénédictins et trappistes d’Europe, visite couronnée par une audience du pape Jean-Paul II à Rome. Cette première expérience fut suivie en 1983 par une visite en retour de quinze moines de différents Ordres et de deux religieuses bénédictines, de plusieurs pays d’Europe. Venus au Japon, ils se familiarisèrent avec la vie dans les monastères Zen et participèrent à un “sesshin” (sorte de retraite Zen). Dans les années suivantes également, – en 1988 de nouveau une visite de moines japonais en Europe, et en 1990 la visite en

retour de religieux européens au Japon -, le projet a été poursuivi, basé sur la ferme conviction que le dialogue interreligieux ne sera jamais authentique et fructueux aussi longtemps qu’il se limitera à des discussions sur la doctrine et le dogme. C’est seulement quand le dialogue atteint le niveau de l’expérience religieuse qu’il peut devenir vraiment une communion.

A côté de ces deux foyers, de rencontres organisées dans un but pratique, il faut conclure en mentionnant des lieux où se réalise de manière plus suivie une sorte d’échange spirituel. Leur existence témoigne de la vitalité d’un mouvement, souvent appelé “Zen chrétien”, dont l’initiateur a été le Père jésuite Enomiya Lassalle, maintenant décédé. Ce mouvement intègre les formes Zen de méditation dans la spiritualité chrétienne et organise des retraites au Japon et à l’étranger dans la ligne des “sesshin” du Zen. On suppose, car il n’y a pas de statistiques disponibles, que le mouvement a quelques centaines d’adeptes au Japon, principalement des religieuses et des laïcs catholiques. Il est à l’origine de différents centres de spiritualité Zen et chrétienne. Le “monastère Zen” catholique, Shinmeikutsu, fondé par le Père Lasalle dans la banlieue de Tokyo est probablement l’établissement de ce type le plus connu. Le rythme et le cadre de vie de ce monastère sont une imitation assez stricte des modèles bouddhistes. Une autre communauté, qui s’inspire du Zen de manière beaucoup plus souple, est celle du Père dominicain Oshida Shigeto à Takamori dans la préfecture de Nagano. La vie de communauté n’était pas prévue à l’origine mais s’est développée spontanément autour de la petite ferme du Père Oshida; elle fonctionne comme communauté de partage du travail et de la prière, ouverte à tous. Le Zazen (méditation dans la posture assise) est intégré tout naturellement dans le programme des activités journalières. C’est un lieu unique de rencontre pour les chrétiens, les bouddhistes, les athées et les hommes en quête de vérité, totalement ouvert et cependant pénétré d’esprit chrétien. Nous pouvons mentionner enfin la “Maison de prière et de rencontres interreligieuses” fondée il y a quelques années dans la préfecture de Kumamoto par un missionnaire xavérien, le Père Franco Sottocornola. Cette maison est la partie chrétienne d’un temple bouddhiste.

Toutes ces initiatives et d’autres analogues contribuent grandement à faire reconnaître et à adapter la dimension contemplative du christianisme sur la scène japonaise.

3. Nature du dialogue et difficultés qu’il comporte

La description faite ci-dessus des différents types de dialogue interreligieux et de coopération entrepris au Japon, et cette description est certainement loin d’être exhaustive, montre clairement qu’il s’agit en réalité d’un phénomène de nature très complexe qui autorise naturellement plusieurs interprétations divergentes et qui, en conséquence, soulève nombre de difficultés. Un examen des raisons variées pour lesquelles le dialogue interreligieux est devenu si florissant au Japon spécialement pendant les deux ou trois dernières décennies pourra nous donner quelques clefs pour mieux comprendre.

On ne peut nier que l’intérêt pour le dialogue interreligieux a été grandement favorisé par la situation générale du monde. En particulier depuis les années 1970, avec entre autres événements, ce qu’on a appelé le choc pétrolier, les hommes ont de plus en plus pris conscience que seule une action conjointe de toute l’humanité peut sauver la planète de l’anéantissement. L’humanité possède les moyens de se détruire elle-même mais,

d’autre part, le progrès des techniques de communication a rendu possible, si la bonne volonté suffisante est là, la recherche d’une solution à la crise. La conscience qu’ont les hommes d’être dépendants les uns des autres a naturellement affecté les religions et les a poussées à chercher les voies qui leur permettront d’apporter leur propre constribution pour remédier à la situation de la planète. On peut désigner le dialogue interreligieux comme une des démarches qui s’avèrent efficaces pour stimuler les efforts en ce domaine. Une sorte de sensibilité particulière aux évolutions du monde semble exister au Japon, qui provoque des réactions, de nature plutôt pragmatique, pour rester en phase avec les besoins de l’époque. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup des religions japonaises aient sauté avec enthousiasme dans le train en marche, devenant d’ardents promoteurs de cette coopération, trouvant une justification rationnelle de son opportunité dans cette idée, chère aux milieux religieux du Japon, que “toutes les religions poussent à partir des mêmes racines

Un autre facteur a joué de façon concomitante: la situation de la religion elle-même dans la société d’aujourd’hui. Pendant les dernières décennies ce n’est pas seulement la division du monde en deux blocs, maintenant en voie de disparition, le soi-disant monde libre et le monde dominé par l’athéisme, mais aussi le processus de sécularisation en cours dans le monde libre, qui ont été les sujets constamment repris dans les cercles religieux. L’idée de constituer une sorte de front commun des religions pour faire face à la situation n’est qu’une conséquence naturelle de cette manière d’interpréter la réalité sociale. Bien que ce sentiment de crise de la religion en tant que telle n’ait peut-être pas été aussi fort au Japon qu’ailleurs, cette idée a été facilement adoptée, ne serait-ce que pour montrer que les religions du Japon sont sur le même pied que les autres religions du monde. D’autres facteurs, propres au Japon, auxquel on a fait allusion plus haut, ont contribué à faire prendre conscience d’un besoin: les changements survenus dans la structure du monde religieux au Japon, par suite de la diminution des contrôles gouvernementaux et de la complète liberté garantie par la Constitution d’après guerre, ont obligé les groupes religieux à trouver par eux-mêmes un modus vivendi entre eux, et beaucoup se sont sentis menacés par le prosélytisme militant de ce mouvement bouddhiste laïc sectaire qu’est la Sôka Gakkai.

En outre, au moins dans le cas de certains groupes religieux, la participation au dialogue interreligieux et la coopération avec d’autres se sont avérées être une chance pour les groupes en question, en donnant au tout venant de leurs membres l’occasion de faire quelque chose qui en vaille la peine, de pouvoir être fiers de leurs activités et ainsi renforcés dans leur adhésion religieuse, d’autant plus que ces activités rehaussaient grandement la respectabilité de ces groupes tant aux yeux des fidèles eux-mêmes qu’à ceux des gens de l’extérieur quand les responsables pouvaient montrer qu’ils étaient acceptés comme des partenaires à part entière dans une entreprise ayant la faveur de l’opinion.

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la nouvelle attitude de l’Eglise catholique romaine envers les autres religions, voulue par Vatican II, soit devenue un élément important du décor dans cette atmosphère de dialogue qui s’est développée au Japon depuis les années 1960 et 70. Les religions non chrétiennes du Japon n’ignorent pas l’influence qu’exerce l’Eglise sur le plan mondial grâce à son autorité morale et politique, bien que le nombre des catholiques au Japon même soit très minime. La reconnaissance de cette importance de l’Eglise s’est encore accrue du fait que dans la société japonaise en général le thème de “l’internationalisation”, avec insistance sur la responsabilité du

Japon dans la communauté internationale, a de plus en plus retenu l’attention du public. Comme l’enseigne l’histoire, il n’est pas rare que des événements ou des personnalités particulières jouent le rôle de catalyseurs dans les développements de ce genre. Cela a été vrai au Japon aussi. Il faut mentionner spécialement un événement qui a servi de point de départ au dialogue entre l’Eglise catholique et les religions du Japon, en particulier les “nouvelles religions”, en même temps qu’il est un exemple permettant de comprendre les développements ultérieurs en ce domaine dans ce qu’ils ont eu de plus ou moins positif. En septembre 1965, le président du Risshô Kôseikai, Niwano Nikkyo, se rendit en visite à Rome, où il eut une audience avec le Pape Paul VI et fut invité à assister à la session alors en cours du deuxième Concile du Vatican, comme “visiteur”. C’est un résultat de cette rencontre que, sous la conduite de Niwano et du Risshô Kôseikai, le dialogue interreligieux ait pris au Japon une importance inconnue jusqu’alors, et ait permis la mise en route des différentes activités qui ont été décrites plus haut. En un mot, c’est à juste titre que cet événement a été salué comme faisant date dans l’histoire des rencontres entre religions. On ne peut nier qu’il ait vraiment marqué un tournant, en particulier dans les relations de l’Eglise catholique et des milieux religieux du Japon, puisqu’il a été à l’origine de contacts toujours en progrès depuis lors et de l’engagement de l’Eglise catholique dans la Conférence mondiale pour la religion et la paix comme dans d’autres formes de dialogue et de coopération qui ont vu le jour quelques années plus tard.

Cependant, il faut faire ici quelques réserves. Ce qui précède pourrait donner l’impression que le dialogue interreligieux est une affaire d’intérêt primordial, non seulement dans les milieux religieux mais dans la société japonaise en général. Cette impression est renforcée par le rôle bien visible joué dans le dialogue interreligieux à l’échelle mondiale par certaines religions japonaises, comme par exemple le Risshô Kôseikai. Nous avons déjà mentionné leurs activités au sein de la “Conférence mondiale pour la religion et la paix”. Nous pourrions y ajouter les nombreuses visites que leurs responsables, et d’autres représentants des milieux religieux japonais, font au Vatican et à d’autres centres religieux dans le monde.

Le contexte dans lequel se déroule le dialogue interreligieux au Japon, comme on l’a souligné dans la première section de ce dossier, nous invite à ne pas exagérer l’importance de la religion, en particulier des religions organisées, dans la société japonaise. D’abord, au simple niveau du fonctionnement du système, les organisations religieuses sont en général “quantité négligeable” au Japon, bien davantage encore que dans les sociétés dites sécularisées de l’Ouest. Quelques unes d’entre elles peuvent être courtisées par les politiciens et éprouver l’impression d’être une force respectée dans la société. La plupart de leurs activités n’en ont pas moins que peu ou pas d’effet sur la marche de la société, et les hommes au pouvoir agissent en conséquence, manifestant le plus souvent une douce indifférence à ce qui se passe dans le domaine religieux. En outre, il ne faut pas oublier non plus que le nombre des gens qui ont une claire conscience “d’appartenir” à une organisation religieuse ne représente qu’une petite minorité de la population totale du Japon. C’est pourquoi les orientations prises dans les milieux religieux, comme l’insistance sur le dialogue et la coopération, atteignent rarement l’ensemble de la population, et quand exceptionnellement cela arrive c’est le plus souvent à propos de questions qui n’ont que très peu à voir avec les préoccupations purement religieuses, comme les affaires de fraude fiscale ou autres scandales vrais ou supposés. On peut trouver un exemple de cet état des choses dans la couverture faite par la presse d’une conférence sur le désarmement aux Nations Unies à New York il y a

quelques années: un des principaux journaux japonais ayant tenté d’alerter ses lecteurs sur l’importance de la rencontre avait signalé, dans son sous-titre, que “même les croyants et les lesbiennes” semblaient intéressés par l’événement. Ce qui est dit là à propos de la société dans son fonctionnement doit être dit également à propos des individus. La plupart des Japonais n’ont pas beaucoup d’intérêt pour les tentatives de dialogue interreligieux, parce que les activités, proposées par les organisations religieuses quelles qu’elles soient, excercent peu d’attrait sur eux aussi longtemps qu’elles n’affectent pas leur propre vie. De plus, habitués comme ils le sont au pluralisme, dans la société comme dans leur vie personnelle, ils semblent se satisfaire du “compartimentage” traditionnel selon lequel chaque tradition religieuse reçoit son dû au moment convenable. Ce système, il est vrai, suppose que les diverses traditions respectent l’harmonie de l’ensemble. Mais cet idéal est suffisamment atteint grâce à une coexistence pacifique qui maintient les cloisonnement et, dans l’esprit de la plupart des gens, ne requiert pas davantage de contacts réciproques. On devrait peut-être ajouter ici que, dans cette “vision polythéiste”, la division de la chrétienté en Eglises et dénominations diverses n’est pas non plus nécessairement considéré comme quelque chose de négatif, – certains même voient là une qualité -, à moins bien sûr que la division ne conduise à un antagonisme ouvert entr