Eglises d'Asie

Religion, pouvoir, argent: la difficile alchimie du Soka Gakkai

Publié le 18/03/2010




Les moines bouddhistes du Nichiren Shoshu sont en conflit ouvert avec les dirigeants de la branche laïque du mouvement, mondialement connue sous le nom de Soka Gakkai (5). Nonobstant les querelles doctrinales, un énorme empire financier et un poids politique considérable sont les enjeux de la bataille.

Nikken Abe, le grand-prêtre de la secte Nichiren accuse le Soka Gakkai d’avoir usurpé l’autorité sacerdotale réservée aux prêtres, d’être corrompu et vénal, et de se comporter comme si le Soka Gakkai était une religion de plein droit. Il dénonce en particulier les leaders laïcs pour avoir accaparé des fonctions réservées au clergé et bien rémunérées telles que la célébration des mariages et des enterrements. « Une personne qui désobéit au grand-prêtre est certaine de tomber dans l’enfer de la souffrance éternelledit Nikken Abe.

La menace n’impressionne guère les dirigeants du Soka Gakkai. Son président, Einosuke Akiya réplique: « C’est grâce à nos efforts que le Nichiren Shoshu a augmenté le nombre de ses fidèles et que le revenu des moines est substantiellement plus important qu’auparavant. Mais ceux-ci sont devenus corrompus et ils s’accrochent à de vieilles doctrines démodées: ils voudraient créer un monde entièrement centré sur les prêtresLes chefs du Soka Gakkai n’hésitent pas par ailleurs à brocarder ces moines qui font de pieux sermons sur la simplicité de vie tout en fréquentant les hôtels de luxe et en roulant dans des voitures de sport « rouges ».

Le contrôle de l’immense empire financier du Soka Gakkai, l’influence politique souvent déterminante qu’il exerce à travers le parti Komeito ne laissent pas indifférents les milieux politiques japonais qui suivent attentivement l’évolution du conflit. Ce parti peut en effet souvent faire la différence à la diète japonaise en soutenant ou non le gouvernement. En ce moment, le premier ministre voudrait en particulier obtenir le soutien du Komeito pour son projet de loi controversé visant à permettre aux militaires japonais de participer aux missions de paix des Nations Unies. Ce projet de loi est considéré par beaucoup de bouddhistes pacifistes comme une manière détournée de permettre le réarmement du Japon. Ils sont prêts à accuser le Komeito d’abandonner les principes fondamentaux du bouddhisme.

Le conflit entre la secte Nichiren et le Soka Gakkai a considérablement diminué la fréquentation des temples de la secte, ce qui nourrit l’amertume de certains fidèles bouddhistes: « Tout cela ne s’explique que par l’argent, le pouvoir et la convoitisedéclare par exemple l’un d’entre eux, partisan du grand-prêtre de Nichiren Shoshu.

L’affaire illustre en tout cas le virage radical accompli par le Soka Gakkai depuis les années 50: « C’était à cette époque-là la voix des défavorisés, celle du Parti communiste, commente Shin-ichi Nakazawa, anthropologue spécialiste des religions, mais c’est devenu aujourd’hui un mouvement prospère, conservateur, lié au pouvoir économique et politique: le Soka Gakkai est en train de perdre sa raison d’être