Eglises d'Asie

UNE EGLISE QUI SORT DE L’OMBRE Une interview du P. Anthony J. Sharma, s.j.

Publié le 18/03/2010




Quelles difficultés étaient celles de l’Eglise au Népal avant que ne soit pris le tournant vers la démocratie?

Avant l’époque du mouvement démocratique, nous n’étions pas libres. Nous ne pouvions même pas circuler. Si, pour quoi que ce soit, nous sortions de la vallée de Katmandou, nous devenions suspects. En dépit de cela, nous avons commencé à devenir plus actifs au début des années 80. Nous nous sommes mis à créer des écoles. C’était la seule façon de contourner l’interdiction, car l’éducation est un des grands besoins du pays. De cette manière nous avons gagné une certaine crédibilité dans la population. Mais cela ne nous a pas empêchés d’être parfois arrêtés, harcelés et menacés. Deux ou trois fois, j’ai dû me défendre contre des accusations, tout à fait sans fondement, selon lesquelles je faisais du prosélytisme.

Qu’est-ce qui a changé depuis l’établissement d’une démocratie multipartite?

Les droits de l’homme ont été reconnus. Le peuple a eu son mot à dire quand fut rédigée la nouvelle Constitution. C’est à partir de ce moment-là que trois nouvelles communautés religieuses ont pu se faire enregistrer par le gouvernement: les soeurs de Nazareth, les pères et les soeurs de Maryknoll, et les missionnaires de la Charité, de Mère Teresa. Nous n’avons plus le sentiment d’un handicap ou d’un quelconque obstacle. Une des choses que nous essayons de faire est d’obtenir la citoyenneté népalaise pour les nombreux catholiques qui ont émigré depuis Darjeeling en Inde et qui se trouvent ici depuis déjà pas mal d’années.

L’Eglise est-elle en croissance?

Depuis que s’est manifesté le mouvement prodémocratique, un certain nombre de personnes se sont intéressées à l’Eglise et viennent s’enquérir de ce qu’est notre foi. Mais notre réponse ne diffère pas de ce qu’elle aurait été auparavant. Nous ne tenons pas à mettre en route une évangélisation agressive. Nous leur disons: « Venez nous voir, et apprenez à nous connaître pendant une période de deux ans ». Ainsi on peut arriver à découvrir les motivation réelles.

L’Eglise est-elle désormais en mesure d’atteindre toutes les régions du Népal?

Au Népal oriental nous avons une école, et aussi un centre de formation pour femmes. Il y a maintenant à Pokhara, dans le centre du pays, une communauté contemplative des missionnaires de la Charité, ainsi que deux prêtres. Vers l’ouest, six religieuses japonaises dirigent une école, et une autre école va s’ouvrir à Gorkha. Au sud, des religieuses s’occupent d’enfants mentalement et physiquement retardés; au début de 1992, nous aurons dans ce coin là une petite école primaire, ce qui sera une bonne chose pour les enfants handicapés. Bon nombre de ces réalisations étaient déjà en préparation avant que ne se déclenche le processus de démocratisation, mais à l’heure actuelle nous travaillons avec davantage de confiance et dans un bon climat de sécurité. Nous avons en tout 113 religieux et religieuses répartis dans 24 institutions de plus ou moins grande taille.

Quelles sont les difficultés que rencontre encore l’Eglise du Népal?

Les missionnaires étrangers ne peuvent avoir de visas – renouvelables – que pour un an seulement. Ils ne peuvent d’ailleurs pas venir en tant que missionnaires. Il leur faut une quelconque qualification, grâce à laquelle ils pourront apporter au pays une contribution valable dans le domaine de l’éducation.

Pensez-vous que le nouveau gouvernement va pouvoir améliorer le niveau de vie des Népalais?

Tel est bien notre espoir. Le Népal est encore une nation mendiante. Nous ne pouvons pas faire grand-chose si nous ne recevons pas d’aide du dehors. C’est là un état de pauvreté matérielle, mais spirituellement les gens sont riches. Ils ont une manière d’accepter leur situation, qui ne peut être que le fruit d’un esprit profondément religieux. Depuis l’instauration de la démocratie, le peuple est débordant de toutes sortes d’idées neuves. J’espère que cela ne lui fera pas perdre sa mentalité religieuse.

Combien y a-t-il de chrétiens au Népal?

Le décompte final pour l’Eglise catholique n’est pas encore définitivement établi, mais il semble que nous sommes environ 4 000. Il y a aussi dans les environs une vingtaine d’Eglises protestantes de toutes « dénominations ». Elles ont davantage de fidèles que nous. Certains assurent qu’ils pourraient être quelque 300 000. Mais leur façon d’opérer est très différente de la nôtre. Si nous voulions nous mettre à une évangélisation agressive comme la leur, le nombre de catholiques augmenterait lui aussi. Mais je crois plus sage d’y aller avec plus de douceur, parce que l’on obtient ainsi des résultats plus stables, fondés sur une conviction plus sérieuse de la part de ceux qui nous rejoignent.

Quelles sont les priorités pour la paroisse St-François Xavier?

Comme notre clergé n’est pas très nombreux, je crois que les laïcs ont à jouer un rôle d’autant plus important. Six membres de notre laïcat viennent tout juste de terminer un cours d’Ecriture sainte au Philippines. Nous en avons un autre qui a participé à un séminaire sur les médias, et quelques-uns encore se sont rendus en Inde, à Patna, où se tient ces jours-ci un colloque sur la liturgie. Nous n’avons pas encore de conseil paroissial. Aussi, une des premières choses dont devra s’occuper le nouveau curé, le P. K.C. Paul, sera d’en former un; dès lors, tout un ensemble de responsabilités pourront être transférées au laïcat. Pour l’instant, nous n’avons pas encore non plus de catéchiste en titre, mais un de nos laïcs est en train d’accomplir deux années d’études à Rome. Quand il nous reviendra, il pourra mettre sur pied un programme de catéchèse.

Quelles sont vos vues d’avenir?

Jusqu’ici, nous avons mis l’accent sur l’éducation; il en sera encore ainsi pour quelque temps. L’éducation peut recouvrir un tas de choses: santé et hygiène, alphabétisation des adultes, souci des handicapés. Nous avons encore d’autres préoccupations, ainsi par exemple en ce qui concerne les drogués. Quelques uns d’entre nous se sont aussi lancés dans la recherche, pour pouvoir mieux comprendre le bouddhisme et l’hindouisme. Je suis très optimiste. Mais nous préférons à la course du lièvre celle de la tortue, toute en persévérance. Si nous nous écartions de ce principe, surtout pour le catéchuménat, je crois que nous aurions à subir de fâcheuses conséquences.