Eglises d'Asie

ARUNACHAL PRADESH: UNE EGLISE DE LAICS

Publié le 18/03/2010




Ce rassemblement des catholiques marque un nouveau départ pour l’Eglise persécutée en Arunachal Pradesh, Etat que le régime britannique appelait, « Nefa » pour « North Eastern Frontier Agency », une « terre interdite » aux chrétiens pendant de longues années. Le martyre de deux missionnaires en 1854 (2), et l’absence de successeurs, avait rayé de la carte de l’Eglise l’ensemble de cette région.

La politique indienne qui y prévalut, après l’indépendance acquise en 1947, fut influencée par l’anthropologue anglais Elwin Verrier, alors conseiller du gouvernement pour les affaires aborigènes. Cette politique visait à tenir à l’écart de la région les missions aussi bien hindoues que chrétiennes, pour permettre aux tribus peuplant cet Etat de conserver intacte leur culture propre, et de pratiquer leur culte envers leur divinité « Soleil-et-Lune ». Toute intervention religieuse non tribale était donc bannie.

Néanmoins, plus tard, deux groupes hindous – la « Ramakrishna Mission », et la « Vivekanda Mission », furent autorisés à oeuvrer à l’intérieur des frontières de cet Etat: ils étaient ouvertement soutenus par les fonctionnaires. En 1978, avec l’appui du gouverneur de l’époque, M. K. Raja, les autorités locales votèrent une loi devant prétendument assurer la « liberté religieuse », et qui souleva un tollé aussi bien sur place que dans le reste du pays. Car en fait, son véritable objectif était d’empêcher toute action de l’Eglise dans la région; les dirigeants – pour la plupart « importés » d’autres parties de l’Inde – craignaient que ne s’étende l’attraction que le christianisme commençait à exercer sur les aborigènes. Ceux-ci, au nombre de 900 000, occupent un espace de près de 25 000 km2, et appartiennent à une vingtaine de tribus, elles-mêmes souvent subdivisées en groupes plus petits.

Une terrible persécution commença alors pour les chrétiens: arrestations, incendies de leurs maisons, expulsions de leurs enfants des écoles, chasse aux prêtres et aux pasteurs. Des années durant, innombrables furent les gens qui eurent à subir emprisonnements, pertes d’emploi, retards à l’avancement, escroqueries, refus d’investiture pour les élections, et d’autres sortes d’ennuis parce qu’ils étaient devenus chrétiens (3). Malgré tout, l’Arunachal Pradesh est l’un des plus récents exemples où est démontrée cette vérité séculaire selon laquelle l’Eglise grandit d’autant plus qu’elle est davantage persécutée. Cette nouvelle loi qui, d’après ses initiateurs, devait porter le coup de grâce à l’Eglise fut pour elle comme un nouveau coup d’envoi.

Il n’y avait qu’une vingtaine de catholiques recensés à travers tout l’Etat quand l’actuel évêque de Dibrugarh, à l’époque simple prêtre salésien, Mgr Thomas Menamparampil (4), prit contact pour la première fois, en août 1977, avec quelques chefs de tribus de la région. Le premier d’entre eux à se convertir s’appelait Wangla Lowang. Beaucoup d’autres suivirent son exemple, et maintenant la « terre interdite » compte plus de 50 000 catholiques, qui forment une Eglise en expansion.

Une Eglise toute centrée sur la Bible, et honorant par-dessus tout la Parole de Dieu; les chrétiens s’y sont familiarisés grâce à des leçons d’initiation à la Bible et des camps bibliques, qui ont développé chez eux un grand amour pour cette Parole de Dieu qu’ils partagent entre eux lors de réunions de prière. Une Eglise aussi où le laïcat est prépondérant – c’est peut-être la meilleure définition pour bien la caractériser – puisqu’elle ne dispose nulle part ni d’un prêtre, ni d’une religieuse résidant sur place: les semences de la foi sont plantées, arrosées et soignées par des laïcs.

Les prêtres des Etats voisins, quand ils obtiennent la rare autorisation de se rendre en Arunachal Pradesh, ne manquent pas d’apprécier l’encouragement et magnifique esprit qui anime cette chrétienté. L’absence des structures habituelles lui laisse toute latitude pour engager toutes ses ressources disponibles, en finances et en personnel, « au service de l’Evangile », c’est-à-dire pour la catéchèse et le travail « ad gentes ».

Un autre trait particulier de cette Eglise est qu’elle repose fondamentalement sur la jeunesse (5). Un de ses leaders, qui s’est acquis une certaine réputation au niveau national, Taji Alexander Kulo, confesse: « J’avais entendu tant de choses dites contre les chrétiens, que je me décidai un beau jour à chercher par moi-même ce qui, chez eux, allait de travers. C’est ainsi que j’ai découvert qu’ils étaient respectables. Et je ne tardai pas à les rejoindre. Quand je voulus devenir chrétien, j’ignorais quasiment tout de Jésus et de la Bible. Mais maintenant, j’ai appris quelque chose et j’ai grandi dans la foi: je l’aime profondément ».

Comme dans l’Eglise primitive, l’Arunachal Pradesh ne manque pas de figures charismatiques, qui savent se mettre à la hauteur des circonstances chaque fois qu’il en est besoin. Le grand rassemblement des catholiques du 17 au 19 janvier 1992 doit permettre à cette population, qui se sent comme assiégée, de mieux prendre conscience du long chemin qu’elle a déjà parcouru pour s’assurer la liberté de choisir sa religion. Au moment de devenir adulte, après une longue attente, cette Eglise se rend compte qu’elle aurait pu longtemps encore rester une communauté souterraine et faible, si ses pionniers n’avaient pas agi avec la prudence voulue, s’ils n’avaient pas fondé leur mission sur la spiritualité, et s’ils n’avaient pas scrupuleusement vécu leur foi.