Eglises d'Asie – Indonésie
“NOUS VOULONS REFORMER LA SOCIETE” Une interview de M. Abdurrahman Wahid
Publié le 18/03/2010
D’une certaine manière, c’était un moyen de résoudre une dispute interne (1). Qui allait prendre le contrôle (de l’organisation)? Ceux qui mettent l’accent, dans leur analyse de la société, sur les différences ethniques et religieuses, ou ceux qui voudraient pousser les musulmans vers des attitudes plus ouvertes? Dans le passé, nous faisions confiance à des intellectuels proches de notre organisation pour faire le lien (entre les deux tendances). Aujourd’hui, il apparaît que la politique partisane les fait plonger eux aussi dans des débats internes, tels que le développement du christianisme et la question superficielle de l’introduction (dans la législation, ndlr) des valeurs islamiques. Alors, nous, qui faisons partie du secteur “ouvert” de l’organisation, avons pensé qu’il fallait empêcher que ces débats ne dérapent.
Cette manifestation avait-elle un caractère politique?
Vous devez comprendre notre utilisation du mot ‘politique’. Nous ne voulons pas influencer les résultats des élections parlementaires du 9 juin 1992. La décision a déjà été prise. Nous ne voulons pas influencer non plus l’élection de Suharto l’année prochaine. Cela n’en vaut pas la peine. Le système tout entier est déjà clos. J’ai posé la question au ministre de la Défense, M. Benny Murdani, et au vice-président Sudharmono, pour m’assurer que c’était bien le cas. Ils m’ont répondu par l’affirmative. Ce sont les seules personnes qui auraient été qualifiées pour se présenter contre Suharto. Nous sommes déjà arrivés à la conclusion qu’il n’y a personne d’autre.
Vous vous préparez donc à un changement pour les élections présidentielles de 1998 ?
Cela dépendra des priorités que nous nous donnerons. “Nahdlatul Ulama” est une organisation religieuse et ne doit pas être utilisée de manière politique, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas s’engager directement dans des intrigues politiciennes. Elle doit être une force morale, rien de plus.
Est-ce qu’il n’est pas dangereux de retourner ainsi dans l’arène politique?
“Nahdlatul Ulama” s’était retirée du champ de la politique, non pas dans le sens qu’elle cessait d’être politique, mais parce que nous voulions éviter le destin des autres organisations religieuses qui étaient et sont toujours manipulées par les politiciens, et donc se révèlent incapables de représenter l’islam. Elles sont discréditées parce qu’elles ont essayé d’utiliser la religion comme un instrument politique. Elles ont échoué. Précisément à cause de cela, nous aimerions maintenir nos valeurs islamiques et les utiliser dans la promotion du bien de la société, de la démocratie et de l’Etat de droit. S’il en était autrement, nous serions toujours obligés de nous opposer à un groupe pour en soutenir un autre. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre. Il s’agit davantage de réformer l’ensemble de la société, gouvernement inclus.
Cela signifie-t-il un changement de méthode du gouvernement?
Je ne crois pas que cela puisse se faire sous le régime actuel. La structure actuelle se limite à la rivalité entre le président et les forces armées et à la coopération du président avec des groupes islamiques partisans. Je pense que tout cela finira par s’écrouler et il y aura beaucoup de changements. L’ensemble des relations entre civils et militaires changera.
Est-ce que la manifestation n’avait pas aussi pour but d’échapper aux pressions de ceux qui voudraient que “Nahdlatul Ulama” soutienne Suharto pour un nouveau mandat (2)?
C’est notre manière à nous d’éviter le débat. On fait pression sur nous pour que nous affichions nos intentions. Après cette manifestation, il est clair que nous ne nous laissons pas faire; nous nous montrons loyaux simplement vis-à-vis des principes fondamentaux de l’Etat. C’est notre message. Nous avions demandé au président de venir. Il a refusé en disant que cela ressemblerait à de la manipulation.
Pensez-vous que Suharto soit loyal vis-à-vis des principes fondamentaux de l’Etat?
Dans une certaine mesure, il respecte les formes extérieures de gouvernement, mais il viole souvent l’esprit de la constitution. Prenez par exemple la manière dont il a formé, aux dépens des forces armées, la commission d’enquête sur les événements de Dili (en novembre 1992) (3), et sa manière de demander une enquête complète. Lui aussi, dans une certaine mesure, essaie de redresser la balance entre les pauvres et les riches mais il continue cependant de favoriser une minorité.
Qu’attendez-vous d’un président qui serait élu en 1998?
L’application d’une réforme agraire fondamentale. Nous avons besoin de garanties juridiques et constitutionnelles en ce qui concerne le statut de la terre. La deuxième chose serait le droit de regard judiciaire qu’il faut donner à la Cour suprême. Jusqu’à présent, elle a juridiction sur les décrets administratifs du gouvernement pour décider s’ils sont en conformité avec les lois, mais elle n’a pas juridiction pour décider si les lois respectent ou non la constitution. Si elle était possible, cette réforme montrerait que certaines lois, telles que celle sur les actes subversifs, sont en fait illégales (…)