Eglises d'Asie

UNE EGLISE OUBLIEE Un entretien avec Mgr Khampsé, évêque de Vientiane

Publié le 18/03/2010




Comment décririez-vous l’Eglise du Laos ?

Ici, au Laos, l’Eglise est aux mains des laïcs. Ce sont eux qui prennent en charge leur communauté et son développement. Avant (la “libération” de 1975, ndlr), on comptait sur nous pour s’occuper des hôpitaux et des écoles. Mais on nous a pris toutes les églises et les écoles. Nous n’avons plus rien. Nous avons été contraints de déménager plusieurs fois, en perdant à chaque fois le peu de biens qui nous restait.

Quelles activités pouvez-vous encore exercer?

Les activités pastorales, là où on peut se rendre. Chacun a besoin d’une permission pour quitter son district. Nous aussi. Impossible pour l’instant de dire la messe partout où on apprend qu’une célébration serait souhaitée. Notre effectif réduit ne nous le permettrait d’ailleurs même pas. A cet égard, Noël est une période particulièrement éprouvante. Nous faisons durer la fête de Noël trois ou quatre jours, pour dire la messe de la Nativité partout où on nous le demande. Et encore. Avec deux prêtres seulement, nous n’arrivons pas à répondre à tout le monde, même à raison de plusieurs messes par jour. Il arrive que je puisse visiter des communautés qui n’ont plus eu de sacrements depuis presque dix ans. L’une de mes plus grandes joies est de les retrouver comme si on s’était quitté hier. Elles tiennent ferme dans la foi. Et les gens sont là à vous manger des yeux… Cela me remplit d’une force extraordinaire! Mais nous sommes trop peu nombreux et trop peu formés pour remplir nos devoirs auprès de tous. Il faut réconforter les anciens chrétiens, former les catéchistes, guider les séminaristes et les soeurs, rencontrer les prêtres et faire le point au sein de notre petite communauté. C’est un immense travail. Car tout reste à créer dans l’Eglise du Laos; nous partons sur du neuf.

Depuis 1975, comptez vous de nouveaux prêtres dans vos rangs?

Oui. Nous avons ordonné des prêtres, mais à notre pauvre manière. C’est-à-dire sans séminaire de formation. Au Laos, la jeunesse est monopole d’Etat. Si nous rassemblons deux ou trois jeunes, nous sommes déjà suspects. L’Eglise de Thaïlande a proposé de faire suivre à nos prêtres une formation académique dans leur séminaires. Mais j’ai bien peur qu’à leur retour, ces jeunes gens ne puissent plus travailler dans les conditions qui prévalent ici. Toute la culture thaïlandaise est influencée par la personne du roi et de la reine. Les jeunes pourraient être influencés par ce caractère cérémoniel qui ne correspond pas à notre travail sur le terrain. Sans source d’eau, ce n’est pas la peine de creuser un puits. Nous devons tout d’abord créer la source. Aussi je demande plutôt à l’Eglise de Thaïlande de nous aider psychologiquement et spirituellement. Savoir qu’elle ne nous oublie pas est déjà un grand réconfort.

Vous refusez toute aide matérielle?

Non! Non! A une certaine époque, les fonds venaient même de dessous la table. Notre petite église est entretenue entièrement par des dons… et par la Providence. C’est seulement l’an dernier que nous avons pu la construire. Et puis, nous avons de très bons rapports avec les Eglises catholiques. Parfois, on se passe des “petites images pieuses”… Vous savez, ces petites images vertes où il est écrit: “In God we trust” (“Nous avons foi en Dieu” = les dollars américains, ndlr)! Nos difficultés sont en fait très primitives. Il m’arrive de me demander tout simplement comment nous allons manger, les croyants, les deux prêtres, les deux soeurs et moi. Et c’est justement ce jour-là qu’un étranger vient nous rendre visite et nous soutient. Heureusement que l’Esprit-Saint souffle…

Combien de catholiques compte le pays?

On n’en a pas une idée exacte. Faire le compte dans les villages aurait éveillé les soupçons. Les autorités communistes nous auraient accusés de chercher à rassembler des forces contre le pays. Peut-être qu’en l’an 2000, on pourra tous se réunir et se compter (rires). En fait, on estime que le Laos compte quelque trente mille catholiques (0,8% de la population, qui est à 58% bouddhiste et à 34% animiste, ndlr). Je ne vous ai parlé que des prêtres, mais les congrégations de soeurs sont aussi très actives. On compte trois congrégations sur le diocèse de Vientiane. Les soeurs de la Charité sont très liées avec la Suisse. Leur maison mère se trouve à La Roche-sur-Foron. Avec une cinquantaine de membres, dont quelques-unes d’origine vietnamienne, elles s’occupent de catéchèse depuis qu’elles n’ont plus d’école. Les soeurs de Marie-du-Calvaire sont une trentaine. Et les Oblates missionnaires de Marie immaculée, avec une dizaine de membres, sont des “agents très spéciaux” pour aider les laïcs. Elles suscitent d’ailleurs des vocations.

Avez-vous connu les camps de rééducation?

Je les ai connus en Chine, mais pas au Laos. Notre doyen, l’évêque de Paksé, est resté 77 mois, 7 semaines et 3 jours en prison, ou dans un camp, c’est la même chose. Quand on lui demande pourquoi il n’est pas resté quatre jours de plus pour faire un beau chiffre, il répond: “Je ne serais pas resté une seule minute de plus.” Aujourd’hui, il a réintégré ses fonctions. Mais la province de Paksé est très conservatrice, et il dispose de peu de marge de manoeuvre. A Savannakhet par contre, Mgr Outhay a pu ordonner deux nouveaux prêtres en avril dernier. Et il en forme encore d’autres! Tout dépend de la politique de la province. Ici, à Vientiane, on nous laisse une Eglise de façade, pour flatter les touristes et les étrangers.

On parle de conversions inattendues qui s’opéreraient dans votre secteur…

C’est très surprenant. Il y a des villages entiers qui demandent à devenir catholiques, sans qu’on n’ait rien entrepris à leur égard. Récemment, un village de 83 familles a fait appel à nous en disant: “Nous voulons devenir catholiques.” Malheureusement, je n’ai pas pu aller les voir. Trois villages veulent se convertir. Bientôt, deux à trois cents nouvelles familles seront accueillies dans notre petite communauté.

Est-ce que l’ouverture politique du gouvernement pourrait expliquer que ces villages veulent devenir catholiques comme on veut devenir résistant au communisme tel qu’il a été appliqué jusqu’en 1989?

C’est possible, je ne sais pas. Le catholicisme a longtemps été considéré comme le suppôt du colonialisme français. Il était même interdit de parler français. On me dit parfois: Votre religion est la religion des falang (étrangers, ndlr), des pères et des soeurs. Je leur demande alors quels falang, quels pères et quelles soeurs sont venus les voir. “Non! c’est votre religion, si vous le voulez.” Pour les autorités, la chute des régimes d’Europe de l’Est aurait été fomentée par le pape. Le gouvernement a peur de perdre son pouvoir. Cela peut durer encore longtemps jusqu’à ce que le rideau de bambou tombe. Il me reste près de 25 ans avant de quitter mes fonctions. Il peut encore se passer des choses…

Vous ne vous êtes pas rendu au synode des évêques à Rome, l’an passé. L’absence du Laos a été très remarquée.

J’avais demandé un visa pour rendre visite à mon neveu en France. Mais mon passeport a été déclaré perdu. le gouvernement veut nous couper de l’Eglise universelle, comme en Chine. D’ailleurs, maintenant mon passeport est retrouvé, et j’ai reçu le visa! Mais le synode est passé.

Vous sentez-vous plus libre aujourd’hui?

Avant, nous étions très surveillés dans nos déplacements. Le gouvernement envoyait quelqu’un de la Sécurité dans le village où nous nous rendions. Cette personne achetait un poulet et rapportait tout ce que nous disions. J’ai eu vent d’un de ces rapports. L’espion disait: “Mais c’est très bien ce que raconte le père, il n’y a rien à redire”. Dernièrement, j’ai encore reçu des menaces. Mais tous ces problèmes me semblent d’une petitesse… Vous me demandiez si je me sentais plus libre aujourd’hui. En fait, on vit ici un peu comme à l’armée, sur le qui-vive en permanence. Mais nous n’avons pas peur. Nous sommes prêts à tout donner pour le pays. Je rencontre fréquemment les autres Eglises évangéliques. Malgré nos différences confessionnelles, nous voulons tous travailler pour le bien du peuple. On doit vous sembler un peu héroïques, mais au fond, on agit comme on peut avec nos maigres moyens. Un jour, quelqu’un m’a dit: “Monsieur Khampsé, vous êtes un autel sans fleurs, mais un autel véritable”. Voilà. Je vous ai donné tout ce que j’ai, un témoignage de vie.