Eglises d'Asie

Le cardinal Sin demande de voter contre les héritiers du régime Marcos

Publié le 18/03/2010




Le jour de Pâques, le cardinal Sin, archevêque de Manille, a fait lire dans toutes les églises de son diocèse, une lettre pastorale, intitulée “Il faut vaincre le mal par le bien” et contresignée par les 36 membres de son Conseil presbytéral. Une fois de plus, il est question des élections qui doivent se dérouler le 11 mai 1992 (16).

Le texte rappelle les consignes données par la Conférence épiscopale au cours des derniers mois. Il renouvelle la demande faite aux électeurs par le “Conseil pastoral des paroisses pour des élections pacifiques”, pour que soient rejetés une fois pour toutes les candidats connus pour leur violence et leur malhonnêteté. En février 1986, dit-il, “nous avons gagné une bataille et mis fin à des années d’oppression et de pillage. Nous nous sommes réjouis, et le monde entier s’est réjoui avec nous, de ce que nous avions eu le courage de chasser hors du pays, par une révolution pacifique, des gens qui avaient imposé à notre peuple, et spécialement aux pauvres, des souffrances indescriptibles, alors qu’eux-mêmes s’enrichissaient. Aujourd’hui, certains de ces oppresseurs et de ces voleurs se présentent à nous et nous demandent de les élire… Nous vous prions instamment de rejeter la candidature de ces personnes… Voter pour eux serait se rendre solidaire de leur malhonnêteté”.

Le cardinal ajoute: “Nous savons que beaucoup d’entre vous vont être tentés par l’argent: ne vendez pas vos voix. Le faire serait un péché; ce serait trahir notre pays. Tout en respectant pleinement votre liberté, nous vous demandons, à vous nos compatriotes, de voter avec sagesse”.

Il a ensuite invité les fidèles à participer, du 2 au 10 mai 1992, à une neuvaine préparatoire aux élections et en particulier au triduum de prière qui la clôturera, du 8 au 10 mai. Le pays, explique le cardinal, a besoin d’une “révolution spirituelle”. “Il faut, dit-il, que ces élections montrent la maturité de notre peuple: un peuple qu’on ne peut ni acheter, ni tromper, ni terroriser”.

Les hommes politiques ont immédiatement fait savoir qu’ils ne se sentaient pas visés par les accusations du cardinal. La présidente, Mme Aquino, est bien certaine que le message de Pâques du cardinal ne visait pas son candidat, M. Ramos. Elle dit avoir, en son temps, accueilli avec joie la lettre pastorale des évêques des Philippines (17): “Je ne vois rien à y redire et je ne pense pas qu’il y ait dans ces textes quoi que ce soit contre mon candidat”, dit-elle. Pour elle, le cardinal vise Mme Marcos et M. Cojuangco. M. Ramos ne peut être inclus dans la condamnation épiscopale puisque l’archevêque précise bien qu’il parle uniquement de “ceux qui n’ont pas montré leur repentir par des actes de réparation”. Or, selon la présidente, M. Ramos “a réparé, puisqu’il était présent à EDSA (18) et qu’à chaque tentative de coup d’Etat, il a défendu la démocratie. Il a donc réparé pour ses fautes anciennes”.

M. Eduardo Cojuangco, candidat de l’opposition à la présidence et cousin de Mme Aquino, ne se sent pas visé lui non plus. Son porte-parole, M. Gabriel Villareal, affirme en effet que jamais il ne s’est livré ni au pillage, ni à l’oppression, et qu’il n’a jamais fait jouer ses relations avec l’ancien régime pour accroître ses richesses ou son pouvoir. Il rappelle que M. Cojuangco est, depuis 1977, chevalier de l’Ordre de St-Sylvestre et qu’il compte de nombreux évêques et prêtres parmi ses proches amis. M. Villareal n’a pas mentionné le fait que, pendant les 20 ans de la dictature Marcos, M. Cojuangco était considéré comme la deuxième puissance économique du pays, venant immédiatement après le président lui-même.

Dans sa lettre pastorale, le cardinal non seulement recommande de rejeter les candidats coupables de malhonnêteté et d’abus de pouvoir, mais il invite aussi les fidèles à ne voter que pour ceux qui observent, dans leur conduite politique, “les principes catholiques”. Ceci semblerait exclure les deux candidats protestants (dont M. Ramos), ne laissant plus le choix qu’entre trois personnes. A quoi le cardinal Vidal, archevêque de Cebu, répond: “Un vote catholique, cela n’existe pas. L’Eglise est fondée sur l’unité et la paix. Oublier cela serait se rendre coupable de créer des divisions” (19).