Eglises d'Asie

LA COMMUNAUTE CATHOLIQUE

Publié le 18/03/2010




Les problèmes de croissance d’une minorité

La communauté catholique d’Indonésie est une chrétienté de diaspora: une faible minorité dispersée, sauf dans les îles de Flores et de Timor où la proportion de chrétiens est plus importante. Cette dispersion n’a pas empêché les chrétiens d’occuper la place qui leur revenait, en citoyens loyaux et soucieux du bien commun.

Les oeuvres sociales de l’Eglise – des écoles de bon niveau ouvertes à tous, des services de santé efficaces…- ont grandement contribué au développement de la communauté chrétienne dans le passé. Reste à affronter les défis actuels: garder intacts le dialogue et l’esprit de tolérance; faire face à ses propres besoins en hommes et en matériel; se mettre au service des plus démunis en combattant l’injustice sous toutes ses formes.

La chrétienté indonésienne est, pour l’ensemble du territoire, une chrétienté de diaspora. Environ 5 millions de catholiques, en effet, ne représentent que 3% des 180 millions d’habitants que compte l’Indonésie. Une dizaine de diocèses échappent cependant à cette dispersion. Ainsi, les îles de Flores et de Timor totalisent à elles seules 38% de la population catholique indonésienne: le diocèse d’Atambua (Timor occidental) est catholique à 89%, celui de Ruteng (Flores) à 97%.

On compte aussi 8,6 millions de protestants (pour les seules Eglises protestantes membres du Conseil indonésien des Eglises). Si l’on y ajoute les pentecôtistes, adventistes et d’autres chrétiens, on arrive à un total d’environ 16,5 millions de chrétiens pour toute l’Indonésie.

En milieu musulman

Ces chrétiens vivent au milieu d’une population en majorité musulmane, du moins statistiquement parlant (1) … Même si les chiffres habituellement avancés ne correspondent pas à la réalité (2), il est certain que l’islam, en tant que force sociale, a gagné énormément de terrain au cours des années 1980: les mosquées sont très fréquentées, les prières sont diffusées par haut-parleur jour et nuit, la pression sociale force à suivre le Ramadan, le nombre des pèlerins pour La Mecque croît chaque année, la loi prescrit la constitution de tribunaux islamiques, etc.

Quels que soient les pourcentages réels, la population catholique vit donc en diaspora dans un milieu majoritairement musulman qui comprend un noyau fondamentaliste dur et déterminé.

Heurs et malheurs de la mission

Le catholicisme entra en Indonésie avec les marchands portugais au début du XVIème siècle; cinquante ans plus tard, on comptait déjà 80 000 baptisés dans le nord-est de l’archipel. Mais ce succès fut éphémère pour différentes raisons: le nombre des prêtres était insuffisant, les Portugais furent chassés (et les missionnaires avec eux), certains sultans locaux persécutèrent les chrétiens, et, finalement, au début du XVIIème siècle, les Hollandais firent passer les catholiques à l’Eglise réformée.

La communauté catholique subsista cependant dans certaines îles, en particulier à Flores et à Timor. En 1859, les missionnaires catholiques hollandais autorisés à se rendre en Indonésie retrouvèrent dans ces îles une chrétienté de 9 000 personnes, coupée du reste de l’Eglise et abandonnée à elle-même, mais qui avait survécu pendant plus d’un siècle.

La liberté religieuse accordée par la Hollande (1807) resta limitée: l’Indonésie fut partagée en zones d’influence entre les différentes Eglises, et les autorités ne favorisèrent guère le travail des missionnaires. La mission catholique fut donc lente à démarrer. Elle ne fut autorisée à s’étendre hors de Java qu’en 1837. Les premières Soeurs missionnaires arrivèrent en 1856 et les jésuites en 1859.

L’Eglise connut alors une expansion certaine, de sorte qu’au début du XXème siècle presque tous les territoires de l’archipel disposaient d’une mission catholique. Les missionnaires s’adressaient surtout aux ethnies non islamisées qui avaient gardé leur religion traditionnelle. De 1900 à l’occupation japonaise (1942), le nombre des catholiques passa de 25 000 à plus d’un demi-million.

La guerre nippo-néerlandaise fut une épreuve, et le clergé fut décimé; mais l’Eglise y trouva aussi une nouvelle image: elle cessait d’être “européenne”. Si bien qu’au moment de la préparation de l’indépendance, la sympathie des leaders indonésiens lui était acquise. Les catholiques, d’ailleurs, jouèrent un rôle important dans la construction de la jeune nation.

Après la guerre d’indépendance, la communauté catholique se développa et se consolida; ses écoles obtinrent facilement des subsides; ses institutions scolaires et les instituts catéchétiques furent reconnus; pour contrebalancer l’influence grandissante du communisme, des catéchistes de toutes les religions furent incorporés à l’armée; les catholiques, peu nombreux dans l’administration, mais jouissant généralement d’une exellente formation, y jouèrent un rôle dont l’importance dépassait largement leur nombre. Dans presque tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 1945, il y a eu des ministres catholiques.

L’Eglise d’Indonésie, en s’insérant ainsi loyalement dans la vie du pays, a su échapper au complexe né de sa situation de diaspora et à la tentation de se replier en ghetto sur elle-même. Elle y a été aidée par le sens javanais de l’équilibre et de la collaboration avec tous ainsi que par le contexte national: une constitution qui proclame la liberté religieuse et un président qui insiste continuellement sur les valeurs spirituelles.

Une petite communauté, mais un grand service

Dès le début de la mission à Florés (1879), à Java (1904) et sur les autres îles, les premiers missionnaires fondèrent des écoles, à la fois pour prendre contact avec les habitants et pour promouvoir le bien-être de la population qui leur faisait confiance. Les écoles des soeurs et des frères (au début, le plus souvent avec internat) figuraient parmi les meilleures du pays. Elle préparaient l’élite, faisant de la communauté catholique une minorité de personnes qualifiées. D’autre part, en acceptant d’emblée des élèves de toutes les confessions, elles ont contribué à la formation de nombreux leaders non catholiques actuels. Les écoles catholiques ont également pris l’initiative d’élargir l’enseignement post-scolaire, dès 1942.

L’une des plus importantes contributions de ces centaines de soeurs, frères et prêtres qui se sont consacrés à l’enseignement est sûrement d’avoir fondé de bonnes écoles et d’avoir inspiré des enseignants laïcs qui se sont joints à eux pour continuer le même travail. Aujourd’hui, bien que certaines institutions catholiques ne s’acharnent pas assez à maintenir les niveaux d’autrefois et que beaucoup d’institutions non catholiques se soient considérablement améliorées, le système d’enseignement catholique reste une des raisons principales – humainement parlant – de la croissance et de l’influence de la communauté catholique.

En 1988, près de 400 institutions catholiques, dont beaucoup sont entièrement entre les mains des laïcs, faisaient fonctionner 2 638 écoles primaires avec environ 597 000 élèves, 811 écoles secondaires du degré inférieur avec 235 964 élèves et 397 du degré supérieur avec 153 000 élèves. Parmi ces écoles, 106 sont des écoles d’enseignement professionnel, qui aident efficacement la jeunesse à trouver du travail et qui contribuent au développement de l’industrie et du commerce. Pour parfaire la formation académique, 25 académies et 12 universités ont été fondées entre 1955 et 1987. Dans un pays en développement, cela représente une immense contribution à la construction d’un avenir meilleur.

Dans les services de santé, l’Eglise est également présente: 57 hôpitaux et 580 maternités et dispensaires sont ouverts à tous. Beaucoup de ces établissements sont situés dans les régions rurales ou dans les zones défavorisées des grandes villes, où ils offrent des services efficaces. Dans ces grandes villes, les hôpitaux catholiques se classent parmi les meilleurs. Ils travaillent ensemble au sein de l’organisation “Perdhaki” (fondée en 1972) pour améliorer la gestion, le niveau des soins, la formation du personnel et la distribution des médicaments.

Ces institutions suscitent parfois la jalousie, mais personne ne nie le bien qu’elles réalisent et les détracteurs eux-mêmes n’hésitent pas à recourir, en cas de besoin, à leurs services parce qu’ils apprécient le désintéressement de leur personnel, laïc ou religieux. Jusqu’à présent, la plupart des écoles et hôpitaux ont pu se préserver de la corruption qui s’insinue partout. C’est très difficile dans un pays où, selon la formule de l’ancien vice-président Mohammed Hatta, “la corruption est une culture”.

Bien que les écoles d’enseignement professionnel soient de plus en plus appréciées, parents et élèves continuent souvent de préférer l’image prestigieuse de l’enseignement général et courir le risque de trouver difficilement l’emploi bien rémunéré que leur promet leur diplôme. Par contre, les élèves des écoles d’enseignement professionnel comme “STM Grafika” de Jakarta, “Sekolah Pertukangan” (mécanique) à Pontianak et St Michael à Solo trouvent facilement un emploi; ils sont même engagés longtemps avant d’avoir passé leurs examens.

Les écoles privées ont pu sauvegarder leur identité; mais des pressions sont exercées sur le gouvernement pour ouvrir toutes les écoles à l’enseignement islamique, pour construire de petites mosquées à l’intérieur des établissements, pour forcer les étudiants à suivre l’instruction religieuse de la religion à laquelle ils appartiennent (et non de celle qu’ils pourraient choisir).

La tâche la plus urgente, dans le contexte difficile d’une société marquée par le capitalisme naissant, est de former une élite qui ait un souci réel des classes inférieures. Car, dans les relation sociales, le souci du bien commun fait défaut, aussi bien dans l'”élite” que dans les “classes inférieures”.

Des paroles et des actes

La communauté catholique est intégrée à la population et participe à tous ses problèmes. A plusieurs reprises, la hiérarchie a appelé les fidèles à s’engager pour le développement national; elle leur demande de veiller à ce que ce développement ne favorise pas l’élite au détriment de la grande majorité de la population. La Conférence épiscopale (KWI) et l’ancien archevêque de Semarang (Java Central), J. Darmojuwono, ont, de manière répétée, réclamé la justice pour tous (1966 et 1969), des garanties constitutionnelles et le respect des valeurs humaines (1970, 1986). Les évêques insistent sur le fait que les fidèles doivent remplir leurs devoirs de citoyens (1971, 1985) et mettent en garde contre la corruption (1970) et contre les divisions sur base religieuse.

Les actes sont plus importants que les déclarations et ils existent même s’ils sont limités à cause du manque de ressources. Au cours des années 1950 et 1960, les délégués sociaux des diocèses ont lancé les “Syndicats Pancasila” parmi les travailleurs, les agriculteurs et les pêcheurs. Ces syndicats essayaient d’aider les populations à bas revenus en les protégeant de l’exploitation et de la fraude; ils leur accordaient une assistance juridique et leur donnaient des conseils pour qu’ils obtiennent de meilleurs résultats dans la production et la vente de leurs produits. Un bureau national à Semarang s’occupait de la formation des leaders et organisait des coopératives de crédit; il guidait les migrants vers de bonnes terres à Sumatra et Kalimantan et faisait connaître les points fondamentaux de l’enseignement social de l’Eglise. Plus de 80% des membres des “syndicats Pancasila” étaient des non-catholiques, mais ils se montrèrent des partenaires loyaux pendant les années difficiles qui précédèrent le coup d’Etat de la gauche en 1965.

Après la répression du coup d’Etat dans un sanglant carnage, la situation sociale changea considérablement. Les possibilités des mouvements indépendants de travailleurs furent réduites. Il fallait donc développer d’autres formes d’engagement social. En voici quelques exemples.

Les paysans, les migrants, les citadins sans formation professionnelle, les agriculteurs sans terre, les groupes de pêcheurs, les jeunes non scolarisés avaient d’abord besoin d’une formation qui leur permettrait de gagner leur vie. Nombreuses furent les initiatives prises pour des cours sur l’alimentation et pour des cours du soir dans des matières simples comme la couture, l’économie domestique, les coopératives de crédit, les droits des travailleurs, l’administration, la dactylographie, l’anglais, la mécanique, etc. Car, bien qu’il y ait des centaines de milliers de personnes sans emploi, il reste beaucoup de possibilités de travail dans tous les postes qui demandent un peu de formation et de compétence.

Le “boom” de l’industrie textile et d’autres industries dans les grandes villes comme Jakarta, Bandung, Surabaya et Medan depuis les années 1980 attire des foules de travailleuses sans formation et crée une forte tension sociale. Des groupes formés de prêtres, de religieuses et de travailleurs sociaux essaient d’aider ceux qui sont exploités.

Dans certains diocèses, des établissement fondés par des catholiques avec le soutien de la hiérarchie aident les parents des prisonniers politiques (1966-1975), les étudiants pauvres (par des bourses d’étude) et les gens des bidonvilles en leur obtenant l’autorisation de construire une petite maison ou d’établir un commerce.

Les religieux indonésiens ont fait leur “l’option préferentielle pour les pauvresc’est-à-dire le souci des prisonniers politiques, des paysans, des pêcheurs, des ethnies minoritaires isolées dans des régions reculées, et des “transmigrants”.

Les chrétiens sont, en majeure partie, pauvres. Selon les statistiques recueillies par la Conférence épiscopale, au vu des revenus des chrétiens, 48% des baptisés doivent être considérés comme économiquement faibles et 17% comme très pauvres.

Le long conflit de Timor Oriental a aussi nécessité une aide spéciale pour la population civile qui avait un besoin urgent de nourriture. Des fonds d’aide pour les catastrophes naturelles comme les inondations, les tremblements de terre et les épidémies ont été constitués, à l’aide de moyens nationaux et internationaux.

Des conseillers conjugaux forment au sens des responsabilités en matière de naissance et renseignent sur les méthodes de planning familial qui sont praticables. Rome n’a pas apprécié cette dernière initiative; mais des couples qui manquent de formation devaient parfois être protégés contre des méthodes de contrôle forcé des naissances.

Les médias

Dans un pays aussi vaste que l’Indonésie, avec des milliers d’îles et, parfois, des difficultés de transport, les mass media sont un moyen indispensable de communication et d’information. Cinq maisons d’édition catholiques et le “CLC-Book Club” de Jakarta fournissent les livres religieux et pédagogiques nécessaires. Quelques périodiques sont orientés sur les besoins de la communauté chrétienne, tant pour la dévotion que pour l’information, et spécialement pour la croissance dans la foi et pour l’incarnation de celle-ci dans la vie familiale et sociale. Plus de la moitié des fidèles sont des chrétiens de la première ou de la deuxième génération et ils sont avides de littérature religieuse. Des centaines de bulletins paroissiaux mettent les paroissiens en contact les uns avec les autres, ce qui est capital puisque 60% des catholiques ne peuvent participer à l’eucharistie dominicale à cause des distances et du manque de prêtres. (Une requête des évêques en faveur de l’ordination de “viri probati” mariés a été repoussée par Rome.)

Il est regrettable qu’il n’existe pas de journal catholique qui puisse parler clairement des problèmes sociaux et des valeurs humaines (3). Des programmes de radio sont réalisés par différentes stations et par la radio d’Etat, comme pour les autres religions.

Une Eglise qui devient majeure

Les années 1960 ont marqué un tournant important. En 1966, le coup d’Etat communiste échouait; le marxisme et les mouvements révolutionnaires étaient démantelés ou interdits; l’économie était reconstruite sur des bases plus ou moins capitalistes; la liberté de presse et les droits de l’homme étaient reconnus jusqu’à un certain point; le bien-être matériel grandissait… En effet, près de trente ans de stabilité politique ont permis une croissance économique rapide dans de nombreux domaines, malgré toutes sortes de carences. Il existe donc un réel espoir de progrès pour la plupart des gens.

La répression envers la gauche alla de pair avec l’aide à la religion. Tous les citoyens sont censés adhérer à l’une des cinq religions que l’on dit officielles. Les adhérents du mysticisme javanais, bien qu’officiellement reconnus, se sentent désavantagés et sont invités à rejoindre une religion qui se base sur un prophète, un livre saint et une communauté. L’enseignement de la religion est obligatoire. Les mariages ne peuvent être contractés que conformément aux lois de la religion des époux (1974), si bien que les mariages mixtes ne peuvent se célébrer que si l’un des deux conjoints consent à participer à la cérémonie dans la religion de l’autre.

Le fondamentalisme, phénomène mondial, se manifeste parmi certains groupes chrétiens ou musulmans (par exemple les sectes, les charismatiques, les fondamentalistes).

La politique du ministère des Affaires religieuses est souvent perçue comme ambiguë. D’une part, des sommes d’argent sont distribuées à toutes les religions, par exemple pour des dizaines de milliers de corans ou de bibles oecuméniques, pour des mosquées, des églises et des séminaires. D’autre part, on n’accorde plus de visa aux nouveaux missionnaires; les permis de construire pour de nouvelles églises sont très souvent retardés ou rejetés; les célébrations religieuses oecuméniques sont officiellement découragées (1981).

La communauté catholique en tant que telle a également connu de profonds changements depuis les années 1960. La hiérarchie a été officiellement érigée en 1961. Actuellement, 34 diocèses forment 8 provinces ecclésiastiques en plus du diocèse de Dili, à Timor Oriental, qui n’appartient pas à la Conférence épiscopale indonésienne et est directement rattaché à Rome. Depuis le Concile, la liturgie est célébrée en indonésien dans tout le pays, à l’exception de quelques messes dans les langues régionales. Les étudiants de près de 30 petits séminaires peuvent poursuivre leurs études dans 7 grands séminaires, où un millier d’étudiants se préparent actuellement au sacerdoce. Les noviciats de religieuses sont très fréquentés. Du fait que de nouveaux missionnaires ne remplaceront pas les anciens, le clergé indigène n’a que quelques années pour reprendre sur lui tout le travail paroissial, l’enseignement et les services spécialisés au niveau national, par exemple dans les commissions du Bureau de la Conférence épiscopale et les aumôneries d’étudiants. C’est là un défi majeur pour une communauté en croissance rapide.

De plus en plus, des congrégations religieuses de Java et de Florés envoient leurs membres vers d’autres îles où les fidèles sont dispersés sur de vastes territoires parmi des populations appartenant à une autre religion; c’est le cas à Sulawesi et Sumatra (à cause des migrations).

Problème de croissance

Sans doute, les Eglises d’Europe connaissent-elles de graves problèmes à cause de la diminution de la pratique religieuse et du nombre des vocations. Mais les problèmes de l’Eglise d’Indonésie ne sont pas moins inquiétants, bien qu’ils soient d’une toute autre nature. Ce sont les difficultés d’une Eglise en pleine croissance.

L’Eglise grandit, mais ses besoins aussi: les lieux de culte sont trop petits et trop peu nombreux; il faut construire de nouveaux couvents; des maisons pour les retraites spirituelles sont une nécessité urgente; les leaders des organisations de laïcs doivent être formés; des livres doivent être publiés en indonésien, avec une terminologie entièrement nouvelle. Depuis 1970, le taux de croissance annuel de l’Eglise est de 2,5%; en 1980, il y avait 4 356 000 fidèles; dix ans plus tard, il y en avait plus de 5 millions (Timor Oriental inclus). Tout est à développer: la liturgie, l’organisation de la pastorale, les équipements matériels. Il n’y a pas encore de tradition, ni dans les familles chrétiennes, ni dans les paroisses, ni dans les communautés religieuses. C’est parfois un handicap; c’est parfois aussi un avantage…

Les mouvements de laïcs, qui prospéraient dans les années 1960, ont en partie perdu leur attrait et leur vitalité. Mais de nouveaux mouvements sont accueillis avec enthousiasme; ainsi “Rencontre mariage”, les “jeunes travailleurs et employés”, la “Légion de Marie” et les groupes bibliques. Les guérisseurs et les rencontres charismatiques sont appréciés. Bien que le “Parti catholique” ait dû rejoindre le “Parti démocratique” (PDI) en 1973 et ne joue plus de rôle particulier dans la vie politique, beaucoup de personnages politiques et de fonctionnaires catholiques sont actifs à tous les niveaux du gouvernement et de la vie publique dans des positions de grande responsabilité. Beaucoup d’entre eux sont réellement amenés à prouver que leur foi les pousse à travailler pour le bien commun. Sans doute, certains cèdent-ils à la tentation de l’enrichissement personnel facile ou au compromis dans l’intérêt de leur carrière, mais en général, il y a une différence de comportement, et la société attend des catholiques qu’ils soient différents.

Les célébrations organisées dans tous les diocèses à l’occasion des “450 ans de l’Eglise catholique en Indonésie” en 1984 et la visite du pape Jean-Paul II en 1989 à Timor, Florés, Java Central, Jakarta et Nord-Sumatra ont montré que la petite semence est devenue un grand arbre. L’Eglise d’Indonésie ne dépend plus de l’aide continue des autres Eglises en hommes et en matériel. Les actions de carême fournissent des ressources pour les activités sociales; des fonds de solidarité aident les régions plus pauvres; il existe des échanges de personnel formé et même parfois des envois à l’extérieur (ainsi, des prêtres de la “Société du Verbe divin” à Madagascar, des missionnaires scheutistes en Amérique du Sud, des jésuites en Thaïlande).

La coopération interreligieuse

L’Indonésie connaît de nombreuses religions: presque tous les missionnaires du monde se sont arrêtés ici. Un esprit traditionnel de tolérance prévient normalement les heurts et les confrontations.

L’Indonésie ne reconnaît pas de religion d’Etat, mais elle refuse aussi d’être désignée comme Etat laïque. Le “Pancasila” (idéologie nationale) revendique pour la religion un climat favorable, dans un esprit de liberté qui respecte la foi de chacun. Les documents officiels et les discours présidentiels reviennent constamment sur ce point: la liberté de religion est un droit fondamental de l’homme; il a été donné à tous par le Créateur.

L’Eglise catholique soutient le “Pancasila” comme idéal commun de tous les citoyens et comme unique principe pour les activités politiques et sociales (1986). Le pape Jean-Paul II en a fait l’éloge dans ses allocutions lors de sa visite en 1989. Jusqu’à présent, le “Pancasila”, tel qu’il est formulé dans le “Préambule de la Constitution” (1945) a garanti la liberté de tous, bien que parfois des compromis aient dû être trouvés face aux revendications radicales de la majorité musulmane réclamant un traitement particulier. Les avantages des musulmans, comme le pèlerinage à la Mecque, la collecte et la distribution des fonds religieux, la formation des enseignants et des prédicateurs, les tribunaux avec juridiction sur les mariages, l’enseignement obligatoire de la religion dans les écoles officielles… sont des signes de l’affaiblissement du pur concept du “Pancasila”. Mais tous les musulmans ne sont pas favorables à pareille intervention de l’Etat dans leur communauté. Ces musulmans, ainsi que les adhérents du mysticisme javanais (kebatinan), les nationalistes (laïques) et les chrétiens, vivent et travaillent ensemble pacifiquement à tous les niveaux de la société. Les difficultés surgissent quand les intérêts politiques ou économiques s’opposent en exploitant les sentiments religieux ou ethniques. Généralement, le gouvernement intervient rapidement et impose un compromis qui favorise la majorité, par exemple lorsque des églises chrétiennes furent incendiées, il y a quelques années.

Coopération interchrétienne

Les relations entre les catholiques et les Eglises protestantes sont cordiales depuis qu’ils ont dû faire face ensemble à la menace du communisme dans les années soixante; mais aussi parce qu’ils se retrouvent tous concernés par les efforts que déploie le département des Affaires religieuses pour limiter la liberté de la mission et, de cette façon, répondre à l’accusation de “christianisation imminente” de l’Indonésie.

Une traduction oecuménique de la Bible est depuis longtemps en usage; l’échange de professeurs d’exégèse dans les séminaires est une pratique courante; on célèbre Noël dans beaucoup d’usines, bureaux (officiels ou privés), stades et universités. Les institutions sociales collaborent pour intensifier leurs services. Des difficultés surgissent pour les deux Eglises de la part de sectes américaines et de fanatiques charismatiques. Dans ces conditions, il est difficile, pour les non-chrétiens, de faire la distinction entre les activités intempestives de ces groupes et l’attitude générale des missionnaires et des travailleurs sociaux. Ainsi s’expliquent les doléances qu’un lettré musulman a formulées dans une lettre au Pape à Yogyakarta (2).

Il n’y a aucun doute: l’Eglise d’Indonésie croît en nombre. Grandit-elle aussi en foi et en charité? Humainement parlant, on peut dire que les vocations sont nombreuses, que les services et les groupes de prière fonctionnent bien, que les gens qui le peuvent donnent généreusement aux institutions charitables. La réflexion théologique n’est peut-être pas un point très fort, mais la piété et la dévotion sont réelles. Les écoles catholiques offrent un enseignement de bon niveau, mais la formation du caractère et la réflexion sur le sens de la vie pourraient y être approfondies. Individuellement, beaucoup de gens demandent le baptême, mais la vocation missionnaire du clergé et de la communauté ne semble pas être un souci majeur. Toutes les ressources sont employées pour faire face aux besoins de la “communauté” et de son accroissement naturel. L’aide est accordée à chacun, indépendamment de sa religion, mais – tout comme pour la société en général – le courage nécessaire pour combattre l’injustice n’est pas chose courante.

Des laïcs sont actifs dans les communautés de base qui forment les paroisses: les gens se connaissent mutuellement et prennent soin des personnes qui sont dans le besoin à cause de circonstances familiales ou financières, à cause d’une maladie ou d’une naissance… Certaines paroisses “bourgeoises” affichent les symboles de richesse de la société de consommation, ce qui éloigne les pauvres sans que personne ne s’en aperçoive. Le synode de l’archidiocèse de Jakarta (1889-90), bien conscient de ce danger pour l’Eglise, qui cesserait d’être le “sel de la terre”, a formulé un plan pour réagir contre ce courant. La semence, répandue depuis des décennies par des missionnaires, est tombée dans la bonne terre: c’est à l’Esprit de la faire grandir et fructifier, dans les temps faciles comme dans les moments pénibles. En lui, nous espérons…