Eglises d'Asie

LETTRE PASTORALE DE LA CONFERENCE EPISCOPALE POUR LES ELECTIONS

Publié le 18/03/2010




AU CARREFOUR, QUELLE DIRECTION PRENDRE?

“Arrêtez-vous sur les routes pour faire le point.

Renseignez-vous sur les sentiers traditionnels.

Où est la route du bonheur ?

Alors, suivez-la et vous trouverez où vous refaire” (Jer 6,16).

Chers frères et soeurs dans le Christ,

Avec les élections du 11 mai 1992, nous arrivons à un carrefour de notre histoire nationale. Pour la troisième fois, vos évêques vous écrivent pour vous aider à prendre vos responsabilités dans cet événement. Dans notre première lettre du 22 juillet 1991, nous insistions sur la nécessité d’éduquer les électeurs, pour qu’ils soient capables de voter avec discernement. Nous dénoncions la politique des fusils, des gangsters et de l’argent (1). Nous vous demandions de vous organiser afin d’empêcher les irrégularités électorales. Le 28 novembre 1991 (2), nous avons publié une seconde lettre donnant des directives en vue d’un choix sage de candidats. Le même souci pastoral qui nous avait conduits à vous écrire les deux premières fois, nous pousse maintenant à le faire encore. Cette troisième lettre est le fruit d’une consultation très large et d’une réflexion commune dans la prière.

Où en sommes-nous ?

Nous apercevons dans notre paysage politique de nombreux signes encourageants: de plus en plus d’organisations apparaissent, dont le but est d’aider à l’éducation des électeurs et à la tenue d’élections honnêtes, comme le “Conseil pastoral des paroisses pour des élections responsables” (CPPER), le “Mouvement des citoyens pour des élections pacifiques”, le “Comité de surveillance des élections”. La population soutient ces mouvements avec enthousiasme. La Commission électorale (COMELEC) est désormais plus crédible; le comité de contrôle est composé de membres dont la loyauté n’est plus à prouver; la police et l’armée font leur possible pour que soit observée l’interdiction des armes et des milices privées. Il faut encore noter la conscience nouvellement acquise par les pauvres qu’en eux réside la puissance de Dieu et qu’ils sont les acteurs dynamiques de l’histoire. Augmente aussi le nombre de personnes de valeur, sans grandes ressources financières, mais libres vis-à-vis des partis politiques, qui se présentent comme des successeurs possibles aux vieux politiciens.

Dans ces faits nouveaux et en d’autres semblables, nous pouvons sentir le souffle régénérant de l’Esprit de Dieu.

Mais soufflent aussi des vents contraires qui s’opposent aux mouvements de l’Esprit: la persistance et même la recrudescence de la politique des pots-de-vin, du clientélisme et des attaques personnelles; le cynisme et l’apathie devant les élections; l’esprit grégaire de ceux qui exercent leur droit de vote; l’existence de milices privées et de la contrebande d’armes; les menaces proférées, dit-on, par l’Armée du Peuple nouveau contre les candidats qui n’accepteraient pas de se faire extorquer de l’argent.

L’existence de ces forces négatives révèle une crise profonde dans notre histoire. Le Seigneur nous ordonne de tirer profit de cette crise pour faire prendre un tournant décisif à notre nation.

Où allons-nous ?

Nous avancerons, si nous analysons sous l’angle de la foi notre lutte pour un nouvel ordre politique, et si nous nous y engageons, individuellement et en tant qu’Eglise, dans la fidélité à notre vocation chrétienne et à la mission de l’Eglise. Nous apportons dans ce combat les profondes convictions de notre foi.

Nous croyons que Dieu est aujourd’hui encore présent parmi nous, Lui qui, dans le passé, a libéré son peuple et nous a offert, par son Fils, la plénitude de la vie dans l’Esprit. Même si nous lui avons été infidèles, Lui nous reste fidèle.

Notre Dieu est présent, de manière spéciale, dans les pauvres et les faibles. Lui qui a choisi “ce qui dans le monde est vil et méprisé… pour réduire à rien ce qui est” (1 Cor. 1, 28), fait la même chose encore aujourd’hui.

Mais il ne nous “prendra par le bras” (Os. 11,3) que si nous nous tournons vers lui. L’état d’abjection dans lequel nous nous trouvons est un appel à la conversion: un appel qui nous est adressé individuellement et en tant que peuple. Dans une démocratie, le peuple se donne les leaders qu’il mérite. Les qualités de nos responsables reflètent souvent les nôtres comme peuple. Nos dirigeants manifestent les valeurs du peuple qui les a élus. Un peuple malhonnête élira des candidats malhonnêtes. Un peuple qui craint Dieu élira des candidats craignant Dieu. Souvent, nous en sommes réduits à choisir celui des candidats qui est le moins mauvais: cela montre la triste réalité de notre peuple. Nous avons beaucoup de politiciens indignes, tout simplement parce que nous les avons tolérés et même parfois, en temps d’élections, nous nous sommes faits leur complices.

Tournons-nous vers Dieu. Repentons-nous.

Qu’allons-nous faire ?

Nous devons en premier lieu revoir nos priorités. L’honneur et la dignité passent avant l’argent (Prov. 22,1); le service avant le pouvoir; le bien commun avant les petits intérêts égoïstes des groupes ou des personnes; la nation avant les relations personnelles ou le “utang na loob” (3).

C’est par le repentir d’un peuple que Dieu nous accordera le don de leaders renouvelés. Et alors, nous pourrons, avec discernement, choisir les hommes et les femmes que Dieu veut revêtir de l’autorité (Rom 13,1) et qui pourront nous sortir de la situation déplorable où nous nous trouvons. Nos votes seront l’expression de notre propre conversion et ils auront une influence décisive sur l’avenir de notre pays. Si nous votons en faveur de responsables dignes, nous opterons en fait pour que notre peuple ait une vie meilleure.

Qui devons-nous choisir? En tant qu’évêques, nous ne pouvons pas nommer explicitement ceux pour qui vous devez voter: ce n’est pas notre rôle et nous ne sommes pas compétents. Dans notre lettre pastorale du 22 novembre 1991, nous avons cependant indiqué certaines qualités indispensables. D’autres groupes d’Eglise ont donné des lignes de conduite plus élaborées, qui peuvent aider les électeurs à choisir avec sagesse. Ici, nous voulons simplement insister sur la nécessité d’élire des leaders compétents, dévoués, dont l’intégrité fera notre fierté et que nous pourrons présenter aux jeunes comme des modèles dignes d’être imités.

Nous en appelons aux différents candidats pour que dans leur campagne et leurs autres activités électorales, ils obéissent à la loi de Dieu et à celle du pays. Nous leur demandons de ne pas acheter les votes. Non seulement ce serait immoral, mais ce serait insulter les pauvres et retarder le développement de notre pays. Nous leur demandons avec insistance de signer une promesse par laquelle ils s’engagent à faire campagne uniquement sur les problèmes du pays et à faire en sorte que les élections soient libres, honnêtes et pacifiques.

Nous demandons à la COMELEC, à la police et à l’armée, aux membres du Comité de surveillance des élections et à tous ceux qui, à un titre ou à un autre, sont appelés à travailler pour les élections, de continuer à accomplir leur devoir avec fidélité et courage. Leur loyauté est due à Dieu et au peuple: à personne d’autre.

Nous demandons à l’Armée du Peuple nouveau de ne pas faire obstruction au processus démocratique en réclamant de l’argent aux candidats. L’extorsion d’argent, s’il est vrai qu’elle existe, ne fait que maintenir la corruption en même temps qu’elle réduit la liberté de choix du peuple.

Nous demandons aux hommes d’affaires d’apporter leur aide et leur soutien financier aux organisations oeuvrant en faveur d’élections claires, honnêtes et pacifiques. Ils pourraient même se joindre à ces organisations.

A ceux qui sont engagés dans les médias, nous demandons de toujours servir la vérité, et non pas des intérêts politiques partisans. Que leur reportages soient objectifs et leurs commentaires honnêtes. Qu’ils se contentent de rapporter les nouvelles, sans les fabriquer.

Que nos écoles fassent tout ce qu’elles pourront afin que nos jeunes puissent, en classe et à l’extérieur, participer de manière significative, au processus électoral. Là où le besoin s’en fait sentir, il ne faut pas hésiter à offrir les bâtiments de l’Eglise comme bureaux de vote.

Que les paroisses et les diocèses organisent dans les meilleurs délais des CPPER ou des groupes semblables, et qu’ils accordent leur soutien à ceux qui existent déjà. Que les mouvements d’Eglise et les autres associations persévèrent dans leur oeuvre d’éducation et d’organisation, et qu’ils établissent des liens entre eux. D’une façon plus précise, nous leur demandons de garder en mémoire les promesses faites par les candidats, de façon à vérifier, plus tard, si elles sont tenues ou non.

A vous tous, frères, nous demandons de ne relâcher ni votre effort ni votre vigilance, et de faire preuve de sagesse dans l’exercice de votre droit et dans l’accomplissement de votre devoir d’électeurs. Assurez-vous que seront élus des gens qui désirent servir et non pas être servis; des gens qui ne chercheront pas à protéger des intérêts masqués, mais qui se donneront pour but de servir la vie des autres, même au prix de sacrifices personnels (Mt 20,26-28; Lc 22,27). Que ceux qui le peuvent se portent volontaires pour faire partie des comités de surveillance des élections.

Ne vendez pas vos voix. Si vous le faites, vous offensez Dieu, vous trahissez votre pays, vous abandonnez votre dignité et votre avenir à des vauriens sans scrupule.

Pour manifester votre repentir et obtenir pour notre peuple la grâce de choisir sagement nos leaders dans des élections honnêtes, libres et disciplinées, nous vous invitons à vous unir à nous dans une campagne de prière et de jeûne. Seuls de tels moyens pourront venir à bout des maux qui affligent notre nation (Mc 9,29; Mt 17,21). Organisons des veillées de prière. Que nos vendredis de Carême soient des jours non seulement d’abstinence, mais de jeûne. Nous demandons à toutes les paroisses et à toutes les petites communautés chrétiennes de participer à un triduum de prière, du 8 au 10 mai 1992.

Le défi qu’il nous faut relever

Les élections qui approchent sont d’une importance capitale pour notre avenir. Elles seront ce que, individuellement et ensemble, nous déciderons qu’elles doivent être; elles seront ce que nous les ferons par notre travail et nos sacrifices. Elles peuvent être, soit une autre occasion manquée, soit les meilleures élections que nous ayons jamais eues. Elles peuvent être le signe du premier transfert de pouvoir dans la discipline et la paix pour notre pays, au bout de presque trente ans, ou bien elles peuvent déclencher l’instabilité nationale. Elles peuvent être un pas de géant en avant, ou un retour en arrière décourageant. Ne trahissons pas notre pays, soyons-lui fidèles. Ensemble, bâtissons un avenir meilleur, un avenir qui sera le nôtre si nous choisissons bien nos leaders. Notre force provient de Dieu et de notre solidarité.

Ecoutons l’appel de Seigneur: “Arrêtez-vous sur les routes et voyez. Renseignez-vous sur les chemins de jadis: quelle était la voie du bien? Suivez-la et vous trouverez le repos pour vos âmes ” (Jér. 6,16).

La Vierge Marie veille sur nous et notre pays avec un soin tout maternel et nous l’honorons pendant le mois de mai, le mois des élections: qu’elle obtienne de son Fils la grâce dont nous avons besoin pour prendre et mener à bien nos décision, à cette heure du Seigneur.