Eglises d'Asie

L’ISLAM EST-IL EN PROGRES?

Publié le 18/03/2010




[L’Indonésie est sans doute le plus tolérant des pays à forte majorité musulmane. Cela tient à son histoire et au tempérament conciliant de sa population. La Constitution donne à chacun le droit de choisir et de pratiquer sa religion, qu’il s’agisse de l’islam, des confessions chrétiennes ou des croyances traditionnelles. Cette coexistence harmonieuse ne met pas pour autant les différentes religions à l’abri des frictions et des susceptibilités, voire des rivalités. La position majoritaire de l’islam le pousse naturellement à faire prévaloir ses principes, ses lois, ses institutions. On peut espérer, pour le bonheur de l’ensemble de la nation, qu’il saura garder l’ouverture d’esprit qui a toujours été la sienne et qu’il restera fidèle à la traditionnelle tolérance indonésienne.]

Selon les sources officielles – plus ou moins colorées politiquement – 80% de la population indonésienne professe la religion islamique. Cela signifie que l’Indonésie, qui compte 180 millions d’habitants, est le pays qui possède la plus importante population musulmane du monde. Ce haut pourcentage est impressionnant; il est très souvent mentionné par les instances gouvernementales ou les cercles islamiques.

Ces chiffres ne sont toutefois pas confirmés par les données du dernier recensement (1980). On estime que le nombre des adeptes d’une autre religion (protestantisme, catholicisme, bouddhisme et hindouisme) équivaut à 18% de la population totale. De plus, au grand étonnement de tous, le pourcentage des adeptes des religions autochtones (kepercayaan, agama asli) serait de 30 à 40%. Ce dernier groupe ose de plus en plus se manifester ouvertement depuis que son existence a été reconnue en 1978.

Les résultats du dernier recensement, on le comprend, n’ont jamais été proclamés ouvertement car ils pourraient porter préjudice aux groupes islamiques. D’autre part, chacun sait que les responsables du courant connu sous le nom de “kepercayaan” continuent à faire pression sur le gouvernement pour que leur mouvement soit reconnu officiellement comme une “religion”, et non plus seulement comme un “courant culturel”. Cette exigence est fermement combattue par l’islam parce que beaucoup qui se présentent aujourd’hui comme musulmans, passeraient vraisemblablement alors au groupe des “kepercayaan”.

Quand on dit que les musulmans indonésiens sont très tolérants, il faut le comprendre en gardant à l’esprit que beaucoup d’entre eux sont encore fortement attachés aux convictions religieuses locales; ou du moins qu’ils ne sont pas de stricts pratiquants de l’islam. On peut imputer leur attitude à la forte attirance qu’exercent sur beaucoup de musulmans la mystique ou le soufisme. Le groupe des musulmans orthodoxes qualifie ce courant de “syncrétisme”, de “shirk” (déchet) et de “panthéisme”.

Pour parvenir à une vue d’ensemble de la situation de l’islam en Indonésie, nous nous arrêtons d’abord à un thème qui reste “brûlant”: celui du Tribunal religieux islamique (“Peradilan Agama Islam”, PAI). Nous verrons ensuite quelle est l’attitude des musulmans envers le “Pancasila”, c’est-à-dire l’idéologie officielle de la République, qui veut lier en une solide unité les groupes de population qui diffèrent par la religion, la langue ou l’ethnie. Nous nous demanderons alors où en est la liberté de religion en Indonésie du point de vue de l’islam, en relation avec la récente visite du pape Jean-Paul II. Finalement, nous verrons comment la jeune intelligentsia joue un rôle déterminant dans le progrès de l’islam en Indonésie.

Reconnaissance officielle du “Peradilan Agama Islam” (PAI)

Le 29 décembre 1989 est une date très importante pour l’islam indonésien. Ce jour-là, lors d’une session officielle de la Chambre (Dewan Perwakilan Rakyat), le président Suharto reconnut l’existence et les droits du “Peradilan Agama Islam” (PAI), le Tribunal religieux islamique, à qui certains pouvoirs juridiques furent concédés.

Cela signifiait que l’islam obtenait, du moins en partie, qu’on accorde une place au droit islamique (“shari’at”) dans le système juridique de l’Etat. Selon la loi, en effet, le PAI a le droit de se prononcer, quand il s’agit de musulmans, sur certains litiges, dont les affaires de mariage et d’héritage, sans que soit nécessaire une confirmation officielle de la part du tribunal civil.

Beaucoup de musulmans, principalement parmi ceux qui se mouvaient sur le terrain de la politique et du droit, se sentaient dévalorisés du fait de leur influence restreinte en dépit de leur majorité numérique. Cette reconnaissance signifiait pour eux une “victoire” sur les autres groupes.

Pour ces derniers par contre, la reconnaissance du PAI était une indication claire qu’on poursuivait dorénavant sur le terrain juridique ce qui était connu comme “Piagam Jakarta”, c’est-à-dire une formulation de la préface de la Constitution de 1945, liant la reconnaissance de l’existence de Dieu et l’obligation pour les musulmans de se soumettre à la loi islamique.

Cette formulation date du 22 juin 1945; mais les fondateurs de l’Etat indonésien actuel n’ont pas voulu y toucher, dans l’intérêt de l’unité du peuple et du pluralisme existant. Ce n’est un secret pour personne que tous les musulmans de tendance fondamentaliste continuent à rêver de ce “Piagam Jakarta”. Aujourd’hui, après quarante-six ans d’indépendance, l’islam ose mettre en avant, bien que pas encore de façon définitive, l’intention finale de cette formulation.

Il est devenu évident que la reconnaissance du PAI suscite l’opposition de beaucoup, aussi bien des groupes que des individus, aussi bien des non-musulmans que de certains adeptes de l’islam. Certains juristes pensent que l’activité du PAI crée une dualité dans le système juridique actuel. Le PAI se base sur la loi islamique, tandis que la justice civile s’appuie sur l’idéologie nationale du Pancasila et sur la Constitution de 1945. Cette dualité peut mettre en péril la création et le développement d’un code législatif unique fondé sur le Pancasila.

Par l’intermédiaire du ministre des Affaires religieuses, qui, cela va de soi, est un musulman, le gouvernement insiste sur le fait que l’existence du PAI n’a pas de conséquences néfastes pour ceux qui professent une autre religion. Le PAI, dit le ministre, doit être considéré en fonction de l’idéal “Bhinneka Tunggal Ika” (unité dans la diversité). De plus, le PAI constitue une contribution de l’islam au développement du droit national, auquel tous les groupes ont la possibilité de contribuer, dit-on. Le ministre proclame: “Si d’autres religions ont un système juridique qui est pour elles d’importance vitale, alors nous l’incorporerons au droit national”. Lors d’une visite dans la province d’Aceh, le même ministre dit encore: “La législation concernant le PAI n’est pas typique d’un régime islamique, parce que notre Etat n’est pas un Etat islamique. La même chose vaut pour ce qui regarde la genèse de cette législation: il n’y a pas eu de pression politique pour qu’on passe du projet de loi à la loi sur le PAI. Cette législation ne fait qu’exprimer ce dont l’islam a besoin en Indonésie. Il serait vraiment aberrant que, dans un pays où 88% (sic) de la population est musulmane, il n’existe pas de PAI”.

Mis à part la genèse et les fondements du droit, reste la question des droits de l’homme, et en particulier du droit à la justice. Cette question fut posée par le “Parti démocratique indonésien” (1) en ces termes: “Comment le gouvernement garantit-il à chacun le droit de choisir lui-même son système juridique, de sorte que, par exemple, un musulman serait libre de ne pas faire trancher une affaire d’héritage par le PAI?” Cette question présuppose que ce ne sont pas tous les musulmans qui souhaitent régler leurs différends par l’intermédiaire de la loi islamique.

Il règne maintenant un certain malaise: le cas du PAI pourrait être suivi de cas analogues. Cette crainte est d’autant plus fondée que le gouvernement a l’intention de codifier et d’unifier le système juridique national. Le régime existant est un héritage de la période coloniale, et c’est pourquoi le gouvernement veut le modifier, par l’introduction d’éléments de droit traditionnel (“hukum adat”), de droit islamique et de droit occidental.

Dans ces questions de droit, l’islam possède un certain avantage, parce qu’il jouit d’une tradition et d’une forme de pensée juridiques. Par ailleurs, l’organe législatif national (“Badan Pembinaan Hukum Nasional”) tend de plus en plus à se colorer en “vert” (2), et les musulmans trouvent que l’occasion est propice pour tenter de réaliser leurs aspirations.

L’islam et l’idéologie nationale du Pancasila

Le fait que l’islam ait obtenu la reconnaissance du PAI est à lier à son acceptation de l’idéologie du Pancasila comme base du système étatique et comme unique fondement des formes d’organisation de la société (3).

Cependant, dès la naissance de la République (17.08.1945), il y a toujours eu un groupe de gens qui ont refusé le Pancasila comme idéologie fondamentale de l’Etat indonésien. Ils voient dans cette idéologie – qui n’est que le produit de la réflexion humaine – un défi à l’islam, qui, lui, est une religion révélée par Dieu. Parce que la majorité de la population indonésienne est musulmane, ils exigent que l’islam soit aussi l’idéologie fondamentale de l’Etat indonésien. Ils font valoir que les valeurs humaines exprimées dans le Pancasila se trouvent déjà dans le Coran, parce que le Coran présente un enseignement global et complet.

Cependant, grâce à la subtilité politique du président Sukarno, et sous la pression des groupes nationalistes et non islamiques, les différentes tendances sont parvenues à se mettre d’accord sur le fait que le Pancasila serait l’idéologie nationale de la République d’Indonésie.

Pour l’islam, cet accord ne pouvait être que provisoire; il ne se justifiait que par le sens des responsabilités des musulmans qui voulaient, dans la situation politique critique de l’année 1945, collaborer positivement à la construction de l’unité nationale. Ce n’est en effet que sur la base d’une solide unité nationale que l’Indonésie pouvait affronter ses adversaires de l’époque (le Japon et les Pays-Bas). Par la suite, lorsque l’atmosphère politique devint plus sereine, l’islam fit pression sur le gouvernement aussi bien par des moyens politiques (la Constituante (4) dans les années 1950) que par des conflits armés (5) dans certaines régions, pour remplacer le Pancasila par la loi islamique.

L’histoire nous apprend que cette exigence n’a pas été satisfaite et que l’islam a été ramené à l’intérieur des limites du jeu politique indonésien. L’islam devint ainsi un rival dont on se méfiait dans les cercles politiques. Le temps a passé; l’islam peut à nouveau respirer car la période de méfiance réciproque est terminée. L’islam est maintenant disposé à accepter le Pancasila non seulement comme fondement du régime, mais encore comme fondement unique pour la formation des organisations sociales.

Cette prise de position de l’islam répond-elle à une conviction sincère ou n’est-elle que tactique? Abdurrahman Wahid, leader du “Nahdatul Ulama” (la plus importante des organisations islamiques) et musulman influent qui entretient des liens étroits avec des groupes non islamiques, répète que l’islam doit s’en tenir au consensus obtenu. De même, Nurcholis Madjid, leader du “Muhammadiyyah” (un groupement islamique de grande influence, favorable à la rénovation) et intellectuel de formation occidentale. Abdurrahman Wahid pense que l’acceptation du Pancasila ne signifie pas nécessairement, pour l’islam, un obstacle à la réalisation de ses propres aspirations. La façon de fonctionner doit changer, mais la substance reste la même, c’est-à-dire les valeurs islamiques. A propos d’un éventuel renversement de situation, il dit: “Le renversement pourrait avoir lieu dans le sens littéral du mot, mais aussi dans le sens de l’intention. J’ai déjà dit que nous étions bien d’accord sur ce point: le changement doit se faire dans le cadre du Pancasila. Mais il y a, dans ce cadre, possibilité de changer les structures: sinon le système politique, du moins le schéma culturel. Ce qui est important pour notre société, c’est le schéma culturel et non le système politique.”

Sans doute, comme fondement du régime, le Pancasila propose une idéologie très générale, pour ne pas dire vague. A ce sujet, K.H. Masjkur, chef de file musulman d’avant 1966, disait un jour: “Le Pancasila est une formulation qui n’a pas de contenu; il reste à lui donner un contenu. Le Pancasila reçoit une forme concrète des mains de celui qui lui donne un contenu. Quand, par exemple, l'”existence d’un Dieu tout-puissant” reçoit son contenu de quelqu’un ou d’un groupe qui considère une pierre comme Dieu, alors l’existence d’un Dieu tout-puissant est, au point de vue du contenu, une pierre. Si le contenu est donné par quelqu’un ou par un groupe qui considère qu’un arbre est divin, alors le contenu devient un arbre”.

Ce fait de donner un contenu au Pancasila selon les désirs de chacun est antérieur à 1965 (Ordre ancien). Pour rassembler tous les partis sous un dénominateur commun, Sukarno créa le terme “Nasakom” (Nationalisme, religion, communisme), qui, selon lui, trouvait aussi son origine dans le Pancasila. Pendant la période d’après 1965 (Ordre nouveau), on reprocha précisément au gouvernement d’utiliser le Pancasila comme arme contre les opposants politiques. En les accusant de trahir l’idéologie nationale, le gouvernement peut facilement, en effet, faire taire ou emprisonner ses opposants.

L’islam propose maintenant de combler ce vide du Pancasila par les valeurs islamiques, comme un ensemble cohérent ou comme une alternative à côté du système de valeurs existant: l’islam n’est pas en contradiction avec les valeurs humaines qui sont contenues dans le Pancasila. Et même, ainsi que Dieu l’a révélé, l’islam sera une bénédiction pour tous les peuples (“rahmatan lil ‘alamin”).

Dans ces conditions, la lutte idéologique n’est pas terminée en Indonésie… Elle arrive même maintenant à une phase très difficile et délicate: il faut donner un sens et un contenu au Pancasila. Le camp islamique en est parfaitement conscient; certains autres groupes également. Il n’est donc pas difficile de comprendre qu’un chef de file islamique appelle les jeunes intellectuels musulmans à donner un contenu social aux fondements de l’islam.

L’islam et la liberté de religion

L’un des grands mérites du gouvernement indonésien, dont il peut être fier, est sa préoccupation de garantir la liberté religieuse. Cette liberté apparaît comme extraordinaire quand on établit une comparaison avec d’autres pays à majorité musulmane comme l’Egypte, la Libye, l’Arabie Saoudite, la Syrie ou le Pakistan. Les Indonésiens ont de plus, à la différence des citoyens des autres pays musulmans, la liberté de passer d’une religion à l’autre.

Respectant pleinement l’esprit du premier principe du Pancasila, de la Constitution de 1945 (article 29) et de la Déclaration des droits de l’homme des Nations Unies (article 18), le gouvernement garantit la pleine liberté religieuse: “…L’usage du droit à cette liberté ne peut se produire d’une façon qui est en opposition avec le droit à la liberté des autres ou d’une autre communauté croyante… Le gouvernement ne créera aucun obstacle pour celui qui, volontairement et selon sa propre décision, passe d’une religion à l’autre. Le gouvernement n’interdit à personne d’assister en toute liberté à un exposé, un sermon, un office ou une proclamation de foi avec l’intention de connaître une religion donnée”.

Dans la pratique, cependant, toutes sortes d’entraves peuvent se présenter. Comme on pouvait le prévoir, la religion chrétienne est, pour l’islam, la plus menaçante. On entend souvent les musulmans se plaindre de l’activité de “Mission et évangélisation”, qui ne serait pas loyale. Les services sociaux assurés par les Eglises comme l’enseignement, les soins aux malades, l’accompagnement des familles ou les consultations pour l’agriculture sont souvent considérés comme des tentatives déloyales de prosélytisme envers les musulmans pauvres et faibles à la limite de la survie.

Le mécontentement du camp islamique a été clairement formulé dans une lettre au pape Jean-Paul II lors de sa visite en Indonésie: “(…) Le rapport ci-inclus sur les activités déployées à Yogyakarta et environs pour pousser les gens à devenir chrétiens le prouve suffisamment. Ces activités sont la cause de tensions croissantes entre les deux groupes religieux, les chrétiens et les musulmans. Nous formulons l’espoir que Votre Sainteté aura ainsi une vision plus exacte de la situation actuelle et qu’un sage conseil de Votre Sainteté pourra contribuer à l’amélioration des rapports entre les religions, entre les catholiques, les chrétiens en général et les musulmans, pour le bien de l’humanité.”

Le contenu de cette lettre ne peut évidemment être considéré comme l’expression du point de vue des musulmans dans leur ensemble. Elle fut signée par M. Natsir et trois amis fidèles, qui sont connus pour leur attitude agressive envers les chrétiens. A la différence de M. Natsir, Abdurrahman Wahid est beaucoup plus ouvert aux autres groupes religieux. Le courage avec lequel il dialogue avec les chrétiens, et son assurance devant les menaces qui lui viennent de son propre camp islamique font penser à l’attitude qui était celle de M. Gorbatchev face à l’Occident et face à la hiérarchie intransigeante du Parti.

La jeune intelligentsia islamique

La présence de jeunes intellectuels parmi les musulmans est une donnée importante. Ce groupe a acquis sa formation et ses diplômes dans des universités d’Etat ou des universités islamiques, nationales ou étrangères. Nurcholis Madjid voit cette arrivée de jeunes intellectuels comme un signe de la fin de l’ère coloniale, pendant laquelle l’islam se sentait freiné dans le domaine de l’enseignement. La communauté islamique est très consciente de la présence et de l’influence de cette jeune intelligentsia. C’est pourquoi tous les efforts tendent à unir les forces de cette élite, aussi bien par le moyen d’instituts scientifiques que par des organisations davantage orientées vers la pratique.

L’existence et la ferveur de ce groupe doivent être considérées en fonction du courant de renouveau qui se manifeste dans d’autres pays islamiques. L’influence la plus forte vient peut-être du Caire, où se poursuit l’approfondissement intellectuel de l’islam commencé par Muhammad Abduh et continué par Sayyid Qutb.

L’influence de l’Egypte n’est pas seulement due au courant des étudiants musulmans formés à l’université Al-Azhar, mais aussi au flot de livres qui en parviennent et qui sont des traductions des oeuvres de ces deux pionniers. Le message le plus important qui vient d’Egypte est l’encouragement à appliquer l'”ijtihad”, ce qui veut dire une interprétation du Coran et du Hadith basée sur une approche moderne et rationnelle.

La chute du Shah d’Iran a clairement renforcé la confiance qu’a d’elle-même la jeune intelligentsia islamique. L’un des pionniers, auquel on se réfère volontiers, est le martyr de la révolution iranienne Murtadha Muttahari, un idéologue proche de Khomeiny. Muttahari, spécialiste du marxisme, est surtout connu en Indonésie pour avoir réussi à introduire une idéologie révolutionnaire dans l’enseignement islamique. Ses livres ont été traduits; ils fournissent des sujets de discussion aux jeunes à la recherche d’un idéal. Il est commémoré par le nom d’un internat islamique moderne à Bandung, le “Pesantren Muttahari”.

Autrefois, l’Occident – les Etats-Unis surtout – influençaient aussi le pays. Le grand pays capitaliste servait de modèle parce que c’est là que vivaient et travaillaient les penseurs modérés (sinon radicaux) de l’islam qui n’étaient pas tolérés dans leur propre pays (6).

De l’Occident, les jeunes intellectuels musulmans apprennent encore comment appliquer les sciences sociales et la philosophie dans la relecture qu’ils font de leurs traditions et comment étendre ensuite cette relecture à la situation de l’Indonésie moderne.

La présence de l’intelligentsia musulmane se fait sentir de plus en plus depuis la fondation de l'”Ikatan Cendikiawan Muslim Indonesia” (ICMI) – Association des intellectuels musulmans d’Indonésie – dont l’actuel ministre de la Recherche et de la Technologie est le président.

Actuellement, le gouvernement donne à la communauté musulmane toute liberté pour présenter ses aspirations. Comparé à l’islam d’Egypte ou de Syrie, par exemple, l’islam indonésien est beaucoup plus libre; on lui accorde plus d’attention. Sa participation à la vie politique est maintenant beaucoup plus grande qu’au temps de la colonie et de l’Ordre ancien. Dans le passé, on se méfiait de l’islam parce qu’il voulait imposer un modèle tout fait. La situation actuelle résulte peut être d’une nouvelle stratégie de la part de l’islam (davantage de collaboration avec le gouvernement) ou d’un essai, de la part du gouvernement, de s’assurer la collaboration de l’islam.

Que veut l’islam en Indonésie? Il est difficile de trouver une réponse à cette question; mais il est urgent de se la poser. Il est clair qu’il ne s’agit plus de reconnaître une majorité numérique qui, en termes d’influence, serait minoritaire.

On peut donc affirmer sans risquer de se tromper que l’islam jouit aujourd’hui d’un pouvoir accru et qu’il a de réelles possibilités de déterminer lui-même son propre avenir.