Eglises d'Asie

TRAVAILLEURS ASIATIQUES EXPATRIES

Publié le 18/03/2010




Chaque année, des centaines de milliers d’Asiatiques vont chercher un moyen de subsistance hors de leur pays. Ce sont autant d’aventures individuelles et familiales, où d’aucuns ne verront cependant qu’un phénomène marginal, à peine perceptible à l’échelle d’un continent dont les habitants se comptent par milliards. Pour l’observateur placé ni trop près ni trop loin, les migrations de travailleurs s’expliquent par les mécanismes du marché de l’emploi, par l’action d’intermédiaires qui en tirent profit, elles développent des effets que les pouvoirs publics favorisent, tentent de freiner ou d’infléchir selon qu’ils y voient un appoint pour la balance commerciale ou le germe de crises futures… C’est de ce point de vue socio-économique que plusieurs études et enquêtes, dont nous rapportons ici la substance (1), viennent de faire le point sur le sujet.

Les flux migratoires

D’après les chiffres officiels, les pays en forte croissance économique de l’Asie de l’Est -Japon, Corée, Taiwan et Hong-Kong -, qui n’avaient accueilli que 30 000 travailleurs d’autres pays d’Asie en 1980, en comptaient cinq fois plus en 1988. Il faudrait vraisemblablement doubler ces chiffres pour tenir compte de l’immigration clandestine.

Le Japon reçoit, à titre provisoire, environ 80 000 travailleurs chaque année, dont plus de 90% viennent d’autres pays d’Asie. S’ajoutent à ce nombre beaucoup de travailleurs qui ne sont pas enregistrés parce qu’ils sont venus comme étudiants ou comme touristes et ont obtenu un permis de séjour à durée limitée.

A Taiwan, les autorités viennent de prendre des mesures plus strictes en vue de freiner l’emploi d’étrangers qui sont, là encore, en majorité des Asiatiques. Les entrées annuelles à Taiwan sont de l’ordre de 30 000, à en juger par les chiffres des pays d’origine: Philippines, Indonésie, Malaisie, Thaïlande.

A Hong-Kong, le nombre des entrées illégales de travailleurs venus de Chine populaire a diminué dans les années 80. On estime qu’il atteint aujourd’hui quelque 27 000 personnes par an.

L’analyse des flux annuels peut être complétée par la statistique suivante des travailleurs étrangers présents dans les pays d’Asie de l’Est à la veille de la guerre du Golfe (2):

Japon 137 000

Taiwan 38 000

Hongkong 102 000

_________

277 000

en provenance de:

Corée du Sud 20 000

Philippines 144 000

Indonésie 5 000

Malaisie 29 000

Thaïlande 47 000

Bangladesh 13 000

Pakistan 19 000

_________

277 000

Pour l’Asie du Sud-Est, la même source indique comme travailleurs immigrants présents avant la guerre du Golfe:

Brunei 29 000

Singapour 125 000

Malaisie 590 000

________

744 000

en provenance de:

Philippines 109 000

Indonésie 520 000

Malaisie 62 000

Thaïlande 38 000

Bangladesh 15 000

________

744 000

Cette situation résultait d’une part de la venue clandestine dans la Malaisie occidentale et à Sabah de travailleurs agricoles indonésiens, thaïlandais, philippins…, au rythme probable de 50 000 par an, d’autre part de l’attirance vers Brunei et Singapour d’une main d’oeuvre plus qualifiée, en partie d’origine malaisienne.

En Asie du Sud, les frontières sont restées ouvertes à des échanges saisonniers de main d’oeuvre agricole entre l’Inde, le Bangladesh et le Népal, sans évolution notable au cours des années 80. A la veille de la guerre du Golfe, on estime à un million les travailleurs venus du Bangladesh au Pakistan.

Les chiffres les plus élevés se rapportent à l’émigration de travailleurs asiatiques vers le Moyen-Orient. Ce mouvement a régulièrement diminué depuis 1984, après l’achèvement de nombreux projets de construction. Mais les pays du Golfe sont restés un énorme marché du travail. Les arrivées de travailleurs asiatiques, qui avaient presque atteint le total de 950 000 en 1983, s’étaient stabilisées autour de 750 000 par an à la veille de la guerre du Golfe. Les quelques 2,3 millions d’individus présents au Moyen-Orient provenaient de:

Pakistan 1 000 000

Inde 500 000

Sri Lanka 100 000

Bangladesh 250 000

Thaïlande 100 000

Philippines 350 000

__________

2 300 000

En Europe, les mesures de restriction prises dans les années 80 ont notablement réduit l’immigration légale, mais des travailleurs clandestins ont continué à venir. En Italie, par exemple, un récent programme de légalisation des permis de séjour a révélé la présence de plus de 30 000 Philippins et de 10 000 Srilankais venus clandestinement occuper des emplois de chauffeurs, d’employés d’hôtel, de femmes de chambre… Beaucoup de Philippins sont arrivés en Europe grâce aux filières mises en place par des compatriotes déjà installés en Espagne, en Italie ou en Grande-Bretagne. En France, on estime à quelque 20 000 le nombre des Philippins travaillant clandestinement. Certains sont venus après quelques années de travail au Moyen-Orient.

En 1989, il y avait environ 190 000 travailleurs vietnamiens dans les pays de l’Europe de l’Est:

Union soviétique 80 000

Allemagne orientale 60 000

Tchécoslovaquie 27 000

Bulgarie 23 000

_______

190 000

Ce sont des pays avec lesquels la République démocratique du Vietnam avait conclu des accords d’envoi de main d’oeuvre en échange d’aide technique ou financière. Ces travailleurs prêtés par un gouvernement ami se sont trouvés dans une situation très difficile après les bouleversement politiques des pays de l’Est et leur ouverture à l’économie de marché. Les chiffres manquent au sujet de leur sort récent.

Dans les années 80, les entreprises coréennes chargées d’importants programmes de construction en Libye ont embauché chaque année une moyenne de 18 000 Thailandais, Pakistanais, Philippins et Bangladeshis, tandis que les autres pays d’Afrique attiraient un petit nombre d’Asiatiques appartenant à des professions libérales, au personnel de santé ou à l’enseignement.

En Amérique, les chiffres qui concernent l’immigration manquent de précision. Nous savons par exemple que les Etats-Unis ont admis 260 000 Asiatiques chaque année, mais ce nombre comprend hommes, femmes et enfants et laisse de côté les milliers de travailleurs entrés avec un visa de touriste. Au Canada, les Asiatiques admis comme immigrants pendant les années 80 ont été de moins en moins nombreux, jusqu’à n’être que 40 000 environ en 1987. Le pays recherche en Asie, en particulier à Hongkong, des professionnels compétents.

Mis à part les réfugiés, 28 000 Asiatiques en moyenne, hommes, femmes et enfants, ont été accueillis chaque année en Australie. C’est seulement en milliers qu’en l’absence de statistiques sûres, on peut estimer les flux annuels de travailleurs venus légalement ou clandestinement d’Asie du Sud-Est ou de l’Est dans les autres pays du Pacifique: Papouasie-Nouvelle Guinée, île de Guam etc.

Facteurs démographiques et économiques

L’importance des flux migratoires, les directions qu’ils prennent vers tel ou tel pays, leur rythme… tiennent à des causes démographiques, économiques et politiques.

L’évolution de la population d’Asie paraît annoncer des déplacements de plus en plus considérables, vers Hongkong, Taiwan, Singapour et la Corée, de travailleurs venus des pays en voie de développement. Dans ces derniers pays, qui subissent déjà de sérieux problèmes de chômage, l’augmentation très rapide, dans les vingt prochaines années, de la population en âge de travailler va susciter de fortes pressions sur les terres cultivables comme sur les autres ressources et poussera à l’émigration. Ainsi au Bangladesh, qui compte déjà plus de dix millions de chômeurs, rares sont les possibilités de créer de nouveaux emplois, ne serait-ce que pour les jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail. A l’opposé, le Japon doit affronter la diminution et le vieillissement de sa population.

Les données de la démographie se conjuguent avec d’autres facteurs. Ainsi, l’interdépendance économique croissante entre les pays d’Asie qui bordent le Pacifique va probablement devenir le moteur principal des flux migratoires dans cette région du globe. Au cours des années 60 puis 70, la Corée, Taiwan… travaillaient pour le Japon. Aujourd’hui, ces deux pays, de même que Hongkong et Singapour, ont à leur tour transféré une part de leur activité industrielle dans les pays de l’ASEAN. On estime qu’ensemble, ils ont déjà directement investi trois milliards de dollars américains dans les quatre pays suivants: Malaisie, Thaïlande, Indonésie et Philippines. Ces transferts de capital sous la forme d’investissements directs devraient diminuer les pressions qui pèsent sur le marché du travail et qui poussent les demandeurs d’emploi à s’expatrier. Mais, en même temps, ces investissements à l’étranger déplacent d’un pays à l’autre les personnels impliqués dans les programmes de production: ingénieurs, contrôleurs financiers, etc. En témoignent les groupes déjà nombreux de Japonais, Coréens, Taïwanais qui séjournent dans les capitales de l’ASEAN et le flux continu de représentants de pays de l’ASEAN vers Singapour, Hongkong, Taipei, Tokyo…

Le facteur économique sera également déterminant pour la reprise de l’immigration de travailleurs asiatiques au Moyen-Orient. La perspective d’un prompt retour au Koweit de ceux qui y étaient auparavant employés se révèle fausse. Il pourrait s’écouler encore une année ou davantage avant que ce pays soit en mesure d’accepter d’autres individus que les spécialistes nécessaires à la remise en état de ses infrastructures et à la reprise de sa production pétrolière. Et, pour la suite, les pays d’Asie capables d’offrir une main d’oeuvre qualifiée, ainsi que des garanties pour son rapatriement, seront en meilleure position que les autres.

D’une façon générale, les flux migratoires d’Asie vers les pays du Golfe, vont probablement baisser dans les années qui viennent, tant la situation économique de ces pays a changé. Les revenus du pétrole ont chuté. Beaucoup d’entreprises créées dans les années du boom sont en difficulté. La crise qui sévit en Occident réduit les débouchés des industries pétrochimiques construites à partir de 1980. Et le coût élevé de la guerre du Golfe, qu’il va falloir en partie rembourser, ne fera, prévoit-on, qu’aggraver la situation.

Agences de placement

L’émigration pour le travail se prête à un fructueux commerce, dont les Philippines offrent un bon exemple. Les Philippins qui travaillent en dehors de leur pays lui procurent le quart des profits de son commerce extérieur. Cette exportation invisible est donc fortement encouragée. Il y aurait d’ailleurs 8% de la population active, 2,5 millions de personnes, qui voudraient partir travailler à l’étranger. Cela explique l’existence, à la fin de 1991, de quelque 680 agences de placement déclarées à l’organisme gouvernemental chargé des contrats de travail outre-mer. Ces agences se sont occupées pendant l’année d’environ 700 000 travailleurs sous contrat, et ont réalisé grâce à eux un chiffre d’affaires situé entre 100 et 400 millions de dollars américains. Mais il faut ajouter les agences non déclarées, au moins aussi nombreuses, qui multiplient de deux à trente fois le tarif d’obtention des papiers nécessaires à l’émigrant (tarif légal: 194 dollars américains).

Les agences opèrent pour toutes les catégories professionnelles recrutant aussi bien danseurs que dentistes. Toutefois la plupart se spécialisent dans un secteur d’activité. En 1991, 307 agences privées déclarées ont recruté pour des emplois d’assistance ménagère et pour l’industrie des loisirs.

Une fois un candidat embauché son nouvel employeur d’outre-mer paie son voyage avion et verse à l’agence une commission dont le montant peut aller de 100 à 400 dollars américains. Les agences patentées se joignent aux autorités pour alerter les candidats au départ sur les risques de toutes sortes qu’ils courraient en passant par les filières illégales.

Politiques d’immigration

Beaucoup de gouvernements de l’ASEAN ont jusqu’à présent hésité à contrôler les flux de travailleurs entre Etats, dans la crainte de tuer la poule aux oeufs d’or. Mais ces flux ont pris une telle ampleur, ils ont un tel impact sur la situation intérieure et sur l’équilibre social que les dirigeants sont obligés d’adopter des politiques plus spécifiques.

La Malaisie, l’Etat de Singapour et, de plus en plus, la Thaïlande, font venir des travailleurs étrangers en grand nombre pour des raisons qui tiennent moins à l’insuffisance numérique de leur propre main d’oeuvre qu’à son évolution sociale. En faisant évoluer les travailleurs du pays, la croissance économique a fait naître une demande de renforts extérieurs.

A Singapour, c’est surtout le coût de plus en plus élevé de la main d’oeuvre locale qui a accéléré l’embauche d’immigrés depuis les années 70. Ayant atteint en 1991 un revenu par tête de 13 000 dollars américains – chiffre le plus élevé de la région – la République emploie entre 170 et 200 000 étrangers, qui représentent dix pour cent de la population active.

La Malaisie et la Thaïlande souffrent d’un manque de main d’oeuvre non qualifiée parce que leur propre population préfère de meilleurs emplois, mieux rémunérés. Cette préférence explique la présence de 100 ou 200 000 travailleurs birmans dans le nord de la Thaïlande et la prépondérance des ouvriers indonésiens sur les chantiers de construction en Malaisie. Un phénomène dit d’escalator apparaît ainsi dans ce dernier pays, comme d’ailleurs en Thaïlande: il fait venir de la main d’oeuvre non qualifiée ou semi-qualifiée d’Indonésie et exporte des travailleurs qualifiés à Singapour.

Les déplacements de travailleurs d’un pays à l’autre sont donc liés à la formation et aux changements des couches sociales. Parmi les Philippins qui partent travailler à l’étranger, certains sont cadres moyens dans le secteur privé en Indonésie, tandis que le plus grand nombre, peu ou pas du tout qualifiés, sont à Singapour et en Malaisie.

Ces mouvements de travailleurs entrent également dans l’équation complexe de l’équilibre des ethnies et des religions, par exemple dans un pays comme la Malaisie dont la population comprend des Malais, des Chinois et des Indiens. La lutte des Malais musulmans pour l’hégémonie politique n’a-t-elle pas encouragé l’entrée de travailleurs indonésiens musulmans? Ceux-ci ne sont officiellement que 75 000, surtout dans les plantations. Mais au dire des syndicats le vrai chiffre est dix fois plus élevé. Quoi qu’il en soit, la communauté de langue, de religion et de coutumes favorise à coup sûr l’intégration rapide des immigrants indonésiens dans la population malaise. Nombreux sont ceux qui ont obtenu le statut de résidents permanents. Le même statut a été accordé dans l’Etat de Sabah aux centaines de milliers de Philippins venus de la province voisine de Mindanao à dominante musulmane, et grâce auxquels l’Etat fédéral pense peut-être pouvoir inverser les rapports de force en faveur des musulmans aujourd’hui minoritaires. L’Etat de Sabah est le seul Etat de Malaisie à être gouverné par des chrétiens.

Dans les pays qui ont trop de bras, comme l’Indonésie et les Philippines, le gouvernement a deux raisons de chercher à orienter la main d’oeuvre en surnombre vers l’extérieur: diminuer la pression sur le marché interne du travail, augmenter les rentrées de devises. Les dirigeants de certains pays d’accueil cherchent à faire le contraire.

Ainsi l’Etat de Singapour, soit qu’il prévoie que les activités à haute technologie vont prendre la place des industries de main d’oeuvre, soit qu’il perçoive les implications sociales d’un trop grand nombre d’immigrants. “Singapour, déclarait en octobre 1991 le ministre du travail, a saturé sa capacité d’accueil de travailleurs étrangers”. Les chefs d’entreprises ont donc été incités à dépendre moins de ceux-ci, en automatisant davantage leur production ou bien en transférant les opérations manuelles dans d’autres pays.

En Malaisie, le contrôle plus strict des travailleurs étrangers ne doit pas freiner le développement de l’économie qui réclame un appoint de main d’oeuvre extérieure. Le chômage a en effet baissé de 7,5 à 4,3% en 1990-91 et, selon le département de la main d’oeuvre, 26 000 emplois n’ont pu être pourvus en 1991. Devant ce besoin, le gouvernement a annoncé que les étrangers demandeurs d’emploi seraient accueillis plus nombreux mais de façon sélective, dans les activités de services et les entreprises de main d’oeuvre, moyennant une taxe allant de 140 à 770 dollars américains. Les dirigeants des syndicats ont protesté: selon eux, des Malais ne trouvent pas de travail parce qu’on embauche des Indonésiens à des salaires plus bas; en outre, ils soupçonnent le patronat d’exagérer la pénurie de main d’oeuvre locale parce que l’embauche d’étrangers lui permet d’éviter de payer les salaires plus élevés et les avantages que réclament les travailleurs du pays. De son côté, le gouvernement se garde d’encourager à l’excès l’embauche d’immigrants, car l’opinion publique voit les concentrations d’Indonésiens entrés sans papiers comme autant de foyers de criminalité.

Ainsi la Malaisie illustre-t-elle le problème posé à tous les dirigeants politiques du sud-est asiatique: trouver le point d’équilibre entre la main d’oeuvre importée et la situation locale de l’emploi, entre l’état de la société et l’impact sur elle des forces “déstabilisatrices” introduites par les travailleurs immigrés…, le problème étant d’autant plus complexe que l’immigration est largement clandestine.

La pénurie de main d’oeuvre fait également réviser la politique de Taiwan en matière d’accueil des étrangers (3). Déjà annoncée en 1991 en faveur de grands programmes de construction, l’ouverture vient d’être étendue à certaines industries de main d’oeuvre et à des services comme les infirmières à domicile et les aide-ménagères. Les autorités prévoient de recevoir ce renfort de quatre pays: Indonésie, Malaisie, Thaïlande et Philippines, et négocient actuellement dans ce but avec leurs responsables des problèmes d’emploi. Elles voudraient en même temps régulariser la situation des travailleurs venus en fraude des mêmes pays.

Au lieu de se tourner vers le sud-est asiatique, on pourrait pallier le manque de main d’oeuvre de Taiwan en autorisant l’immigration en provenance de la Chine. Selon le premier ministre, une telle politique serait inappropriée, tant sont encore nombreux les problèmes politiques qui opposent Pékin et Taipei. Certains dirigeants des syndicats ouvriers partagent la même réserve, ils estiment que les étrangers sont plus faciles à contrôler tandis qu’un afflux de Chinois du continent ferait aussitôt chuter les salaires des travailleurs taiwanais.

La Chine absente du marché international du travail

Officiellement, à peine 70 000 Chinois travaillent à l’étranger, chiffre insignifiant comparé aux 200 millions d’ouvriers classés par Pékin comme “excédent” de population active. Pendant les neuf dernières années, la Chine n’a retiré que 1,1 milliard de dollars américains de ses exportations de travail, moins de deux pour cent du chiffre de ses exportations de marchandises en 1991. Le fait tient à ce que le gouvernement veut conserver le contrôle des déplacements de la population.

Cette politique fait l’affaire de ses voisins: Japon, Taiwan, Birmanie… qui s’inquiètent de ce qui se passerait chez eux si les Chinois pouvaient quitter leur pays à leur gré. Taiwan, en particulier, redouble de vigilance et rapatrie, ou du moins cherche à rapatrier, tout Chinois du continent venu illégalement dans l’île (car les autorités de Pékin utilisent leurs émigrants illégaux comme moyen de pression, en bloquant quelquefois leurs voies de retour). Périodiquement, la police de Taiwan découvre au hasard de ses descentes des dortoirs pleins d’ouvriers venus de Chine sans papiers, ou des “soeurs” du continent entassées dans des maisons closes de Taipei… L’émigration illégale est devenue un gros “business” en Chine, spécialement à partir des provinces côtières. Mais les intermédiaires prélèvent de si fortes commissions que les ouvriers ainsi recrutés, liés par des engagements draconiens, deviennent une proie facile pour les gangs asiatiques d’outre-mer. Les départs effectués dans de telles conditions se chiffrent déjà par milliers.

D’autres Chinois travaillent en fraude sur des bateaux de pêche taiwanais ou sud-coréens. Ce genre d’embauche est toutefois en passe d’être régularisé, grâce à l’apparition d’entreprises communes de pêche qui associent la Chine populaire et Taiwan.

C’est par le biais d’accords entre Etats que Pékin voudrait développer ses exportations de travail. Mais les pays demandeurs de main d’oeuvre restent réticents, avant tout pour des raisons politiques. Faute d’avoir obtenu les contrats de reconstruction qu’elle a tenté de négocier au Moyen-Orient, la Chine favorise les accords de ses entreprises qui visent à placer – fût ce temporairement – de la main d’oeuvre, en Russie extrême-orientale.

Axes d’action sociale

Travailler à l’étranger coûte de plus en plus cher. Selon une enquête menée au Bangladesh auprès de personnes rentrées du Moyen-Orient, chacune d’elles avait en moyenne payé là-bas 2 000 dollars américains pour obtenir son permis de séjour. Un Bangladeshi ouvrier non qualifié doit sacrifier deux années de salaire pour rembourser les charges liées à son autorisation de séjour: prestations diverses, frais financiers, etc. Les agences de placement se font payer d’autant plus cher qu’elles sont en position de quasi monopole en traitant elles-mêmes avec d’autres intermédiaires au lieu d’avoir directement affaire aux patrons qui embauchent. Alléger les taxes prélevées sur le travailleur migrant, plafonner les tarifs des agences… sont donc parmi les premiers objectifs d’une action en sa faveur.

De l’avis de bien des observateurs, la situation politique dans les pays du Golfe permettrait aujourd’hui d’obtenir pour les travailleurs attirés par ces pays la garantie de meilleures conditions de travail (4). Mais la chose ne sera pas possible sans l’intervention concertée des pays d’origine. Ce sont également des accords entre les Etats qui pourraient faire adopter un contrat-type d’embauche (le Bureau international du travail a déjà élaboré un modèle), ainsi que le principe d’un salaire minimum pour les ouvriers non qualifiés.

Les migrations du travail concernent de plus en plus des travailleuses. Les efforts déployés pour dissuader les femmes d’accepter des emplois non protégés, comme l’assistance ménagère, ont jusqu’à présent échoué. Or les problèmes de ce genre ne sauraient être résolus sans une action vigoureuse des pays d’origine.

Les travailleurs étrangers sont privés de toute couverture sociale dans certains pays comme l’Arabie Saoudite et le Koweit. Ce sont des accords entre Etats qui devraient leur assurer les soins et l’hospitalisation en cas de maladie et d’accident.

Un autre risque est plus difficile à conjurer: la faillite de l’entreprise qui emploie des étranger. Qui viendra alors au secours de ceux qui perdent ainsi leur emploi?.. Le rapatriement des travailleurs est en tout cas un problème à garder présent à l’esprit: la crise des pays du Golfe en a fait prendre conscience de façon dramatique. Elle a en particulier rappelé que le travailleur parti hors de son pays ne doit pas seulement gagner son pain quotidien et celui de sa famille. Il faudrait qu’il épargne, en prévision de l’avenir.