Eglises d'Asie

Les 9 revendications essentielles de l’Eglise Bouddhique unifiée Une lettre ouverte du Vénérable Thich Huyên Quang

Publié le 18/03/2010




Le 26 juin 1992, depuis la province du Quang Ngai où il a été exilé depuis déjà 10 ans, le vénérable Thich Huyên Quang a adressé une lettre ouverte, contenant une liste de 9 revendications, au secrétaire général du Parti communiste vietnamien, au président de l’Assemblée nationale, au président du Conseil d’Etat, au président du Conseil des ministres, au président de la Cour suprême et au président du Front patriotique.

La lettre de huit pages commence par retracer 41 ans d’histoire au cours desquels l’Etat de la République socialiste du Vietnam a persécuté le bouddhisme et usé contre lui d’une politique discriminatoire: c’est en 1951, au cours de la guerre pour l’indépendance, qu’a eu lieu la première persécution, lorsque, dans la 5ème région, l’Etat a prononcé la dissolution de l' »Eglise bouddhique pour le salut de la nation ». Il a obligé toutes les institutions et tous les fidèles bouddhistes à rejoindre le Front « Liên Viêt », ancêtre du Front patriotique d’aujourd’hui. Parce qu’il s’était élevé contre ce coup de force qui semait la division et détruisait l’union nationale, le vénérable Thich Huyên Quang a été jeté en prison en 1952, sans accusation et sans jugement. Le religieux a pu être libéré grâce aux accords de Genève signés en 1954.

Pour ce qui concerne la période qui commence après les événements de 1975, la lettre relate les faits suivants: « Les autorités des villes et des provinces ont arrêté un certain nombre de membres haut placés de la hiérarchie de l’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam: les vénérables Thich Thiên Minh, Thich Quang Dô (1), Thich Thuyên An, Thich Thông Buu, Thich Tri Giac, etc. Ils ont été incarcérés en ville ou en d’autres lieux. Le motif de ces arrestations était d’ébranler le moral des dirigeants de l’Eglise. A la fin de 1981, une organisation qui prétendait s’appeler « Eglise bouddhique du Vietnam » a été créée par l’Etat à Hanoi. Le pouvoir a alors utilisé cette Eglise d’Etat pour détruire notre Eglise. L’assemblée qui a approuvé cette Eglise étatique a été entièrement manipulée par l’Etat qui a tout arrangé à sa manière. Ses membres n’ont jamais fait l’objet d’un vote des vénérables, religieux et laïcs bouddhistes, selon la tradition du bouddhisme vietnamien. C’est pourquoi, nous déclarons que cette Eglise d’Etat est une Eglise politique et tactique, un instrument du régime actuel, tout à fait éloignée de la grande masse des bouddhistes. Une telle Eglise ne peut en aucun cas se réclamer de la tradition officielle du bouddhisme vietnamien. Elle a son origine dans ces anciennes organisations de propagande qui s’appelaient le « Comité de liaison bouddhique » ou le « Bouddhisme patriotique ».

En 1976, le pouvoir en place à Hanoi réalisait l’unification du pays. L’Eglise unifiée du Vietnam manifestait alors l’espoir d’une pareille réunification pour l’ensemble des bouddhistes du Nord et du Sud, afin qu’après une période de séparation et de dispute, ils puissent ensemble restaurer la vie religieuse et édifier la nation. C’est ainsi que l’Eglise bouddhique unifiée envoyait à Hanoi, en qualité de représentant, le vénérable Thich Dôn Hâu (1) pour qu’il rencontre le ministre de la Culture, M. Nguyên Van Hiêu. Il lui demanda la permission pour l’Eglise bouddhique d’entamer une action destinée à réaliser l’unification du bouddhisme vietnamien. Mais le ministre refusa en alléguant de la raison suivante: « La réunification du bouddhisme, c’est très bien! Mais il ne peut y avoir de réunification qu’avec les bouddhistes révolutionnaires, pas avec les réactionnaires! » Par ce terme « bouddhiste réactionnaire », M. Hiêu sous-entendait l' »Eglise bouddhique unifiée du Vietnam ». Quelque temps après cette rencontre, débuta une période au cours de laquelle les autorités commmunistes procèdèrent à l’arrestation de religieux et laïcs bouddhistes, à la destruction de statues de Bouddha, à la désaffectation de pagodes, à la confiscation d’établissements éducatifs, culturels, sociaux et caritatifs appartenant à l’Eglise bouddhique sur tout le territoire de notre pays.

La lettre affirme: « Après l’unification du pays, les autorités, à tous les échelons, ont confisqué des pagodes grandes ou petites, des terrains, propriétés des pagodes, même quand leur superficie ne dépassait pas un are. Les religieux ne pouvaient plus être nourris; les écoles étaient fermées. » En ce qui concerne son sort personnel, le religieux déclare: « Depuis le jour où le communisme s’est installé en terre vietnamienne, j’ai perdu toute liberté. Je n’ai pas cessé d’être incarcéré jusqu’à aujourd’hui ». Il continue ainsi: « Depuis la nomination de Nguyen Van Linh au poste de secrétaire général, toutes les couches de la population, parmi lesquelles les bouddhistes, bénéficient d’une politique plus ouverte, même si cette ouverture est très limitée. Mais nous pensons qu’il ne s’agit pas là d’une grâce mais d’un dû: l’Etat doit nous rendre ce qu’il nous a dérobé ». Face au déni de justice infligé à l’Eglise bouddhique, le vénérable Thich Huyên Quang réaffirme le caractère traditionnel et la légitimité de l’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam: « La légitimité de l’Eglise bouddhique unifiée, c’est 2 000 ans d’une vie religieuse qui a accompagné toutes les étapes de l’histoire du peuple vietnamien, depuis sa naissance. C’est une Eglise qui regroupe 80 % de la population bouddhiste ».

La lettre du vénérable Thich Huyên Quang s’achève par l’énumération de 9 revendications adressées aux autorités de Hanoi:

« 1 – Que la législation de l’Etat rende à l’Eglise bouddhique sa liberté d’action normale, celle dont elle jouissait avant 1975.

2 – L’Etat doit assumer la responsabilité des faits suivants et en répondre devant la population:

a – La mort du vénérable Thich Thiên Minh, vice-recteur de l’Institut Hoa Dao, dans les locaux de la Sûreté de Hô Chi Minh-Ville en 1978.

b – L’affaire des 12 religieux et religieuses bouddhistes qui se sont immolés par le feu à Can Tho, le 2 novembre 1975.

c – La désaffectation des pagodes dont les bâtiments ont servi ensuite à d’autres usages.

3 – Que soient libérés tous les religieux et laïcs bouddhistes, les écrivains, les journalistes, les hommes politiques, etc, incarcérés depuis longtemps sans jugement, ou victimes d’un jugement injuste. Que la liberté de pratiquer la religion et l’exercice des droits de l’homme soient rendus à tous ceux qui en ont été dépouillés, plus particulièrement à moi-même, aux vénérables Thich Quang Dô, Thich Duc Nhuân, Thich Tuê Sy, Thich Tri Siêu (Lê Manh Tât), ainsi qu’à tous les religieux d’autres religions.

4 – Que, tant au niveau national que provincial, nous soient rendus tous les monastères et les établissements culturels, sociaux et caritatifs etc. de notre Eglise. Ils nous ont été dérobés par l’Etat ou par l’Eglise qu’il a créée, durant ces 11 dernières années pour le Sud, depuis 1945 pour le Nord.

5 – Que la liberté d’action soit redonnée à notre Eglise et à toutes ses ramifications à l’étranger comme avant 1975.

6 – Que tous mes différends avec l’Etat depuis 1945 soient portés devant les tribunaux. Il est impossible de m’incarcérer plus longtemps sans me juger.

7 – Que toute la lumière soit faite sur l’incarcération des religieux bouddhistes parmi lesquels je me trouve, afin de donner une réponse aux 20 000 lettres émanant de diverses organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie, envoyées d’Europe, des Etats-Unis, d’Australie, d’Asie au cours de ces dernières années.

8 – L’Eglise bouddhique unifiée est prête à apporter sa contribution à l’édification du pays, selon la tradition nationale. Cependant, cela ne peut pas se faire si le régime en place continue à considèrer la religion comme son ennemi, à intervenir en permanence, et à exercer son contrôle sur les affaires religieuses.

9 – Personnellement, je suis prêt à me sacrifier pour la cause de ma religion et du peuple lorsque je m’apercevrai qu’il n’est plus possible de supporter sans honte l’humiliation ».

Quang Ngai, le 26 juin 1992,