Des problèmes
En fait, les problèmes qui ont surgi ces dernières années tournent autour d’un nom commun d’une part, et de la façon dont il faut concevoir cette « Eglise une », de l’autre. Ils sont tous deux d’origine historique. L’EIS, constituée en 1947, rassemble les traditions anglicane, congrégationaliste, presbytérienne et méthodiste (britannique). L’EIN, formée en 1970, a réuni, outre ces traditions, des baptistes, des frères et des disciples.
Contrairement à ces deux Eglises, l’Eglise Mar Thoma ne résulte pas d’un acte d’union. Elle se conçoit comme une Eglise orthodoxe réformée, faisant remonter son histoire à l’Eglise de St Thomas, fondée, selon la tradition, par l’apôtre au premier siècle. Elle se caractérise par un patrimoine liturgique ancien et une théologie plus récente, influencée par le mouvement évangélique du XIXème siècle. Le nom « Mar Thoma » -Saint Thomas – fait partie de son identité.
Eglises unies, l’EIN et l’EIS ont hérité d’une certaine conception de l’unité; celle-ci est pour elles à la fois structurelle et théologique. Comme toutes les Eglises relativement anciennes de l’Etat du Kerala, l’EMT est de composition plus homogène et plus ethnocentrique dans ses attitudes. Elle a de la peine à dépasser une conception de l’unité fondée sur la communion totale et l’action commune. L’EMT, fidèle à la tradition orthodoxe, met davantage l’accent sur la communion, but de l’unité, mais la considère aussi comme un moyen de parvenir à l’unité, conformément à la pensée réformée. Il en résulte que, pour l’EMT, l’unité de l’Eglise implique un « concile d’Eglises en communion ». Dans une telle conception, l’autonomie juridique n’est pas incompatible avec l’unité que donne et garantit la communion. Aussi le Conseil conjoint est-il essentiellement pour l’EMT un organe consultatif chargé d’organiser et de faciliter l’action commune, pas un « relais » sur la voie de l’unité organique. Le modèle d’unité que l’EMT semble favoriser est celui de la communauté conciliaire.
Le rôle du Conseil
Cependant, le Conseil conjoint avait promis beaucoup plus que cela. Il a été constitué pour « exprimer visiblement, par l’action commune, l’unité que ces trois Eglises ont déjà, parce qu’elles sont en communion totale les unes avec les autres, acceptent toutes les trois les Ecritures, leurs confessions de foi respectives et reconnaissent mutuellement leur baptême, leur eucharistie et leurs ministères ». Le Conseil a aussi été constitué comme « l’organe chargé de manifester l’unité d’action des trois Eglises, qui reconnaissent qu’elles font toutes trois partie de l’Eglise une de Jésus-Christ en Inde, même si elles restent des Eglises autonomes, gardant chacune ses traditions et ses structures ».
Selon sa Constitution, le Conseil conjoint a deux objectifs. D’une part, il doit « en tant qu’organe commun des trois Eglises, tendre à une manifestation visible de leur unité et de celle de toute l’Eglise de Jésus-Christ en Inde ». De l’autre, il doit « aider les Eglises à remplir leur mission, qui est d’évangéliser le peuple de l’Inde et de témoigner de la justice de Dieu, révélée dans l’Evangile de Jésus-Christ, en luttant pour une société juste ».
Une certaine lassitude
Etant donné ces intentions ambitieuses, la réunion que le Conseil conjoint a tenue l’an dernier à New Delhi n’a pas été rassurante. L’EIS a unilatéralement décidé de réduire sa délégation de trente à dix personnes. C’était peut-être une mesure d’économie, mais elle a été interprétée par la plupart comme un signe de découragement. Lors de sa réunion précédente, en 1989, le Conseil avait demandé aux trois Eglises de réfléchir une fois encore sur leur appartenance « à l’Eglise une de Jésus-Christ en Inde » et d’en dégager le sens. Seule l’EMT a présenté une nouvelle étude. La réunion a traduit à l’égard de l’oecuménisme une lassitude qui n’est certainement pas propre à l’Inde.
Toutefois, il est indéniable que le Conseil a beaucoup apporté. Il a ouvert les trois Eglises les unes aux autres et à d’autres Eglises. La célébration annuelle de la fête de l’unité, le deuxième dimanche de novembre, permet aux paroisses de faire une certaine expérience de l’oecuménisme pratique. De même que l’habitude prise de prier pour les présidents de l’EIN et de l’EIS ainsi que pour le métropolite de l’EMT chaque fois qu’on célèbre la communion dans une paroisse de l’une des trois Eglises. Une infrastructure est maintenant en place qui permet d’organiser et d’agir en commun dans plusieurs domaines et à plusieurs niveaux.
Le Conseil n’est pas dans une impasse. Pourtant il a besoin de lancer un programme d’éducation systématique pour préparer les paroisses à l’union, d’autant plus que les Eglises unies ne sont plus en voie d’union mais en train de retomber dans leur vieux moule confessionnel, ce qui ne peut que ternir l’idéal de l’unité.
Des facteurs non théologiques
Il y a, bien sûr, ce qu’on pourrait appeler « des facteurs non théologiques » qui contribuent aux problèmes. Parmi eux, il convient de signaler le désenchantement qu’éprouvent de plus en plus de chrétiens lorsqu’ils dressent le bilan des Eglises unies, le sentiment que l’unité n’a abouti qu’à des adaptations mais n’a engendré aucun renouveau. Il y a aussi l’orgueil et la peur, la tentation très forte de s’en tenir à l’ancien parce que c’est ancien ou d’opter pour le nouveau parce que c’est nouveau et l’insidieux esprit de caste qui fait tellement partie de la société indienne.
L’ordination des femmes pose encore un autre problème. L’EIN et l’EIS ordonnent des femmes. Ce n’est pas le cas de l’EMT et il y a peu de chances qu’une paroisse de l’EMT accepte qu’une femme célèbre la Quarbana (communion) dans son église.
En dernière analyse, ces questions ne sont peut-être pas étrangères à la théologie. Elles tiennent en tout cas au péché humain, individuel et collectif.
Le Conseil conjoint a été un grand pas en avant dans le bon sens. Il l’est encore. La situation actuelle est moins une impasse qu’une interpellation: elle doit inciter le Conseil à repenser son rôle et son but, et les trois Eglises à mettre de côté une partie de leurs intérêts institutionnels et de leurs conceptions traditionnelles.
Ce qu’il faut, pour reprendre les termes de la fameuse prière de Reinhold Niebuhr, c’est la grâce d’accepter avec sérénité ce qui doit l’être et la sagesse de distinguer l’un de l’autre. La grâce peut abonder et le courage peut s’exprimer par des déclarations parfois tonitruantes, mais cette sagesse-là est rare, comme on a pu s’en rendre compte au fil des années dans les négociations pour l’unité des Eglises.