Eglises d'Asie

Bihar : un sérieux différend oppose hindous et bouddhistes à propos du contrôle d’un temple

Publié le 18/03/2010




Le 16 mai 1992, des prêtres hindous ont été pris à partie dans le temple de Bethi-Gaya par une foule d’anciens « intouchables » convertis au bouddhisme. Le calme put être bientôt rétabli, mais l’incident révèle que la politique des castes pourrait devenir un élément explosif dans les relations entre hindous et bouddhistes.

Au nord-est de l’Inde, dans l’Etat du Bihar, le temple de Bethi-Gaya a été construit vers 300 avant Jésus-Christ à l’emplacement même du figuier sous lequel, deux siècles plus tôt, Cakya-Mouni avait connu l’illumination. A l’intérieur du sanctuaire, la statue de Bouddha recouverte d’or contemple le flot des pèlerins qui s’inclinent devant elle les mains jointes, avant d’être invités par un prêtre hindou à asperger d’eau et à couvrir de pétales de fleurs l’image phallique de la déesse Shiva, gravée au pied de la statue dans une dalle de pierre.

Les hindous associent sans problème ces gestes de dévotion: Gautama Bouddha a été simplement ajouté au panthéon de leurs dieux. Ils retrouvent dans son enseignement plusieurs de leurs croyances de base telles que la réincarnation, le progrès spirituel à travers une suite d’existences, l’idéal de la libération du monde de la matière…

Les bouddhistes s’irritent au contraire qu’on fasse de Bouddha la neuvième réincarnation de Vichnou et que des pandits hindous pontifient sur le lieu même de son illumination. Ils ressentent cela comme l’échec des efforts déployés depuis une centaine d’années par certains de leurs coreligionnaires, soutenus par des associations bouddhistes du Japon, de Birmanie et de Thaïlande et même par des personnalités hindoues comme le poète R. Tagore, pour que l’antique sanctuaire de Bethi-Gaya revienne sous le contrôle des disciples de Bouddha. Leur ambition n’a pas été atteinte. Depuis 1949, en vertu d’un acte voté par le parlement indien, la gestion du temple est confiée à un comité mixte, composé en nombre égal d’hindous et de bouddhistes, mais présidé par un hindou qui jouit d’une voix prépondérante dans les votes.

Toutefois, la manifestation des pèlerins bouddhistes du 16 mai – concert d’invectives, le Shivalingam profané par des bris de pots d’eau et de vases de fleurs, un brahme giflé par une femme en public – ne s’explique pas seulement par l’indignation de croyants blessés dans leurs convictions. Beaucoup de bouddhistes en Inde sont des convertis de fraîche date, qui appartenaient auparavant au groupe des « intouchables », voués au traitement des déchets humains et des cadavres d’animaux, et dont l’ombre même était réputée polluante pour les autres hindous. Dans les années 50, le leader du mouvement de libération des intouchables, B.K. Ambedkhar, suscita leur conversion en masse au bouddhisme pour échapper aux stigmates de l’impureté qu’on leur attribuait. Les pèlerins agressifs du 16 mai à Bethi-Gaya étaient en majorité des ambedkhariens, amenés par autocars de l’Etat oriental de Maharashtra, pour qui la présence de brahmes hindous dans un sanctuaire du bouddhisme était particulièrement provocante.

Cet arrière-plan social est devenu politique. Autour du temple de Bethi-Gaya, depuis le mois de mai, les murs se sont couverts de graffiti qui traitent les ambedkhariens de faux bouddhistes, d’envoyés du Pakistan, et qui sont souvent signés des initiales du parti fondamentaliste hindou, « Bharatiya Janata Party ». Selon les dirigeants de ce parti, l’hindouisme est une culture nationale tout autant qu’une religion, et les convertis au bouddhisme, à l’islam ou au christianisme ont cessé d’être de vrais Indiens.

Si personne ne souffle sur le feu, le calme prévaudra à Bethi-Gaya. En dépit des conversions des dernières années, les bouddhistes restent en Inde une minorité infime. Mais de bons observateurs aperçoivent dans le désespoir des ambedkhariens, écoeurés par l’échec du bouddhisme à faire des réformes durables dans son propre pays d’origine, un facteur possible de nouveaux troubles plus graves.