Eglises d'Asie

L’affaire d’Ayodhya continue d’empoisonner les relations entre musulmans et hindous, non sans d’importantes conséquences sur le plan politique

Publié le 18/03/2010




L’affaire d’Ayodhya oppose depuis plusieurs années, parfois violemment, musulmans et hindous à propos de l’emplacement supposé du lieu de naissance de Rama, le roi divinisé de la légende (10). Pendant tout le mois de juillet 1992, elle a de nouveau fait la une des journaux.

Le 8 juillet 1992, en effet, en contradiction directe avec l’interdiction faite par la Haute Cour de l’Etat d’élever une structure permanente sur l’emplacement contesté, M. Ashok Singhal, secrétaire général du « Vishwa Hindu Parishad » (VHP: « Conseil mondial de l’hindouisme »), annonçait le début des travaux de construction du temple. Dès le lendemain, des volontaires commençaient les terrassements sur les terrains récemment acquis tout près de la mosquée (11). Le 12 juillet, ces travailleurs bénévoles (« Kar Sevaks ») étaient plusieurs milliers. Le gouvernement fédéral ayant fait appel à des unités para-militaires venues d’un Etat voisin, des centaines de « sadhus » (moines hindous) entouraient les travailleurs pour, disaient-ils, les protéger de leurs corps.

Commença alors un débat long et houleux au parlement de New Delhi. Le 15 juillet, la Haute Cour d’Allahabad ordonnait au gouvernement de l’Etat de faire arrêter les travaux. Mais le 18 juillet, M. Madan Lal Khurana, député BJP (« Bharathiya Janata Party »: parti du peuple indien, fondamentaliste), réaffirmait la volonté de son parti de continuer la construction du temple dédié à Rama: « Le temple sera construit à tout prix », dit-il. Et il rappelait la théorie mise en avant par le BJP, selon laquelle, aux dernières élections, le peuple a élu ce parti à la tête de l’Uttar Pradesh afin que le temple soit construit. Le 23 juillet, cependant, le premier ministre M.P.V. Narashima Rao, rencontrait les leaders religieux hindous. Ceux-ci, rentrés à Ayodhya, ordonnaient l’arrêt des travaux. Les « Kar Sevaks » se déplaçaient alors de 200 mètres et commençaient, sur un emplacement non contesté, la construction d’un autre temple dédié, celui-là, à Lakshman, le frère de Rama.

Tous ces événements ont provoqué de grands désordres, et d’abord sur le plan politique. Pendant plus d’une semaine, les débats du parlement indien ont été dominés par cette question. Les interventions n’ont pas toujours été pacifiques. Un éditorialiste de la revue « India Today » écrit dans l’édition du 15 août 1992: « Le travail volontaire accompli récemment (à Aydhoya) attise les passions à propos de cette affaire de la mosquée

M. Arjun Singh, ministre pour le développement des ressources humaines à New Delhi, rappelle de son côté le danger politique de cette querelle où la religion n’est qu’un prétexte. Il faut, dit-il, « nous opposer de toutes nos forces aux principes faux et pernicieux du BJP et de ses alliés. Ils poursuivent de façon impitoyable leur unique but, qui est de parvenir au pouvoir

L’avantage politique tiré de l’affaire par le BJP n’est pas mince. Avant les élections de 1989, deux députés seulement le représentaient. La consultation de cette année-là en amenait 82 au parlement fédéral (11,4% des suffrages exprimés). En 1991, ils étaient 119 (23,4%), faisant du BJP le deuxième groupe politique du parlement. Or, en mai et en juin 1992, ce même BJP a subi des revers au cours d’élections partielles dans l’Etat du Jammu et Cachemire ainsi qu’à Delhi. En Uttar Pradesh, où il tient les rênes du gouvernement provincial, le parti fait piètre figure en raison d’une mauvaise administration et semble même se trouver en perte de vitesse.

Mais la victime la plus importante de cette affaire a été la paix religieuse et sociale dans certaines régions. Les 19 et 20 juillet 1992, dans la ville de Thiruvananthapuram, au Kerala, des affrontements ont eu lieu pendant deux jours entre le RSS (corps de volontaires nationalistes hindous) et des fondamentalistes musulmans. La querelle avait commencé à propos de la question d’Ayodhya. L’armée a dû intervenir. Plusieurs districts voisins de Thiruvananthapuram ont été affectés par la violence. On déplore 6 morts et cinquante blessés. En même temps, à Malegaon, dans l’Etat du Maharashtra, 9 personnes furent tuées dans des circonstances semblables.

Les croyants des diverses religions ne perdent pas espoir, cependant. Dans la capitale indienne, des groupes interreligieux se rassemblent dans une prière commune pour la paix. Le P. Albert Nambaparambil, membre du forum interreligieux de Delhi, dit l’inquiétude des chrétiens devant la tension provoquée par la question d’Ayodhya. Ils se sentent bien faibles devant les deux géants qui s’affrontent. Mais le religieux ajoute: « Je suis sûr que, par nos prières, nous aiderons les leaders politiques et religieux à trouver une solution rapide ».

Au Kerala, Mgr Benedict Mar Gregorios, archevêque de Trivandrum pour les catholiques du rite syro-malankar, s’est joint, dans les rues de Thiruvananathapuram, à une marche interreligieuse pour la paix.