Eglises d'Asie

LIGNES DE FORCE DE LA VIE DE L’EGLISE CATHOLIQUE EN INDE

Publié le 18/03/2010




Si l’on se réfère aux domaines biblique, liturgique et charismatique, à la réflexion théologique, au dynamisme missionnaire…, il apparaît clairement que les mouvements qui s’y déploient continuent.

C’est évident dans le cas de la liturgie. On laisse un peu dormir les projets ambitieux d’anaphore indienne, comme aussi de rite indien qui aurait été adopté par l’ensemble du pays. Mais chaque région linguistique ou culturelle suit sa voie propre d’inculturation et, un peu partout, des centres régionaux diocésains, voire des paroisses ou des organismes privés, proposent des chants liturgiques, répandus par cassettes, ainsi que des liturgies ou paraliturgies pour Noël, la Semaine sainte, souvent dans une belle anarchie, toujours avec grand enthousiasme.

Les projets de traduction oecuménique de la Bible continuent à progresser. Sa traduction en kannada (1), a été reprise sur une base oecuménique. Le Nouveau Testament est terminé. Les obstacles qui se sont dressés pour l’Ancien Testament seront surmontés, espérons-le. Pour le tamoul (1), la démarche fut inverse. C’est l’Ancien Testament qui est à peu près terminé et le Nouveau qui vient d’être mis en chantier. D’autres projets sont actuellement en cours d’exécution dans les multiples langues du nord-est de l’Inde. Particulièrement importante est la traduction oecuménique en hindi, projet récemment lancé et qui concerne la langue principale de l’Inde, parlée par quelque 250 millions de personnes.

Dans la ligne biblique également, se poursuit le cours de spécialisation en études bibliques offert par la faculté de théologie attaché au séminaire Saint-Pierre de Bangalore, et qui mène à la licence. A raison de 2 à 5 candidats par an, une trentaine de spécialistes bibliques ont déjà été formés. Ils enseignent maintenant dans les grands séminaires et les écoles de catéchistes, ou animent l’apostolat biblique en Inde, en Malaisie et en Afrique. La faculté compte aussi actuellement 4 candidats au doctorat.

La même faculté a aussi des cours de spécialisation en missiologie et en droit canon. Une association de canonistes indiens vient d’être lancée, parallèlement à une association indienne pour l’étude de la théologie morale.

Quant à la théologie systématique, elle continue à discuter les questions que pose à la foi et à la réflexion chrétiennes la rencontre avec un hindouisme dont la renaissance est favorisée par les mouvements intégristes récupérés par les partis politiques de droite. Dans le contexte du dialogue avec l’hindouisme, les questions de fond dépassent le plan missiologique et ecclésiologique pour se poser au niveau christologique. Que signifie le Christ, Voie, Vérité et Vie, par rapport aux autres chemins de salut? N’y a-t-il vraiment pas “d’autre nom par lequel nous puissons être sauvés?” Le Père Dupuis, jésuite, longtemps professeur de théologie en Inde, maintenant à la Grégorienne à Rome, vient de faire là-dessus une mise au point magistrale dans son livre: “Jésus-Christ à la rencontre des religions”.

Essouflement?

Face à cette vitalité réelle, faut-il aussi évoquer un certain essouflement? Le mouvement oecuménique a atteint un palier au niveau duquel les rapports sont bons entre Eglises. Outre les traductions oecuméniques déjà mentionnées, les échanges de professeurs entre séminaires catholiques et protestants ne sont pas rares, surtout à l’échelon supérieur de licence et doctorat. Plus près de la base, on a des réunions de prière en commun, en particulier autour de Noël et de Pâques. On a même des processions des Rameaux en commun, se divisant pour se terminer ensuite dans des églises différentes et, enfin, des manifestations communes en faveur des castes défavorisées. Mais il n’y a plus guère d’élan pour pousser au-delà de cet acquis. On est réconcilié avec le fait d’être différents, heureux de se retrouver ensemble à l’occasion. Mentionnons aussi que l’agressivité des sectes ne facilite pas le développement du mouvement oecuménique.

Les associations théologiques et bibliques, lancées dans la foulée de Vatican II, marchent maintenant au ralenti, et ont bien du mal à réunir un faible pourcentage de leurs effectifs théoriques lors de leurs réunions annuelles, qui se déroulent sans grand enthousiasme.

Les associations théologiques catholiques ne sont guère plus dynamiques. Il y a une lassitude à remuer sempiternellement des thèmes passablement éculés d’inculturation et de théologie de la libération. On se plaint qu’à force de les répéter, on en arrive à une langue de bois, à une sorte de nouvelle scolastique plus riche en concepts qu’en sève vivante. C’est peut-être la raison pour laquelle les sessions théologiques organisées soit par ces associations, soit par les centres nationaux, n’arrivent pas à mobiliser les biblistes, peu intéressés par ce déballage verbal. Mais cette césure entre biblistes et théologiens est lourde de risques, tant pour les uns que pour les autres.

Le défi

Mais peut-être la théologie indienne se trouve-t-elle maintenant au seuil d’une ère nouvelle de progrès. Les développements récents qu’on aperçoit dans la vie de l’Eglise en Inde sont sans doute une invite à dépasser les paliers atteints.

Le mouvement dalit, avec ses revendications face à la société et à l’Eglise indiennes, oblige à reposer de façon concrète les questions de la théologie de la libération. Il ne s’agit plus seulement de répéter les thèmes venus d’Amérique du Sud, mais de se situer à l’égard d’injustices historiques qui ont marqué la société et l’Eglise de l’Inde d’une sorte de péché originel, qui touche toute notre façon de vivre et de nous organiser.

La querelle linguistique, qui continue à couver sous la cendre à Bangalore, et les problèmes de langues qui se posent ailleurs de façon peut-être moins violente mais tout aussi urgente – liturgie en anglais à Bombay, en hindi dans les zones habitées par les minorités ethniques – amène à réfléchir sur l’inculturation, non plus en termes génériques, mais dans le contexte des conflits concrets, des facteurs linguistiques, sociologiques, anthropologiques et politiques, au coeur de ce chaudron bouillant de culture et de cultures qu’est l’Inde.

La question des rites – latin et syriens – soulève des problèmes identiques. Il est clair, en effet, qu’il ne s’agit pas seulement de rites: cela ne ferait pas problème. Mais derrière la revendication du rite syrien à s’étendre à toute l’Inde, c’est la question de l’intégration de la diaspora vigoureuse du Kerala, au dynamisme parfois quelque peu colonisateur, dans l’ensemble du pays.

En somme, c’est toute une ecclésiologie qu’il faudrait recréer en tenant compte de la complexité de la société indienne, de ses tensions et conflits, une sotériologie qui énoncerait clairement ce que le salut et la paix apportés par Jésus-Christ signifient face au péché originel tel qu’il est vécu par la société indienne, une christologie qui dise la foi en Jésus sans arrogance ni timidité, une théologie qui puisse à la fois sympathiser avec le sens de trancendance de l’islam et le sens d’immanence de l’hindouisme.

Les conflits déchirants que connaissent actuellement l’Inde et l’Eglise de l’Inde constituent pour celle-ci une exigence d’approfondissement et de maturité. Monchanin disait qu’il n’y aurait pas de théologie indienne tant qu’il n’y aurait pas d’hérésie indienne. Il aurait pu ajouter: de schisme indien. Si certains développements et courants actuels ne laissent pas d’inquiéter, il faut aussi y voir la rencontre de la foi chrétienne en Inde avec les réalités concrètes de la société indienne, et une invitation à sortir des schèmes trop faciles de l’inculturation verbale, pour accéder à une authenticité, plus profondément indienne, de foi et de vie chrétienne.