Eglises d'Asie

Planning familial : le débat s’envenime entre le gouvernement et l’épiscopat catholique

Publié le 18/03/2010




Le gouvernement du président Fidel Ramos, qui est protestant, s’est engagé dans un programme de contrôle des naissances contre lequel l’épiscopat catholique réagit avec vigueur. Recevant les évêques le 22 juillet 1992, M. Ramos leur a rappelé son objectif: faire que les Philippines rattrapent les pays voisins du sud-est asiatique et deviennent à leur tour un “tigre” économique. Le président considère que l’augmentation rapide de la population saigne les maigres ressources d’une économie molle.

Ce raisonnement est développé par le secrétaire d’Etat à la santé, Juan Flavier. Un taux élevé des naissances fait croître la pauvreté. Observant que la population du pays augmente plus de deux fois plus vite que sa production agricole (2,3% l’an contre 1%), M. Flavier pense que l’idéal serait deux enfants par couple, juste assez pour compenser les décès. Or les couples philippins ont en moyenne 4,8 enfants. Il insiste aussi sur l’aspect sanitaire: “Si nous pouvions convaincre les femmes d’espacer d’au moins deux ans leur grossesses, la mortalité des mères et des nouveaux-nés serait réduite de 25%”.

Le président Ramos base son programme sur une action pédagogique, qui laisse les couples libres de choisir: “Nous leur laissons, déclare-t-il, le soin de déterminer le nombre de leurs enfants en fonction de leurs ressources”. Le plan d’action préparé par la commission gouvernementale de la population s’étalera sur six ans. Il sera financé par des prêts étrangers à hauteur de 200 millions de dollars et pourra s’appuyer sur un impressionnant réseau de 600 hôpitaux et de 1 500 unités sanitaires rurales. Les moyens matériels doubleront l’action éducative: “Nous allons faire de la vente au détail, annonce Juan Flavier, nous vendrons les préservatifs et les pilules contraceptives à bas prix”. En outre, le gouvernement continuera d’encourager la stérilisation.

Les chefs de l’Eglise catholique contestent l’inspiration du programme, son but, sa méthode. Faisant écho à certains rapports de presse, Mgr Leonardo Legaspi, précédent président de la Conférence épiscopale des Philippines, estime que le gouvernement n’a pas à définir sa politique démographique d’après les ordres d’instances internationales. “Nous ne devons pas devenir les esclaves des organismes qui nous prêtent des capitaux”. Mgr Legaspi pense que le plan gouvernemental vise rien moins qu’une croissance nulle de la population, grâce à l’acceptation généralisée des moyens contraceptifs.

Certains leaders catholiques disent que le président Ramos exagère la nécessité d’amputer le taux de natalité. Mgr Legaspi souligne un fait: “La croissance de la population a ralenti de façon critique, notre taux de fécondité diminue plus vite que nous pensons”. En 1983, rappelle-t-il, les démographes prévoyaient qu’il y aurait 62,4 millions de Philippins en 1990. Or, sept ans plus tard, la population a seulement atteint le chiffre de 60,5 millions, accusant ainsi un déficit de 2 millions de personnes.

Lors d’une entrevue avec M. Juan Flavier, le 3 août 1992, le cardinal de Manille, Mgr Jaime Sin, lui a répété les positions de l’Eglise en matière de régulation des naissances. Au nom de ce qu’il appelle le “libre choix” des couples, le gouvernement, a souligné le cardinal, fait une promotion agressive des moyens artificiels que nous n’admettons pas, sans encourager le recours aux méthodes naturelles, telle que l’abstinence périodique des relations entre époux, qui exige de ceux-ci discipline et sacrifice, méthodes auxquelles l’Eglise ne fait pas d’objection de principe. De plus, ajouta Mgr Sin, certains moyens artificiels sont susceptibles de provoquer l’avortement, que l’Eglise réprouve aussi. Quant à la stérilisation, “il est contre-nature, a-t-il dit, de détruire une partie du corps naturel”.

En donnant au prélat l’assurance que le gouvernement enseignerait aussi le contrôle familial naturel, M. Flavier a toutefois ajouté que sa propre expérience en milieu rural le faisait douter de la discipline des couples.

Outre le débat théorique, vigoureusement engagé, le gouvernement et l’Eglise catholique mobilisent leurs forces. Le président de la commission épiscopale pour la vie familiale, Mgr Jesus Varela, vient d’appeler à une accélération de la campagne contre la contraception. Il compte s’appuyer sur les gouvernements locaux, dotés désormais de pouvoirs accrus, pour populariser les méthodes non artificielles de régulation des naissances. En milieu populaire, dit-il, “l’Eglise a un mandat moral plus large, et elle bénéficie du soutien de beaucoup de dirigeants locaux”.

De son côté, le secrétaire d’Etat à la santé vient de recevoir le soutien public des dirigeants de deux dénominations chrétiennes: Iglesia ni Cristo, indépendante, et l’Eglise philippine unifiée du Christ, protestante. Admettant l’une et l’autre la nécessité d’un contrôle de la croissance démographique dans le pays, elles acceptent le nouveau programme officiel de planning familial, mais restent opposées à l’avortement comme moyen de limitation des naissances.