Eglises d'Asie

L’Eglise catholique va-t-elle perdre de son influence politique?

Publié le 18/03/2010




La religion a toujours joué un rôle essentiel aux Philippines. Un missionnaire espagnol a dit au XVIème siècle: “Si le roi envoie ici des troupes, les indigènes repartiront dans les montagnes. Si je ferme les portes de l’église, ils seront à mes pieds dans les vingt-quatre heures”. Depuis lors, peu de choses ont changé aux Philippines. Il y a plus de 450 ans que l’Eglise catholique romaine jouit dans tout l’archipel d’une autorité sans rivale. Forte de 52 millions de fidèles, elle s’est magistralement impliquée dans presque tous les aspects de la vie des Philippines, y compris la politique.

Son influence politique a culminé pendant la présidence de Mme Corazon Aquino (de 1986 à 1992), elle-même catholique pratiquante. A la grande consternation de bien des politiciens chevronnés, Mme Aquino suivit les recommandations de l’archevêque catholique de Manille, le cardinal Jaime L. Sin, pour le choix plusieurs de ses conseillers les plus proches. Et comme l’archevêque était régulièrement reçu au palais présidentiel de Malacanang, la frontière séparant l’Eglise et l’Etat sembla devenir de plus en plus floue, la présidente écoutant davantage les hommes d’Eglise que les membres de son propre cabinet.

Survinrent les élections présidentielles du 11 mai 1992. Les Philippins prirent alors un brutal tournant par rapport à leur tradition. Pour la première fois de son histoire, cette nation à prédominance catholique a élu à sa présidence un protestant: Fidel V. Ramos. L’arrivée au pouvoir de ce général en retraite de 64 ans, fumeur de cigares, a ouvert une ère politique nouvelle aux Philippines. Elle a également été, pour la hiérarchie catholique du pays, un avertissement clair: la puissance politique de l’Eglise pourrait bientôt subir son déclin.

La politique, le cardinal Sin la connaît bien. En 1986, il retint l’attention internationale en soutenant le pouvoir populaire révolutionnaire qui allait renverser le président Ferdinand E. Marcos et en encourageant les catholiques du pays à se joindre au mouvement de désobéissance civile envers son gouvernement. Après la chute du dictateur, le cardinal et Madame Aquino proclamèrent tous deux que la révolution avait réussi grâce à l’intervention de la Sainte Vierge, ce qui eut pour effet d’irriter les non-catholiques qui avaient contribué eux aussi à ce coup quasi indemne de toute effusion de sang.

Pendant la campagne électorale de 1992, l’archevêque ne fit pas mystère de son opposition à Ramos. Il tenta de dissuader Mme Aquino de le soutenir. Tout en renonçant soudain à promouvoir son propre candidat, il parla avec bienveillance d’un candidat qui se trouvait être catholique, M. Ramon Mitra, speaker de la Chambre.

En dépit de cette opposition venue de l’une des institutions les plus puissantes du pays, M. Ramos n’en gagna pas moins la course présidentielle, obtenant 23,6% des voix. Il finit par recevoir l’approbation de Mgr Sin, mais seulement après qu’un décompte non officiel des votes eût clairement démontré que les candidats “préférés” par l’archevêque ne pouvaient pas l’emporter.

La victoire de Ramos dans les urnes – observe M. Augustin Vencer, secrétaire général du conseil des Eglises évangéliques des Philippines – prouve à l’évidence que le peuple philippin a été déçu par l’identification entre l’Eglise et l’Etat et qu’il vient d’acquérir sa maturité politique. “C’en est trop, disent les gens. Nous ne voulons être sous le diktat de personne, et nous l’avons dit. Le résultat des élections constitue une manière de protester contre l’interventionnisme des leaders religieux qui se comportaient en ‘faiseurs de rois'”. Ramos, ajoute M. Vencer, a eu les voix de protestants, de catholiques, de musulmans et d’athées. Il n’a donc aucune dette de reconnaissance envers quelque religion que ce soit”.

De nombreux protestants voient dans la victoire présidentielle de Ramos l’occasion d’introduire davantage d’égalité entre les religions du pays. Bien qu’ils ne représentent guère que 3,9% de la population (contre 82,1% de catholiques), beaucoup de protestants demandent déjà au nouveau président de marquer explicitement la séparation entre l’Eglise et l’Etat. “Le président Ramos” nous a déclaré M. Vencer, “doit donner l’assurance que ceux qui possèdent la majorité (religieuse) dans le pays n’abusent pas de la situation simplement parce qu’ils sont majoritaires. Si le gouvernement n’aborde pas cette situation de front, elle tournera en contestation sourde et en ferment de division de notre peuple”.

Diwa Guinigundo parle au nom du mouvement philippin pour Jésus, organisation qui fédère 140 Eglises et organisations évangéliques à travers le pays. Selon ce porte-parole, les dispositions constitutionnelles qui séparent Eglise et Etat ont été déjà souvent violées: “Certains de nos convertis ne sont pas admis dans les écoles, spécialement dans les écoles catholiques, ou se voient refuser de l’avancement dans leur emploi, ou bien l’enterrement dans les cimetières publics, ou l’usage des bâtiments publics, parcs et terrains de jeux, ou sont victimes de discrimination en matière de temps d’antenne pour leurs programmes spirituels de radio ou de télévision”.

A l’encontre de ceux qui espéraient que sa présidence donnerait une voix nouvelle à l’Eglise protestante, M. Ramos a été prompt à oublier son éducation méthodiste et à refuser de s’aligner sur toute religion. “Je ne suis pas un président protestant”, a-t-il dit aux délégués venus à l’assemblée générale de l’amitié évangélique mondiale en juin. “Je suis un président qui se trouve être protestant”.

Depuis sa prise de fonction, M. Ramos est allé extrêmement loin pour rendre son administration solidaire de la hiérarchie catholique du pays. Néanmoins, beaucoup d’analystes économiques croient que s’il veut remplir son programme économique, il n’a pas d’autre choix que de freiner l’influence de l’Eglise catholique.

Le 22 juillet, il a mis son gouvernement sur la trajectoire d’une collision possible avec l’Eglise catholique en déclarant devant des leaders catholiques laïcs réunis à Manille que la réussite du pays sur le plan économique passait par une réactivation du programme gouvernemental de contrôle des naissances. L’administration de Mme Aquino avait détourné ce programme vers des voies secondaires, sous la pression du clergé catholique, en dépit du fait que le taux de croissance de la population des Philippines – 2,8% l’an -est un des plus élevés de l’Asie. Informé des intentions de M. Ramos, le cardinal Sin l’exhorta à ne pas sacrifier des valeurs fondamentales à la courbe de croissance de la population. Bien que le président se soit clairement déclaré hostile à l’avortement, ce débat sur la limitation des naissances pourrait devenir le premier conflit majeur de M. Ramos avec l’Eglise catholique depuis sa venue aux affaires. Selon une déclaration du 26 juillet de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, ceux-ci allaient contester “les politiques de limitation des naissances, de réforme agraire, de restauration de la peine de mort ainsi que le projet d’usine nucléaire de Bataan.” Porte-parole de la Conférence épiscopale, Mgr John Varela ajoute: “Nous exerçons une pression morale et non pas politique, car nous ne sommes pas des hommes politiques”. Il reste à voir si l’Eglise catholique restera en dehors de l’arène politique si M. Ramos persiste dans ses programmes gros de conflits possibles.

Tandis que bien des catholiques philippins estiment que l’Eglise s’est dans le passé trop impliquée politiquement, certains membres de sa hiérarchie répugnent sans nul doute à laisser son influence politique se dissiper. M. Ramos a-t-il assez de talents pour détacher effectivement l’Eglise de l’Etat sans s’aliéner la majorité de la population qui est catholique? Le temps seul permetttra de répondre.