Eglises d'Asie

ASEAN : Vers une politique commune plus souple sur les droits de l’homme, les problèmes d’environnement et la démocratisation

Publié le 18/03/2010




Depuis la fin de la guerre froide et le démantèlement de l’Union soviétique, les pays de l’Asean (30) s’irritent régulièrement de l’insistance, à leurs yeux injustifiée, des pays de la communauté européenne à faire des droits de l’homme, des problèmes d’environnement et de la démocratisation, des conditions préalables à toute négociation commerciale (31). On pouvait donc craindre le pire pour la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Asean et des pays de la communauté européenne, qui s’est tenue à Manille les 29 et 30 octobre 1992. D’autant plus que le Portugal insistait pour que l’Indonésie respecte les droits de l’homme à Timor Oriental (32).

En fait, la réunion a été un succès et il paraît acquis que l’Asean signera avec la communauté européenne un nouveau traité de coopération commerciale au cours de l’année 1993. Le réalisme économique interdisait sans doute aux uns et aux autres de se montrer trop intransigeants. Des observateurs estiment cependant que l’Asean est en train d’évoluer vers un assouplissement de sa position en ce qui concerne l’environnement, les droits de l’homme et la démocratisation, en même temps que vers une position commune dans tous ces domaines.

Au sujet de l’environnement, les pays de l’Asean défendent un point de vue commun depuis 1984 et ils ont été capables de se faire entendre au sommet de la terre de Rio de Janeiro en juin 1992. Les analystes estiment qu’aujourd’hui cette communauté de vues pourrait s’étendre à la question des droits de l’homme et à la démocratisation.

L’Europe et l’Asean défendent traditionnellement des conceptions très différentes sur les droits de l’homme : les Européens mettent l’accent sur les droits inaliénables de la personne alors que les membres de l’Asean privilégient les droits de la collectivité par rapport aux individus.

Jusqu’à présent les pays de l’Asean se sont contentés de protester individuellement contre une conception de la démocratie et des droits de l’homme qu’ils estiment non conforme au contexte asiatique. Ils ne se sont pas privés non plus d’ironiser sur les contradictions des donneurs de leçons européens, comme le montre cette déclaration de M. Abdullah Badawi, ministre malaisien des Affaires étrangères, en septembre 1992 à New York : “Nous constatons des différences dans la pratique démocratique parmi ceux-là même qui nous prêchent les principes démocratiques. Il n’est pas possible qu’il n’y ait qu’un seul grand prêtre à avoir le droit de les interpréterDe son côté, un haut fonctionnaire de Singapour estimait, en octobre 1992, lors de la célébration du 25ème anniversaire de l’Asean à Kuala Lumpur, qu’il fallait adopter une attitude agressive à l’encontre des exigences européennes en matière de droits de l’homme : “La partie entre l’Asean et l’Occident n’est pas égale. L’Occident est beaucoup plus puissant. Nous devons donc parler haut et fort pour corriger ce déséquilibre

Tout le monde n’est pas d’accord. Alors que dans toute la région une classe moyenne très dynamique commence à exiger davantage de participation au gouvernement des pays, un certain nombre d’intellectuels commencent à critiquer la tradition asiatique selon laquelle il faut donner priorité aux valeurs communautaires sur les droits individuels. Rustam Sani, de l’Institut des études stratégiques et internationales de Malaisie, estime par exemple que même si les valeurs communautaires contribuent à la stabilité des sociétés de l’Asean, la répression de l’expression individuelle pourrait, à terme, empêcher les progrès dans les domaines de l’éducation et de la technique.

Jusuf Wanandi, du Centre d’études stratégiques et internationales de Jakarta, pense de son côté qu’il est important pour l’Asean de réfléchir sur les droits de l’homme à deux niveaux, “non seulement pour participer à la formation d’un nouvel ordre mondial dans lequel les droits de l’homme auront une place privilégiée, mais aussi pour augmenter les efforts de compréhension et d’application des droits de l’homme suivant l’état d’évolution politique de chaque paysC’est dans cette optique que le Centre d’études stratégiques et internationales de Jakarta s’est associé à des instituts similaires pour proposer que l’Asean forme sa propre commission régionale pour les droits de l’homme.

Un certain nombre de signes montrent que les gouvernements de l’Asean sont devenus récemment plus sensibles à ces arguments. Leur récent changement d’attitude vis-à-vis de la politique répressive menée par la junte militaire en Birmanie est l’un des plus révélateurs (33). Le ministre des Affaires étrangères de Singapour, Wong Kang Seng, parle aujourd’hui de la nécessité d’une politique plus interventionniste de la part de l’Asean en Birmanie. Le premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, déclare que la Birmanie doit changer “non seulement dans le domaine économique mais aussi dans le domaine politiqueIl ajoute : “Nous ne pouvons plus accepter cette manière de gouverner un paysEn septembre 1992, les ministres des Affaires étrangères de l’Asean ont transmis le message au gouvernement birman à l’occasion de l’assemblée générale des Nations Unies.

Il est probable que cette évolution sur le problème des droits de l’homme n’est pas passée inaperçue des négociateurs de la communauté européenne et a contribué à l’élaboration du compromis établi à l’issue de la réunion des 29 et 30 octobre 1992.