Eglises d'Asie

LES PREMIERES SEMENCES DE L’EVANGILE AU NEPAL

Publié le 18/03/2010




Comptant aujourd’hui à peine 50 000 baptisés parmi 20 millions d’habitants, la communauté chrétienne du Népal est l’héritière d’une histoire commencée il y a trois siècles et dont la trame se résume en deux séries de faits :

1) le Népal a été constitué au 18e siècle par les Gurkhas qui conquirent et unifièrent la soixantaine de principautés et de petits royaumes entre lesquels se divisait jusqu’alors le pays ;

2) au début du 19e siècle, un conflit armé entre le royaume gurkha et les Anglais installés en Inde fut conclu par une paix de compromis qui entraîna la fermeture du Népal aux Européens pour 150 ans.

Dans ce cadre historique, la pénétration de l’Evangile au Népal a connu elle aussi deux phases :

1) à l’époque des royaumes et des principautés, puis lors des conquêtes de Prithivi Narayan, des missionnaires catholiques ont essayé de s’implanter dans la vallée de Katmandou. Ils y sont parvenus tant bien que mal au cours du 18e siècle ;

2) après la guerre anglo-népalaise de 1814 -1816, seuls des missionnaires protestants basés en Inde ont pu tenter des actions d’évangélisation.

I – LES CAPUCINS DANS LA VALLEE DE KATMANDOU

L’histoire garde la trace du passage de quelques missionnaires jésuites au Népal dès le 17e siècle: le Père Gabrial, qui serait venu le tout premier en 1618, les Pères Dorbil (d’Orville) et Growber (Grueber), arrivés en 1661. Les tentatives missionnaires reprirent quand la congrégation romaine de la propagation de la foi envoya un groupe de capucins au Tibet en 1704. Deux de ces religieux, qui parviennent à Lhassa en 1707 et y restent quatre ans, sont passés par la vallée de Katmandou et y ont séjourné quelques semaines. Deux autres capucins, les Pères Félix et Dominique, choisissent cette vallée comme camp de base permanent sur la route de Patna au Tibet. Ils s’y installent, soignent les malades, créent pour eux un hospice et gagnent la sympathie de la population. Le roi de Katmandou qui les a pris en estime les aide matériellement. Il les invite à sa cour, où ils s’entretiennent avec le conseiller spirituel du roi, le grand-prêtre brahmane Raja Guru, qui ne prend pas encore ombrage de leur crédit auprès du souverain.

Les choses se gâtent pour les missionnaires quand la rumeur se répand qu’ils sont des agents des pays d’Occident venus dans l’Himalaya pour préparer la conquête du pays. Quelques marchands venus du Cachemire tentent en vain de les laver de cette accusation.

Il arrive aussi que le roi, pour réprimer quelque désordre, a fait venir d’une région voisine des soldats musulmans que la population népalaise exècre et qui portent la barbe comme les capucins. Bientôt les habitants ne font pas la différence entre les Pères et les mercenaires étrangers et les enveloppent dans la même haine. Les brahmanes lancent une campagne contre les missionnaires et se font leurs accusateurs devant le roi, impuissant à les défendre. Les missionnaires manquent d’être lynchés par la foule, ils abandonnent leur hospice et se réfugient à Bhaktpur.

Le roi de ce territoire voisin de Katmandou est très content de les accueillir. Ils restent là de 1722 à 1731, mais sont souvent de nouveau en butte à l’hostilité et aux vexations des brahmanes.

Trois nouveaux capucins débarquent à Calcutta en 1736 à destination du Népal. En accueillant les missionnaires, le roi de Bhaktpur leur fait promettre de maintenir toujours la présence d’un capucin dans sa ville. A Katmandou, le nouveau roi est heureux lui aussi de les accueillir et leur promet permis de séjour, logement et facilités de passage. Le Père Vitus reçoit la charge de s’occuper de la ville. Il se met à apprendre le newari, langue des gens du pays, et réussit à faire entrer dix adultes dans l’Eglise. Il baptise aussi plusieurs malades en danger de mort et devient populaire dans la communauté newar, à laquelle il est devenu capable de présenter l’Evangile dans sa langue.

Les deux villes de la vallée népalaise sont sur le point de “porter des fruits d’amour” pour le Seigneur. Et de bonnes nouvelles, longtemps attendues, arrivent. Le Père Francis Horace est arrivé à Calcutta en 1739 avec dix nouveaux missionnaires. Quelques mois plus tard, il arrive à Bhaktpur avec huit capucins, en route pour Lhassa. Mais à cause d’une épidémie de petite vérole, la frontière est fermée et personne n’est autorisé à entrer au Tibet. Le groupe de religieux est contraint de rester huit mois au Népal. Tous se mettent à l’étude du newari, s’initient aux coutumes hindoues et bouddhistes et à la culture de l’antique vallée. Ils vont dans les villages, se mêlent aux populations locales et observent leurs usages, du berceau à la tombe.

A cette époque, les conditions sont devenues plus favorables dans la vallée. Les Pères traduisent des livres chrétiens et les présentent à la Cour. Ils demandent au roi de penser sérieusement à embrasser le christianisme. Le roi ne repousse pas cette suggestion et promet d’inviter les Pères et les brahmanes à discuter ensemble des mérites et démérites de leurs religions respectives. S’il était prouvé que le christianisme est le meilleur moyen d’obtenir le salut, le roi et le peuple de Bhaktpur n’hésiteraient pas à l’embrasser. En définitive, les missionnaires constatent qu’aussi bien le roi et les nobles que le peuple sont bien disposés à l’égard de la religion chrétienne. Ils prêchent et leur parole trouve un auditoire amical. En dépit de bien des épreuves, ils sont parvenus, à la fin de 1744, à consolider leur position à Katmandou, qu’ils regardent comme la station de transit de leur apostolat au Tibet.

A partir de 1745, la mission des capucins au Népal subit une suite de revers et d’épreuves qui l’amèneront à fermer en 1769. L’écroulement de la mission du Tibet fut un premier coup sévère. Le Père Francis Horace a passé seize ans au Tibet. En 1745, le climat glacial, la faim, la malveillance des lamas, une mauvaise santé ont épuisé ses forces et l’ont décidé à quitter les hauts plateaux pour le climat plus clément de Katmandou. Il y arrive avec quelques chrétiens népalais convertis à Lhassa. Peu après, le roi, poussé par les brahmanes, le fait jeter en prison, où il reste plusieurs mois, jusqu’à ce que les mensonges de ses accusateurs éclatent au grand jour. Le roi le libère, lui fait rendre ses biens qui avaient été confisqués et lui permet de travailler en paix. Mais ce héros de la mission himalayenne s’éteint à la maison des capucins à Patan (troisième ville de la vallée de Katmandou).

La situation politique était instable. Les roitelets locaux se faisaient la guerre. Les brahmanes surveillaient les activités des chrétiens. Le roi Prithvi Nerayan Shah, étoile montante de Gorkha, étendait son ombre redoutable sur les montagnes et les vallées de l’ouest de Katmandou. La compagnie des Indes orientales pénétrait vers l’intérieur de l’Inde du nord. La tâche des missionnaires devint plus difficile et plus incertaine.

A la fin de 1749, les capucins du Népal n’étaient plus que cinq. Depuis l’arrêt de la mission de Lhassa, Rome ne semblait pas pressée d’envoyer des renforts. Il fallut fermer l’hospice de Patan.

L’Evangile annoncé par les capucins dans la vallée de Katmandou et alentour parvint aux oreilles de Prithvi Narayan Shah, le grand roi de Gorkha. Ce qu’il entendait du message apporté d’Occident par des hommes étranges l’impressionna. Il fit demander au Père Tranquillus d’Apecchio, supérieur des capucins, d’affecter quelques-uns de ses religieux à son palais. D’alléchantes promesses accompagnaient son invitation. C’était en 1750. Mais faute de personnel, le supérieur dut décliner la demande, ce qui fut ressenti comme une rebuffade déshonorante par les Gorkhali. Depuis 1744, la zone Nuwakot du royaume de Katmandou, regardée comme la porte du Tibet, était entre les mains de Prithvi Narayan Shah, qui projetait de conquérir la vallée par un blocus économique. Le supérieur des capucins ne perçut pas ces développements. Il continuait de s’occuper des affaires de famille du roi et de la reine de Katmandou, sans prévoir que le plan du grand roi de Gorkha serait réalisé en vingt ans. Sa façon de traiter avec le futur héros du Népal eût été différente si le Père Horace n’était pas parti quelques années plus tôt pour sa récompense éternelle.

Au Népal, les capucins étaient aux prises avec le système rigide des castes. Le converti devait-il couper tout lien avec sa famille et sa caste ou pouvait-il concilier le système avec la foi chrétienne ? Les missionnaires essayaient de distinguer entre la vie religieuse et la vie sociale d’un individu, pensant que le converti devait être autorisé à pratiquer sa foi religieuse dans son intégrité, sans faire l’objet d’aucune discrimination, et qu’il devait en même temps être considéré comme un membre de bonne foi de sa caste d’origine et n’en perdre aucun droit, aucun privilège.

C’eût été peut-être un heureux compromis. Mais il est très difficile, dans une société hindoue, de tracer une ligne entre vie religieuse et vie sociale. Chaque personne est entraînée par la roue de la vie, en mouvement depuis la nuit des temps, et passe, de naissances en naissances, d’une forme de vie à une autre forme. Elle doit donc vivre sa condition présente en toute confiance, jusqu’à sa mort. Seule une future naissance pourra la faire vivre dans une caste plus élevée.

Selon les lois hindoues, chaque personne de la famille, de la caste ou de la société est liée à toutes les autres et toutes le sont à chacun sur la roue de la vie. Tous avancent ensemble sur le chemin de leur vie, en se soutenant les uns les autres. Si quelqu’un rompt avec sa caste, il est souillé. Sa maison, son eau, son feu et sa nourriture, sa famille et ses voisins, en fin de compte toute la société sont souillés.

Dans une telle société où rien n’est profane, où tout est sacré, où chaque personne est liée aux autres, il y a peu de place pour les déviants. Comment être d’accord avec quelqu’un qui a quitté l’hindouisme pour devenir chrétien ? Aujourd’hui, dans certaines communautés musulmanes, ceux qui ont changé de religion sont mis à mort. A la différence de cette pratique musulmane, le petit nombre des habitants de la vallée de Katmandou qui se convertirent au christianisme furent simplement considérés comme morts. Ils n’eurent plus ni maison ni famille ni propriété ni héritage ou caste. Ils furent mis en quarantaine et persécutés.

Informée par plusieurs rapports, l’administration romaine donna instruction au Père Tranquillus et à ses frères de faire appel au grand roi de Gorkha. Accompagné du Père Anselme de Raguse, le supérieur alla donc faire une visite de courtoisie à Nuwakot en décembre 1755. Au souvenir du refus essuyé naguère s’ajoutaient, dans l’esprit de Prithvi Narayan Shah, les allégations de ses amis du Tibet quant à la possibilité de voir les religieux occidentaux se mettre un jour du côté de la compagnie des Indes occidentales. Le grand roi reçut néanmoins les capucins avec bienveillance, admirant toujours les services qu’ils rendaient dans la vallée de Katmandou, et renouvela sa demande de religieux, avec promesse de fournir maison, terre et tout le nécessaire pour leur travail. Il n’obtint d’autre réponse que la promesse de quelques prêtres dès que la maison-mère en enverrait.

Le nom de Prithvi Narayan Shah signifiait “le dieu de la terre”. C’était un homme ambitieux, diplomate habile et bon soldat. Il conçut et réalisa un plan adroit de conquête de la vallée. Par ses émissaires il créa d’abord l’inquiétude et le mécontentement chez les dirigeants, puis il joua les uns contre les autres. Quand prévalurent la confusion et la haine, les guerriers gorkhali se présentèrent en libérateurs. Voyant son incapacité à en venir à bout, le roi de Katmandou fit appel à la compagnie des Indes orientales en 1767. La compagnie sauta sur l’occasion et dépêcha une force commandée par le capitaine Kinloch.

Son expédition était très mal préparée. Il engagea la bataille sans connaître les guerriers Gorkha ni leurs méthodes de combat. Ceux-ci s’emparèrent des guides envoyés par le roi de Katmandou pour montrer la route au corps expéditionnaire et les tuèrent. On était au mois d’août, le choléra et la malaria sévissaient dans la jungle de Tarai. Le capitaine Kinloch ne connaissait pas cette région de hauteurs et de pitons où cinq hommes peuvent en tenir dix mille en échec simplement en faisant rouler des blocs de pierre. Les vaillants soldats du “dieu de la terre” battirent le corps expéditionnaire de la compagnie des Indes orientales. Le capitaine Kinloch, grièvement blessé, mourut après avoir appelé à son chevet le Père Marc della Tomba du poste missionnaire de Betiya.

Cette intervention de la compagnie dans les affaires intérieures du Népal porta malchance aux capucins. Le roi de Gorkha soupçonna que les missionnaires avaient été pour quelque chose dans l’appel lancé à la compagnie. Ce soupçon n’était que trop naturel de sa part, puisqu’il mettait les Pères sur le même pied que les éminents prêtres brahmanes du Népal qui intervenaient d’une manière décisive dans toutes les affaires. La suspicion du souverain lui fit interdire tout contact des capucins avec l’Inde, ce qui les priva dès lors de toute information et de toute ressource nouvelle, tandis qu’ils devaient disposer de leurs provisions de vivres pour les convertis. Leur situation devint des plus sombres. Sans l’aide du prince héritier et de son oncle qui était soigné par le Père Angelo, les capucins auraient subi le sort des chrétiens crucifiés de Nagasaki.

En 1775, la mort subite du grand roi déclencha agitation et soupçons. Le prince héritier, Simha Pratap Shah, le meilleur ami des capucins, succéda à son père et le deuxième fils, Bahadur Shah, fut exilé. Le nouveau souverain du Népal demanda au Père Joseph de Rovato d’envoyer des prêtres, mais sa demande ne put être satisfaite faute d’effectifs et, de plus, la congrégation de la propagation de la foi à Rome avait décidé de réduire les envois à la mission en hommes et en moyens pour ne pas les gaspiller dans une région politiquement instable. Le règne de Simha Pratap Shah fut très bref : il mourut en 1777, laissant un enfant comme héritier du trône.

Dans son exil de Betiya, près de Chuhari, Bahadur Shah resta en termes amicaux avec les capucins et avec les réfugiés népalais chrétiens. Il devint un ami intime du Père Angelo qui l’avait soigné au cours d’une maladie à Nuwakot. Comme la population de Katmandou l’invitait à revenir comme régent du Népal, Bahadur Shah, avant de rentrer au pays, redit aux missionnaires ses sentiments d’affection, leur promit de les rappeler au Népal et de donner de la terre aux réfugiés chrétiens népalais afin qu’ils puissent vivre dans leur pays. Les choses hélas ne se passèrent pas ainsi, car la reine-mère du roi-enfant, Rajendra Laxmi, provoqua une lutte pour la régence. Bahadur Sha dut s’enfuir de nouveau à Betiya pour sauver sa vie.

Venu ensuite s’établir à Patna, en Inde, il resta très attaché aux prêtres européens, en dépit de son existence incertaine, Il leur fit don d’une grosse cloche baptisée “Marie”. D’après un rapport du colonel Kirkpatrick sur le royaume du Népal, Bahadur Shah n’était pas seulement un homme religieux, il était aussi extrêmement superstitieux. Son amitié pour les Pères éveilla la suspicion des autorités britanniques, qui n’étaient pas, elles, en termes amicaux avec le Népal. C’est pourquoi deux capucins subirent un emprisonnement de quinze mois à Patna. Les Pères jouaient décidemment de malheur : d’abord accusés par le grand roi du Népal de travailler en secret pour la compagnie britannique des Indes orientales, et contraints de quitter le pays, voici qu’ils étaient accusés par les autorités britanniques d’être du côté du Népal et jetés en prison.

A sa mort, en 1775, le grand roi de Gorkha avait réalisé une grande partie de son rêve d’unification, mais pas tout-à-fait. Ses successeurs poursuivirent son dessein et agrandirent leur royaume, annexant plus de soixante-quinze principautés. Ils entretenaient une armée très forte, capable de s’opposer à l’expansion coloniale britannique.

Au début des années 1800, le pouvoir britannique dominait l’immense plaine gangétique de l’Inde. Gorkhali et Britanniques nourrissaient des ambitions territoriales semblables. Querelles et incidents se multiplièrent au sujet du trafic des marchandises et des frontières, jusqu’à la terrible guerre anglo-népalaise de 1814-1816. D’abord battus, mis en échec, les Britanniques revinrent à la charge, recommençèrent leurs offensives et finirent par faire reculer les forces gorkhali. L’Inde britannique annexa près du tiers du territoire népalais.

Les gouvernements de Grande-Bretagne et du Népal signèrent un traité de paix qui comportait parmi ses clauses l’acceptation d’un représentant britannique à Katmandou et l’engagement des deux parties d’interdire à tout Européen, en dehors des Britanniques, l’accès au royaume du Népal. Les capucins furent dès lors empêchés de retourner dans leur mission. Les souverains du Népal oublièrent l’amitié mêlée de soupçon qu’ils avaient éprouvée pour eux et durcirent leur politique envers les étrangers. Ils se persuadèrent, au spectacle de l’action des Européens en Inde, que la première mesure de défense contre ceux-ci était de n’autoriser aucun étranger à venir dans leur pays. La mesure fut appliquée aux missionnaires. En même temps, la loi du pays se fit plus dure à l’égard du christianisme. Elle alla jusqu’à interdire la vente de la Bible et des écrits en rapport avec elle. Des mesures radicales furent prises à l’égard de tous les chrétiens. Pour la communauté chrétienne du monde entier, le Népal devint un pays fermé. Il le resta pendant près de cent cinquante ans.

II – LES MISSIONNAIRES PROTESTANTS

Si les Britanniques qui avaient largement leur mot à dire dans les affaires du Népal avaient voulu que le christianisme s’y épanouisse, ils auraient pu y contribuer largement. Mais eux aussi s’en tenaient à leur intérêt étroitement compris, à leur intérêt national.

Au cours des années 1800 et 1900, la population népalaise perçut du haut de ses montagnes, dans les vastes plaines de l’Inde, l’approche de deux fléaux : la colonisation européenne et les missions chrétiennes. La question de savoir si les missionnaires prêchaient le pur Evangile de Dieu ou servaient de “chiens courants” à l’impérialisme ne fut jamais vraiment éclaircie. De sorte qu’à cette époque christianisme et colonisation furent considérés comme liés, pour le plus grand malheur des missions dans le sous-continent indien.

En 1858, la proclamation de la reine Victoria pour l’Inde changea quelque peu la situation du sous-continent, en garantissant à tous la même possibilité de pratiquer toute religion en Inde. Cette décision ouvrit toutes grandes les portes et des centaines de missionnaires, catholiques et protestants, britanniques et autres, entrèrent en Inde. Depuis les ports de Madras, Calcutta et Bombay, ils montèrent vers les plaines gangétiques et finalement s’établirent dans les stations d’altitude de Darjeeling, du Sikkim, de Garhwal et du Cachemire, où ils commencèrent leur action, qui consistait à atteindre des centaines de villages et de villes. Leurs efforts finirent par se concrétiser en un vaste réseau d’églises et de bâtiments de mission. Dans une histoire commencée deux mille ans plus tôt, le dix-neuvième siècle connut la plus grande expansion missionnaire et c’est dans le sous-continent indien que se déploya une large part de ce mouvement. Toutefois, en conséquence de la guerre anglo-népalaise et du traité de paix de 1816, la porte du Népal avait été et resta fermée. Du moins des missionnaires se trouvaient-ils désormais aux frontières du Népal.

Un jeune prédicateur baptiste, William Carey, s’était préparé à la fin des années 1760 à aller prêcher l’Evangile dans le sous-continent indien. Comme la compagnie britannique des Indes orientales était alors hostile à tous les missionnaires, elle lui refusa le passage sur ses vaisseaux. Il voyagea sur un bateau danois et trouva une résidence provisoire à Calcutta où ses activités missionnaires subirent toutefois des restrictions. Finalement il alla s’installer dans le quartier danois de Serampore, au nord de Calcutta, pour commencer son travail.

Carey et ses collègues déployèrent leurs énergies dans des travaux de traduction, d’impression et de distribution de la Bible. Ils traduisirent et imprimèrent celle-ci en trente-cinq langues du sous-continent indien, y compris le népalais. Ils fabriquèrent des caractères d’imprimerie, fondèrent une usine pour fabriquer du papier et imprimèrent plus de 200 000 bibles. Leur entreprise biblique employait de nombreuses personnes. La compagnie des Indes orientales continua de faire tout ce qu’elle pouvait pour les maintenir hors de son territoire, mais les missionnaires de Serampore travaillaient avec un coeur débordant de foi et de dévouement à la mission de salut du Christ dans le monde. Ils appliquaient le principe missionnaire : “Fais de ton mieux avec ce que tu as, laisse le soin de faire mieux encore à ceux qui viendront plus tardPersuadés que le tout premier devoir des chrétiens est de porter l’Evangile à tous les peuples de la terre, ils contribuèrent largement à la cause de la mission.

L’oeuvre de Serampore fut continuée par les pasteurs anglicans qui vinrent à la station d’altitude de Darjeeling. Ils traduisirent la Bible en langue népalaise en même temps qu’ils assistaient les Britanniques qui travaillaient dans les plantations de thé. A l’époque, ces plantations attirèrent des centaines et des milliers de travailleurs népalais qui formèrent bientôt la majorité de la population. Reconnus comme minorité, les Népalais obtinrent certains droits et privilèges.

Le Révérend W. Start fit de nouvelles traductions en népalais de l’évangile de Luc et du livre des Actes. Puis l’Eglise d’Ecosse travailla à son tour sur la Bible en népalais. Le Révérend W. Macfarlane poursuivit cette noble tâche au milieu de la communauté népalaise de Darjeeling avant que le missionnaire Turnbull et un Népalais converti, G.P. Pradhan, travaillent ensemble pendant vingt ans à traduire en népalais la totalité de la Bible.

Des extraits de la Bible furent également publiés en petits livres commodes et pas chers qu’utilisaient les chrétiens népalais de Darjeeling de plus en plus nombreux. Ceux qui parmi eux rentraient au Népal emportaient les Evangiles, mais leurs compatriotes qui vivaient au pays résistèrent à leur message, refusant d’avoir affaire à la “religion du pays lointain”.

Durant les années 1880, le missionnaire A. Turnbull écrivit au premier ministre du Népal et à la légation britannique à Katmandou pour obtenir l’autorisation de vendre la Bible au Népal. La légation britannique répondit que le Népal, royaume strictement hindou, ne voudrait pas faire droit à pareille requête. Elle refusa de la transmettre au palais. La réponse des services du premier ministre au missionnaire fut elle aussi négative.

La guerre anglo-népalaise et les accords qui y mirent fin avaient arrêté l’expansion territoriale des Gorkhali. Ceux-ci, dépités, isolèrent leur pays de l’extérieur derrière des murs et rentrèrent en eux-mêmes. En 1846, le roi remit le pouvoir de gouverner le Népal à un premier ministre Rana et à sa descendance à perpétuité. Commença alors, pour 104 ans, l’autocratie de la famille Rana, pendant laquelle la flamme du Népal ne brilla plus que faible et pâlote. Les Ranas détenaient toutes les ressources et toute la richesse du pays.

Pratiques religieuses et lois civiles se mélangèrent ou plutôt se confondirent. Le Népal fut de ce fait déclaré royaume hindou. On enseigna aux gens que toute déviation de la tradition était un péché et que s’ils voulaient être sauvés ils devaient suivre strictement les règles hindoues. Tandis que les régions voisines étaient entraînées dans un développement rapide sur les plans de l’instruction, des échanges socio-économiques et de la technique, le royaume du Népal fut frappé de stagnation.

Le premier des Rana, Janga Bahadur Rana, gouverna le Népal pendant trente ans. Le roi dans son palais n’avait plus d’autre rôle que celui d’un tampon à cacheter. En 1850, Janga Bahadur rompit avec la tradition et visita l’Angleterre et la France. Il en revint pro-britannique, comme le furent ses successeurs. Le gouvernement Rana envoya des troupes pour soutenir les Britanniques en trois de leurs guerres. En outre, depuis le traité de paix de 1816, les Britanniques recrutèrent des Gurkhas pour servir comme mercenaires dans l’armée des Indes.

La famille Rana se dota des agréments de la vie moderne. Architectes, ingénieurs, électriciens et plombiers d’Europe furent invités à venir bâtir ses palais, des palais dans le style européen avec jardins, vérandas, fontaines, salons de réception à grands miroirs, et où l’on disposerait des articles de luxe importés d’Europe. Toutes ces fournitures arrivaient par bateau, puis par train et par camion jusqu’à la frontière du Népal, où les humbles citoyens du pays les chargeaient sur leur dos pour les transporter jusqu’aux demeures aristocratiques de leurs maîtres. Les Rana organisèrent leur vie chatoyante à l’européenne, tandis que plus de quatre-vingt-dix pour cent du peuple vivait dans la nuit des temps primitifs. Les propriéraires exploitaient leurs fermiers et l’on pratiquait même le trafic des esclaves.

C’est sur ce fond de tableau que se détachent quelques figures missionnaires de l’époque. Martha Sheldon, médecin originaire des Etats-Unis, le Révérend et Mme Ezra Steiner, le Dr Cecil Duncan, Trevor et Patricia Strong, qui agrandirent l’hôpital Duncan, créé par le précédent, le Dr Fleming et sa femme, le Dr et Mme Carl Friedricks. Tous ces missionnaires étaient installés à la frontière du Népal et alliaient avec un certain succès soins médicaux et prédication de l’Evangile aux populations des deux côtés de la frontière comme en témoigne l’histoire du colonel Nararaj Shamser.

Parmi les nombreuses personnes qui vinrent du Népal à l’hôpital Duncan, le colonel Nararaj Shamser, membre de la famille dirigeante des Rana, y bénéficia des lumières de l’Evangile autant que des soins médicaux. Issu d’une famille népalaise hindoue de haut rang, il avait été élevé dans la stricte observance hindoue. Les circonstances l’amenèrent à s’établir avec sa famille dans une région proche de la frontière, où son petit-fils fut frappé par la typhoïde. Il le transporta lui-même à l’hôpital Duncan. Là, pour la première fois, quelqu’un lui parla du Christ et lui dit de Lui beaucoup de choses extraordinaires. Il reconnut le Christ comme son Sauveur. Son petit-fils recouvra la santé et ils rentrèrent chez eux. Quelques années plus tard, Nararaj Shamser retourna à Katmandou où il retrouva amis et parenté. Il alla en Inde pour recevoir le baptême et décida d’ouvrir un centre d’études de la Bible à son retour au pays et d’organiser un service de prière chaque dimanche. L’Eglise du Christ débuta. La société biblique engagea le colonel Nararaj pour la révision de la Bible en népalais. Il est du petit nombre de chrétiens népalais qui ont aidé à lancer et promouvoir l’activité protestante à Katmandou.

Cette réalisation d’un projet missionnaire ne devint possible qu’après la fin de la deuxième guerre mondiale, l’accession de l’Inde à l’indépendance et la chute de l’autocratie du régime Rana. Une insurrection populaire renversa les Rana en 1951 et fit se lever sur le Népal une aube indubitable de démocratie. Les missionnaires, catholiques aussi bien que protestants, commencèrent d’y venir. Diverses organisations furent autorisées à ouvrir des hôpitaux et des écoles de mission pour réaliser des projets pilotes dans le domaine de la santé et de l’enseignement.

III – LE NEPAL OUVERT A TOUS LES MISSIONNAIRES

Les catholiques de Darjeeling, de Patna et d’autres régions de l’Inde suivirent avec une particulière attention les évènements de 1951 au Népal. Leur intérêt pour ce pays remontait aux années d’apostolat des pères capucins dans la vallée de Katmandou au 18e siècle. Les descendants des chrétiens népalais qui avaient dû s’exiler au temps de la conquête des Gurkhas vivaient à Chahari, près de Betiya en Inde, et étaient restés des chrétiens solides et fidèles, exemple rayonnant pour la communauté catholique népalaise. Depuis 1881, des Pères catholiques travaillaient à Darjeeling auprès de gens venus du Tibet, du Bhoutan, du Sikkim et du Népal. Ils avaient créé dans les principales agglomérations des écoles dans lesquelles l’enseignement se faisait en anglais et en népalais, ce qui diffusa les deux langues dans la population locale et dans les classes dirigeantes.

Rome qui avait jadis envoyé au Népal et au Tibet des capucins, y envoya plus tard des jésuites. Les jésuites dirigeaient en Inde plus de cinq cents écoles de diverses sortes. Le fondateur d’une de ces écoles, Saint-François Xavier à Patna, en 1940, le Père M.D. Moran, s.j., allait devenir une personnalité éminente de Katmandou.

Les familles népalaises désireuses de donner à leurs enfants une éducation moderne et capables d’en assumer la dépense les envoyaient à Saint-François-Xavier de Patna. Le Père Moran aida à la création d’un programme, de manuels scolaires et d’un système d’examens en népalais. Il était le correspondant du Népal et des étudiants népalais en Inde. Il se rendit au Népal en 1947 pour la surveillance d’un examen universitaire et à cette occasion rencontra le premier ministre d’alors avec qui il discuta de l’éducation moderne. A l’époque déjà, beaucoup de parents de Katmandou réclamaient au gouvernement népalais l’ouverture d’une école semblable à Saint-François-Xavier de Patna. Le Père Moran reçut du ministère de l’éducation une requête en ce sens.

Il refit le voyage de Katmandou, en 1951, après la fin de l’époque des Ranas, et choisit pour son école le quartier paisible et boisé de Godawari près de la ville. Il ouvrit l’école Saint-François-Xavier le 1er juillet de la même année, avec 60 élèves, et vécut dès lors au Népal, assumant la charge de directeur à plein temps. En 1955, lui et ses confrères missionnaires ouvrirent l’école Sainte-Marie pour les filles. Depuis quarante ans les deux écoles, les meilleures du Népal, ont maintenu très haut les critères d’excellence. Le Père Moran devint à Katmandou l’ami secourable de tous. Lui et plusieurs autres missionnaires finirent par acquérir la citoyenneté népalaise et partagèrent le destin du peuple du Népal. Ils s’étaient eux-mêmes déclarés comme “la société de Jésus au Népal”, société dotée de tous les biens nécessaires à son activité. (Le Père Moran est mort en Inde, à Delhi, en avril 1992).

Autres figures missionnaires, le docteur Lily (de Grande-Bretagne) et Miss Hilda (d’Irlande), qui vinrent à la fin des années 1930 à Nautanwa, tout près de la frontière du Népal, reprendre l’activité médicale et apostolique de Catherine Harbord. Ils développèrent la mission par un vigoureux et rude travail et eurent bientôt formé une équipe de chrétiens népalais et étrangers associés dans l’action. Chacun travaillait au dispensaire et allait au loin prêcher l’Evangile. Appelé groupe évangéliste du Népal, le groupe oeuvra plus de dix ans avant de venir au Népal pour y commencer son activité médicale. Quand le pays fut ouvert aux étrangers, il fut autorisé à fonder à Pokhara un hôpital qui se développa considérablement au fil des années. C’est aujourd’hui l’une des missions les plus importantes du Népal.

Jonathan Lindell avait lui aussi été missionnaire près de la frontière indo-népalaise pendant les années 1940. Il fit ensuite des études universitaires aux Etats-Unis dans l’espoir d’entrer au Népal comme enseignant. La Mission unie pour le Népal lui donna de réaliser son espoir en emmenant sa famille. Quand ils arrivèrent à Katmandou, les Lindell présentèrent leur plan au gouvernement et commençèrent à chercher un site convenable pour leur école. Ils auraient voulu l’établir à l’Est du Népal, dans la région proche de Darjeeling, mais le ministère de l’Education leur demanda d’aller vers l’Ouest. Les Lindell allèrent donc à Ghorkha, berceau du grand roi Prithvi Narayan Shah, et choisirent un emplacement à Amp Pipal. L’école fut ouverte en 1957 et s’est acquise depuis lors une bonne réputation.

La Mission unie pour le Népal s’est d’abord appelée “La mission chrétienne unie pour le Népal”. En 1956, un représentant du ministère des Affaires étrangères fit observer au secrétaire de la Mission que celle-ci se développait au sein d’une société religieuse restée de stricte observance et hostile à la venue des chrétiens. Sans cesser de favoriser le travail de la Mission,le gouvernement entendait tenir compte des sentiments de la population en écartant le mot “chrétien” pour ne connaître désormais que la “Mission unie pour le Népal”.

La Mission unie est née au moment où le Népal était comme de la glaise sur la roue du potier. Bien des mains devaient travailler pour lui donner la forme d’une nation moderne. A l’heure où les pays d’Asie parvenaient à l’autonomie et se battaient pour leur développement économique, le Népal restait au stade primitif, plus pauvre que la plupart des pays du monde, disposant de très peu de ressources naturelles utilisables pour son développement. Le gouvernement obtint l’assistance technique et financière de pays amis. La Mission unie pour le Népal commença à étendre ses activités au delà des domaines de la santé et de l’enseignement, dans des projets à fins multiples. Elle a été l’un des partenaires les plus proches du peuple népalais dans le processus de développement de son pays.

CONCLUSION

A la différence de la constitution de 1962, abrogée en novembre 1990, la nouvelle constitution du royaume du Népal reconnaît la liberté de religion. Selon cette loi fondamentale, la souveraineté a été transférée de sa majesté le roi au peuple. Elle garantit les droits fondamentaux de l’homme, y compris le droit de croyance religieuse . Elle institutionnalise la monarchie et un système pluripartiste de démocratie. Selon la nouvelle constitution, le Népal est un royaume hindou indivisible, indépendant, démocratique, composé de nombreuses ethnies qui parlent de nombreuses langues. La langue népali, avec l’écriture devanagari, a été reconnue comme la langue nationale officielle. Toutes les autres langues parlées comme langues maternelles sont admises comme langues du pays.

La peine capitale a été abolie. Sont garanties la liberté de pensée et d’expression, la liberté de réunion pacifique et non armée, la liberté d’association, la liberté de circulation et celle de résider en tout lieu du Népal. Sur la carte le Népal ressemble à un igname coïncé entre ses deux énormes voisins, l’Inde et la Chine. C’est un pays de montagnes sans accès à la mer, qui survit d’une économie fragile. A la différence du Japon, ses habitants appartiennent à de nombreuses ethnies et parlent de nombreuses langues. Du point de vue religieux, l’hindouisme prédomine. Sur vingt millions d’habitants, 80 % environ sont hindous, les autres sont bouddhistes, chrétiens, musulmans,etc. Au Népal on peut voir se cotoyer temples hindous, pagodes bouddhistes, églises chrétiennes et mosquées musulmanes.

A la différence de l’Inde, il règne au Népal, entre les religions, compréhension, tolérance et harmonie. Sans s’arrêter aux différences de credos et de styles de vie, les gens vont dans tous les sanctuaires et tiennent en vénération les dieux et les déesses. L’unité dans la diversité au royaume himalayen du Népal est quelque chose d’unique.

Il y a environ 50 000 chrétiens au Népal et huit églises dans la vallée de Katmandou. Auparavant, les conversions et les manifestations extérieures de culte étaient interdites. Les ministres religieux qui avaient été condamnés pour avoir fait des conversions sont aujourd’hui relâchés. Les chrétiens népalais voient donc poindre quelques rayons d’espoir de liberté religieuse dans le ciel de leur pays..

Il reste toutefois des aspects négatifs, tels que le Népal déclaré royaume hindou ou l’admission d’une seule langue officielle. En même temps qu’elle déclare que le Népal est un royaume hindou, la constitution établit fermement qu’on ne doit faire aucune discrimination au nom de la religion, de la race, de la caste, du sexe, de la tribu ou de l’idéologie et qu’en conséquence les citoyens doivent être traités sur une base d’égalité et qu’aucune personne ne peut être privée de sa liberté. Ainsi la pensée semble-t-elle se contredire dans l’enchevêtrement des mots. Il n’empêche que la constitution a ouvert de nouvelles perspectives dans le paysage politique et incline vers une attitude libérale à l’égard des mouvements religieux. En outre, les élites qui se montrent critiques en matière de religion et de langue ne devraient pas perdre de vue que c’est la nouvelle constitution qui lui a accordé le droit de protester et de critiquer.

[Dossier établi par EDA à partir de deux articles parus en anglais dans “THE JAPAN MISSIONARY BULLETIN” printemps 1992 (pp.60-72), été 1992 (pp.152-164), publié par “ORIENS INSTITUTE FOR

RELIGIOUS RESEARCH” (Tokyo).]