Eglises d'Asie

L’EDUCATION AU VIETNAM Une crise qui se prolonge

Publié le 18/03/2010




Sommaire

1 – Première partie – Autopsie d’une crise

11 – Abandon des études et frais de scolarité

111- Diminution de la population scolaire

112- Abandon de la gratuité des études et désertion scolaire

113-Essai de remise en ordre

1131 -Les mesures

1132- Légère amélioration du primaire

1133- Le secondaire toujours plus cher

1134- L’université inaccessible

12- La pénurie d’enseignants

121- Le métier le plus mal payé du monde

122- Démission d’enseignants

13 – Le contenu de l’enseignement et la transformation sociale

131 -Le critère idéologique

132 -Le curriculum vitae

133 – Face au défi des temps modernes

1331 – Un diagnostic pessimiste

1332 – les déficiences de l’enseignement supérieur

2 – Deuxième partie – Recherches de solutions

21 – Les résolutions du quatrième plenum

22 – Mise en oeuvre des résolutions du plenum

Introduction

La crise de l’éducation au Vietnam ne date pas d’hier. De nombreux témoignages indiquent que le système éducatif mis en place au Nord Vietnam après 1964 par la République démocratique du Vietnam, a vite rencontré de sérieuses difficultés, en particulier au niveau de l’enseignement supérieur (1) Cependant l’isolement du Nord-Vietnam, la guerre de « libération du Sud » qu’il a mené ensuite ont longtemps camouflé la crise aux yeux de l’Occident. Au début de l’année scolaire 1976-1977, un an après la chute de l’ancien régime du Sud, et quelque temps après l’unification du Vietnam (juillet 1976), les nouvelles autorités décidaient d’étendre aux populations « nouvellement libérées » le système d’éducation en usage au Nord, avec toutes ses particularités, en particulier son ambition de former « des hommes nouveaux socialistesLe bouleversement provoqué alors par cette mesure fut immense aussi bien pour les élèves et leurs familles que pour les enseignants. Les établissements privés très nombreux étaient nationalisés. Les maîtres – ceux qui n’étaient pas partis en camps de rééducation – durent, en compagnie de leurs élèves, se reconvertir à la nouvelle pédagogie et aux nouveaux programmes. D’autres préférèrent changer de profession. Cependant, ce n’est que bien plus tard, vers la fin des année 80, que l’on commença à parler ouvertement d’une crise de l’éducation au Vietnam, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur (2).

1 – PREMIERE PARTIE – AUTOPSIE D’UNE CRISE

11 – ABANDON DES ETUDES ET FRAIS DE SCOLARITE

111 – Alarmante diminution de la population scolaire

En 1990, à l’issue d’une conférence destinée à évaluer « le bilan de trois années de réforme (1987-1990) » (3), les hauts responsables du ministère de l’Education nationale lancèrent un cri d’alarme qui fut aussitôt répercuté par les médias officiels. Ils avertissaient le grand public d’un très inquiétant phénomène en train de se développer au sein de la population scolaire du pays. Le pourcentage des élèves abandonnant leurs études avait régulièrement progressé au cours de la période étudiée. Le taux d’abandon avait été de 12,75 % pour le primaire, de 27 % pour le premier cycle du secondaire et de 19,40 % pour le second cycle (4). Cette désertion de l’école par les élèves s’était traduite par une diminution de la population scolaire globale au cours des trois années envisagées par les travaux de la conférence. Des 13 990 000 élèves recensés en 1988, il ne restait plus que 12 664 000 à la rentrée scolaire de 1990-1991, soit une très impressionnante baisse des effectifs de 1 326 000 élèves en l’espace de trois ans (5). Ce phénomène était sans précédent dans l’histoire du système éducatif au Vietnam.

112 – Abandon de la gratuité des études et désertion scolaire

Le phénomène constaté et dénoncé en 1991 par les autorités vietnamiennes pouvait être attribué à de nombreuses causes, dont certaines très éloignées dans le temps. Nous en étudierons quelques-unes dans ce dossier. Mais la plus immédiate était sans conteste le bouleversement introduit dans le monde de l’éducation par le récent abandon de la gratuité scolaire par l’Etat vietnamien. Au Nord-Vietnam, depuis 1954, date de l’établissement de la République démocratique du Vietnam, au Sud, depuis 1976, date de la réunification du pays, l’enseignement public avait été le seul système en vigueur sur la totalité du territoire. L’une des caractéristiques de cet enseignement qui voulait avant tout élever le niveau culturel de la classe des travailleurs était la gratuité totale des études primaires et secondaires. Pendant longtemps, celle-ci a été présentée à la population comme un acquis définitif du socialisme, qui ne serait jamais remis en question.

C’est la détérioration des conditions économiques qui a poussé les responsables vietnamiens à opérer en ce domaine une révision déchirante. Celle-ci a été rendue quasiment obligatoire par le caractère presque insurmontable des problèmes socio-économiques qui se sont posés au pays à la fin des années 70 et au début des années 80: une inflation de 700 % par an pour les années 85-87 (chiffres officiels), une production agricole insuffisante pour nourrir la population, un chômage et un sous-emploi persistants (6 millions de travailleurs sans emploi ou sous-employés), une dette extérieure paralysante pour le développement économique, etc. Pour sortir de ce marasme, Hanoi adoptait à l’issue du 6e Congrès du Parti qui s’était tenu à la mi-décembre 1986, la politique dite du renouveau, dont le nom vietnamien « dôi moi » allait devenir fameux, politique encore en vigueur aujourd’hui. Peu à peu, l’économie socialiste fut remplacée par l’économie de marché.

Les répercussions de ce changement de politique économique furent très importantes dans le domaine éducatif. Même s’il refuse d’abandonner sa tutelle idéologique sur les consciences, l’Etat se décharge désormais sur les parents d’élèves du soin de l’entretien financier du système scolaire. C’est à eux qu’incombe maintenant une grande part des charges représentées par la subsistance des enseignants et l’entretien des infrastructures scolaires. Cette nouvelle gestion économique des écoles fut mise en place au début de l’année scolaire 1988-1989. C’est à cette date que l’enseignement général devint payant.

Les effets de cette mesure ne tardèrent pas à se faire sentir. Beaucoup d’élèves appartenant surtout aux classes les plus défavorisées abandonnèrent l’école avant la fin du cycle primaire. Au cours des trois années 1987-1991, la progression des effectifs fut pratiquement enrayée, du moins considérablement ralentie. En effet, durant cette période, le nombre des élèves du primaire n’a augmenté que de 200 000 alors que le taux de croissance démographique du Vietnam restait toujours très élevé, à savoir entre 2,2 % et 2,3 %, ce qui représente un accroissement annuel se situant entre 1 300 000 et 1 400 000 habitants.

C’est surtout dans le secondaire que les effets catastrophiques du changement de politique éducative se firent sentir. L’obligation de payer des frais de scolarité provoqua de véritables coupes sombres dans les classes des deux cycles. Les enseignants désolés assistèrent alors au départ massif des enfants dont les parents ne pouvaient s’acquitter de ces nouvelles charges financières. Parmi les 1.326.000 élèves ayant abandonné l’école au cours des années 1987-1990 (chiffre déjà cité plus haut), près d’un million (à savoir 72 % du total) appartenaient au secondaire. Ce chiffre se décomposait comme suit (6):

D’autres statistiques concernant la même période abordent le problème des effectifs scolaires du secondaire sous un autre angle mais aboutissent au même constat. Le nombre total des élèves du premier cycle du secondaire qui était de 3 290 000 en 1988 n’est plus que de 2 700 000 en 1991. Les effectifs du second cycle subissent une érosion encore plus importante puisque le nombre des élèves inscrits dans ce cycle en 1990-1991 ne représente que 59 % des élèves qui y étaient présents en 1987-1988 (7).

On ne peut nier que la cause immédiate de cet abandon massif soit le poids accablant que font peser sur les familles les nouveaux frais de scolarité. D’une enquête effectuée par nous auprès de 120 familles vietnamiennes arrivées en France dans les années 1991-1993, il ressort qu’une majorité des personnes interrogées attribuent l’abandon des études par leurs enfants aux frais de scolarité exorbitants par rapport aux ressources d’une famille vietnamienne moyenne. Un cadre moyen gagnait à cette époque 130 000 dôngs par mois.

113 – Essai de remise en ordre – Eté 1991

1131 – Les mesures

L’abandon de la gratuité scolaire en 1988 a provoqué, au cours des trois années qui ont suivi la réforme, des effets si désastreux que le gouvernement fut obligé de revenir en partie sur sa décision. Une loi votée par l’Assemblée nationale en août 1991 introduisit à nouveau la gratuité complète pour les études primaires. Elle fut mise en application dès l’année scolaire 1991-1992. Cependant les parents sont toujours tenus de fournir une contribution aux charges de l’établissement primaire fréquenté par leurs enfants. Cette cotisation est destinée à alimenter une caisse, appelée caisse d’assistance de l’école (Quy Bao Tro nhà truong) (8).

Malgré la grise grave traversée par les effectifs du secondaire, le principe des frais de scolarité n’a pas été remis en question pour les élèves du secondaire. Cependant pour éviter toute augmentation de frais abusive, les autorités centrales aussi bien que régionales publient désormais au début de l’année, des directives fixant les tarifs pour les établissements publics et semi-publics. Ainsi une décision ministérielle du 4 septembre 1993 proposait aux écoles du pays le barème suivant qui détermine les frais de scolarité pour l’année 1993-1994 (9).

Les directives du ministère expliquaient ensuite que 35 % des frais de scolarité étaient destinés à subvenir au traitement des enseignants, 60 % étaient directement versés au budget de l’éducation nationale et 5 % couvraient les dépenses inhérentes aux services de perception des frais de scolarité. Elle ajoutaient aussi que certaines catégories d’élèves étaient dispensés des frais de scolarité: enfants de parents morts pour la patrie, orphelins de père et de mère, enfants de père grand blessé de guerre (1e et 2e catégorie).

Pour cette même année, le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville présentait un barème pour les écoles semi-publiques et complémentaires (11):

Pour apprécier plus exactement les dépenses supportées par les parents d’élèves, il faut toutefois ajouter un certain nombre de précisions. Les sommes inscrites dans les tableaux ci-dessus sont dues par les parents dont les enfants appartiennent à la filière A (13), suivie par les élèves relativement doués. Les autres élèves estimés moins capables suivent la filière B et se voient obligés de payer des frais d’études deux fois plus élevés. Par ailleurs, tous les parents doivent aussi s’acquitter, comme dans le primaire, d’une contribution aux charges de l’école qui, pour l’année 1993-94 était fixé à 15 000 dôngs pour Hô Chi Minh-Ville (14) et pouvait être réglée en deux fois: 10 000 au premier trimestre et 5 000 au second. Les directives ajoutaient également que le montant des frais d’études dans les écoles privées devait être fixé par un accord entre la direction de l’établissement et les parents d’élèves.

1132 – Légère amélioration dans le primaire

Les mesures de redressement prises en 1991 ont légèrement amélioré la situation scolaire dans les premières classes. Les statistiques officielles font apparaître une légère reprise de la fréquentation des écoles. Au cours des trois années écoulées 1991-1994, la population scolaire globale est passée de 14 700 000 à 15 420 000 (15). La réintroduction de la gratuité au sein de l’enseignement primaire a permis le retour des jeunes élèves à l’école. Durant les trois dernières années, les effectifs du primaire ont grossi de 600.000 élèves. Ils auraient encore augmenté de 500 000 en 1994-1995 (16).

Cependant cette progression est encore bien loin de suivre la croissance démographique. Le taux de fécondité au Vietnam est aujourd’hui évalué à 4,2 enfants par famille. Les familles les plus nombreuses composées d’au moins cinq enfants sont aussi généralement les plus pauvres. Il ne leur est pas possible de trouver chaque année les 45 000 ou 60 000 dôngs correspondant à la contribution aux charges de l’école, nécessaires à leurs trois ou quatre enfants d’âge scolaire. Un récent reportage sur la situation des écoles primaires de la banlieue de Hô Chi Minh-Ville à la rentrée scolaire 1993-94 a révélé toute l’importance du phénomène de désertion des écoles, en même temps que sa liaison avec le manque de ressources des familles. Dans le district de Binh Chanh (banlieue sud de Hô Chi Minh-Ville) par exemple, seuls 2 173 élèves avaient été inscrits en première année du primaire. Ce nombre ne représentait que 50 % des élèves qui auraient dû entrer à l’école cette année-là. Les autorités locales ont été obligées d’intervenir auprès des parents, leur promettre des subventions dans l’espoir de les décider à envoyer leurs enfants à l’école (17).

C’est, sans nul doute, une raison financière qui incite la plupart des familles pauvres à retirer leurs enfants de l’école avant la fin de leurs études primaires: « Quelques années d’études suffisent pour savoir lire et écrire; à quoi sert de terminer le primaire? » ont répondu les Vietnamien réfugiés interrogés au cours d’une récente enquête.

1133 – Le secondaire toujours plus cher et de moins en moins fréquenté

Les mesures prises récemment pour limiter et uniformiser les frais de scolarité du secondaire sur tout le territoire du Vietnam n’ont eu que des résultats très limités. Le prix des études a continué de s’élever ces dernières années, entraînant le départ hors de l’école des enfants des familles pauvres.

Selon des enquêtes effectuées chez les réfugiés vietnamiens en 1992 et 1993, les frais de scolarité au Vietnam variaient, non seulement selon que les établissements scolaires étaient situés en ville ou dans les provinces reculées, mais aussi en fonction des divers quartiers de Hô Chi Minh-Ville où se trouvaient les écoles. Dans les quartiers populaires du 4e et 8e arrondissements, les frais de scolarité réclamés pour le premier et le second cycle, durant l’année scolaire 91-92, se situaient entre 90 000 dôngs et 110 000 dôngs par an (y compris la contribution aux charges de l’école). Dans certains quartiers assez aisés du 1er, 3e, 5e arrondissements, ils pouvaient s’élever jusqu’à 150 000 ou 160 000 dôngs par an (au Lycée Tran Van On, rue Dinh Thiên Hoang, 1er arrondissement), voire même à plus de 200 000 dôngs (comme au lycée Lê Hông Phong dans le 5e arrondissement). La somme à débourser pour la scolarité des élèves dépendait aussi de la plus ou moins grande notoriété de l’établissement fréquenté. Certaines écoles bien cotées du 1er arrondissement comme Kêt Doàn (rue Bui Chu) ou encore Hoà Binh, école située à côté de la cathédrale (rue de la commune de Paris) exigeaient de leurs élèves des sommes considérables qui pouvaient atteindre 160 000 dôngs par trimestre. En outre, les parents d’élèves devaient aussi fournir une contribution « volontaire » aux charges de l’école, ce qui leur permet d’inscrire leur nom sur une « livre d’orLes sommes ainsi offertes sont quelquefois astronomiques, pouvant atteindre un montant de 500 000 dôngs, parfois un million.

Malgré les plaintes et les contestations des parents d’élèves, les nombreux articles de dénonciation écrits sur un ton souvent virulent dans certains journaux comme Tuôi Tre (Jeunesse), organe des jeunesses communistes, Lao Dông (Travail), organe des syndicats, Công Giao và Dân Tôc (Catholicisme et Nation), organe du comité d’union du catholicisme, la situation dans le secondaire est bien loin de s’être améliorée dans les années qui ont suivi (1993, 1994). Lors de la rentrée scolaire 1993-94 dans l’ancien lycée d’enseignement français, Marie Curie, qui reste aujourd’hui encore, un établissement de grand renom, la somme réclamée pour un élève du second cycle s’élevait à 259 000 dôngs par an (18). Dans le même arrondissement, le lycée Bui Thi Xuân, qui jouit lui aussi d’une très bonne cote, demandait aux familles un engagement financier encore plus important, du moins pour les élèves de la filière B. Les élèves de la filière A paient 15000 dôngs de scolarité mensuelle. Ceux de la filière B déboursent le double soit un total annuel de 300 000 dôngs (l’année scolaire compte dix mois). Aux frais de scolarité, les élèves des deux filières devaient ajouter 12 000 dông au titre de la contribution aux charges de l’école, 15 000 dôngs pour l’équipement sportif, 12 000 dôngs pour l’emprunt de livres, sans compter les dépenses afférentes à diverses autres rubriques telles que l’assurance personnelle, l’insigne de l’école, les livres et les cahiers, etc.

Les écoles mentionnées ci-dessus ne sont accessibles qu’à certaines classes sociales, les plus fortunées. Le coût des études secondaires est devenu prohibitif et a éloigné de l’école non seulement les enfants des familles dont le revenu annuel se situe aux environs du seuil de pauvreté, mais aussi ceux des familles de revenu moyen ou même aisé. Selon une enquête récente sur la situation économique au Vietnam (19), une famille est classée riche lorsque le revenu moyen par individu y dépasse 300 000 dôngs (environ 150 F) par mois, aisée entre 300 000 et 150 000 dôngs (75 F), de niveau moyen entre 150 000 et 40000 dôngs (20 F), pauvre au dessous de 40 000 dôngs.

C’est surtout à la fin du premier cycle du secondaire, en classe de huitième et de neuvième, que les élèves mettent un terme à leur cursus scolaire, entre 13 et 15 ans, presque toujours pour des raisons financières (20). La désertion scolaire touche des régions où sont concentrées le plus grand nombre de familles dont le revenu est classé au-dessous de la moyenne générale du Vietnam (21). Ce sont les provinces montagneuses du Nord, les provinces des plaines côtières et des hauts plateaux du centre, celles de la région orientale du Sud. Dans la province de Minh Hai située dans le delta du Mékong, la pénurie des effectifs du secondaire est particulièrement grave. Le pourcentage d’élèves abandonnant les études pendant le primaire est déjà de 30 %. Il s’élève à 39 % dans le premier cycle du secondaire et à 38 % dans le second cycle. Au nord, dans les régions de Cao Bang et de Ha Bac, on relève des taux équivalents (de 30 à 40 %). Un triste record est battu en ce domaine par la commune de Dông Thinh; district de Lâp Thach, province de Vinh Phu au Nord-Vietnam. Dans le second cycle du secondaire, on ne trouve que 5% seulement des enfants qui devraient y poursuivre leurs études. Les autres ont abandonné l’école à diverses étapes de leur formation, pour se consacrer aux travaux des champs où ils constituent un précieux renfort pour leurs parents.

1134 – Les études universitaires de plus en plus inaccessibles

Comme l’enseignement secondaire, l’enseignement supérieur a, lui aussi, depuis quelques années, abandonné le principe de gratuité. Les dépenses occasionnées par les études universitaires d’un de leurs enfants représentent pour la plupart des familles un poids financier insupportable. Dans certaines universités, les frais d’études sont l’équivalent d’une année de salaire d’un cadre moyen. Ils peuvent varier de 200 000 dôngs par an à 1 200 000 dôngs (22). A l’intérieur des grandes écoles ou des facultés, ces frais sont plus ou moins élevés en fonction des formations suivies. A la faculté de pédagogie de Hô Chi Minh-Ville, les sommes réclamées chaque année (de 800 000 à 1 200 000 dôngs) (23) sont différentes selon que les étudiants sont inscrits en lettres ou en sciences. A ces charges déjà énormes, l’étudiant devra ajouter encore la contribution aux charges de l’établissement qu’il doit verser chaque année et, bien évidemment, s’il vient de province, les dépenses afférentes au logement et à la nourriture.

Alors que les frais occasionnés par les études supérieures ne cessent de s’élever, le nombre des boursiers d’Etat, lui, diminue. Au début de l’année 1993-94, le nombre de bourses universitaires distribuées par l’Etat vietnamien avaient diminué de 20 % pour l’ensemble du pays. Leur montant avait été légèrement revalorisé, mais il était encore bien loin de permettre à l’étudiant qui en était bénéficiaire de subvenir à ses besoins. Les plus élevées étaient de 100 000 dôngs, les plus basses de 22 500 dôngs.

Il faut voir dans ces problèmes financiers insurmontables qui se posent à celui qui veut entreprendre des études supérieures, une des causes du nombre encore très modeste de jeunes Vietnamiens fréquentant l’université vietnamienne. Selon des statistiques de l’UNESCO pour l’année 1993-94 (24), le nombre d’étudiants vietnamiens, y compris les élèves des écoles professionnelles, était seulement de 130 000 pour une population de 72 millions d’habitants. Lors des concours d’entrée, quelques universités et grandes écoles ont été obligées de baisser la note exigée pour l’admission bien en deça de la moyenne pour pouvoir s’assurer d’un minimum d’étudiants au cours de l’année. Malgré cette mesure, certains bancs d’université sont restés vides. A la fin du mois de novembre 1991, la presse saïgonaise signalait que l’Ecole supérieure de commerce qui, pourtant avait repêché les candidats au concours d’entrée à partir de 18,5 sur 40, n’avait encore recruté que 100 candidats sur 327 (25). A la même date, l’école des finances et de comptabilité n’avait encore admis que 620 étudiants au lieu des 2 100 prévus. La faculté des études agricoles et forestières n’avait encore accueilli que 400 candidats au lieu de 500.

12 – LA PENURIE D’ENSEIGNANTS

121 – Le métier le plus mal payé du pays

Depuis quelque temps, le contrôle exercé sur les enseignants dans les domaines idéologique et pédagogique s’est fait beaucoup moins harassant que dans les années qui ont suivi immédiatement le changement de régime. Par contre, leurs conditions de vie ne se sont guère améliorées. La profession de maître, autrefois la plus glorieuse dans la hiérarchie sociale de la tradition confucéenne, est aujourd’hui la plus mal payée de toutes. Un employé de la voirie à Hô Chi Minh-Ville gagne facilement 100 000 dôngs de plus qu’un enseignant. La traitement d’un instituteur qui était d’environ 80 000 dôngs en 1992 et qui se situe aujourd’hui autour de 130 000 dôngs par mois ne peut en aucune façon permettre à sa famille de survivre. Il en est de même dans l’enseignement secondaire où le traitement mensuel des maîtres est passé de 100 000 dôngs (premier cycle) et 120 000 dôngs (second cycle) en 1992 à 130 000 et 150 000 dôngs l’année suivante. La pratique d’une activité rémunératrice supplémentaire est devenue absolument indispensable à tous les enseignants. Aussi bien, est-elle considérée comme normale par les autorités académiques elles-mêmes. Loin de dissuader les enseignants de pratiquer un second métier, au contraire, elles les y encouragent.

Dans une rencontre avec les responsables de l’Education nationale à Hô Chi Minh-Ville, le 29 octobre 1993 (26), la présidente de la commission de l’éducation et de la culture à l’Assemblée nationale exprimait son étonnement désolé devant le peu de ressources et les piètres moyens d’existence des enseignants d’une ville aussi évoluée que Saïgon. Selon des rapports présentés lors de cette rencontre, 75 % des enseignants doivent compléter leur traitement par des ressources obtenues grâce à des métiers supplémentaires fournis par l’école elle-même: enseignement des langues étrangères, balayage et entretien des salles de classe, gardiennage des parkings à bicyclettes, petit commerce de sucreries, d’essence, de cigarettes, etc. Pour 15 % des membres du corps enseignant, le supplément indispensable à leur traitement provient des autres sources de revenus de la famille. Environ 10 % des maîtres du secondaire parviennent à se suffire uniquement par l’enseignement grâce aux cours particuliers donnés aux élèves en dehors des heures officielles.

Les enseignants ont aussi souvent beaucoup d’autres activités supplémentaires exercées en dehors du cadre de l’école. Comme tous les fonctionnaires vietnamiens, après leurs classes, les instituteurs et les professeurs se transforment en électriciens, en menuisiers, en maçons, en marchands ambulants, autant de professions non déclarées qui leur permettent de subvenir aux besoins de toute leur famille.

Cependant, le véritable gagne-pain du maître est surtout constitué par les cours supplémentaire qui sont devenus, au sud du moins, une véritable institution. Il n’existe aucune statistique officielle sur le nombre des élèves qui suivent ces cours, mais on peut penser que ce chiffre est très important (27). Cet enseignement particulier est dispensé à l’intérieur des maisons privées ou encore dans les locaux des établissements scolaires. Dans beaucoup d’écoles semi-publiques, les cours de rattrapage sont organisés par la direction de l’école et accueillent de 85 à 100 % des élèves. Dans les années récentes, une double pression a entraîné tout le monde dans cette course aux cours particuliers. Pour les élèves et leurs parents la pression est en partie psychologique. Ce sont des raisons de prestige qui poussent beaucoup d’écoliers à entreprendre des études supplémentaires. La nécessité d’assurer la subsistance de leurs familles constitue pour les enseignants un motif plus que suffisant pour se lancer dans cet enseignement parallèle qui leur permet de doubler ou de tripler leur traitement. Les écoles et les administrations encouragent ce type d’études privées qui leur rapportent beaucoup d’avantages financiers, rehaussent le niveau de l’école en élevant le taux de réussites à l’examen.

Il est facile de comprendre que cette multiplication des activités supplémentaires exerce une influence néfaste sur la qualité de l’enseignement tout comme sur la santé et le moral des maîtres. Mais ceux-ci ne peuvent guère s’en dispenser. Lors de leur rencontre à Hô Chi Minh-Ville avec la présidente de la commission de l’éducation et de la culture à l’Assemblée nationale, les responsables de l’éducation nationale à Hô Chi Minh-Ville reconnaissaient que pour normaliser les conditions de vie de l’enseignant et élever la qualité de l’enseignement dispensé, les traitements des instituteurs et professeurs devraient être réajustés de 300 à 350 000 dôngs par mois, effort que le budget actuel de l’Education nationale ne permettait pas.

122 – Démissions d’enseignants et raréfaction du personnel

Las de travailler dans de telles conditions, voilà déjà plusieurs années que les enseignants ont commencé à abandonner une tâche trop ingrate pour aller chercher ailleurs les sources de revenus plus faciles que la nouvelle économie de marché leur offre un peu partout. La pénurie croissante des enseignants est particulièrement bien illustrée par la suite de chiffres alarmants qui, chaque année, sont publiés dans des communiqués issus du ministère de l’Education nationale. Pour le seul enseignement primaire, le manque d’instituteurs au plan national se chiffrait à 40 000 pour l’année scolaire 1992-93, à 60.000 pour l’année 1993-94. Dans une conférence de presse tenue à Hanoi à la fin du mois d’août 1994, le ministre de l’Education nationale annonçait que, pour la nouvelle année scolaire, il manquerait 10 000 instituteurs supplémentaires, ce qui portait à 70 000 le nombre de postes non assurés dans les écoles primaires du pays (28).

Certaines régions sont plus gravement touchées par cette raréfaction des membres du corps enseignant. En 1993, il manquait 1 400 instituteurs à An Giang, 420 à Vinh Long, dans le delta du Mékong. Au Nord-Vietnam, à Yen Bai, 1 300 instituteurs faisaient défaut (29). Cette pénurie se faisait même sentir à Hô Chi Minh-Ville qui est pourtant le grand centre culturel et universitaire du sud. pour l’année scolaire 1993-94, 300 postes sont restés sans titulaire dans la banlieue de la métropole du Sud (30).

En 1993-94, pour parer à cette carence catastrophique de maîtres du primaire, les autorités académiques de Hô Chi Minh-Ville ont été obligées de prendre une série de mesures d’urgence (31). La formation des maîtres dans les écoles normales d’instituteurs a été facilitée au maximum. Tous les futurs instituteurs en cours d’études ont été dispensés des frais de scolarité et leurs bourses d’études ont été revalorisées. Les étudiants domiciliés en ville bénéficient désormais d’une allocation annuelle de 100 000 dôngs au lieu de 80 000 auparavant. Pour leurs camarades résidant en banlieue, la bourse se monte à 150 000 dôngs.

La même année, l’urgence était telle que les responsables de l’Education nationale à Saïgon ont commencé à embaucher comme instituteurs des jeunes gens fraîchement sortis de la classe de neuvième (équivalent de la classe de troisième française). Après une formation accélérée, ils sont aussitôt affectés dans les postes vacants. Depuis 1993, de nombreux centres de formation accélérés de jeunes maîtres ont ainsi été établis sur tout le territoire du Vietnam (32). Par ailleurs, les maîtres ont été incités à se charger de classes supplémentaires. Tous ceux qui acceptaient de dispenser leur enseignement à deux classes à la fois bénéficiaient d’un traitement double, mais le surcroît de travail imposé aux maîtres est quelquefois au dessus des forces humaines.

Le corps enseignant dans le secondaire traverse lui aussi une crise sans précédent. Pour ne prendre qu’un exemple, l’enseignement des langues étrangères, qui est devenu une matière particulièrement importante en cette période où la société vietnamienne s’ouvre au tourisme de masse ainsi qu’aux techniques et aux capitaux venus de l’étranger, manque cruellement d’enseignants. Un communiqué du ministère de l’Education nationale, au début de l’année scolaire 1993-94, informait le public que pour assurer à 100 % les besoins des élèves en cette matière, il faudrait ajouter aux effectifs actuels 10.757 enseignants supplémentaires (33). Selon le même communiqué, si l’on ajoutait aux professeurs de langue vivante en exercice, les 6 000 qui seront formés d’ici 1997, aux environs de l’an 2000, le nombre d’enseignants en cette matière ne correspondra encore qu’à la moitié des besoins réels. A cette pénurie, il faut ajouter un déséquilibre de la répartition des enseignants selon les diverses langues. Il a été causé par les récents changements d’orientation politiques et idéologiques du pays. En 1993, 59,3 % des professeurs de langue vivante étaient spécialisés en russe, langue de plus en plus délaissée par les élèves du secondaire depuis la dislocation de l’ancienne Union soviétique et le retrait presque total des coopérants russes. Par contre, 35,18 % seulement d’entre eux enseignent l’anglais, adopté aujourd’hui par la majorité des élèves comme première langue vivante. Malgré les efforts financiers considérables consentis par l’agence francophone et certaines initiatives originales prises dans le secteur primaire, le français n’est adopté comme langue vivante que par un petit nombre d’élèves. Pourtant les professeurs de français ne semblent pas faire défaut. Beaucoup d’entre eux bénéficient de bourses du gouvernement français pour venir se recycler en France.

13 – LE CONTENU DE L’ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE ET LA TRANSFORMATION ACTUELLE DE LA SOCIETE

Traditionnellement, dans tous les pays du monde, le système éducatif est chargé d’adapter les jeunes générations à une société en évolution permanente. Cette tâche est d’autant plus ardue lorsqu’ont lieu de véritables tournants historiques comme c’est le cas au Vietnam qui, depuis 1987, a entamé une évolution dont peu de personnes sont capables de prédire la future orientation. L’ancien système social s’effondre par pans entiers sans que les traits du futur visage de la société vietnamienne n’apparaissent encore avec beaucoup de netteté. Cela ne manque pas de poser d’énormes problèmes au contenu du système éducatif vietnamien qui, de ce fait, est entré dans une crise sans précédent. Il doit à la fois se dégager de la marque idéologique imprimée en lui par 40 ans de régime socialiste pur et dur et, en même temps, relever le défi que lui lance le monde moderne, depuis l’adoption officielle de l’économie de marché.

131 – Le critère idéologique

L’option du régime pour le système politique marxiste-léniniste et son projet d’une société dominée par les valeurs propres à cette conception du monde avaient très fortement modelé le système éducatif vietnamien. En effet, l’incitation à l’engagement politique exigé des citoyens par le pouvoir était tout particulièrement pressante à l’intérieur du monde de l’éducation et plus particulièrement de l’enseignement supérieur. Elle s’y manifestait d’abord par les références incessantes à la pensée marxiste léniniste, complétées – surtout ces temps derniers – par la pensée de Hô Chi Minh. Les cours de politique, obligatoires dans tous les types de formation, qu’elles soient littéraires, scientifiques, médicales ou techniques contribuaient à conforter chez l’étudiant l’unique conception de vie acceptée du régime.

Cependant, le pouvoir avait aussi créé dans l’université une série d’institutions destinées à opérer un tri au sein de la masse des jeunes gens désireux d’accomplir une carrière dans leur pays. Cette sélection des étudiants s’opérait grâce à ce que l’on pourrait appeler le critère idéologique utilisé à divers stades de la formation de l’étudiant. Il faisait une première apparition au moment de l’entrée à l’université. Par la suite, la pression ne se relâchait pas puisque les pensées, le comportement de l’étudiant étaient confrontés à ce même critère tout au long du cursus d’études, à chaque contrôle, lors des examens de fin d’année et du passage à l’année supérieure, à la fin des études lors de l’attribution d’un poste.

Ce primat de l’idéologie marxiste à l’intérieur de l’université qu’exprimait bien la célèbre formule « plutôt rouge qu’expertallait être ébranlé grâce à transformation subie par le régime vietnamien depuis le 6e Congrès. Celle-ci certes s’est surtout traduite par un bouleversement du système économique et social. Elle a permis le décollage économique d’un certain nombre de secteurs, particulièrement dans l’industrie et l’agriculture. Mais la primauté donnée au profit par la nouvelle économie de marché a aussi perturbé très fortement d’autres secteurs, en particulier celui de l’éducation nationale, non seulement parce que, comme nous venons de le voir, des problèmes financiers inextricables étaient posés aussi bien aux familles des élèves qu’aux enseignants, mais parce qu’elle mettait en cause le contrôle idéologique pratiqué à l’intérieur du monde étudiant. Certes les diverses pratiques discriminatoires se poursuivent encore, mais elles sont fortement ébranlées même si elles ne sont pas encore déracinées.

132 – Le curriculum vitae et l’origine familiale

La rédaction du « curriculum vitae » est une pratique typique du régime vietnamien. Depuis 1954 au Nord-Vietnam et 1975 au Sud, elle est exigée non seulement des pensionnaires des camps de rééducation qui, par ce moyen confessent leurs fautes mais aussi des membres ordinaires de la société civile qui, à l’occasion de toute candidature, informent les autorités de leur « profil » politique. La persistance de cette pratique à l’université illustre bien le principe révolutionnaire selon lequel « le politique prime la compétenceA chaque rentrée scolaire, à chaque examen (baccalauréat, licence, etc), à chaque concours d’entrée (écoles polytechniques, faculté de médecine, d’études dentaires, pharmacie, etc) les candidats devaient joindre à leur dossier un curriculum vitae détaillant les origines familiales du candidat (34), en remontant jusqu’à trois générations aussi bien du côté paternel que maternel. Ce document devait, en plus, être certifié conforme par les agents de la sûreté du lieu de résidence. Le curriculum vitae a pesé d’un poids très lourd sur la réussite ou l’échec des études universitaires des jeunes Vietnamiens qui le rédigeaient et le signaient. Jusqu’à une époque très récente et jusqu’à maintenant pour certaines formations et certaines carrières, tout espoir de mener à bien des études sérieuses était enlevé aux jeunes gens d’origine bourgeoise, aux fils et filles de grands propriétaires terriens, ou encore aux enfants de familles fantoches. Le fait d’avoir un père ou un parent proche ayant appartenu à l’administration ou à l’armée de l’ancien régime était considéré comme une tare que ni la compétence ni l’assiduité scolaire ne pouvaient racheter. Même les études au séminaire catholique ou à l’école de formation bouddhique étaient interdites aux candidats marqués de ce « péché originel ».

Une autre façon pour les autorités de privilégier le bon « profil politique » au détriment des compétences réelles consistait à faire varier le total des notes exigées pour réussir le concours d’entrée ou l’examen de passage en fonction de l’origine sociale et des services rendus par le candidat ou sa famille à la Révolution. Durant l’année scolaire 1989-1990, par exemple, les facultés de médecine, de pharmacie et d’études dentaires avaient prévu pour leur concours d’entrée, les dispositions suivantes (35):

a – Un total de 16 points seulement est exigé des candidats relevant des catégories suivantes: « héros » des forces armées, « héros » du travail, soldats démobilisés, soldats décorés, cadres titulaires jouissant de cinq ans d’ancienneté, ouvrier ayant exercé depuis au moins trois mois une profession directement liée à la production, cadres directement présentés par le Parti.

b – Un total de 18 points est exigé des candidats dont un des parents est mort pour la patrie.

c – Un total de 24 points est exigé de tous les autres candidats.

Les catégories d’étudiants énoncées ci-dessus garderont leurs privilèges tout au long de leur cursus scolaire, à chaque examen et à chaque contrôle.

C’est à partir des années 1986-1987 que ce système a été mis en question. Certains réformistes et dissidents comme Nguyên Hô, Ta Ba Tong et beaucoup d’autres anciens militants du Front national de libération menèrent une campagne contre cette discrimination exercée à l’encontre de toute une partie de la population vietnamienne. Quelques-uns firent des séjours plus ou moins longs en prison ou en camp de rééducation, ou encore furent placés en résidence surveillée. L’actuel premier ministre, M. Vo Van Kiêt, lui-même, considéré comme le chef des réformistes, a tenté en vain de recruter des cadres en tenant compte surtout de leurs compétences et de leur niveau académique. Il s’est heurté à l’opposition énergique de l’ensemble des conservateurs.

En 1987, l’affaire d’un étudiant brillant, Nguyên Manh Hung, évincé des études supérieures à cause de son curriculum vitae, a défrayé la chronique et fait la une de certains journaux, en particulier de Tuôi Tre (36), l’organe des jeunesses communistes pour Hô Chi Minh-Ville. Ce jeune homme originaire de la province de Nghia Binh au Centre-Vietnam avait passé avec succès quatre concours d’entrée aux grandes écoles. Or, à cause de ses mauvaises origines, à savoir un père militaire de l’ancien régime, son admission avait été refusée dans les quatre établissements. Grâce aux médias et à la pression de l’opinion publique, il fut finalement admis à la faculté de pédagogie technique de Thu Duc.

Les derniers bouleversement mondiaux ont fait perdre beaucoup de son importance à l’idéologie qui n’occupe plus comme autrefois la première place. La référence au critère idéologique pour le recrutement dans les écoles supérieures ou pour la sanction des études se fait de plus en plus discrète. Selon des enquêtes effectuées en 1994, la pratique du « curriculum vitae » tomberait de plus en plus en désuétude. Seules certaines autorités provinciales plus sourcilleuses sur la qualité « politique » des étudiants le prendraient encore en considération. La politique d’exclusion pratiquée jusqu’ici à l’égard des familles ayant occupé une quelconque fonction dans l’ancien régime est aujourd’hui beaucoup moins stricte qu’autrefois. Les étudiants originaires de familles « fantoches » peuvent maintenant se présenter aux concours et être reçus s’ils obtiennent de bonnes notes.

Cependant certaines pratiques anciennes se perpétuent encore, souvent dans la discrétion la plus absolue. Les avantages accordés à certaines catégories d’étudiants sont maintenus dans beaucoup d’universités même si la note exigée désormais pour leur admission a été fortement relevée. En 1993, la note exigée pour l’admission des étudiants privilégiés n’était inférieure à la note normale que de deux ou trois points, alors qu’elle lui était autrefois inférieure de huit points.

Les cours de marxisme-léninisme continuent, eux aussi, d’être obligatoires pour tous dans toutes les formations universitaires. Les déclarations officielles persistent à proclamer que l’idéologie marxiste doit jouer un rôle prédominant. « L’éducation doit être axée sur la marxisme-léninisme et les pensées de Hô Chi Minh » affirmait encore la résolution du quatrième plenum (7e congrès) de janvier 1993. Cependant, en ce domaine aussi la situation a changé. Autrefois, les sujets doués dans les matières principales du programme mais obtenant des notes insuffisantes en cette discipline n’avaient guère de chances de réussir. A l’examen de fin d’année, l’épreuve de marxisme-léninisme restait déterminante avec sa note éliminatoire fixée à quatre sur dix. Aujourd’hui, ces cours dispensés une fois par semaine, ressemblent bien souvent à des cadres vides. Les professeurs affectés à cet enseignement se posent aujourd’hui la question du contenu de leur cours. Ils répugnent à répéter les anciens dogmes mais ne savent pas par quoi les remplacer. Les étudiants, de leur côté, s’intéressent de moins en moins à cette matière qui fait toujours l’objet d’une épreuve à l’examen de fin d’année. La note éliminatoire est maintenant descendue à zéro.

Ainsi, peu à peu, les ravages causés par les préjugés idéologiques en vigueur dans l’éducation nationale s’atténuent et l’on ne peut que souhaiter de les voir disparaître complètement. Durant les quarante ans pendant lesquels ils ont sévi au Vietnam, des générations entières d’étudiants ont été écartées de l’université à cause de leurs origines sociales, à commencer par celle qui était en cours d’études en 1975, au moment du changement de régime au Sud-Vietnam.

133 – Le contenu de l’enseignement universitaire et le défi des temps modernes

Il ne suffit pas à l’université vietnamienne de rompre avec certaines pratiques héritées du passé qui paralysent son développement, il faut aussi qu’elle puisse répondre au défi qui lui est lancé par la future évolution du Vietnam. Si le décollage économique actuel se confirme, le besoin en personnel qualifié va se faire sentir dans tous les domaines dans un avenir très proche. On peut se demander si l’université actuelle est capable de former les artisans du renouveau vietnamien. Quelles sont les ressources à sa disposition?

1331 – Un diagnostic généralement pessimiste

Il est difficile de formuler une réponse précise à cette question cependant un certain nombre d’instances intéressées par l’avenir économique du Vietnam ont essayé de le faire à diverses reprises au cours des mois écoulés. Nous rapportons ici quelques-uns des jugements globaux portés sur l’enseignement supérieur – dont la plupart émanent des responsables vietnamiens eux-mêmes – avant d’essayer d’en faire nous même une analyse sommaire.

Un bilan des possibilités de l’université vietnamienne a été présenté à une conférence internationale sur l’enseignement universitaire tenue à Hanoi du 24 au 28 août 1993 et organisée sous le patronage de la Banque mondiale. Elle a réuni autour des responsables du ministère de l’Education et de la formation, un certain nombre d’universités étrangères (Pékin, Londres, etc). Selon un rapport présenté aux participants de la conférence par le directeur de l’enseignement supérieur, l’université vietnamienne ne s’est pas encore adaptée aux besoins de la société à cause d’un certain nombre d’insuffisances dont elle souffre. Selon le responsable vietnamien, le système actuel d’organisation et de gestion de l’université ainsi que son statut ne sont pas capables de faire face à la situation qui s’est créée au Vietnam depuis l’introduction de la réforme économique. Par ailleurs, l’éducation qui y est donnée est sans lien ni coordination avec la recherche scientifique et la production. C’est pourtant l’harmonisation des études universitaires et de ces deux secteurs qui constituent la caractéristique principale d’une université moderne. Enfin, le rapport cité a noté une troisième insuffisance qui sans doute conditionne les autres, celle qui affecte le corps enseignant dont on souligne le manque d’effectifs, la faiblesse de son niveau académique et l’absence d’initiatives face aux changements rapides de la société.

Quelques mois plus tôt, en novembre 1992, ce même jugement avait été porté par le ministre de l’éducation et de la formation qui avait déclaré devant les médias vietnamiens: « Les objectifs de l’éducation, la formation (des cadres et des techniciens à tous les niveaux et dans toutes les branches) … ne répondent pas aux besoins et à la transformation actuelle de l’économie et de la société » (37). Explicitant ses propos, le ministre ajoutait:  » … L’évolution de l’éducation s’avère trop lente, face aux changements et aux réformes de l’économie qui progresse à un rythme de plus en plus rapide … 60 à 70% des membres du corps enseignant ne possèdent pas le niveau académique requis et les conditions matérielles sont insuffisantes …  » (38). Il déplorait aussi que l’enseignement supérieur n’ait pas encore investi en vue de rénover ses programmes et de recycler son corps enseignant. Aucun projet nouveau n’a encore été élaboré, aucune mesure nouvelle n’a été prise qui permettrait le renouvellement et la réforme de cet enseignement .

Dans son discours d’ouverture du quatrième plenum du comité central au mois de janvier 1993, le secrétaire général Dô Muoi ne disait pas autre chose: « La qualité et l’efficacité du système éducatif sont encore faibles … » (39)

1332 – Les déficiences de l’enseignement supérieur

Une analyse plus détaillée de la situation de l’université vietnamienne aujourd’hui justifie la sévérité des jugements exprimés ci-dessus.

13321 – Budget et infrastructures

Comme l’a fait remarquer le secrétaire général lui-même, « le budget consacré à l’éducation nationale reste encore très limité … » (40). Chaque année, environ 6 à 7 % du budget seulement est réservé à l’éducation nationale. En 1993-94, exceptionnellement, cette part du budget s’est élevée à 12%, ce qui est encore très faible en comparaison de ce qui se passe dans les pays de l’ASEAN qui réservent en moyenne 15 à 20 % de leur budget national à l’éducation de la jeunesse (41). Seule une partie du budget de l’éducation nationale est utilisée au financement de l’enseignement supérieur. Selon le ministre des finances, pour les 130 millions d’étudiants inscrits dans les universités et écoles professionnelles du pays, l’Etat investirait une moyenne de 3 millions de dôngs par étudiant (42) et par an, soit 280 dollars américains, beaucoup moins que l’investissement consenti en ce domaine par les autres pays de l’ASEAN.

Cette pauvreté du budget consacré à l’enseignement supérieur ne manque pas bien évidemment d’avoir des répercussions sur les équipements universitaires. Les étudiants ont beaucoup de peine à se procurer les livres, les revues, les publications scientifiques nécessaires à leurs études. La documentation en langue vietnamienne est peu abondante. En langue étrangère, elle est introuvable dans les librairies et, quand elle existe, très difficile à consulter dans les bibliothèques. Pour y accéder, les étudiants devront remplir des formalités administratives interminables. La politique d’isolement du monde occidental menée par le Vietnam depuis longtemps est loin d’avoir enrichi les bibliothèques et centres de documentation des universités.

Laboratoires et salles de travaux pratiques pâtissent des mêmes insuffisances. Les instruments et les appareillages y sont, la plupart du temps, démodés, datant souvent de 30 ou 40 ans. Le directeur de l’école polytechnique de Thu Duc, une des grandes écoles bien connues de la banlieue nord de Hô Chi Minh-Ville, reconnaissait en avril 1993 (43) que son établissement était sous-équipé et que le matériel utilisé aujourd’hui avait été, en grande partie, fabriqué en 1958. Le cas de cette école est loin d’être unique. Beaucoup d’instituts universitaires ou d’écoles professionnelles sont encore beaucoup plus démunis et le matériel utilisé par ces établissement est aussi, sinon plus démodé (44). Depuis 1976, sur le budget général de l’enseignement supérieur et professionnel, rien n’a été prévu pour équiper ou moderniser les laboratoires des universités ou des écoles de formation professionnelles.

Cette pauvreté de l’équipement est aggravée, comme le manifeste l’enquête de l’UNESCO, par « une dispersion extrême des petits centres universitaires. Le manque de coordination des établissements entre eux ne permet pas à l’Etat d’utiliser au maximum leurs ressources, à savoir le corps enseignant, les locaux, les divers équipements (laboratoires et bibliothèquesSelon le ministre de l’Education nationale une réorganisation de tout le réseau universitaire s’impose.

13322 – Inadaptation des programmes enseignés à l’évolution actuelle.

Les programmes et les méthodes d’enseignement en usage dans les universités aussi bien que dans les écoles professionnelles ne s’adaptent plus aux besoins de la société et de l’économie vietnamiennes, aujourd’hui en pleine évolution. Cette constatation est largement vérifiée par les difficultés rencontrées sur le marché du travail par les anciens étudiants à leur sortie de l’école. Selon les déclarations du ministre de l’éducation et de la formation, seulement 2% des ouvriers fraîchement diplômés possèdent le niveau technique requis par la tâche pour laquelle ils sollicitent un emploi (45). Beaucoup d’étudiants sont ainsi réduits au chômage, car les entreprises, connaissant la formation qu’ils ont reçue durant leurs études, exigent deux ou trois ans d’expérience pratique dans le métier avant de les embaucher. Sur les quelque 2 000 techniciens sortis chaque année des écoles techniques de Hô Chi Minh-Ville, pourtant réputées pour le bon niveau de l’enseignement qui y est dispensé, seulement 60 % trouvent un emploi (46). En 1993, plus de 4 300 jeunes diplômés des universités et grandes écoles saïgonaises se sont trouvés au chômage; parmi eux, il y avait 400 médecins (47). La loi exige que les jeunes docteurs en médecine aient cinq ans d’expérience dans leur profession avant de créer des cabinets de consultation médicale. Or, après leurs études, ils n’arrivent pas à trouver un emploi dans les hôpitaux ou les cliniques d’Etat, alors que certains seraient prêts à travailler à titre gratuit. Aussi doivent-il faire toutes sortes de métiers pour survivre.

13323 – Enseignants et étudiants de l’enseignement supérieur

Les universitaires vietnamiens sont aujourd’hui en nombre très insuffisant et de plus surchargés de travail. Très récemment, la presse saïgonaise (48) reprenait les résultats d’une enquête du ministère mentionnant que dans certaines écoles des professeurs d’économie, de finances ou encore de droit étaient chargés de près de 1 000 heures de cours par an. Beaucoup d’entre eux sont des enseignants de valeur; cependant selon le ministre de l’Education 60 à 70 % des membres du corps enseignant ne jouissent pas du niveau académique requis. 12,9 % d’entre eux seulement ont obtenu un doctorat ou le titre de « vice-docteur » délivré par l’Union soviétique qui est à peu près l’équivalent du DEA de l’enseignement français (49). Dans son discours au quatrième plenum, M. Dô Muoi exprimait le voeu que ce pourcentage soit porté à 30 % (50).

On peut craindre aussi que la compétence des universitaires ne laisse à désirer. A cause de l’isolement intellectuel auquel ils ont été condamnés au cours des années écoulées, leurs connaissances scientifiques sont bien souvent périmées et ils se contentent de répéter leur cours d’année en année.

L’ardeur au travail et la curiosité intellectuelle de l’étudiant vietnamien sont traditionnelles et existent toujours. Cependant, il faut reconnaître que sa tâche n’est pas facilitée par les conditions d’existence et de travail à l’université, énumérées ci-dessus, auxquelles il faut ajouter les très difficiles problèmes financiers auxquels il est affronté. Le bas niveau des études secondaires qu’il a suivies, le manque de culture générale constituent pour lui un handicap supplémentaire.

DEUXIEME PARTIE – RECHERCHES DE SOLUTIONS

Les très graves difficultés rencontrées par l’éducation nationales ont amené les plus hautes instances du Parti à consacrer à ce sujet une grande partie du quatrième plenum (7e congrès) qui s’est tenu du 4 au 14 janvier 1993 à Hanoi. La résolution qui a été publiée à l’issue des travaux (51) constitue un éclairage très important sur la façon dont les dirigeants du parti envisagent l’avenir de l’éducation dans leur pays. Il est intéressant pour terminer ce dossier de relever les orientations préconisées par cette instance importante du Parti communiste vietnamien et ensuite d’examiner la façon dont elles ont été mises en oeuvre.

21 – Les résolutions du quatrième plenum

Elles concernent l’ensemble des problèmes posés par l’éducation au Vietnam y compris la lutte contre l’analphabétisme qui en l’an 2000 devrait avoir disparu chez les travailleurs appartenant à la tranche d’âge située entre 13 et 15 ans. Cependant la plupart des décisions prises concernent le domaine scolaire. Nous les énumérons ci dessous:

211 – L’enseignement général

– La création d’écoles libres est désormais encouragée. Cependant, il semble bien que cette permission concerne surtout les jardins d’enfants et les écoles professionnelles. Elle ne s’applique pas à l’enseignement primaire et secondaire.

– La gratuité de l’école primaire est réaffirmée. Il est prévu de rendre la scolarité obligatoire pour les enfants de six à quatorze ans.

– Le premier cycle du secondaire devra progressivement être rendu obligatoire, en particulier dans les villes. Un effort très important d’adaptation des programmes du secondaire sera réalisé pour mieux guider les élèves dans leurs études et les orienter dans leur choix professionnel. Trois sections seront instituées, la section A (sciences naturelles), la section B (sciences naturelles et techniques), la section C (sciences humaines). Il faut remarquer que cette division du secondaire en trois sections n’a rien de nouveau. C’est celle qui existait au sud avant 1975.

212 – L’enseignement professionnel

C’est dans ce domaine que devrait porter l’effort le plus important dans les années à venir. Le plenum propose de diversifier et de multiplier les écoles. En ce secteur où les équipements sont particulièrement onéreux, il est prévu de laisser jouer l’initiative privée. Des établissements libres pourront être ouverts.

213 – L’enseignement supérieur

Il est prévu de réorganiser les universités, les écoles supérieures et les centres de recherche. On insistera sur la liaison et la coordination devant exister entre enseignement, activités de recherche et formation professionnelle.

22 – Mise en oeuvre des résolutions du plenum

A l’issue du quatrième plenum, les responsables de l’éducation nationale ont multiplié les initiatives et favorisé les rencontres de toutes sortes afin d’essayer d’arracher l’éducation nationale à une crise qui se prolonge depuis des dizaines d’années. De nombreuses réunions de travail ont eu lieu au sein même du ministère de l’Education. Elles avaient pour but de dresser un bilan en même temps qu’elles préparaient l’application des résolutions adoptées au cours du quatrième plenum. Dans le même temps, la collaboration de nombreux pays du monde était sollicitée. Des conférences et colloques internationaux furent organisés à Hô Chi Minh-Ville avec la coopération étroite de la Banque mondiale et d’autres organisations dépendant des Nations Unies, telles que l’UNESCO, le Centre culturel de l’Asie-Pacifique, etc. Grâce à l’aide financière et technique de ces organismes internationaux, l’état des lieux du système éducatif vietnamien a pu être précisé et des solutions nouvelles ont été proposées.

A partir du mois de septembre 1993, la presse commença à donner des nouvelles concernant l’application des résolutions du plenum. Le secrétaire d’Etat à l’éducation, interrogé par un journaliste fit savoir que la réforme du secondaire avait pris un certain retard (52). La répartition des élèves dans les trois sections prévues, A, B et C ne pourrait avoir lieu lors de l’année scolaire 1993-94, car les responsables n’avaient pas encore établi les nouveaux programmes et la rédaction des nouveaux manuels scolaires n’étaient pas achevée. Cependant, la nouvelle répartition en trois sections serait appliquée partiellement à titre expérimental dans sept provinces et villes, parmi lesquelles Hanoi et Hô Chi Minh-Ville. La préparation des programmes d’enseignement serait laissée à l’initiative des autorités académiques régionales. Il était aussi prévu que la réforme s’étendrait à l’ensemble du pays pour l’année scolaire 1994-95, dans au moins une école de chaque province ou ville. La réforme ne sera prochainement mise en oeuvre que dans très peu d’établissements. Elle va donc subir un retard considérable provoqué par l’absence de personnel compétent et surtout le manque de moyens financiers.

La réforme proposée par le quatrième plenum dans l’enseignement professionnel se heurte, elle aussi, aux mêmes obstacles infranchissables, les mêmes qui ont provoqué la crise générale de l’éducation nationale. Les finances et le personnel nécessaires font défaut pour créer les nouveaux établissements scolaires. De ce fait, des solutions de compromis sont adoptées. Dans un colloque réuni du 30 au 31 août 1993 (53), à Hô Chi Minh-Ville pour débattre de la formation professionnelle dans les provinces du Sud, un haut responsable de la formation professionnelle fit savoir aux participants que le ministère avait décidé « d’associer, à titre expérimental, dans 15 écoles secondaires, l’enseignement professionnel à l’enseignement de culture générale ». En fin de compte, les résolutions du quatrième plenum n’ont eu jusqu’ici que peu d’applications concrètes.

Diverses initiatives dans le domaine de l’enseignement supérieur ont marqué les lendemains du quatrième plenum. On a tenté par exemple d’étoffer les effectifs universitaires, en diversifiant les formations et en doublant la filière normale des études par une filière B comme dans le secondaire. Selon le ministre Trâng Hông Quan ces mesures se seraient heurtées à « l’opposition de forces hostiles au renouveau » . En 1993-1994, le nombre des étudiants n’a pas augmenté; il est toujours évalué à environ 130 000 (54). Certaines autres réformes de peu d’importance ont été appliquées. On applique désormais, comme avant 1975, le système de contrôle des connaissances continu. Le cursus universitaire a été divisé en deux étapes dans la plupart des universités. Tout cela n’a guère renouvelé le visage de l’université. L’organisation et les mécanismes de gestion en usage jusque là sont restés pratiquement inchangés. Ce qui a eu pour effet de freiner toutes les réformes visant à transformer les programmes et les méthodes d’enseignement.

* * *

Certaines crises sont positives car elles débouchent sur une transformation profonde de l’organisme qui la subit. On peut penser que la crise dans laquelle est entrée l’éducation nationale au Vietnam depuis quelques années n’est pas de cette nature et ne porte pas en elle les germes d’un vrai renouvellement du système éducatif vietnamien. Si elle s’est intensifiée ces dernières années, c’est à la faveur du changement de cap opéré par les dirigeants vietnamiens en matière économique. Une part du désarroi qui règne aujourd’hui dans le système éducatif vietnamien peut en effet être attribuée à l’introduction de l’économie de marché, et au libéralisme économique inhumain que celle-ci inspire aux esprits et aux pratiques sociales y compris celles du gouvernement qui désormais abandonne les charges qu’il assumait jusqu’ici aux familles des élèves. Pourtant, il ne s’agissait là que d’un rôle très normal de la société civile qui a toujours pris en charge l’éducation de ses enfants. Les difficultés actuelles ne témoignent pas d’une évolution positive mais bien de la pauvreté de la société civile vietnamienne incapable de supporter le transfert de charges qui lui a été imposé par l’Etat.

La crise actuelle n’est donc en rien le signe d’une transformation positive de l’éducation nationale. En réalité sa réforme n’est même pas encore entamée. Certaines marques de l’idéologie anciennes ont été abandonnée, mais rien n’a été fait de sérieux pour adapter l’éducation nationale à la situation nouvelle. Pourtant les dirigeants sont désormais au pied du mur. Ils ne pourront se dispenser longtemps d’introduire les changements nécessaires dans les écoles et les universités. Le décollage économique récent dont se flattent les dirigeants ne pourra se poursuivre sans les spécialistes et la main d’oeuvre qualifiée nécessaires. Mais pour que cette réforme soit possible, certains changements politiques fondamentaux sont peut être nécessaires.

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