Eglises d'Asie

POUR UNE PAIX JUSTE ET DURABLE Une interview de Mgr Fernando Capalla

Publié le 18/03/2010




La CNU a reçu pour mission de faire des recommandations au gouvernement pour un programme éventuel d’amnistie et l’amorce d’un processus de paix : n’est-ce pas bien ambitieux ?

L’expression “processus de paix” signifie que nous devons présenter au président des recommandations sur les moyens de ramener les groupes rebelles au sein de la communauté nationale, ou, si l’on veut, de préparer leur réconciliation avec le gouvernement. Nous pouvons identifier quatre groupes rebelles: les partisans de l’ancien président Marcos, dirigés par le général Zumel, ceux qui obéissent au colonel Gregorio Honasan (Gringo), les rebelles gauchistes et les musulmans. Mais nous ne pouvons pas présenter nos recommandations au président si d’abord nous ne prenons pas contact avec tous ces groupes de manière informelle. Notre rôle n’est pas de négocier, pas encore. Nous nous contentons pour l’instant de conversations avec les rebelles.

Comment vous y prenez-vous, pour ces conversations?

Nous avons trois types de rencontres. En privé, d’abord : n’importe quel membre de la commission peut rencontrer n’importe quel individu ou groupe. Nous avons ensuite ce que nous appelons des consultations au plan national : avec des groupes de stature nationale, comme les groupes d’action travaillant en faveur de causes bien déterminées, ou les membres du Congrès, la Conférence nationale pour la paix. Ils nous transmettent les textes expliquant leurs positions et nous leur disons celle de la CNU et du gouvernement. Le troisième type de consultation, qui s’est mise en place à la fin de janvier 1993, s’applique au niveau régional. Nous aurons des comités organisateurs avec à leur tête deux responsables dans chaque région : un évêque catholique et un évêque du Conseil national des Eglises protestantes.

Qui sera consulté ?

En fait, nous nous adressons à tout le monde. Nous savons bien, d’une manière générale, ce qui ne va pas dans le pays, nous connaissons les causes de la rébellion, les problèmes de base. Mais il nous reste à étudier les questions qui peuvent se poser en certains endroits particuliers tout en étant ignorées du reste du pays et du gouvernement. Par exemple, à Lanao del Norte, d’où je suis venu, il existe une controverse à propos d’un barrage électrique sur la rivière Agus : peu de gens sont concernés; mais c’est un problème grave pour les habitants de Lanao. Beaucoup de questions se posent ainsi au plan local et il est possible de les régler immédiatement. Cela fait partie du mécanisme de paix.

Comment concevez-vous votre rôle, comme évêque, au sein de la CNU?

Au temps de Cory Aquino, la Conférence des évêques catholiques des Philippines m’avait désigné pour faire partie d’un groupe de gens travaillant en faveur de la paix : sans faire du bruit, ils essayaient de provoquer une réconciliation entre le gouvernement et les rebelles. La Conférence épiscopale ne m’avait donné qu’une seule consigne : je devais m’efforcer de déterminer le degré de sincérité aussi bien du côté du gouvernement que du côté des rebelles. C’est ce que j’ai fait. Avant même la fin du mandat de Cory, nous avions préparé un plan d’action, mais nous sommes restés tranquilles jusqu’à l’arrivée de Ramos.

Quel rapport ce travail pour la paix a-t-il avec l’évangélisation?

Pour moi, le travail d’évangélisation est fondé sur le désir de voir chacun devenir un artisan de paix. Un artisan de paix doit être en contact avec lui-même et avec Dieu qui vit en lui, ce qui lui permettra de répandre un esprit de paix autour de lui. Le travail d’évangélisation consiste à organiser des comités, mais cela commence en fait avec la paix que chaque personne a ou devrait avoir à l’intérieur d’elle-même. L’Eglise est une Eglise de la paix. Le Christ est le Prince de la paix, il est le but de l’évangélisation. Nous accueillons chaque occasion de faire avancer le travail d’évangélisation. Bien sûr, le gouvernement ne peut pas appeler cette activité “évangélisation”. Il lui donne un autre nom. Mais lorsque vous répondez aux besoins sociaux, politiques et économiques des personnes, vous évangélisez.

Le gouvernement est-il sincère?

Je dois dire que jusqu’à présent, je n’ai vu aucun signe de malhonnêteté de la part du gouvernement : pas d’ordre du jour caché; pas non plus trace de ce que le Front démocratique national appelle la “guerre psychologique”. Je ne pense pas que celle-ci existe. Et j’ai publiquement annoncé que si je m’apercevais un jour de l’existence d’un ordre du jour caché, je serais le premier à protester et démissionnerais immédiatemment de la CNU. Je constate aussi beaucoup de sincérité et d’enthousiasme pour la paix du côté des groupes rebelles. Mais j’ai l’impression que parfois ils ne savent pas comment l’exprimer et les mots qu’ils emploient peuvent blesser, semer la confusion ou jeter le trouble. Tous sont fatigués de se battre. Nous voyons partout un grand désir de paix, même si le langage ne l’exprime pas toujours. Je vois bien ce que cachent les mots.

Comment réagissez-vous devant le cynisme?

Le cynisme est très présent, dans cet effort pour la paix. On peut le voir chez certains groupes idéologiquement marqués. Ceux-ci semblent s’être donné leurs propres méthodes d’analyse; ils ont leurs inclinations propres. Mais derrière le cynisme, je distingue un vrai souci pour les pauvres. Et cela est très positif. Certains pensent que rien ne changera. J’ai parlé à plusieurs d’entre eux. Je leur ai dit que je suis d’accord avec eux sur certains des jugements qu’il portent au sujet du président Ramos. Mais ils doivent bien admettre que jamais auparavant une telle occassion ne nous avait été donnée. Ramos est le seul à nous l’avoir offerte : il faut savoir la saisir. Les gens sont en fait pleins d’espoir. Ils attendent beaucoup de ce travail.

L’Eglise partage-t-elle cet espoir ?

Il nous faut faire ici une distinction. L’Eglise catholique n’est pas membre de la CNU : pas plus que la Conférence épiscopale. J’en fais partie à titre personnel et je n’ai reçu d’autre consigne que celle d’évaluer la sincérité des divers groupes. Les évêques qui font partie des comités organisateurs ont été contactés individuellement. L’Eglise ne peut pas se laisser utiliser en tant que telle dans le processus de paix. Mais son organisation peut aider au travail de consultation. Cela, l’Eglise peut le faire par l’intermédiaire des centres d’action sociale, parce que cette consultation est en fait dans la ligne de l’évangélisation. C’est très clair dans nos esprits.