Eglises d'Asie

LES PROTESTANTS DU VIETNAM EN PLEINE EXPANSION MALGRE LE REGIME COMMUNISTE

Publié le 18/03/2010




Deux mois d’isolement dans une cellule de prison ont produit leur effet sur Ka Troi (1). Un sourire éclaire encore la figure de cette jeune Vietnamienne de 21 ans, mais sa peau est pâle et tirée, sa main tremble nerveusement quand elle parle. Un an après sa conversion au christianisme en 1989, Ka Troi avait déjà fondé 9 communautés chrétiennes parmi les minorités ethniques des plateaux du Sud-Vietnam. Quelques-unes de ces Eglises comptaient jusqu’à 40 membres. La jeune femme travaillait sans relâche dans ces communautés, consciente que si ses activités étaient découvertes par la police elle serait certainement emprisonnée.

C’est en janvier 1991 qu’elle fut arrêtée près de Dalat par les autorités. Elle fut accusée « d’activités religieuses illégales ». Pendant deux mois elle resta enfermée dans l’obscurité et l’humidité d’une prison. Aucun de ses geoliers ne lui disait pourquoi elle était en prison et jusqu’à quand elle y resterait. Son sentiment d’isolement était encore accru par le fait que ni sa famille ni son Eglise ne savaient où elle se trouvait et ce qui lui était arrivé. Pendant deux mois elle a subsisté avec une pincée de sel et deux bols de riz par jour. Finalement la porte de sa prison s’est ouverte. Quelques jours à peine après sa libération Ka Troi était à nouveau sur les routes à mener son travail d’évangéliste. Les traces d’une telle épreuve resteront sans doute gravées dans son âme, mais Ka Troi ne leur permettra pas de l’empêcher de continuer son travail. Depuis lors, elle a fondé sept nouvelles communautés et se trouve aujourd’hui à la tête de 16 communautés chrétiennes.

Le Vietnam, à l’image de Ka Troi, est une nation de survivants. Dévasté par 30 ans de guerre civile, mis en pièces par la pauvreté et l’embargo commercial de la communauté internationale, le pays a appris ce qu’il en coûte de surmonter l’adversité. L’Eglise du Vietnam ne fait pas exception. En dépit de l’opposition souvent féroce du régime communiste, le christianisme s’est développé de manière régulière dans le Vietnam de l’après-guerre.

Les protestants ne sont que 0,5% de la population du Vietnam qui compte 70 millions d’habitants, mais leur nombre est passé de 250 000 en 1975 à 370 000 aujourd’hui. Cette croissance peut paraître modeste, mais elle est intervenue en régime communiste et alors que l’Eglise menait une bataille de plus en plus dure contre la bureaucratie et les restrictions gouvernementales. Tout comme dans la plupart des pays socialistes, la constitution du Vietnam garantit la liberté religieuse. Mais celle-ci est formulée de telle manière qu’elle donne toute latitude aux autorités pour l’interpréter comme elles le veulent.

La vie de l’Eglise sous le régime communiste

Après la victoire du communisme au Sud-Vietnam en 1975, les autorités ont permis à l’Eglise protestante du Vietnam, connue aussi sous le nom de « Eglise Tin Lanh », de continuer à fonctionner et de représenter la communauté protestante du pays. Il ne serait pas honnête de dire que cette Eglise est complètement sous la coupe du gouvernement, mais ses lieux de culte et ses activités sont étroitement surveillés par les autorités locales.

Au grand dépit de beaucoup de pasteurs, des règlements gouvernementaux très stricts déterminent encore aujourd’hui les lieux et les moments des assemblées communautaires. La permission de tenir des réunions ecclésiales et des sessions de formation est rarement accordée par les autorités locales, et la police secrète est souvent présente dans les assemblées pour en surveiller les activités. En raison de ces limitations beaucoup de chrétiens ont quitté l’Eglise protestante du Vietnam pour rejoindre le mouvement non reconnu et illégal des Eglises dites « domestiques ». A partir du milieu des années 80, ce mouvement est apparu comme une alternative à l’Eglise Tin Lanh, et ces Eglises domestiques ont commencé à prospérer au Sud-Vietnam grâce à la mobilité et à la liberté plus grandes de ses membres.

« Alors que les Eglises ‘domestiques’ font l’expérience d’une liberté plus grande, nous qui appartenons à l’Eglise ‘officielle » endurons davantage de restrictions », se plaint amèrement un pasteur de l’Eglise Tin Lanh basé à Hô Chi Minh-Ville.

La signification du mouvement des Eglises ‘domestiques’

Malgré tout, il y a davantage de risques pour les pasteurs et les membres à appartenir à une Eglise « domestique ». En 1991, les autorités de Hô Chi Minh-Ville ont arrêté les leaders de trois importantes Eglises domestiques du Sud-Vietnam : les Rév. Dinh Thien Tu, Tran Dinh Ai et Tran Mai (2). Les trois pasteurs ont été condamnés respectivement à trois ans de prison et envoyés dans des camps de travail (3).

Ces arrestations ont été analysées par beaucoup de leaders d’Eglises domestiques comme une tentative des autorités pour empêcher la croissance des Eglises protestantes non reconnues. C’est pourtant le contraire qui s’est produit : quand le Rév. Tu a été arrêté, son Eglise ne comptait que 2 500 membres, et aujourd’hui en dépit de son absence depuis deux ans, elle compte 6 000 membres baptisés et 4 000 catéchumènes attendant de recevoir une formation avant leur baptême. On rapporte le même phénomène dans les Eglises dirigées par les pasteurs Ai et Mai. La vie de prison n’a pas non plus atténué les espoirs des trois pasteurs. « Même si je suis encore en prison, mon esprit est en liberté », a récemment déclaré le pasteur Mai à sa femme qui lui rendait visite à la prison Chi Hoa de Hô Chi Minh-Ville.

L’importante croissance du mouvement des Eglises « domestiques » au Vietnam peut être attribuée en partie à l’impatience des générations d’après-guerre. Des rapports récents en provenance de Ho Chi Minh-Ville indiquent qu’on y trouve environ 30 000 drogués et 50 000 prostituées, c’est-à-dire 10 000 de plus qu’en 1975. Alors que la corruption augmente et que diminue le sens moral, beaucoup se sont tournés vers les Eglises pour chercher des réponses à des questions que le socialisme néglige depuis longtemps.

Le gouvernement adopte une attitude plus modérée vis-à-vis de l’Eglise

Les témoignages de persécution comparables à l’expérience de Ka Troi ne sont pas rares, mais il y a aussi des signes qui suggèrent que Hanoi est en train de prendre une attitude plus modérée à l’égard des religions et pourrait montrer un tout petit plus de tolérance vis-à-vis des voix qui s’élèvent en dehors du Parti communiste.

Selon plusieurs leaders d’Eglises domestiques de Hô Chi Minh-Ville qui ont récemment été interrogés par « News Network International », la police continue à menacer et à emprisonner périodiquement les pasteurs, mais avec moins d’intensité qu’en 1991. « Le gouvernement lance encore des campagnes contre les Eglises domestiques, et la persécution vient par vagues », dit par exemple Duong (1), une chrétienne d’âge moyen de Hô Chi Minh-Ville. « Pourtant, la pression du gouvernement contre les Eglises a diminué en partie depuis le début de l’année et nous ne savons pas trop pourquoi », dit-elle encore.

Même s’il est prématuré de tirer la conclusion que le gouvernement vietnamien est sur le point de revenir sur sa politique de violation des droits de l’homme, beaucoup de pasteurs placent leur espoir d’une plus grande liberté religieuse dans la possibilité que les relations entre Hanoi et Washington se normalisent. Les investissements étrangers au Vietnam vont inévitablement amener une attention plus grande à la situation des droits de l’homme dans le pays. Pourtant le lien demeure ténu entre la levée des sanctions commerciales et une amélioration correspondante des droits des religions.

En dépit de l’optimisme qui existe au Sud, les tensions demeurent au Nord-Vietnam. Formées par un régime communiste strict depuis 1954, les mentalités de la guerre froide ne sont pas aisément transformées. La région demeure essentiellement marquée par la pauvreté et la peur. « Hanoi est une ville où il y a des yeux partout », dit Hoa, évangéliste qui travaille clandestinement dans les communautés chrétiennes souterraines de la ville. « S’il y a trois membres dans un groupe, il y a des chances que l’un d’entre eux appartienne à la police secrète », dit-il. « Il y a une faim spirituelle dans le Nord, mais les gens sont toujours méfiants et veulent savoir d’où vous venez. Ils ont vécu sous le communisme pendant très longtemps, et quand ils vous parlent ils ne vous regardent jamais dans les yeux ».

Malgré tout, l’Eglise protestante du Vietnam a réussi à maintenir beaucoup de ses églises à Hanoi et à Haiphong, bien que la croissance de l’Eglise y soit négligeable si on la compare à celle du Sud. Depuis peu de temps, le mouvement des Eglises domestiques du Sud et du Centre commence à s’intéresser au Nord, avec peu de résultats pour le moment. Selon Hoa, un certain nombre de personnes qui se sont converties au christianisme alors qu’elles travaillaient en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique sont rentrées chez elles et commencent à avoir de l’influence dans leurs familles et leurs lieux de travail.

L’évangélisme dans les minorités ethniques

L’un des secrets les mieux gardés de l’Eglise vietnamienne est le travail qui s’accomplit parmi les minorités ethniques sur les Hauts-Plateaux du Sud. Depuis longtemps les autorités se méfient des populations non vietnamiennes de ces régions et les accusent d’avoir aidé les forces américaines et la CIA pendant la guerre du Vietnam. Le résultat en est que les Hauts-Plateaux sont pratiquement interdits d’accès à tous les étrangers y compris aux Vietnamiens des basses terres.

Des chrétiens du Sud continuent pourtant à travailler parmi ces groupes, mais ils sont le plus souvent obligés de voyager de nuit et sous un déguisement. Comme Ka Troi, ces personnes risquent presque certainement l’emprisonnement si elles sont découvertes par la police locale. En dépit des restrictions, voilà déjà quelques années que beaucoup des minorités des Hauts-Plateaux, telles que les S’ting, les Jerai, les Koho, les Hmong et les Jeh, répondent dans l’enthousiasme à l’Evangile. A cause des problèmes de sécurité des personnes impliquées dans ce travail, il n’est pas possible de dévoiler dans les détails le renouveau de l’Eglise dans ces minorités ethniques. Depuis quelques années, 22 pasteurs et leaders aborigènes ont été arrêtés pour avoir dépassé les limites étroites qui leur avaient été imposées par les autorités.

Les conflits inter-Eglises

Un problème qui continue à inquiéter beaucoup de leaders d’Eglise est celui des relations peu fréquentes mais souvent conflictuelles entre l’Eglise protestante du Vietnam et le mouvement des Eglises domestiques. Ces conflits sont dûs en partie à des différences doctrinales, la première privilégiant une approche traditionnelle de la vie ecclésiale et les secondes encourageant un ministère et un culte de type charismatique.

Le pasteur Tu, qui dirige l’Eglise domestique la plus importante de Hô Chi Minh-Ville, n’a fondé son organisation qu’après avoir été expulsé de l’Eglise Tin Lanh pour avoir incité ses membres à rechercher «  »les dons du Saint-Esprit ». Quelques dirigeants d’Eglises domestiques ont mis sur le compte des conflits entre les Eglises le fait que, dans quelques cas isolés, des pasteurs de l’Eglise protestante du Vietnam aient donné des informations incriminantes aux autorités locales concernant le mouvement des Eglises domestiques.

De leur point de vue, le mouvement des Eglises domestiques attire plus facilement de l’aide en provenance des groupes chrétiens de l’étranger. En contraste, l’Eglise Tin Lanh est forcée de rester dans les limites rigides de la charte qui lui a été donnée par le gouvernement. Inévitablement ceci provoque des jalousies dans quelques cercles de l’Eglise Tin Anh.

Le récent relâchement des restrictions gouvernementales concernant la religion contribue pourtant à augmenter peu à peu le flux d’aide parvenant à l’Eglise protestante du Vietnam. Ceci devrait minimiser au moins sur ce point les différences de traitement entre Eglises « ouvertes » et « clandestines ».

L’afflux de bibles

En août 1992, l’Eglise protestante du Vietnam a remporté une importante victoire en obtenant la permission d’importer 15 000 bibles des « Sociétés bibliques unies » des Etats-Unis. C’était la plus grande arrivée de livres religieux au Vietnam depuis 1975. Au même moment, les leaders de l’Eglise à Hanoi avaient obtenu la permission d’importer 5 000 bibles provenant du Conseil national des Eglises de Corée. Selon le porte-parole à Hongkong des « Sociétés bibliques unies », l’Eglise protestante du Vietnam, mise en confiance par ces succès, aurait demandé au gouvernement la permission de commencer à imprimer la Bible au Vietnam. Les autorités n’ont pas encore réagi.

En dépit de ces récentes importations légales, beaucoup d’Eglises continuent à se plaindre de la pénurie de bibles. Un dirigeant religieux de Hô Chi Minh-Ville, dont la communauté compte presque 3 000 membres, prétend n’avoir reçu que 200 bibles provenant de ce récent arrivage. Parmi les Eglises non reconnues, le besoin est encore beaucoup plus pressant. « Dans mon Eglise, nous sommes 40 membres et seules 15 personnes ont leur bible personnelle », déclare Ngo (1) qui dirige une Eglise domestique de Saigon. « Quand la police fait une descente dans une église, elle confisque toutes nos bibles. Nous en manquons donc grandement ». Dans l’Eglise du pasteur Tu, les dirigeants estiment que 40% seulement des 6 000 membres de la communauté possèdent leur propre bible.

Influences étrangères

Quoi qu’il en soit de la croissance économique rapide que pourrait connaître le Vietnam, il est peu probable que la démocratie, dans son acception occidentale, s’impose rapidement dans ce pays marqué par la pauvreté. Beaucoup d’analystes politiques estiment que le présent régime sera remplacé par un gouvernement de type autoritaire mais bienveillant qui est la norme dans d’autres pays d’Asie. Quant à prévoir le moment où cette évolution se produira, peu de gens se hasardent à un pronostic. Quand ce moment sera venu, l’Eglise pourrait avoir sa chance mais pourrait aussi avoir à faire face à de nouveaux défis et de nouveaux risques.

Beaucoup d’observateurs croient qu’il y aura un déplacement important vers les Eglises non traditionnelles quand le mouvement des Eglises domestiques sera légalisé. Il ne fait pas de doute que l’Eglise évangéliste du Vietnam sera le tremplin initial des nombreux groupes missionnaires qui veulent retourner au Vietnam. Cependant, pour le long terme, on peut se demander si cette Eglise possède la capacité de rester à la tête du christianisme vietnamien une fois que la liberté des Eglises sera restaurée.

De toute manière ce jour-là n’est pas encore arrivé et, en attendant, les dirigeants de l’Eglise doivent régler des questions plus immédiates. Peut-être que l’un des dangers les plus pressants auxquels l’Eglise du Vietnam doit faire face est le manque d’expérience de ses leaders.

« La plus grande menace que nous ressentons n’est pas la persécution », dit Vinh, dirigeant d’une Eglise domestique de Hô Chi Minh-Ville, « mais c’est la vague déferlante du matérialisme qui est en train de balayer tout le Sud-Vietnam ».

Le matérialisme pourrait être le défi le plus difficile auquel l’Eglise doive faire face. L’avenir des chrétiens vietnamiens pourrait bien dépendre des réponses qu’ils donneront à cette question. Pourtant, si des leaders comme Ka Troi peuvent maintenir leur zèle au temps de l’abondance comme ils l’ont fait dans l’adversité, les chrétiens du Vietnam peuvent devenir une lumière qui guidera les Eglises d’Asie.