Eglises d'Asie – Vietnam
LE TROISIÈME VOYAGE D’UNE DELEGATION VATICANE AU VIETNAM (*) Les motifs d’un report de dates
Publié le 18/03/2010
Selon certaines sources, ce n’était peut-être pas là l’unique raison. Des rumeurs circulant à l’intérieur du pays laissaient en effet entendre que les autorités soupçonnaient le Saint-Siège de vouloir discuter de la restitution à l’Eglise des biens immobiliers, des terrains et établissements confisqués depuis l’instauration du régime actuel. Cette demande avait été récemment formulée par les évêques du Vietnam dans la requête qu’ils avaient envoyée au premier ministre à l’issue de leur dernière réunion plénière, en octobre 1992 (1). Or, l’Etat n’était pas encore prêt à cette dicussion et souhaitait s’y préparer en prenant certaines mesures préalables. C’est ainsi par exemple que fut interprété le fait que malgré les protestations de l’Eglise locale, les autorités ont ordonné de creuser une piscine sur le terrain de l’ancienne nonciature à Hanoi. L’intérêt de cette opération pour l’Etat, selon les commentateurs, était double. Elle permettait d’utiliser le terrain jusqu’à sa restitution; par ailleurs, grâce à elle, on pourrait exiger de l’Eglise un dédommagement au moment où il faudrait le lui rendre.
La presse étrangère, elle, a émis l’hypothèse que le report de la visite pouvait avoir pour motif la mauvaise humeur du gouvernement après la lettre du cardinal Sodano, secrétaire d’Etat du Vatican, envoyée au président de la Conférence épiscopale au mois de juin 1992 pour interdire aux prêtres d’adhérer au Comité d’union du catholicisme vietnamien.
Les négociations
A son arrivée à l’aéroport de Hanoi, la délégation fut accueillie par Mgr Paul Pham Dinh Phung, évêque de Bac Ninh et administrateur apostolique de Hanoi, ainsi que par le directeur du Bureau des affaires religieuses, M. Vu Quang représentant le gouvernement vietnamien. Les deux premiers jours, les 2 et 3 février 1993, furent consacrés aux négociations sur des questions concernant les rapports de l’Eglise catholique et de l’Etat vietnamien. C’est finalement un très vaste ensemble de problèmes qui a été abordé.
Un très vaste ensemble de problèmes concrets
1 – La mission du Saint-Siège a demandé une fois de plus que Mgr Nguyên Van Thuân, archevêque coadjuteur de Hô Chi Minh-Ville, puisse rentrer dans son pays pour y accomplir son ministère. Mgr Thuân a quitté le Vietnam le 11 novembre 1991. Depuis cette date, les autorités vietnamiennes opposent un refus courtois mais ferme au retour du prélat dans sa patrie. Au moment de l’arrivée de la délégation au Vietnam, M. Vu Quang avait déclaré: « Il n’a pas été expulsé; mais après son départ (pour Rome) nous lui avons dit qu’il ne convenait pas qu’il revienne au Vietnam sans un accord entre le Vatican et le Vietnam » (2).
2 – On a aussi discuté de la nomination d’évêques pour les 4 diocèses depuis longtemps sans titulaires, Huê, Hanoi, Thanh Hoa et Hung Hoa. La question de la succession, à Hô Chi Minh-Ville, de Mgr Nguyên Van Binh, âgé de 83 ans et malade, a également été abordée.
3 – La délégation a repris à son compte les principales revendications contenues dans la requête de la Conférence épiscopale au premier ministre. Il a été question de la liberté d’action de la Conférence épiscopale du Vietnam. On a souhaité qu’elle puisse se réunir lorsque cela était nécessaire en n’importe quel lieu lui convenant, qu’elle puisse librement avoir des rapports avec le Saint-Siège, participer aux réunions organisées par lui ainsi qu’aux rencontres de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie. Il a été suggéré que soit accordée une plus grande liberté à chacun des évêques, en particulier celle de circuler dans son diocèse pour y accomplir son ministère. Actuellement, dans un certain nombres de régions, les évêques titulaires doivent demander la permission aux autorités ou les avertir chaque fois qu’ils vont s’acquitter de leurs tâches ordinaires en divers endroits du diocèse.
4 – Les négociations ont aussi porté sur la formation sacerdotale. L’Eglise vietnamienne désire ouvrir de nouveaux séminaires et pouvoir recruter des candidats au sacerdoce en fonction des besoins de chaque diocèse. Il n’existe à ce jour que cinq grands séminaires qui, chacun, forment un nombre limité d’étudiants, environ 50 à 60 par établissement. Dans chacune de ces maisons de formation, le recrutement n’a lieu que tous les trois ans. L’Eglise devrait pouvoir ordonner au sacerdoce les jeunes gens qui en sont jugés dignes par l’évêque, en fonction des seuls critères établis par l’Eglise. Les autorités diocésaines veulent aussi pouvoir procéder librement à des nominations et à des déplacements de prêtres à l’intérieur du diocèse, d’un diocèse à un autre, ou encore du Sud au Nord en fonction des besoins pastoraux dont les évêques sont les seuls juges. Le personnel d’Eglise, prêtres, religieux, laïcs, doit pouvoir obtenir la permission de séjourner à l’étranger dans un but de formation ou d’études, ou encore pour y participer à un certain nombre de réunions. Les congrégations religieuses veulent pouvoir recruter et former de nouveaux candidats, avoir ensuite la possibilité de les nommer, de les déplacer en fonction de leurs compétences. D’autres questions depuis longtemps soulevées ont encore été discutées. La plus douloureuse est celle des prêtres récemment libérés des camps de rééducation et de prison, dans l’incapacité d’exercer leur ministère à cause de l’interdiction du gouvernement. La plus récente est la proposition faite par le cardinal Sodano de permettre à un certain nombre de prêtres vietnamiens diplômés, actuellement à l’étranger, de venir dispenser certains cours dans les séminaires de leur pays à l’occasion des vacances d’été.
Beaucoup des demandes formulées par la délégation ont été explicitement refusées par le gouvernement. Les autorités ont rejeté la proposition concernant les prêtres vietnamiens à l’étranger disposés à venir assurer un enseignement dans leur pays. Le représentant du gouvernement a cependant ajouté que les autorités locales créeraient les conditions pour que des prêtres du Sud puissent venir dispenser certains cours dans les séminaires du Nord. Déjà, 3 professeurs du grand séminaire de Saigon ont pu se rendre au grand séminaire de Hanoi pour y enseigner dans leur discipline respective.
Par ailleurs, les autorités n’ont levé aucune des limitations qui, aujourd’hui, entravent la liberté d’action des évêques et des prêtres, et font obstacle à la formation et au déplacement du personnel d’Eglise. Elles opposent encore un refus formel au retour de Mgr Nguyên Van Thuân dans son pays.
Les relations diplomatiques entre Hanoi et le Saint-Siège
Une initiative de Jean-Paul II a permis aux négociateurs d’aborder ce sujet sous un jour nouveau. Quelque temps avant les négociations à Hanoi, le 16 janvier 1993, le pape, lors de la réception du nouvel an réservée aux 125 ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège, a, pour la première fois, souhaité en public l’établissement de relations diplomatiques avec la Chine et le Vietnam:
« Cent quarante cinq pays entretiennent à ce jour des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Pour la seule année 1992, seize nations ont voulu instaurer ce type de collaboration et je suis heureux de voir parmi vous, ce matin, pour la première fois, les ambassadeurs de Bulgarie, de Croatie, du Mexique et de Slovénie. Ainsi, les attentes et les espoirs de la plupart des peuples de la terre résonnent au coeur même de la catholicité. Et j’espère que les circonstances permettront à d’autres pays de se joindre à ceux qui sont ici représentés: je pense, entre autres, à la Chine, au Vietnam, à Israël et à la Jordanie, pour n’en citer que quelques-uns » (3
En fait, ce souhait avait été formulé plusieurs fois par la partie vaticane lors des précédentes rencontres. Mais jusqu’ici, la partie vietnamienne a toujours refusé. Elle justifie son refus par les dépenses nécessaires à la création d’un poste diplomatique. Actuellement, pour réduire les frais, chaque ambassadeur du Vietnam est accrédité auprès de plusieurs pays différents. On peut penser aussi que, compte tenu de la politique suivie par lui dans le domaine religieux, le gouvernement vietnamien hésite à accepter auprès de lui, un représentant du Saint-Siège qui, protégé par son statut diplomatique, serait libre de ses activités au Vietnam.
Au cours des dernières négociations, la délégation du Saint-Siège a proposé qu’un représentant du Vatican actuellement en poste dans un pays de l’Asie du Sud-est vienne visiter l’Eglise du Vietnam de temps en temps, une fois tous les deux mois par exemple. Il pourrait discuter avec le gouvernement des questions urgentes. La proposition n’a pas été acceptée par la partie vietnamienne qui a répondu qu’elle préférait s’entretenir directement avec le Vatican, par l’intermédiaire de l’ambassade du Vietnam en Italie, comme cela s’est fait dans les années précédentes.
En réalité, en s’efforçant de créer une représentation diplomatique au Vietnam, l’intention du Vatican est moins d’établir des liens avec les autorités de Hanoi que de pouvoir placer quelqu’un auprès de l’Eglise afin de l’aider. Dans beaucoup de pays sans relations diplomatiques avec le Vatican, le Saint-Siège met en place un délégué apostolique qui représente le pape auprès de l’Eglise locale.
Les divers sujets de mécontentement du gouvernement vietnamien
Au cours de la réunion, les représentants du gouvernement vietnamien ont exprimé leur mécontentement à propos de la lettre du cardinal Sodano interdisant aux prêtres d’adhérer au Comité d’union et d’accepter un mandat de député à l’Assemblée nationale. Ils ont déclaré qu’il s’agissait là d’une intervention dans les affaires intérieures du pays. La délégation a informé ses interlocuteurs que cette décision n’était que l’application particulière d’une loi commune, valable pour la totalité de l’Eglise catholique. Elle interdit aux prêtres de participer aux organisations politiques, s’ils veulent rester des prêtres de l’Eglise. Le « Comité d’union » étant une organisation politique fondée par l’Etat, les prêtres vietnamiens sont tenus d’observer en ce domaine la loi commune de l’Eglise.
La partie vietnamienne a aussi protesté contre les émissions en langue vietnamienne de radio Vatican. Il arrive que l’on y entende des critiques sévères du gouvernement vietnamien; selon les autorités vietnamiennes, cet état de choses témoigne du manque de sincérité du Saint-Siège qui, d’une part, prône le dialogue et l’ouverture et, de l’autre, laisse un de ses organes d’information attaquer la politique du Vietnam. La délégation a répondu que le Saint-Siège ne cautionnait pas forcément tout ce qui était dit au cours des émissions de radio Vatican. L’administration vaticane fonctionne démocratiquement et lorsqu’elle confie une responsabilité à une personne, elle lui laisse toute liberté de remplir sa fonction comme bon lui semble.
Les contacts de la délégation avec l’Eglise du Vietnam
Après ces deux jours de négociations, le 4 février la délégation s’est rendue au séminaire « Vinh-Thanh » (4). Cette maison qui forme actuellement 40 étudiants des diocèses de Vinh et de Thanh Hoa possède un corps enseignant composé de quatre vieux prêtres et de deux évêques également âgés, Mgr Tran Xuân Hâp, évêque principal, et Mgr Cao Dinh Thuyên, son auxiliaire.
Le lendemain, 5 février, Mgr Claudio Celli, présidait l’eucharistie et prononçait une homélie sur le parvis de la cathédrale du diocèse. Bien que ce fût un jour de semaine, environ 20 000 fidèles assistaient à la cérémonie.
Sur la route du retour à Hanoi, la délégation s’est arrêtée à la cathédrale de Thanh Hoa (5). Cette halte n’étant pas prévue dans le programme, les organisateurs du voyage hésitèrent quelque peu avant de permettre cette visite et les fidèles ne furent pas autorisés à rencontrer la délégation.
Malgré leur demande, les membres de la délégation ne purent aller jusqu’à Nha Trang où ils avaient l’intention de visiter le séminaire nouvellement ouvert depuis 1991. Monseigneur Nguyen Van Hoa, évêque de Nha Trang, vint lui-même faire son rapport à Hanoi, après avoir eu beaucoup de peine à obtenir l’autorisation pour ce déplacement. Ce fut, semble-t-il, le seul des évêques du Sud qui pût rencontrer la délégation. Même le président de la Conférence épiscopale, Mgr Nguyên Minh Nhât, n’y fut pas autorisé.
Après son voyage à Vinh, la délégation est revenue à Hanoi pour y passer une dernière journée. Avant de s’embarquer en direction du Laos, le dimanche 7 février, Mgr Celli célèbra la messe et assura la prédication dans la cathédrale de Hanoi devant une assistance très nombreuse. Auparavant, il avait visité le grand séminaire. Il y avait présidé une concélébration à laquelle participait un groupe de prêtres ordonnés clandestinement, qui, aujourd’hui, accomplissent un stage de recyclage dans la capitale.
La délégation avait amené avec elle près de 70 kg de livres, en particulier de nombreux exemplaires du nouveau « Catéchisme de l’Eglise catholique » pour les distribuer aux évêques et aux séminaristes rencontrés. Cette initiative a rencontré la faveur des autorités qui ont souhaité que le Saint-Siège envoie aussi au Vietnam des ouvrages de culture générale.
Dernières impressions
Comme il se doit, les déclarations du chef de la délégation, à son départ de Hanoi, ont été optimistes. Cependant, on a fait observer que lors des précédents voyages, les déclarations finales avaient manifesté la même satisfaction. Voici les propos de Mgr Celli tels qu’ils ont été rapportés par l’Agence Reuter (6):
« Cette visite a été positive … ouverte et franche. Elle s’est déroulée dans un climat de franchise. Je pense que nous sommes sur la bonne voie, une voie qui s’élargira encore davantage. Certes, il reste des difficultés à régler. Toutes les questions en suspens sont en train d’être examinées. Je pense que nous sommes en train de trouver des solutions positives. Des progrès ont été faits… Lorsque nous discutons de liberté religieuse, il nous faut prendre conscience que nous affrontons des réalités
A la fin de sa conférence de presse, Mgr Celli s’est aussi fait l’écho de la campagne de réconciliation générale récemment lancée par M. Vo Van Kiêt, premier ministre, en direction des Vietnamiens dispersés à travers le monde entier (7).