Eglises d'Asie – Divers Horizons
“AIMONS LA CREATION” Une réponse asiatique à la crise de l’écologie
Publié le 18/03/2010
Ce colloque a été organisé à la suite d’une proposition faite au cours de la réunion des aumôneries d’étudiants sur les problèmes de l’éducation, en janvier 1992.
Nous nous sommes inspirés de la déclaration publiée après la conférence de la FABC de Bandung en 1990 (2). On y demandait aux écoles chrétiennes d’“étudier comment les valeurs évangéliques peuvent exercer une influence positive sur la culture, la science, la technologieNous sommes motivés par l’appel lancé en 1992 par le Colloque de la commission de la FABC pour le développement de l’homme. Il y était dit: “Il faut que les valeurs humaines soient inculquées à tous les étudiants, à tous les niveaux, ainsi qu’une conscience sociale profonde. Il faut les former à la solidarité, à la coopération, au soin pour la terre, au respect de la dignité humaine…”
Nous avons été guidés par le rappel du Saint-Père dans son message pour la journée mondiale de la paix en 1990: “Beaucoup de valeurs éthiques, fondamentales pour le développement d’une société pacifique, ont un rapport particulièrement précis avec les questions écologiques”.
But du colloque
Le but du colloque a été de faire une analyse aussi complète que possible du problème écologique dans ses dimensions scientifique, culturelle, politique, théologique et pastorale. Nous avons aussi voulu suggérer des voies possibles d’approche et des plans d’action qui aident à progresser vers une solution.
Notre souci commun : la défense de l’environnement en Asie
Les participants ont pris note avec inquiétude des sérieuses altérations causées aux cycles du système écologique dans son ensemble. Et plus particulièrement:
– les problèmes causés par la déforestation, principalement l’érosion des sols, qui cause à son tour inondations et sécheresse;
– l’aggravation continuelle de “l’effet de serre” par l’accumulation croissante des gaz dangereux dans l’atmosphère. Un phénomène imputable surtout à l’échauffement global provoqué par le combustion des carburants;
– la destruction à grande échelle des sources d’énergie non renouvelables, phénomène engendré par le consumérisme et qui, à son tour, pourrait mettre en danger la qualité de vie des générations futures;
– la destruction des ressources marines causée par des méthodes de pêche dangereuses, par la destruction des mangroves, les dégâts causés aux récifs de coraux, l’utilisation des côtes comme décharges publiques;
– l’accumulation dangereuse de substances toxiques dans l’atmosphère, les rivières, les lacs et la mer, et même dans les terres: tout ceci parce que les usines de produits chimiques ne purifient pas convenablement ou ne purifient pas du tout leurs effluents;
– les radiations mortelles dues aux fuites ou à la pauvreté des installations des centrales nucléaires exposent les populations au risque de contracter des cancers ou à l’apparition de tares génétiques;
– la contamination des fruits et des légumes par un usage intempestif des pesticides ainsi que la destruction à long terme des terres à cause d’une utilisation excessive des engrais chimiques;
– les pressions exercées sur les ressources déjà limitées par l’accroissement rapide des populations asiatiques;
– les déplacements de population engendrés par des projets monumentaux comme la construction de barrages, les mines, la construction de grand-routes ou de voies ferrées;
Nous reconnaissons cependant que tous ces phénomènes sont des symptômes plutôt que les causes de la crise écologique à laquelle nous assistons aujourd’hui. Les causes profondes sont plutôt à chercher dans:
– la pauvreté abjecte où vivent de larges couches de la population;
– la cupidité humaine, qui mène à un consumérisme débridé;
– l’ignorance des problèmes écologiques et l’absence d’une appréciation réaliste des systèmes de soutien de la vie sur terre.
A la recherche d’une solution
Un développement supportable
On ne peut accepter les approches conventionnelles qui consistent à travailler au développement sans protéger l’environnement. Mais on ne peut pas davantage accepter une protection de l’environnement qui ne tiendrait pas compte du développement.
Le besoin où nous nous trouvions d’une approche plus “totale” a donné naissance au concept de “développement supportableCette idée s’est développée surtout dans les années qui ont séparé la conférence de Stockholm (1972) et celle de Rio de Janeiro en 1992.
Un développement supportable répond aux besoins actuels, sans mettre en danger ceux des générations futures. Ce processus amène un développement qui est “économiquement justifiable, techniquement possible, socialement désirable et écologiquement sain” (Agenda 21).
Un développement supportable demande des changements radicaux, à l’échelle mondiale, dans la manière de considérer la nature, ainsi que dans les buts assignés à la science et à la technoloqie. Il exige de plus une transformation des modes de production, de consommation et du style de vie. Un consumérisme excessif doit céder le pas à une culture de partage et de solidarité, dans l’humble reconnaissance du fait que les biens de la terre doivent être au service de tous. Il faut distinguer entre “ce qui manque” et “ce qu’il faut” pour satisfaire les besoins humains réels: on fera ainsi passer l’“être” avant l’“avoir
Nous souscrivons aux programmes d’action qui cherchent à réparer les dommages faits à l’environnement. Nous nous efforcerons d’encourager de tels programmes ainsi que la mise en oeuvre de mesures destinées à empêcher d’autres destructions. Nous pensons entre autres aux points suivants:
Une approche intégrée pour une évaluation de l’environnement, pour son exploitation et une législation qui fournirait des moyens institutionnels permettant de résoudre les problèmes;
Une utilisation des ressources disponibles au niveau des communautés, afin que les gens eux-mêmes puissent participer à la réhabilitation de leur environnement, par exemple lorsqu’il s’agit de reboiser. Et cela devrait leur permettre d’assurer leur propre subsistance, tout en jouissant du droit d’accès aux surfaces ainsi restaurées et en les occupant;
Un effort pour convaincre ceux qui utilisent des ressources renouvelables de faire en sorte qu’elles ne soient pas détruites par une utilisation excessive; l’installation de moyens de surveillance;
Que l’on observe strictement les mesures de contrôle de la pollution, en particulier en ce qui concerne les industries minières, les usines de produits chimiques et les centrales nucléaires;
Que soient totalement interdits les dépôts de déchets dangereux en provenance des pays développés, sauf là où existent des possibilités de traitement.
Intégration foi-science
Nous apprécions à leur juste valeur les contributions apportées par la science lorsqu’elle nous aide à comprendre les problèmes écologiques et à les résoudre. Nous voulons aussi insister sur la dimension de foi: il faut reconnaître Dieu comme créateur, avoir confiance en sa présence active dans la création et contempler la beauté de son oeuvre.
La notion qui faisait de l’homme le maître de l’univers doit par conséquent être remplacée par celle de l’homme comme intendant responsable de la conservation du monde.
Intégration culture-science
La science et la technique modernes ne sont pas obligatoirement en conflit avec les cultures traditionnelles qui se sont développées en harmonie avec la nature. Nous insistons sur la nécessité de faire se rencontrer culture, science et technique. Des valeurs humaines et culturelles authentiques doivent imprégner les efforts de la science et de la technique et les mettre au service de l’humanité, ainsi que les utiliser pour la protection et l’administration de notre fragile système écologique.
Un développement humain authentique
Nous lançons un appel en faveur d’un “développement de tout l’homme et de tout hommeQuand nous parlons de développement humain authentique, nous pensons aussi à une relation vraie avec Dieu, avec la nature et avec la société. “Les peuples et les nations ont droit à leur propre développement. Celui-ci, qui s’adresse aux aspects économiques et sociaux, doit aussi tenir compte des cultures particulières, de l’identité et de l’ouverture au Transcendant” (Sollicitudo rei socialis”, 32).
Recommandations
La crise écologique à laquelle nous sommes confrontés est devenue l’un des problèmes moraux les plus importants de notre temps. Remplie d’inquiétude, mais aussi pleine d’espoir, dans la fidélité à la mission qui lui a été confiée par le Seigneur dans cette partie du monde, l’Eglise qui est en Asie désire, par le truchement de diverses organisations, contribuer positivement à la recherche de solutions à ces problèmes. Pour cela, nous faisons les recommandations suivantes:
Aux gouvernements
Nous leur lançons un pressant appel afin qu’il mettent en oeuvre le point 21 de l’ordre-du-jour du sommet de Rio, particulièrement sur les points qui suivent:
– qu’ils encouragent et aident financièrement une éducation à l’écologie;
– qu’ils prennent des initiatives et apportent leur soutien aux actions en faveur de la restauration et de la protection de l’environnement.
A la FABC et aux conférences épiscopales des divers pays
La FABC, par l’intermédiaire de la commission consultative pour la théologie, devrait (grâce à la publication d’études appropriées), encourager la formation d’une théologie de l’écologie, en particulier dans le contexte asiatique.
La FABC et les organisations nationales et régionales qui sont en rapport avec elle devraient encourager les initiatives et les tentatives d’action en rapport avec l’apostolat écologique. Les efforts accomplis devraient être publiés.
Les conférences épiscopales devraient formuler des programmes de travail en faveur de l’environnement, pour les organismes de service, les paroisses, les institutions et vérifier régulièrement où ils en sont.
Aux évêques
Les évêques peuvent jouer un rôle déterminant dans l’animation et la coordination des activités en faveur de l’environnement. Ils doivent donner leur inspiration aux pasteurs et aux responsables d’institutions scolaires, soutenir le rythme des activités et encourager l’action éducatrice. Les organisations de jeunes et de femmes, si elles sont convenablement motivées, peuvent jouer un rôle marquant. Leurs services doivent être sollicités et il faut les encourager. Une évaluation régulière de leurs activités doit être faite au niveau des diocèses.
Aux professeurs de séminaire
Il faut inculquer aux séminaristes une vision et une attitude authentiquement scientifiques, en harmonie avec leur expérience de foi.
Une formation à l’environnement doit faire partie intégrante de la formation intellectuelle et pastorale des futurs prêtres. Il faut leur donner une instruction adéquate et les aider à acquérir une expérience pratique afin que, prêtres, ils puissent devenir des leaders capables d’animer leurs communautés dans leurs efforts pour l’écologie. Les animateurs des séminaires devraient s’efforcer de provoquer des rencontres entre doyens de faculté, professeurs et scientifiques, dans un dialogue continu en vue de parvenir à ce but.
Aux éducateurs
Enseignement religieux :
La religion peut être très motivante si l’on veut encourager le souci de la nature, don de Dieu, ainsi que pour faire naître un amour vrai pour les pauvres et les marginalisés. Il faut présenter Dieu comme la source de la vérité et de l’amour, comme Celui qui donne son sens à la vie de l’hommme en lui faisant partager son Amour divin. Et celui-ci à son tour inspirera l’amour des hommes. Notre souci écologique commun devrait rassembler des fidèles de différentes religions dans la coopération, le dialogue, pour un enrichissement mutuel.
Il faut encourager fortement la contemplation d’un Dieu actif, vivant dans sa création et cela d’autant plus que les religions asiatiques pratiquent déjà cette contemplation.
Enseignement scientifique et technique :
On a souvent utilisé de façon abusive la science et la technique, avec pour conséquence une déshumanisation des êtres humains et la destruction de l’environnement. Pour que le savant et le technicien puissent acquérir un regard plus humaniste et équilibré, la science et la technique ne devraient pas être enseignées dans le simple but de transmettre un savoir. Elles devraient stimuler la créativité et être enseignées dans leur rapport avec la vie. Il faut éviter une spécialisation qui ferait l’économie d’une formation générale adéquate. L’étude de la philosophie de la science devrait aider les étudiants à mieux apprécier la portée et les limites de la science. Ils doivent être informés des problèmes moraux propres à leur domaine d’activité, être remplis d’un souci social et écologique dans la pratique éventuelle de leur profession.
Pour cela, il faut encourager les étudiants à prendre part à des discussions sur les problèmes d’ordre moral liés aux développements scientifiques et aux nouvelles technologies.
Formation à l’environnement :
Nous recommandons très fortement que le respect de l’environnement soit encouragé à toutes les étapes de la formation intellectuelle.
– dans les écoles primaires et secondaires: en introduisant l’écologie dans les programmes d’études, au même titre que les sujets habituels; et aussi en mettant en oeuvre des programmes d’application simples, comme la plantation d’arbres.
– dans les universités: par un enseignement plus poussé de l’écologie et en encourageant les étudiants à se lancer dans des projets plus concrets, en rapport avec la protection de l’environnement, toutes disciplines mélangées et en tenant compte des problèmes particuliers à une région donnée.
Enseignements informels :
Nous recommandons que des professeurs compétents en matière d’environnement interviennent dans les divers secteurs d’activité, auprès des diverses tranches d’âge et couches de la société, en organisant des séminaires, des réunions de travail. Les medias comme la radio et la télévision pourraient être utilisés, ainsi que d’autres moyens plus populaires comme le théâtre de rue. Tous ces moyens peuvent être très puissants pour transmettre le message écologique.
Aux pasteurs
Les programmes de formation pastorale au niveau des paroisses doivent inclure une formation à l’environnement, afin d’aider les fidèles à pleinement réaliser leur devoir de respect envers la création faite par Dieu et à prendre conscience de leur responsabilité morale devant la nature et la vie des générations futures. Une telle formation pastorale et le souci de l’environnement devraient être encouragés par une lecture écologique de la Bible.
Les paroisses devraient chercher des occasions de célébrer la liturgie et les sacrements d’une manière originale qui serait de grande valeur pour une formation à la responsabilité chrétienne devant la nature et l’environnemnt.
Les communautés ecclésiales de base doivent être utilisées comme lieux de formation des fidèles sur leur besoin et leur responsabilité à l’égard de la terre. Elles doivent s’impliquer dans la préparation et la mise en oeuvre de programmes concrets et viables, dans le but de préserver l’environnement ou de le restaurer. Dans leurs localités respectives, elles doivent exercer une surveillance et lutter contre une éventuelle exploitation abusive des ressources naturelles, des cas de pollution et des autres menaces possibles contre l’environnement.
Il faut aussi, au niveau des paroisses, se préoccuper des formes structurelles de pauvreté, de la distribution inégale des ressources naturelles ainsi que des inégalités dans l’accès à ces dernières. Il existe en effet une relation entre les réalités socio-économiques et la diminution des ressources naturelles ainsi que la destruction de l’environnement.
Aux fidèles
Nous demandons aux professions libérales catholiques, en particulier aux scientifiques, aux médecins, aux pharmaciens, aux agriculteurs, aux exploitants forestiers, de témoigner de leur foi en protégeant l’environnement. Les exemples des martyrs de l’écologie sont dignes d’être imités.
Les laïcs engagés dans les travaux scientifiques ont le devoir d’informer les responsables de l’Eglise sur les progrès de la science et de la technique et ils doivent s’engager dans un dialogue avec les théologiens, pour le plus grand bien de la théologie et de la science. Cela permettra aussi à l’Eglise de parler un langage accessible à l’homme moderne.
La famille chrétienne doit jouer un rôle crucial dans un effort commun en vue de répondre au défi posé par la crise de l’écologie. Les parents doivent inspirer à leurs enfants le respect de la création et les convaincre de l’importance d’un style de vie simple.
Reconnaissant que la population exerce d’énormes pressions sur les ressources naturelles, il faut aider les couples à pratiquer une planification familiale responsable, dans le respect de la vie.
Conclusion
Nous offrons ces conclusions et ces recommandations à la communauté chrétienne de l’Asie. Et nous l’invitons à continuer sa réflexion, tout en mettant en oeuvre ces recommandations, au mieux de ses possiblités.
Recevant de Dieu les fruits de sa bonté aimante, nous lui exprimons notre profonde reconnaissance, à lui dont nous partageons la Parole dans l’Eucharistie et dans la Bible, et dont l’Esprit continue de nous inspirer.
Nous espérons que cette consultation, ainsi que sa mise en pratique constitueront une étape vers la réalisation du plan divin qui est de “restaurer toutes choses dans le Christ” (Eph 1,10).