Eglises d'Asie

CONSTRUIRE UN “VATICAN” Les bouddhistes veulent faire de Bodh Gaya un grand centre religieux

Publié le 18/03/2010




La roue du Dharma a accompli un tour complet même s’il lui a fallu vingt-cinq siècles pour cela. Jusqu’à présent, Bodh Gaya – lieu où le jeune prince Gautham Bouddha renonça au monde et fut illuminé – n’était rien de plus qu’un village assoupi, désolé et poussiéreux, vivotant au centre de l’Etat du Bihar. Aujourd’hui, la statue géante de l’Illuminé qui domine le paysage aride arbore un air triomphant. Non sans raison.

Ces dernières années, Bodh Gaya a miraculeusement regagné sa gloire perdue. Non point par la grâce de quelque renouveau local, mais par celle de milliers de pèlerins bouddhistes et de gouvernements étrangers qui ont transformé ce hameau sans intérêt et sont en train de lui faire regagner la place à laquelle il a droit comme centre religieux majeur. Le but ultime, comme l’a avoué récemment Ranasinge Premadasa, président du Sri Lanka, est d’élever Bodh Gaya au statut de Jérusalem ou même à celui du Vatican. Selon le Dr Rastrapal Mahathera, secrétaire général du Centre international de méditation, et maître de méditation lui-même, “Bodh Gaya possède le potentiel pour devenir un centre mondial de spiritualité, un pont spirituel entre l’Orient et l’Occident

Le chemin est déjà à moitié accompli grâce à l’afflux d’argent et de pèlerins en provenance de plusieurs pays d’Asie à majorité bouddhiste. Le ciel de Bodh Gaya brille des symboles culturels et religieux de son renouveau aussi spectaculaire que tardif. La multiplication des monastères, dont quelques-uns sont vraiment magnifiques au milieu de la désolation environnante, fait penser à une mini-ONU religieuse. Le Sri Lanka, la Birmanie, le Tibet, la Chine, la Thaïlande, le Japon, le Bhoutan, le Vietnam, le Népal, le Bangladesh et le dernier arrivé, la Corée, ont tous établi des monastères originaux et distinctifs qui reflètent leurs cultures respectives, leurs coutumes, leurs théologies et leurs rites.

Des milliers de moines en robe safran et de bouddhistes venus du monde entier ont convergé sur Bodh Gaya pour célébrer sa renaissance et ajouter leur touche à la pittoresque diversité culturelle du “champ de Bouddha” comme l’a décrit Osho. Déambulant au milieu des monastères, les doigts glissant sur leur chapelet, ils viennent chercher le nirvana, comme le jeune Gautam il y a 2 500 ans. La différence est que leur recherche spirituelle se fait aujourd’hui dans un environnement beaucoup plus approprié.

Autour du figuier immortel où le Seigneur Bouddha atteignit la sagesse suprême, s’étendent des monastères aux architectures distinctives. Ils sont une manifestation de la croissance et de l’extension du bouddhisme. Dominant la scène, physiquement et spirituellement, se trouve le vaste temple Mahabodhi construit à l’origine par l’empereur Ashoka le grand. Le temple est aujourd’hui contrôlé par un Comité de gestion : c’est la Société indienne Mahabodhi qui s’occupe aussi des intérêts religieux des pèlerins étrangers qui viennent y faire leurs dévotions.

Megha Vanna, du Sri Lanka, établit le premier monastère tout près du temple Mahabhodi au quatrième siècle avant Jésus-Christ. Mais il n’existe plus aujourd’hui. Les Srilankais ont essayé en vain de restaurer et de reconstruire l’ancien monastère au 19ème siècle : ils n’en obtinrent pas la permission. Selon Dwarko Sundarani, fondateur de l’ashram Samanvay et secrétaire du Comité de gestion du temple Mahabhodi, le site fut finalement attribué au conseil d’administration du district de Gaya, et c’est ainsi que naquit la Société indienne Mahabhodi. Le temple Mahabodhi comprend l’arbre sacré et le Vajrasana ombragé où le Seigneur Bouddha s’assit pour méditer. Depuis lors, les Bhoutanais, les Thaïlandais et les Japonais ont construit leurs propres monastères distincts.

Les Japonais, en vertu de leur statut économique et du grand nombre de leurs pèlerins, ont financé et construit deux temples. L’un, le “Indosan Nipponji”, construit en 1973, est la réplique d’un temple ancien japonais en bois et veut manifester la beauté naturelle sans décoration ou architecture artificielles. A l’intérieur se trouve une peinture décrivant les événements importants de la vie de Sakyamuni Bouddha, dont l’image, importée du Japon, a été placée au centre du temple. Le deuxième est le temple bouddhiste Daijokyo, qui représente la secte Daijokyo basée sur les enseignements du soutra du lotus. Il y a trois ans ils ont ajouté une statue de 80 pieds qui surplombe toute la ville de Bodh Gaya. La statue qui symbolise la grandeur de Bouddha a coûté 10 millions de roupies (environ 2 millions de francs).

Selon l’architecte Ravindra Singh Verma qui a mené une étude en profondeur du “développement morphologique de Bodh Gayale trait commun des nouveaux monastères est que tous les styles sont fondés sur des principes bouddhistes et leurs styles architecturaux sont donc harmonisés. La profusion des couleurs qui caractérise les monastères tibétains et bhoutanais, par exemple, sont symboliquement dans le ton de la philosophie bouddhiste.

Les monastères eux-mêmes le sont aussi. Le président Premadasa, en visite à Bodh Gaya en janvier 1993, était venu inaugurer un ensemble de logements sociaux appelé Bouddha Gama qui a coûté 10 millions de roupies. Le temple Indosan Nipponji gère un jardin d’enfants sur le modèle japonais appelé Bonaiju Gakuen où sont inscrits 174 enfants du lieu. Ceux-ci sont pourvus d’un déjeuner quotidien gratuit et d’uniformes japonais. Le même temple gère aussi le dispensaire Komyo qui soigne gratuitement les pauvres. De son côté, le temple Daijokyo possède deux centres de formation professionnelle, un centre d’apprentissage de la couture, et un institut de secrétariat. La Société indienne Mahabhodi possède aussi une clinique homéopathique qui attire 150 clients par jour et gère le Vydyapeeth Mahabhodi dans le village de Siddharthanagar. “Tout ce que nous recevons, nous le dépensons au bénéfice des pauvresdit Pannaram Thero, vice-président de la Société indienne Mahabhodi.

Il apparaît clairement que les enseignements du Bouddha ont acquis un nouveau et bienvenu surcroît de vie. Comme le dit Adriana Ferranti, directrice de Maitri (amour pour tous), centre de prévention, de traitement et de réinsertion des lépreux, “si quelque chose se passe au Bihar, c’est ici que cela se passeMaitri fait partie d’une organisation bouddhiste iunternationale, la Fondation pour la protection de la tradition mahayana. Depuis juillet 1989 plus de 900 lépreux ont été soignés dans ses cliniques mobiles dans 11 panchayats du district de Bodh Gaya et 385 d’entre eux ont été complètement guéris. Selon le porte-parole de l’organisation, Kabir Saxena, plusieurs projets de service de la communauté ont aussi été lancés : “Nous avons pris conscience que le seul enseignement de la philosophie bouddhiste n’aidait pas les pauvres. Ce que nous faisons c’est du bouddhisme pratique

En plus de tout cela, si l’on en croit son directeur, le hollandais Gabriel Forrer, l’institut prévoit d’établir un “parc spirituel” de 200 millions de roupies (50 millions de francs), qui s’appellera “Maitreya” et qui s’enorgueillira d’une immense statue du futur Bouddha, le Seigneur Maitreya, en signe vivant d’espérance. Celle-ci sera à la mesure de la statue de la Liberté à New York ou de la statue du Christ à Rio de Janeiro. Le parc comportera un centre de méditation, un étang, un pavillon de la paix et un jardin de paix. L’institut n’attend plus que la permission du gouvernement.

Le gouvernement du Bihar a aussi ses propres plans pour un projet de circuit touristique autour de l’héritage bouddhiste, financé par les Japonais, qui devait, à l’origine, être complété en 1994 à un coût d’un milliard deux-cent cinquante millions de roupies. Le gouvernement japonais avait donné son accord au projet à travers le fonds de coopération économique de l’outre-mer, mais l’accord précise que c’est l’Etat du Bihar qui financera le projet et celui-ci sera ensuite remboursé par le Japon quand il sera terminé. L’état précaire des finances du Bihar fait que le projet est toujours dans les cartons. De plus, il existe un projet de fouilles archéologiques, financé par la banque mondiale à hauteur de 200 millions de roupies, pour l’excavation et la préservation de Bodh Gaya, qui est paralysé pour les mêmes raisons que le projet japonais. Le secrétaire du département du tourisme, M. A. Ibrahim, dit : “Le manque de ressources a, jusqu’à présent, paralysé ces projets. Mais maintenant le gouvernement a décidé de les poursuivre sur une base prioritaire

Même si l’Etat du Bihar ne tient pas ses promesses, des pays autres que l’Inde fournissent les fonds nécessaires pour garder Bodh Gaya sur la carte spirituelle du monde. Mastiput, un pauvre hameau de harijans sans terre, à Bodh Gaya, travaille avec des ingénieurs srilankais sur un projet immobilier de 100 logements pour les pauvres. “Pour nous, c’est un nouvel avatardit Vijay Kumar, un jeune du village. Il ajoute : “C’est devenu le symbole d’une nouvelle espérance et cela pourrait inciter d’autres pays bouddhistes riches à lancer des services de la communauté et aussi à secouer la conscience de notre gouvernement

C’est ce qui est déjà arrivé apparemment. L’administration procède à la construction de 2 000 logements dans le cadre du plan Jawahar Rozgar Yojna. Comme le dit le percepteur du district de Gaya, Rajbala Verma, la pauvreté est un mal aigu dans la région, et les habitants ont un besoin urgent de logements : certains secteurs arriérés de la population sont en effet obligés de mener une vie nomadique. Les monastères ajoutent une note esthétique et apportent une touche internationale à un lieu qui serait autrement désolé. Si le courant actuel dure, Bodh Gaya pourrait finalement devenir un monument digne de son fondateur éclairé.