Eglises d'Asie

ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET IDEOLOGIE AU VIETNAM DEPUIS 1945

Publié le 18/03/2010




1 – 1945 – 1954

1.1 – Hanoi: avant la guerre d’indépendance

C’est au début des années 40 que, dans le milieu étudiant de Hanoi, commença à se former le mouvement patriotique. Il atteignit son apogée lors du putsch militaire du 9 mars 1945, date à laquelle les japonais renversèrent le pouvoir français en Indochine. Dans un but de propagande évident, ceux-ci déclarèrent qu’ils restituaient l’indépendance au peuple vietnamien. Les étudiants se déplacèrent alors dans les grandes villes du Vietnam où ils organisèrent des meetings exaltant l’esprit patriotique et dénonçant les crimes du colonialisme. Certains d’entre eux avaient auparavant adhéré au Front allié pour l’indépendance du Vietnam (Viêt Nam Dôc Lâp dông Minh Hôi – en abrégé Viêt-Minh), créé par le Parti communiste. Cependant le mouvement étudiant né à cette époque était, lui, animé par l’Association générale des étudiants (Tông Hôi sinh Viên Viêt Nam), groupement indépendant du Viêt-Minh.

En 1945, les établissements d’enseignement supérieur fondés à l’époque française n’étaient guère nombreux; ils se trouvaient tous à Hanoi et accueillaient un nombre limité d’étudiants. Après la révolution d’août 1945, certains fonctionnèrent à nouveau grâce à des professeurs vietnamiens qui dispensèrent leur enseignement en langue nationale. La tâche leur avait été facilitée par les travaux antérieurs d’intellectuels vietnamiens qui avaient publié des revues scientifiques écrites dans la langue du pays, en particulier, un dictionnaire de terminologie scientifique (Danh Tu Khoa Hoc) composé par Hoàng Xuân Han, professeur agrégé de mathématiques. Ce livre, fruit d’un labeur tenace, a posé les principes fondamentaux régissant la traduction de textes scientifiques de langue française en vietnamien. Grâce à lui et à quelques autres travaux, le vietnamien a pu être utilisé comme langue véhiculaire dans l’enseignement secondaire comme à l’université, alors qu’aujourd’hui encore, bien des pays d’Asie et d’Afrique éprouvent de grandes difficultés en ce domaine.

Les étudiants ont alors largement participé à toutes les activités politiques et sociales. La plupart d’entre eux soutenaient le gouvernement Hô Chi Minh dont on ne retenait encore que le nationalisme qu’il affichait. L’Association générale des étudiants vietnamiens se transforma et devint l’Association des étudiants vietnamiens pour le salut de la nation (Tông Hôi Sinh Viên Cuu Quôc), membre du Front Viet-Minh. Il faut noter cependant qu’un nombre non négligeable d’étudiants refusèrent d’adhérer au Front Viêt-Minh.

1.2 – La résistance anti-colonialiste

Dès le déclenchement de la guerre en 1946, de nombreux étudiants quittèrent les grandes villes pour les régions où s’était repliée la résistance. C’est là que furent fondés les premiers instituts d’études supérieures de la République démocratique du Vietnam où l’enseignement était donné en vietnamien. L’Ecole supérieure de médecine avait été établie en pleine forêt dans la région montagneuse de Tuyên Quang, avec un corps enseignant composé de médecins vietnamiens dont beaucoup étaient anciens internes des hôpitaux français. C’est aussi dans la région montagneuse du Nord qu’en 1952, l’Université et l’Institut de pédagogie ouvrirent leurs portes à un certain nombre d’étudiants. Les deux établissements se déplacèrent plus tard, aux environs de Nam Ninh, chef-lieu du Kouang-Si, la province méridionale de Chine. Parmi les enseignants, le plus diplômé était le professeur Lê Van Thiêm, docteur d’Etat en mathématiques. A son retour de France en 1950, il s’était directement engagé dans la résistance et avait adhéré au Parti communiste indochinois; les autres étaient, pour la plupart, titulaires d’une licence de sciences, obtenue en France ou à Hanoi avant la révolution.

Aux alentours de 1953, dans le delta du fleuve « Ma », l’Etat créait un établissement dit « propédeutique », destiné à former des élèves sortant du secondaire en attendant que d’autres instituts d’études supérieures soient ouverts. La langue véhiculaire y était aussi le vietnamien. C’est là qu’enseignaient le professeur Nguyen Manh Tuong, docteur en droit et docteur es lettres, l’écrivain et critique littéraire, Truong Tuu, en compagnie de beaucoup d’autres intellectuels: parmi eux, on trouvait des licenciés en sciences, mais aussi des érudits et des écrivains. La qualité de l’enseignement qu’ils dispensaient était excellente. Cependant, cet établissement scolaire se signala par une fâcheuse tendance à l’ultra-gauchisme. C’était les débuts de la réforme agraire « à la chinoise » qui allait sévir sur tout le Nord-Vietnam avec les tristes conséquences que l’on connaît. Les responsables politiques de l’institution organisèrent des réunions d’éducation politique qui se transformèrent bientôt en séances de « lutte des classes » au cours desquelles furent dénoncés les étudiants issus des familles de propriétaires fonciers.

A partir de 1953, des centaines d’étudiants furent envoyés en Union soviétique, en Chine et dans les pays de l’Europe de l’Est, pour s’y former dans diverses disciplines scientifiques et techniques. C’est grâce à ces départs qu’après les accords de Genève, le Vietnam put disposer d’un nombre d’intellectuels suffisant pour la reconstruction du pays. Plus tard, la formation de jeunes gens à l’étranger fournirait encore au pays des cadres de haut niveau, venant s’ajouter à ceux qui étaient formés dans les établissements d’enseignement supérieur du pays.

Il ne faut pas oublier qu’à cette même époque, de 1947 à 1954, l’administration française avait rouvert les établissements universitaires de droit, de sciences et de médecine. Pourtant certaines familles aisées préféraient envoyer leurs enfants continuer leurs études en France ou dans d’autres pays occidentaux.

Dans la zone sous administration française, il n’y avait pas d’organisations étudiantes, pas plus d’ailleurs que dans la zone de résistance où l’Association générale des étudiants vietnamiens pour le salut national avait cessé ses activités sans aucune déclaration préalable, laissant ses membres adhérer à d’autres groupements animés par le Parti communiste (ou parti des travailleurs, nom adopté par le Parti de 1951 à 1976), en particulier au mouvement des « Jeunes travailleurs vietnamiens ».

2 – Enseignement et développement universitaire au Nord-Vietnam de 1954 à 1975

2.1 Création des premiers grands établissements d’enseignement supérieur

Dès le retour du pouvoir révolutionnaire à Hanoi, furent ouverts des établissements d’enseignement supérieur. L’université populaire vit le jour, la première. Il ne s’agissait, en réalité, que d’un stratagème inventé pour retenir les élèves de Hanoi et leur ôter toute envie d’émigrer dans le Sud pour poursuivre des études supérieures. Les étudiants n’y acquerraient aucune connaissance scientifique, technique, linguistique ou littéraire; ils étudiaient uniquement le marxisme-léninisme, pratiquaient le travail manuel dans des chantiers de construction et assistaient aux réunions paysannes dans le cadre de la réforme agraire. Au bout d’un an et demi d’études, ils pouvaient ou bien devenir professeurs de collège, ou encore entrer dans de véritables établissements d’enseignement supérieur.

Enfin en 1955, les écoles supérieures de médecine, de pharmacie, de pédagogie faisaient leur apparition à Hanoi. Elles prenaient la suite des écoles d’enseignement supérieur revenues du maquis, mais aussi des anciennes institutions universitaires mises en place pendant l’époque française. L’enseignement universitaire n’en était encore qu’à ses premiers pas. En 1956, un grand remaniement restructurait le complexe universitaire de la nouvelle République du Nord. Cinq grandes institutions fonctionnaient désormais: l’Université, l’Université des sciences et technologie, l’Ecole supérieure de médecine et de pharmacie, l’Institut pédagogique, l’Institut d’agriculture et d’exploitation forestière. Par ailleurs, un certain nombre d’étudiants ayant obtenu un doctorat dans les pays de l’Est ainsi que beaucoup d’autres ayant étudié et parfois professé en France étaient revenus au Vietnam et s’étaient joints au corps enseignant déjà en place. Quelques étudiants ayant brillamment terminé leurs études sur place venaient régulièrement grossir le nombre des enseignants. Certains d’entre eux étaient aussi envoyés dans les pays de l’Est pour y préparer leur doctorat.

2.2. Les mouvements universitaires

Durant la période 1956-1958, la société vietnamienne fut la proie d’une agitation politique intense. Le mouvement de déstalinisation, lancé lors du 20e congrès du P.C. de l’Union soviétique, s’était vite transformé en une vague de luttes pour la démocratie qui déferla dans toute l’Europe de l’Est et atteignit son point culminant lors des événements de Hongrie. Au Vietnam, la réforme agraire ainsi que la campagne pour l’épuration et la réorganisation des cadres qui s’étaient déroulées peu de temps avant avaient été entachées par de très graves erreurs et crimes. Des écrivains et des artistes exprimèrent leurs critiques et leur mécontentement dans certains journaux (Nhân Van : humanisme) revues (Tram Hoa : cent fleurs) ou recueils (Giai Pham: les belles oeuvres); ils furent très sévèrement réprimés.

La plupart des étudiants de l’époque étaient issus de familles de propriétaires fonciers, les principales victimes de la réforme agraire. En raison du contexte national et international du temps, ils étaient plutôt enclins à adopter une attitude protestataire. Celle-ci s’exprima par exemple, dans la brochure intitulée « Dât moi » (Terre nouvelle). Dans presque tous les établissements d’enseignement supérieur, la pression des étudiants força les autorités à organiser des séances dites de « Libre pensée ». En réalité, craignant la répression, les étudiants n’y exprimaient que leur mécontentement concernant leurs conditions de vie matérielle ou encore les abus de pouvoir commis par des étudiants membres du Parti ou responsables des sections des « Jeunes travailleurs du Vietnam » pour une classe ou à l’intérieur de l’université. C’était l’époque où ces responsables pouvaient influencer les dirigeants dans les décisions concrètes concernant chacun des étudiants. Les malheureux étudiants ou enseignants qui se laissèrent aller à critiquer le Parti et à manifester véritablement leur « liberté de pensée », en ces réunions, ne tardèrent pas à en subir les conséquences fâcheuses.

Ce fut par exemple le cas de quatre professeurs des facultés d’histoire et de lettres.

Le philosophe Tran Duc Thao, était un ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Paris où il avait été condisciple de Sartre (1). Auteur de plusieurs oeuvres en langue française, il avait été le conseiller du groupe « Nhan van – Giai Pham ».

Le juriste, Nguyên Manh Tuong, qui était devenu bâtonnier de Hanoi après 1954, lui, s’était signalé en prononçant au siège du Front patriotique, un discours critiquant la réforme agraire.

Dao Duy Anh, érudit très connu, auteur de dictionnaires et d’ouvrages historiques, avait très activement soutenu les points de vue des groupes contestataires.

Quant à Truong Tuu, déjà mentionné plus haut, les idées qu’il transmettait aux étudiants en matière d’arts et de lettres, n’étaient pas conformes à celles du Parti.

Vers 1958, des réunions furent organisées à l’Université de Hanoi. On y invita des enseignants et même des étudiants à y dénoncer le déviationnisme des quatre professeurs. Truong Tuu et Nguyen Manh Tuong furent exclus de la liste des fonctionnaires d’Etat. Tran Duc Thao et Dao Duy Anh perdirent leur poste d’enseignant. Pour survivre, ils en furent réduits à accomplir un certain nombre de tâches de seconde importance, surtout des travaux de traduction. Récemment un certain nombre d’ouvrages de Tran Duc Thao et de Nguyen Manh Tuong sont parvenus à l’étranger (2)

Ce fut ensuite le tour du professeur Tran Van Giau, de succomber à la disgrâce pour avoir critiqué la ligne du Parti et proposé des changements. Il avait pourtant occupé les postes de président du comité de résistance de Cochinchine en 1945, puis de secrétaire de l’organisation du Parti pour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Il avait enfin joué un rôle actif dans la lutte contre les quatre professeurs sans parti. Par égard pour sa renommée, il fut seulement privé de toute fonction dirigeante et empêché de dispenser son enseignement aux étudiants. Cependant , ceux qui parmi ses disciples partageaient ses opinions firent alors l’objet de graves mesures discriminatoires. C’est ainsi que le jeune L.K.T., alors sous-secrétaire de la cellule du Parti pour la faculté d’histoire, perdit son poste d’enseignant et se trouva dans l’obligation de gagner péniblement sa vie en faisant des travaux de traduction, tandis que ceux de ses collègues qui avaient su tenir leur langue continuaient leur carrière universitaire.

2.21 – Mathématiques et lutte des classes

Les professeurs de sciences humaines ne furent pas les seuls à tomber sous les coups de la censure idéologique. Les spécialistes de sciences pures eurent, eux-mêmes de graves ennuis. Les professeurs de mathématiques Lê Van Thiêm et H.T., membres du comité exécutif de la section du Parti à l’université et respectivement vice-recteur de l’université de Hanoi et doyen de la faculté de mathématiques aux alentours de 1960, ont vécu alors des moments dramatiques, avec un grand nombre d’autres enseignants de cette discipline, pour s’être opposés à certaines exigences idéologiques des autorités.

Sous l’influence du modèle chinois, les cadres vietnamiens étaient soumis à un type d’appréciation qui se référait principalement à la classe à laquelle ils appartenaient. Lorsqu’il s’agissait d’étudiants, le critère essentiel était l’origine familiale. La plupart des étudiants, en ce début de l’ère révolutionnaire, étaient issus de familles aisées ( ceux qui venaient des campagne étaient généralement des fils de propriétaires fonciers ou de paysans riches). L’Etat décida alors d’augmenter le nombre des étudiants « ouvriers-paysansappellation englobant les rejetons de familles de membres du Parti, de cadres, d’ouvriers, de paysans pauvres ou moyens, de combattants invalides ou morts pour la Patrie et encore les jeunes gens appartenant aux minorités ethniques. A cet effet, furent créées un certain nombre d’écoles dites « écoles d’ouvriers-paysans » pour accélérer leur formation et leur permettre d’accéder aux établissements d’enseignement supérieur.

Ces étudiants jouissaient d’avantages d’ordre matériel non négligeables; dans leurs écoles, ils étaient logés et nourris gratuitement. Mais leur principal privilège tenait à la formation accélérée dont ils bénéficiaient. Généralement, chaque année, ils étudiaient le programme d’au moins deux classes successives et les enseignants se montraient indulgents à leur endroit lorsque leurs notes se trouvaient être insuffisantes. Lorsque venait pour eux le temps de rentrer dans les établissements d’enseignement supérieur, les attestations élogieuses délivrées par leurs écoles leur permettaient d’être admis au même titre que les autres. De tels passe-droit incitaient les familles qui ne remplissaient pas les conditions de la catégorie « ouvrier-paysan » à trouver des stratagèmes pour introduire leurs enfants dans ces écoles pour privilégiés.

Au contraire, pour les candidats aux concours universitaires, issus de famille appartenant à la classe des exploiteurs (propriétaires fonciers, paysans riches, bourgeois) ou à celle des réactionnaires (membres des partis d’opposition, religieux, anciens supplétifs de l’armée française, anciens collaborateurs de l’administration coloniale) la porte s’ouvrait beaucoup moins facilement. Beaucoup d’enfants de propriétaires fonciers étaient obligés d’abandonner leurs études après le cycle secondaire, même s’ils l’avaient parcouru avec succès. Il était rare de rencontrer des étudiants chrétiens, surtout dans des branches où il était nécessaire d’inspirer la confiance aux autorités politiques. Même si ces éléments non désirables parvenaient à commencer leurs études universitaires, tout au cours de leurs études, ils restaient l’objet d’une discrimination incessante. Elle s’exerçait particulièrement au moment de la répartition des postes, à la fin de leurs études. Même avec de bonnes notes, il leur était difficile d’espérer des places intéressantes, comme par exemple, un poste dans l’enseignement supérieur, poste ouvrant la possibilité d’une formation à l’étranger sanctionnée par un doctorat. Seuls les étudiants de bonne souche pouvaient bénéficier de ces privilèges.

Nos professeurs furent rapidement conscients des inconvénients que comportait cette politique toute entière inspirée par l’idéologie. En particulier, en mathématiques, ce type de formation trop hâtive laissait dans les connaissances acquises par les élèves, des « trous » irrémédiables. L’admission bienveillante des « ouvriers-paysans » portait gravement atteinte au niveau général de la formation qui, désormais, ne pouvait plus être assuré. La perspective d’une répartition des postes à l’issue des études en fonction des origines familiales était loin d’encourager l’ardeur au travail et le goût pour les études. Les enseignants proposèrent alors de procéder à une appréciation plus objective des étudiants tenant compte en priorité du niveau des connaissances et du comportement personnel. Eux-mêmes en retenant un assez grand nombre d’étudiants de haut niveau comme enseignants à la faculté de mathématiques plutôt que des « ouvriers-paysans » de bonne souche mais de faible niveau, manifestèrent au grand jour les critères auxquels ils se référaient.

C’est un groupe d’enseignants qui, au nom de la section des « Jeunes travailleurs » de l’Université réagit en premier lieu contre l’attitude des professeurs. Lors du congrès annuel de la section du Parti de l’Université, le groupe mit en circulation une pétition qui dénonçait les tendances déviationnistes en oeuvre dans la faculté de mathématiques, en contradiction avec l’esprit de lutte des classes. La pétition fut bientôt connue par la direction du personnel du ministère, par les comités du Parti et des « Jeunes travailleurs » à Hanoi, mais aussi par la commission de l’idéologie du comité central. Toutes ces organisations intervinrent et firent pression pour que soit maintenue la ligne orthodoxe. A partir de l’année scolaire 1964-1965, le recrutement des enseignants à la faculté de mathématiques fit l’objet d’un très sévère contrôle. L’année suivante, les enseignants de cette faculté se divisaient en deux camps. Les partisans du premier camp accusaient les autres d’être guidés par un point de vue bourgeois, tandis que ceux du second camp considéraient les premiers comme de vils flatteurs de la direction politique.

Les discussions et les querelles se propagèrent bientôt dans d’autres facultés où le corps enseignant se divisa aussi en deux factions. Aucune critique ouverte du gouvernement n’était prononcée, mais la divergence de certains avec la ligne du Parti apparaissait clairement.

Le nouveau ministre de l’enseignement supérieur, nommé en 1965, Ta Quang Buu, intellectuel de renom, ayant fait des études supérieures en France, ancien vice-ministre de la défense et signataire de l’armistice lors des accords de Genève en 1954, malgré le grand essor qu’il sut donner au système universitaire vietnamien, ne put guère intervenir ouvertement dans la crise qui agitait la faculté de mathématiques.

De grands noms du Parti s’étaient en effet engagés dans le débat. Aux alentours de 1965, la commission qui, au comité central, s’occupait de l’idéologie (elle s’appelait la commission de la propagande et de l’éducation; elle était dirigée par le poète Tô Huu) fut divisée en deux. Tô Huu, membre du secrétariat du Parti gardait la supervision des deux nouvelles commissions. Mais l’une, chargée de la propagande et de la culture, était confiée à la responsabilité de Hoang Tung tandis que l’autre, chargée des sciences et de l’éducation, était placée sous la direction de Tran Quang Huy.

Ce furent Tô Huu et Tran Quang Huy qui dirigèrent le combat contre les mathématiciens déviationnistes. En 1959, Tô Huu avait déjà repoussé la proposition du professeur Lê Van Thiêm envisageant l’envoi en Union soviétique de nombreux jeunes universitaires compétents mais appartenant à des familles de propriétaires fonciers et de mandarins, pour des études de doctorat. Tran Quang Huy, lui, était un ancien instituteur, membre du Parti dès avant la révolution. Ayant déjà collaboré avec Tô Huu pour réprimer le mouvement contestataire Nhân Van Giai Pham, il savait d’avance que le ministre Ta quang Buu soutiendrait le point de vue de Lê Van Thiêm. Ce fut en effet ce que fit le ministre, mais avec une très grande discrétion. Il ne pouvait en effet s’impliquer ouvertement dans une affaire dont le dossier avait été remis par le Parti à un homme politique. Cet homme s’appelait Tran Tong et était vice-recteur de l’institut d’études politiques Nguyên Ai Quôc. Sur proposition de Tô Huu et de Tran Quang Huy, la commission de l’organisation du Parti chargée de la nomination des cadres supérieurs dans tout le pays le nomma vice-ministre de l’Enseignement supérieur.

Aussitôt nommé, Tran Tong prit en main le dossier. Il prit connaissance de l’avis donné par le secrétaire du comité du Parti pour la ville de Hanoi, avis qui à certains égards pouvait être considéré comme une conclusion. Cet avis sur le fond était plutôt défavorable au point de vue des professeurs. Cependant il se gardait bien d’entrer dans les détails qui, eux, relevaient de la compétence exclusive du ministère de l’enseignement supérieur.

Le vice-ministre organisa à l’intérieur de l’Université, un certain nombre de réunions où furent convoqués les enseignants et employés de la faculté de mathématiques, membres du Parti. A ce moment-là la crise avait créé une ligne de démarcation entre les enseignants qui les divisaient en deux factions hostiles. Personne n’avait pu rester à l’écart de ce débat. Une bonne partie des étudiants avaient aussi pris parti pour un camp ou pour l’autre, en particulier, ceux qui, sur le point de terminer leurs études, attendaient que leur soit attribué un poste. En effet chaque nouveau recrutement d’enseignant était l’occasion d’une nouvelle dispute entre les deux camps. Certaines propositions de recrutement émanaient de la faculté ou de la section du Parti à l’université qui adoptaient généralement le point de vue de Lê Van Thiêm. Les autres provenaient du bureau du personnel de l’université qui, lui, était décidé à maintenir coûte que coûte la ligne orthodoxe. La direction du personnel du ministère placé sous la responsabilité de Tran Tong avait le droit de trancher ces divergences. Elle le faisait en général de manière à éviter le recrutement de ceux qui étaient soupçonnés de déviationnisme en matière de lutte des classes.

Le climat de l’époque n’était d’ailleurs pas à la détente. Kroutchev venait d’être renversé et le révisionnisme était sévèrement condamné. En 1964, un enseignant de la faculté de mathématiques, membre du Parti, envoyé en Union soviétique pour des études de doctorat, fut rappelé au Vietnam pour avoir osé critiquer Staline. Il ne put reprendre son poste à l’université et fut muté dans un collège secondaire en province. Un certain nombre d’autres exemples témoignaient aussi que d’autres que les révisionnistes étaient écartés, en particulier ceux qui soutenaient publiquement le point de vue des professeurs.

Après un an de travail, Tran Tong arriva à une conclusion sur ce problème. C’était la deuxième et elle était encore plus défavorable aux professeurs de mathématiques que la première. Le doyen H.T. dut quitter l’université et se retrouva simple chercheur au comité national des sciences et techniques. Pour garder un semblant d’équilibre, on muta aussi le chef du bureau du personnel qui, par ses méthodes, s’était attiré l’hostilité de la majorité des enseignants.

Peu de temps après, le différend avait gagné l’ensemble de l’université et en été 1968, au cours du congrès de la section du Parti, le camp des professeurs remportait un incontestable succès qui inquiéta aussitôt Tô Huu et Trân Quang Huy. Ceux-ci formèrent alors un groupe de travail composé de cadres appartenant aux deux commissions du comité central, la commission des sciences de l’éducation et la commission des cadres et de l’organsiation, au comité du Parti pour Hanoi, au mouvement des « Jeunes travailleurs » et au ministère de l’enseignement supérieur. Le groupe fut introduit à l’intérieur de l’université afin de mener une enquête sur l’affaire de la faculté de mathématiques et en tirer des conclusions. En réalité, les conclusions étaient préparées à l’avance et cette enquête n’avait qu’un but: forcer le professeur Lê Van Thiêm à les accepter.

Le professeur jouissait de la considération de beaucoup et une répression trop ouverte risquait d’avoir des conséquences néfastes sur la guerre au Sud-Vietnam. C’est pourquoi le groupe de travail eut recours à une tactique d’ordre psychologique visant à épuiser la résistance du professeur. Du début de l’année 1969 au milieu de l’année 1970, près de 200 réunions furent organisées entre le groupe de travail et la section du Parti à l’université. Lê Van Thiêm fut obligé de participer à toutes. On y présenta et commenta des documents mettant en évidence l’importance de la dictature du prolétariat. Tran Quang Huy, en personne, vint rendre visite au professeur dans son domicile pour l’exhorter à se soumettre à la ligne du Parti et lui promettre que ni lui ni ses partisans ne subiraient de sanction s’il reconnaissait sincèrement ses erreurs que l’on pourrait attribuer à son inexpérience.

Finalement le professeur Lê Van Thiêm céda. Il ne protesta même pas lorsqu’en automne 1970, Tran Tong publia la conclusion sur toute l’affaire de la faculté de mathématiques et de l’université de Hanoi, conclusion ratifiée par Tô Huu et Tran Quang Huy. Elle donnait entièrement tort au camp des professeurs. Des mesures dites de « réorganisation » furent aussitôt prises. Certes personne n’était emprisonné, ni même expulsé des établissements d’Etat puisque personne n’avait osé critiquer la ligne du Parti et que tous avaient prétendu que leur point de vue était conforme à celle-ci. Par ailleurs, le prestige du professeur et des enseignants qui le soutenaient avait empêché que soient prises contre eux des mesures trop sévères. Néanmoins un grand nombre d’enseignants du camp de Lê Van Thiêm furent démis de leur fonction et mutés ailleurs. Le professeur Lê Van Thiêm, lui même, fut transféré à l’institut des mathématiques du comité national des sciences et des techniques où il assuma le poste de vice-directeur. Les nombreux postes de haut niveau (vice-recteur, doyens, vice-doyens, etc) désormais vacants furent confiés à ceux qui avaient activement participé à la lutte contre les « points de vue bourgeoisDésormais, ce type de points de vue ne se manifestera plus à l’université ou dans les autres établissements d’enseignement supérieur du Nord Vietnam.

2.3 Les progrès de l’enseignement supérieur au Nord-Vietnam jusqu’en 1975

Si, dans l’affaire de la faculté de mathématiques, le ministre Ta quang Buu ne put se manifester que par des interventions discrètes et finalement peu efficaces, il n’en fut pas de même pour ce qui concerne le développement des études universitaires. Il joua un grand rôle dans l’essor que celles-ci connurent à partir de 1965. C’était l’époque des bombardements intensifs des américains sur le Nord-Vietnam. Les populations civiles avaient commencé à évacuer les villes. La Chine proposa alors d’accueillir les établissements d’enseignement supérieur sur son territoire comme cela avait été le cas durant la première guerre (1945-1954). Mais Ta Quang Buu fit savoir au premier ministre, Pham Van Dông, que son ministère se chargeait d’organiser l’installation de tous les établissements universitaires dans les régions montagneuses. Pham Van Dong put ainsi décliner l’offre chinoise.

2.3.1 Multiplication des établissements d’enseignement supérieur

Le transfert des divers établissements avec leurs bibliothèques, leurs laboratoires, etc, fut une oeuvre gigantesque entièrement accomplie par les étudiants, les enseignants et les employés qui durent, eux-mêmes, assurer leur restauration et leur logement, tout en creusant des tranchées pour se protéger des attaques aériennes. Mieux encore, à cette époque, le réseau des institutions universitaire se développa encore davantage. Des dizaines d’établissements d’enseignement supérieur s’ajoutèrent aux cinq qui avaient été fondés en 1956. Les écoles des beaux-arts et de la musique se transformèrent en instituts d’enseignement supérieur. L’ancien institut de l’économie et des finances fut divisé en deux: le premier se spécialisait dans l’économie et la planification tandis que l’autre se consacrait uniquement aux finances. Un grand nombre de facultés de l’université de science et de technologie de Hanoi se transformaient en grandes écoles industrielles: les écoles des ponts-et-chaussées, des mines, de l’électricité, des industries légères, etc. L’école supérieure de pharmacie devenait indépendante de l’école supérieure de médecine de Hanoi. Par contre, cette dernière s’enrichissait d’un certain nombre d’institutions annexes: les écoles supérieures de médecine des régions montagneuses et de la plaine, établies à Bac Thai et à Thai Binh. L’institut de pédagogie de Hanoi était renforcé par d’autres instituts créés dans la région montagneuse à Bac Thai et au centre, à Vinh.

2.3.2 – Amélioration du niveau

La prolongation de la durée de la formation ( 5 ans à l’université de sciences et de technologie ainsi que dans les grandes écoles et 4 ans à l’université et dans les instituts pédagogiques) et l’introduction du « projet de fin d’études » dans le programme contribuèrent à améliorer le niveau des études. Celui-ci fut aussi relevé grâce au nombre et à la qualité des nouveaux docteurs enseignants dans les établissements universitaires. Par ailleurs, on continua à envoyer des étudiants ou de jeunes diplômés poursuivre des études à l’étranger, surtout dans les pays de l’Est.

De plus, instruit par l’expérience de l’affaire de la faculté de mathématiques, le ministre Ta quang Buu réussit à limiter les dégâts causés par la politique « ouvrière et paysanne » grâce à une série de réglementations et de mesures. Des critères rigoureux furent établis qui délimitaient soigneusement les catégories de privilégiés ainsi que les privilèges qui leur étaient accordés. Les invalides de guerre, les enfants de combattants morts pour la patrie, les jeunes gens issus des minorités ethniques ou de certaines classes sociales formaient les principales catégories. Les candidats leur appartenant, lors du concours national d’entrée à l’université, bénéficiaient d’un supplément de points, déterminé à l’avance en fonction des diverses catégories. Il s’ajoutait à la note moyenne qu’avaient méritée leurs copies.

Cependant ces règlements n’ont jamais été appliqués strictement. Grâce à des recommandations spéciales, des candidats n’appartenant pas aux catégories précitées furent admis avec une note inférieure à la moyenne. De plus, les autorités locales ont continué à donner des appréciations négatives aux dossiers de candidats issus de familles de « réactionnaires »d’exploiteursou tout simplement mal vues des dites autorités. Les bureaux du personnel des établissements d’enseignement supérieur étaient alors dans l’incapacité d’accepter ces candidats déclarés politiquement inaptes. C’est ainsi par exemple que le petit fils d’un ancien adhérent au « Viet Nam Quôc Dân Dang » (ancien parti nationaliste), ayant obtenu une très bonne note au concours d’entrée de l’université de sciences et de technologie, ne fut jamais convoqué pour les études.

Malgré cela, la situation dans les universités allait en s’améliorant. Lors de l’attribution des diplômes et des postes, ou lors du choix des étudiants pour des études à l’étranger, la discrimination sur la base de critères sociaux et politiques diminua d’importance tandis que se renforçait l’attention portée au niveau d’études.

Cela n’était pas du goût des hommes politiques, en particulier de Tran Tong, sans cesse en conflit avec Ta Quang Huu. Tô Huu et Tran Quang Huy auraient bien voulu unifier les trois ministères de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la culture en un unique ministère dont Tran Quang Huy serait devenu le responsable. Cependant le ministre de l’enseignement supérieur, à cause des activités scientifiques qu’il continuait à mener, jouissait d’un grand prestige auprès des intellectuels ainsi que du soutien de Pham Van Dông, de Vo Nguyên Giap et de plusieurs autres membres du Bureau politique. Il réussit à garder son poste et put contribuer ainsi au développement de l’Enseignement supérieur au Vietnam.

Grâce à lui, le Vietnam se classa parmi les premiers pays du tiers monde pour le nombre de ses diplômés, de ses docteurs, avec une proportion comparable à celle des pays industrialisés. La qualité des études, malgré d’énormes difficultés, s’était maintenue. Contrairement à ce qui passait dans les années 1957-1958, dominées par l’influence maoïste, les études théoriques à l’université trouvèrent de nombreuses applications dans les domaines civils et militaires. Un physicien de l’université des sciences et technologie avec son équipe, grâce à des ultrasons, détruisit rapidement des torpilles américaines bloquant le ravitaillement du Vietnam par voie maritime. Les écoles supérieures de médecine élaborèrent de nouveaux traitements pour les maladies. Le professeur Tôn Thât Tung fut invité par plusieurs pays occidentaux à faire des conférences sur une méthode originale en chirurgie du foie. Le professeur Le The Trung mit au point un traitement destiné à combattre les méfaits causés au corps humain par les bombes au napalm.

2.4 – L’enseignement supérieur au Sud-Vietnam

L’évolution de l’enseignement supérieur au Sud Vietnam depuis 1954 a été largement décrite ailleurs. Il nous suffira de noter ici l’existence de certains mouvements étudiants dont la véritable nature n’a pas été reconnue immédiatement. Le premier d’entre eux naquit dans les milieux bouddhistes en 1963 et entraîna dans la rue de nombreux étudiants protestant contre le pouvoir de Ngô Dinh Diêm. L’université Van Hanh participa activement à cette lutte. Cette même université s’associa aux étudiants catholiques dans un mouvement anti-concussionnaire animé par le Père Thanh et dirigé contre Nguyên Van Thiêu.

Ces mouvements n’étaient point pro-communistes, ni même anti-américains. Leur objectif essentiel était de dénoncer les comportements antidémocratiques du pouvoir ou la corruption dans les milieux gouvernementaux. Certains mouvements étudiants protestaient contre l’intervention américaine au nom du nationalisme et de la démocratie. Après 1975, leurs animateurs lutteront aussi contre la dictature du prolétariat. Avant l’instauration du communisme au Sud, seul un petit nombre d’étudiants soutenaient les objectifs et les idéaux communistes. Parmi eux, s’étaient infiltrés quelques agents communistes. C’était à l’étranger que les étudiants étaient le plus facilement victimes de la propagande communiste. Ainsi, Nguyên Thai Binh, étudiant formé aux Etats-Unis tenta de détourner vers Hanoi un avion qui le transportait vers Saigon. Cet acte considéré par Saigon comme un acte de terrorisme fut exalté par la presse de Hanoi comme une manifestation de patriotisme. Après 1975, on donna son nom à une rue de Saigon.

3 . L’enseignement supérieur dans le Vietnam unifié depuis 1975

La victoire du Nord Vietnam ayant entraîné la réunification de tout le pays, l’enseignement supérieur du Sud fut intégré à l’intérieur du système universitaire du Nord-Vietnam. Cependant par leur importance, les institutions universitaires de Hô Chi Minh-Ville constituent un grand complexe à peu près équivalent à celui de Hanoi. D’autres établissements d’enseignement supérieur sont répartis sur tout le territoire du Vietnam: à Bac Thai, à Hai Phong, à Vinh, à Thai Binh, Huê, Da Nang,Dalat, Nha Trang, Can Tho. Le nombre des étudiants a augmenté. Mais par suite de la détérioration de la situation économique, politique et sociale, la qualité de l’enseignement a baissé.

3.1 – Des innovations

Pourtant de nouvelles structures ont été créées. En plusieurs endroits, des formations post-universitaires ont été ouvertes ainsi que des instituts nationaux de recherche où travaillent des professeurs expérimentés et de haute compétence. Un système officiel de grades académiques a été mis en place. Autrefois, seuls quelques intellectuels renommés étaient exceptionnellement promus professeurs émérites par le premier ministre. Les autres enseignants étaient dépourvus de tout grade. En 1980, le premier ministre signait les premières listes de 83 enseignants promus au rang de professeur émérite et de 147 autres promus au rang de professeur. Les professeurs qualifiés peuvent ainsi patronner et guider les études de doctorat des étudiants qui désormais ont la possibilité d’obtenir sur place ce diplôme.

3.2 – Les classes spécialisées

Au Vietnam, comme dans l’ancienne Union soviétique, l’enseignement secondaire ne comporte pas de séries. Tous les écoliers étudient le même programme du primaire à la dernière classe du secondaire. La conséquence en est qu’ils n’ont aucune préparation spéciale pour rentrer dans un établissement universitaire spécialisé. Pour remédier à cet état de choses, dès les années 60, les professeurs Le Van Thiêm et H.T. prirent l’initiative de choisir des écoliers doués en mathématiques pour former des classes spécialisées en cette discipline, rattachées à la faculté de mathématiques. En plus des autres matières du programme, on y étudiait les mathématiques de manière détaillée et approfondie. Les écoliers particulièrement doués repérés dans ces classes étaient ensuite pris en charge et initiés à l’esprit de recherche. Encouragé par les autorités compétentes, ce système se développa ensuite dans d’autres disciplines: en physique, chimie, littérature, langues vivantes, etc. Des classes spéciales furent ainsi ouvertes et rattachées à une faculté de même spécialité, ou encore à un lycée normal. D’excellents étudiants furent ainsi préparés. A cela s’ajoutaient des olympiades organisées à tous les niveaux régionaux. Certains lauréats ont ensuite participé à des concours internationaux où ils ont obtenu des premiers prix.

Beaucoup d’élèves brillants de ces classes spécialisées ont poursuivi leurs études à l’étranger où ils ont obtenu des diplômes élevés. Les autres ont fait généralement d’excellentes études dans leur pays.

3.3 Baisse de niveau

Tous ces résultats dûs aux efforts de universitaires vietnamiens ne doivent cependant pas faire oublier les impacts négatifs de certain phénomènes sociaux sur l’enseignement supérieur, en particulier une baisse générale de niveau qui s’est fait sentir à partir de 1975. On peut lui trouver plusieurs raisons. la première est certainement la pauvreté de la population provoquée par 30 ans de guerre et encore aggravée par une politique erronée qui, jusqu’en 1987, a refusé d’abandonner les principes de l’économie planifiée et centralisée. C’est l’indigence qui poussa un certain nombre d’instituteurs à quitter leur profession. Beaucoup d’enseignants du Sud firent aussi partie du flot des « boat-people ». Rapidement, au Sud-Vietnam la pénurie d’enseignants a touché non seulement les écoles primaires mais aussi l’université. Le manque d’équipements scolaires et universitaires, l’incertitude des esprits face aux bouleversements mondiaux et le refus opiniâtre des dirigeants d’abandonner le marxisme-léninisme sont autant de facteurs qui ont contribué à briser l’enthousiasme des enseignants et des étudiants. Certes l’instauration de marché a amélioré l’économie du pays mais le salaire des enseignants (aussi bien dans l’enseignement supérieur que dans le primaire ou le secondaire) reste dérisoire et ceux-ci sont obligés de délaisser quelque peu leurs tâches professionnelles pour assurer leur subsistance.

3.4. Persistance de la discrimination

L’origine familiale continue de rentrer en ligne de compte, en particulier quand il s’agit d’accorder une bourse d’études à l’étranger. Certes la mentalité a quelque peu changé. Cependant, jusqu’en 1985, 1986, la Sûreté hésitait à laisser partir à l’étranger des cadres dont un proche parent était religieux ou religieuse, ou encore réfugié dans un pays occidental. La discrimination est resté surtout vivace dans les provinces du Sud où les enfants des anciens officiers de l’armée du Sud sont difficilement admis à des études universitaires. Il faut ajouter que Ta quang Buu a été remplacé au ministère de l’enseignement supérieur. Le prétexte a été son âge, 66 ans. Mais le gouvernement comportait des ministres beaucoup plus âgés que lui. En réalité, Tô Huu qui est rentré au Bureau politique en 1975 a réussi à convaincre les autres membres de prendre cette mesure. Plus tard le ministère de l’enseignement supérieur a fusionné avec celui de l’éducation pour devenir un seul ministère.

3.5 Retour du mouvement démocratique

Ces dernières années, le mouvement démocratique s’est surtout développé chez les écrivains et les artistes. Les milieux universitaires ont été relativement moins touchés par lui. Cependant de nombreuses personnalités se sont engagées dans la lutte pour la liberté et la démocratie. On y trouve des bouddhistes comme Doan Van Hoat, ex vice-recteur de l’Université bouddhique de Van Hanh à Saigon, qui a publié un bulletin clandestin baptisé « Forum de la Liberté » et qui risque aujourd’hui une peine très grave. En font aussi partie des prêtres et laïcs catholiques ayant autrefois enseigné à l’université et participé à la lutte contre l’ancien pouvoir, le P. Thanh, religieux rédemptoriste, retenu au Nord Vietnam après y avoir été incarcéré, le P. Chan Tin , M. Ngoc Lan en résidence surveillée pour avoir défendu la liberté. Au mois de mai 1990, Huynh Tâm Mam, l’ancien animateur du mouvement étudiant en lutte contre Nguyen Van Thiêu, a été arrêté un temps, pour avoir manifesté ses aspirations démocratiques. Au Nord-Vietnam, le professeur de mathématique P.D.D. mène campagne pour le multipartisme et le pluralisme, même s’il est obligé de choisir ses mots et de ménager le Parti et son leader suprême. Cette discrétion et son prestige international lui ont valu d’échapper jusqu’ici à la répression.

4 . Réflexion sur un bilan

Au cours des 47 dernières années, dans des conditions particulièrement difficiles, malgré la guerre, le manque de livres et d’équipements, dans un environnement social parfois adverse, l’enseignement supérieur vietnamien a enregistré des résultats nombreux et remarquables. Nous en avons largement fait mention au cours de cet exposé. En premier lieu, il faut en imputer le mérite à la tradition millénaire du peuple vietnamien qui a toujours tenu l’enseignement et le maître qui en est chargé en très haute considération. Elle a donné toute son estime aux diplômes de licencié et de docteur. Ce respect se manifeste aujourd’hui encore lors d’une fête annuelle, le 20 novembre, jour où les écoliers et les étudiants rendent visite à leurs maîtres (les anciens et les actuels)

Les divers gouvernements, les responsables des institutions universitaires, au Nord-Vietnam comme au Sud-Vietnam, ont accompli des efforts considérables pour donner son plein essor à l’enseignement supérieur. Ils continuent aujourd’hui encore. Enseignants et professeurs, chacun pour leur part, ont apporté leur contribution au développement et à l’épanouissement des institutions universitaires. Au cours de la guerre, ils ont surmonté pour cela d’incroyables épreuves.

Cependant, le succès aurait pu être beaucoup plus grand si l’élan imprimé à l’enseignement supérieur par tous ces hommes n’avait rencontré des limitations d’ordre idéologique. Ainsi, certaines disciplines ont été tout à fait négligées. Le droit qui avait été enseigné pendant des années avant la révolution, fut considéré comme un fruit de l’idéologie bourgeoise et n’eut plus de place à l’université jusqu’à une date récente. D’autres matières ont été (certaines le sont encore aujourd’hui) enseignées selon un point de vue strictement marxiste-léniniste et même stalinien. Pendant longtemps, l’université vietnamienne n’a pas comporté de faculté de philosophie, la philosophie étant assimilée aux notions superficielles de marxisme-léninisme enseignées dans les cours de politique. Cette faculté vient d’être créée mais on y enseigne toujours le marxisme-léninisme. Les facultés de sciences sociales, elles, ont été créées depuis longtemps; l’enseignement de la littérature, de l’histoire est longtemps resté paralysé par un dogmatisme interprétant à tort et à travers les événements de l’histoire du monde ou du Vietnam, portant des appréciations erronées sur certains mouvements littéraires comme par exemple le groupe Tu Luc Van Doan (3).

Aux limitations apportées à l’enseignement supérieur par l’idéologie, s’est ajoutée la répression qui s’est exercée contre les enseignants et les étudiants au nom des critères maoïstes d’appréciation des hommes par l’origine sociale et familiale. Nous avons constaté à quel point cette politique avait limité les résultats obtenus.

On ne peut que souhaiter que, dans l’avenir, le Vietnam, enfin libéré de l’emprise idéologique marxiste-léniniste, adopte pleinement le pluralisme démocratique, renonce à toute discrimination familiale ou sociale et crée ainsi les conditions pour un développement harmonieux de l’enseignement supérieur.