Eglises d'Asie

UNE AUMONERIE UNIVERSITAIRE A MINDANAO

Publié le 18/03/2010




Aumônerie universitaire : une idée assez récente

Il peut apparaître curieux que dans un pays majoritairement catholique comme les Philippines il faille encore créer des aumôneries universitaires dans des villes de la taille d’Iligan City… Cela est dû, à mon avis, à deux raisons principales: l’une est le manque tragique de prêtres aux Philippines. Iligan est une ville de 250 à 300 000 habitants. Il n’y a que 14 prêtres pour la servir en comptant l’évêque. Si l’on retient le chiffre de 300 000 habitants, cela fait un prêtre pour 21 500 habitants; 75% d’entre eux étant catholiques, cela fait un prêtre pour 16 000 catholiques. Les prêtres sont débordés et pour la plupart voient leur temps mangé par la seule sacramentalisation des fidèles. La seconde raison est que jusqu’à époque très récente les jeunes n’étaient vraiment pas une priorité pour l’Eglise. Comme en bien d’autres pays, une fois finie la catéchèse des enfants à l’âge beaucoup trop précoce de la confirmation, l’Eglise n’avait aucun programme pour les jeunes du secondaire, encore moins pour la jeunesse universitaire, excepté le cas des écoles et universités catholiques.

Cela a commencé à changer quand vers la fin des années 70 la Fédération des évêques d’Asie décida que l’une des quatre priorités fondamentales de la pastorale en Asie était les jeunes. Depuis, l’Eglise des Philippines a commencé à investir quelques-uns de ses prêtres et autres agents pastoraux dans ce champ de la pastorale, mais la tâche est immense quand on pense à la masse énorme des jeunes en Asie.

20 à 25% de la population aux Philippines a entre 15 et 25 ans, appartenant donc à la tranche d’âge des étudiants d’université. La population des Philippines étant d’environ 60 millions, cela fait de 12 à 15 millions de jeunes à évangéliser. Environ 17% de ceux-ci entrent à l’université (ce qui ne veut pas dire qu’ils persévèrent tous jusqu’à la fin, loin de là).

Population étudiante d’Iligan City

La ville d’Iligan elle-même a une population étudiante d’environ 15 000 membres.

Il y a 7 institutions sur la ville:

– Une université d’Etat avec 6 500 étudiants.

– Quatre collèges privés. Selon le système américain, un collège est une université de second niveau. Un de ces collèges, St Michael, est dirigé par le diocèse et a 850 étudiants. Les trois autres sont dirigés par des familles, un phénomène très courant aux Philippines:

* Capitol College avec 2 400 étudiants.

* Medical College avec 2 500 étudiants.

* St Peter’s College avec 1 250 étudiants.

– Il y a enfin, deux petits instituts techniques avec une population combinée de 1 200 étudiants.

Voici quelques-uns des principaux problèmes que connaissent les étudiants aux Philippines.

Faiblesse et inadéquation du système d’éducation

Le plus important est la faiblesse et l’inadéquation du système d’enseignement des Philippines. Depuis l’école primaire la langue d’enseignement est l’anglais, cas unique en Asie (1). Loin d’être un atout, ce fait pose des problèmes très importants. L’immense majorité des étudiants n’ont en effet qu’une connaissance médiocre de cette langue. Ils en ont, au mieux, une bonne connaissance passive, ce qui leur permet de comprendre ce qui leur est enseigné. Mais ils ne maîtrisent pas suffisamment la langue pour réagir à l’enseignement qui leur est donné, encore moins pour faire des recherches sérieuses ou pour écrire quelque thèse que ce soit. Cela est d’autant plus vrai que tous les livres qu’ils sont censés étudier sont des livres écrits aux Etats-Unis par des Américains pour des Américains. Or il est évident que la situation des Etats-Unis est complétement différente de celle des Philippines et donc que tous les cas présentés par ces livres, tous les exemples donnés et tous les tests proposés ne correspondent absolument pas à l’expérience quotidienne des étudiants philippins. Dans l’incapacité d’établir une relation active avec les matières d’enseignement, l’immense majorité des étudiants en sont réduits à apprendre par coeur et à répéter ce qu’on leur enseigne. Comme cela a été leur expérience depuis le primaire, ils continuent à faire la même chose à l’université. Cela est aggravé par le fait qu’ils entrent à l’université très jeunes. Il n’y a que six années d’école primaire et quatre années de secondaire, ce qui fait qu’un étudiant entre généralement à l’université à l’âge de 16 ans. Cela veut dire aussi que les enseignants sont eux aussi très jeunes. Un étudiant qui poursuit un cycle universitaire normal termine ses études à l’âge de 20 ans. Il n’y a pas de service militaire aux Philippines ni non plus d’école normale si bien que le détenteur d’un diplôme âgé de 20 ans peut enseigner à l’université. C’est le cas de nombreux enseignants dans les universités des Philippines.

Le fait aussi que plus de la moitié des universités et des collèges des Philippines sont privés, au sens qu’ils appartiennent à de grandes familles, ne fait qu’accroître les problèmes de l’enseignement. Ces institutions privées ont, bien sûr, pour but de faire du profit: on accepte donc le plus d’élèves possible, pourvu qu’ils payent, sans se soucier vraiment de la qualité ni des élèves ni des enseignants, ni non plus des locaux. Il y a des universités privées à Manille qui ont plus de 40 000 étudiants dans des bâtiments complètement délabrés et sous-équipés.

Par ailleurs, les étudiants vivent souvent dans des conditions matérielles très difficiles. Plus de la moitié des étudiants d’Iligan ne sont pas d’Iligan mais viennent des environs, parfois de très loin. Les universités et collèges de la ville n’ont pas de résidence pour leurs étudiants; ceux-ci doivent donc chercher leur propre logement. Les gens de la ville en profitent: ils leur offrent des chambres, pas très cher c’est vrai, mais effroyables: ils sont de 6 à 8 dans de toutes petites chambres, sans ventilation, quelquefois même sans fenêtre, dans des maisons qui logent souvent de 50 à 100 étudiants, garçons et filles, avec deux ou trois WC/douches seulement et aucune surveillance adulte. Inutile de dire que dans de telles conditions il est difficile sinon impossible d’étudier sérieusement.

Sectes chrétiennes, “fraternités” et “sororités”

Le fait que plus de la moitié des étudiants d’Iligan ne sont pas de la ville mais viennent de l’extérieur est source d’un autre problème très sérieux : celui de la solitude. Le Philippin est naturellement grégaire. Il a viscéralement besoin d’un communauté : cela peut être sa famille, ses voisins, sa communauté paroissiale ou tout autre groupe auquel il peut s’agréger. Ces groupes s’appellent des “barkadagroupes de pairs où le Philippin trouve son équilibre et sa sécurité. Quand un étudiant pour la première fois de sa vie quitte sa petite ville de province où il a fait ses études secondaires et se trouve dans une grande ville comme Iligan il traverse une véritable crise psychologique qui le rend très vulnérable. Cela explique en grande partie le succès particulièrement notable des sectes protestantes fondamentalistes dans les universités. Ces sectes qui ne cessent de se multiplier et restent ainsi toujours de petite taille, offrent aux étudiants la barkada qu’ils ont dû abandonner chez eux. En cela elles jouent un rôle positif. Mais ce rôle positif est vite détruit par l’agressivité de ces sectes envers l’Eglise catholique. Les étudiants, pour la plupart catholiques, qui entrent dans ces sectes à cause de leur besoin d’appartenir à un groupe dans lequel ils se sentent acceptés, sont très vite l’objet d’un véritable lavage de cerveau. Tout ce qu’ils avaient cru jusque-là, il est vrai souvent sans beaucoup réfléchir, est systématiquement attaqué et détruit. Très vite la pression de ces groupes devient intolérable d’autant plus que certains ne reculent devant aucune méthode, y compris la manipulation des résultats aux examens par les professeurs membres de ces sectes.

C’est là certainement l’un des très sérieux problèmes auxquels se trouvent confrontés nombres d’étudiants aux Philippines. Ce besoin d’appartenir à un groupe explique aussi le succès des “fraternités” et “sororités” dans les universités des Philippines, un autre des problèmes de la vie étudiante ici. Ces fraternités et sororités, d’origine américaine, qui pour la plupart portent des noms provenant de l’alphabet grec, comme Alpha-Beta, Sygma-Rho, Upsilon et autres, se présentent comme des goupes dont le but est d’aider les étudiants dans leurs études aussi bien que dans leur vie quotidienne. Elles sont, en fait, de puissantes organisations au niveau national, sortes de mafia avec des rites d’initiation parfois très violents (2) (il y a eu plusieurs morts ces dernières années) et un code d’honneur qui lie les membres de façon très stricte. Les étudiants y apprennent très vite toutes sortes de contre-valeurs prévalentes dans la société philippine: le goût du pouvoir et des titres, et pire peut-être que tout le reste, un sens perverti de la solidarité de clan car les membres de ces organisations promettent de se défendre mutuellement coûte que coûte quelles que soient les circonstances, même en cas de crimes.

Corruption et violence

La troisième série de problèmes auxquels se trouvent confrontés les étudiants provient de la situation sociale du pays. Ils font l’expérience quotidienne d’une corruption généralisée et d’une très grande violence. La corruption est devenue un véritable cancer qui ronge tous les rouages de la société. La tragédie des Philippines est qu’elle est particulièrement forte dans la police, les forces armées et le système judiciaire, les trois institutions qui devraient être le fer de lance de la moralisation. Les universités ne sont pas épargnées, loin de là. Elles ont d’énormes budgets, ici je parle surtout des universités d’Etat, mais l’argent disparaît souvent dans la poche des administrateurs. Il y a de nombreux projets fantômes, des enseignants fantômes aussi qui sont sur les listes et dont l’université perçoit le salaire. La liste des malversations pourrait s’allonger sans fin, mais la réalité est là constamment sous les yeux des étudiants.

Il y a la violence aussi. Nous ne sommes pas en Afrique du Sud ou en Yougoslavie, mais on tue très facilement aux Philippines. Le drame c’est que les gens se sont habitués à cette violence et ne la voient plus ou ne veulent plus la voir. La mort est devenue banale. Elle ne scandalise plus. Les gens ne réagissent plus. Cette violence prend souvent ici à Iligan une coloration religieuse, ce qui est un problème tout particulier et mérite une attention spéciale (3).

L’influence néfaste des sous-produits culturels de l’Occident

Un dernier problème: celui de l’influence de la culture occidentale et surtout américaine ici. La masse financière de l’Occident est telle que les Philippines, comme tous les autres pays du tiers monde, sont inondées de films, cassettes, livres et revues qui comportent des idées, des sons, et des images qui sont complètement étrangers à l’âme du pays. Mais la tentation est énorme d’être “à la pagemoderne, comme les Américains. Et très vite surtout dans les villes où se trouvent les universités, on adopte la mode de l’Occident, la musique de l’Occident, les danses de l’Occident, les concours de beauté de l’Occident, etc… et toutes les “valeurs” qui vont avec. Ce qui est très triste, c’est que petit à petit mais inexorablement les jeunes Philippins en viennent à oublier et même très souvent à mépriser leur culture pourtant si riche et si belle. Heureusement, ici à Iligan, le problème de la drogue n’est pas vraiment un problème majeur.

L’aumônerie universitaire d’Iligan City

J’ai trouvé une grande maison avec un grand jardin à 200 mètres de l’Université d’Etat de la ville. Je voulais l’aumônerie complètement indépendante et des campus universitaires et des structures paroissiales pour que les étudiants se sentent vraiment libres de venir ou non au Centre et de participer ou non à ses activités. Trois personnes en dehors de moi travaillent à plein temps. Un homme qui s’occupe de tout l’aspect matériel du centre et deux autres personnes qui avec moi sont les agents pastoraux de l’aumônerie: une religieuse, franciscaine missionnaire de Marie, et un jeune homme, marié, qui a une bonne expérience des jeunes et de la catéchèse.

Notre politique est de faire du centre un lieu aussi ouvert que possible, un lieu où tous les étudiants de quelque religion ou couleur politique qu’ils soient se sentent libres de venir et de jouir des facilités offertes par le centre. La règle d’or est la confiance: tout est ouvert à tous de 6h du matin à 10h du soir. Pour répondre aux besoins des étudiants l’aumônerie a trois volets principaux: récréation, formation humaine et formation chrétienne.

Récréation

Le centre est spacieux, à la fois la maison et le jardin, et nous mettons un soin tout particulier pour qu’il soit beau et propre. Les étudiants peuvent venir à n’importe quel moment de la journée et ils trouvent au centre pelouses et bancs dans le jardin pour s’asseoir et discuter, un terrain de volley-ball, une salle de ping-pong et toutes sortes de jeux à l’intérieur de la maison. Ils peuvent aussi jouer de la guitare et écouter de la bonne musique qui contraste avec celle qu’ils écoutent habituellement dans leur logement. On organise des compétitions sportives entre ces logements, 54 d’entre eux se trouvent dans un rayon de 500 mètres autour du centre.

Formation humaine

Nous essayons de proposer aux étudiants des valeurs différentes de celles de la société qui les entoure: la beauté et la propreté dont j’ai parlé plus haut; la confiance: tout est ouvert et les étudiants se servent eux-mêmes pour les jeux qu’ils utilisent, les revues et journaux qu’ils lisent, les guitares avec lesquelles ils jouent et les cassetttes qu’ils écoutent; la discipline et l’ordre aussi: il y a des règles à suivre que nous leur expliquons quand ils viennent au centre pour la première fois. Alors que tant de choses disparaissent ou sont cassées dans les bureaux du gouvernement et les universités, ici, en six mois, nous avons perdu deux cassettes, un jeu et quatre livres de chant et nous avons eu deux ou trois petits dégâts matériels.

Pour cette formation humaine nous avons aussi une bibliothèque. Elle a déjà 800 volumes triés sur le volet et couvrant des champs aussi divers que Bible, spiritualité, religion, philosophie, psychologie, politique, économie, écologie, paix et non-violence, islam, dialogue interreligieux et de très bons romans. Les étudiants peuvent consulter les livres sur place ou les emporter pour une semaine chez eux s’ils sont membres de la bibliothèque. Une fois par semaine, le dimanche, nous présentons un film. Nous organisons aussi des week-ends de réflexion et des débats autour de problèmes-clés, ou perçus comme tels, comme l’écologie, les relations internationales, les droits de l’homme, les relations garçons-filles, la dynamique de groupe, etc… Enfin, il y a deux coins tranquilles pour les étudiants qui veulent étudier sans être dérangés, une petite salle avec des machines à écrire pour ceux qui n’en ont pas et nous permettons à ceux qui le veulent de passer la nuit ici pour qu’ils puissent étudier avec un maximum de concentration.

Formation chrétienne

La formation chrétienne vise aussi bien les professeurs que les étudiants. Pour atteindre ce but, nous proposons cinq activités:

* La célébration de l’Eucharistie au centre tous les jours sauf le dimanche où nous encourageons les étudiants à fréquenter les paroisses de la ville.

* Direction spirituelle et confession.

* Des cours de Bible (cinq groupes par semaine) visant à donner à ceux qui y participent une bonne connaissance de base qui leur permette de faire front aux attaques incessantes des sectes fondamentalistes.

* Des cours de religion (une fois par semaine) dont le but est de reprendre point par point tous les aspect de la foi catholique qui sont systématiquement dénigrés par ces mêmes sectes. Nous essayons de faire cela sans esprit polémique, ce qui n’est pas toujours facile, mais dans le but de faire réfléchir les catholiques et de les rendre solides et heureux dans leur foi.

* Des retraites pendant les week-end.

L’organisation des activités de l’aumônerie universitaire d’Iligan

Pour faire marcher tout cela, outre les quatre personnes qui sont à plein temps, nous avons des leaders étudiants qui nous aident.

Au niveau de l’université d’Etat, ils sont 25 qui représentent ou bien un ensemble de résidences d’étudiants ou bien un des cinq comités que nous avons formés et qui couvrent les différentes activités du centre: un comité liturgie, un comité éducation, un comité dialogue, un comité justice et paix et un comité récréation. Ces 25 étudiants se réunissent tous les mois avec nous pour faire le point sur le mois passé et préparer le mois qui vient.

Au niveau de la ville, à ces 25 leaders il faut en ajouter 20 autres qui représentent les autres collèges de la ville, avec lesquels nous nous réunissons une fois tous les deux mois.

Tout est encore très fragile mais, petit à petit, les choses se mettent en place et l’aumônerie prend forme. Quel impact avons-nous auprès des étudiants? C’est difficile à évaluer. Même si les chiffres ne donnent qu’un aspect superficiel de la réalité, voici quelques chiffres:

* Il y a une moyenne de 80 étudiants qui participent à l’Eucharistie quotidienne, un groupe très stable d’une trentaine et les autres changeant tous les jours.

* Il y a 90 étudiants et 70 professeurs qui assistent au cours de Bible.

* Il y a une cinquantaine d’étudiants qui assistent au cours de religion.

* Il y a 300 étudiants membres de la bibliothèque.

* On estime à environ 500 les étudiants qui fréquentent le centre au cours d’une semaine pour une raison ou pour une autre, la raison majeure étant la récréation, il faut bien l’admettre.

Les membres de l’équipe permanente se réunissent tous les lundis, toute la matinée avec une heure de prière ensemble et le reste du temps passé à évaluer le travail de la semaine précédente et à programmer celui de la semaine qui vient. Nous croyons très fort à l’importance de la prière ensemble pour souder l’équipe. Nous espérons que l’année 93 verra la consolidation de ce que nous avons commencé. Nous sommes convaincus de l’importance du travail pour et avec les jeunes étudiants. Nous prions le Seigneur et nous vous demandons de prier avec nous pour qu’Il nous guide et nous fortifie dans cette tâche pas toujours très facile mais passionnante.