Eglises d'Asie

VIETNAM ET VIETNAMIENS FACE AU CHOMAGE

Publié le 18/03/2010




Les deux recensements démographiques du Vietnam révèlent que depuis sa réunification (juillet 1976), la population vietnamienne a augmenté de manière foudroyante. Les chiffres parlent d’eux-mêmes (1).

– En 1979: 52,7 millions d’habitants

– En 1989: 64,4 millions

En dix ans (1979-1989), la population a progressé de près de 12 millions d’habitants, soit en moyenne 1,2 millions de bouches supplémentaires à nourrir chaque année. Le taux de natalité est en baisse, ramené de 42 pour mille avant 1975 à 31,3 pour mille en 1989, ainsi que le taux de mortalité, de 12 pour mille à 8,4 pour mille. Le taux annuel de croissance tourne autour de 2,3%. Face à l’explosion démographique dépassant ses prévisions, Hanoi s’est efforcé d’imposer, depuis la décennie 80, une politique de planification familiale (2). Cependant, en dépit des progrès remarquables qu’il a réalisés dans ce domaine parmi les populations urbaines il est encore loin de l’objectif du taux de croissance de 1,7% fixé pour 1985. Ce même objectif prévu pour 1990 n’est pas non plus atteint, compte tenu du contrôle inefficace des naissances à la campagne (3). L’indice de fécondité est de 4 enfants/femme en 1990 (6 enfants avant 1975, et 5 enfants en 1983-1985) (4). D’après l’ONU, la population vietnamienne a atteint 71 millions d’habitants en 1992. A ce rythme d’expansion démographique galopante, 1,1 million de jeunes entrent chaque année sur le marché de travail. Comment résoudre le problème de l’emploi, qui va s’aggravant de jour en jour ?

I – PRINCIPALES MESURES PRISES PAR HANOI FACE AU CHOMAGE

Au lendemain de la guerre (avril 1975), le chômage frappe plus de 3 millions de travailleurs dans le Sud-Vietnam (5). Un plan de “redéploiement des forces de travail” est d’urgence mis en oeuvre, pour y faire face.

1. Un programme à court terme est adopté dès mai 1975, visant à “dégraisser” les grandes villes hypertrophiées du Sud. Il s’agit de déplacer 4 millions de citadins sans emploi (surtout des “Saigonnais”) vers les zones d’économie nouvelle (ZEN) ou vers leur province natale, où ils remettent en culture leurs terres abandonnées pendant la guerre.

2. Simultanément, un autre programme à long terme (1975-1990), qualifié de “grande envergureprojette de transférer 10 millions de personnes, résidentes des plaines surpeuplés (du Nord et du Centre) vers les ZEN établies dans les provinces frontalières du Nord, sur les hauts plateaux du Centre et au Sud-Vietnam.

Le développement des ZEN, entrepris sans étude sérieuse préalable sur les contraintes naturelles, était nécessairement voué à l’échec, pour deux raisons:

* Les ZEN sont des régions malsaines, où pullulent le paludisme, les maladies amibiennes (dysenterie, diphtérie) ou autres maladies endémiques. Autres contraintes naturelles: sols pauvres, dépourvus d’eau douce pendant la saison sèche (cas des provinces maritimes). Les conditions de travail sont dures, et les travailleurs ne touchent qu’une maigre pitance. En effet, il fait très chaud, le jour (32( à 38( en avril-mai), et assez frais, la nuit (20( à 22(), dans les bas plateaux. En raison du grand écart des températures diurnes (13( à 18(), on attrappe facilement le rhume, la grippe, surtout quand on est mal nourri et qu’on a pas suffisamment de vêtements chauds (sans parler du pullulement des moustiques, des sangsues, des insectes et autres puces nuisibles dans les ZEN). Ni école, ni marché, ni infirmerie, ni maternité… Mal vêtus et sous-alimentés, les personnes âgées et les enfants sont victimes de diverses maladies (grippe, bronchite, diarrhées, dysenteries, paludisme…). Faute de médecins et de médicaments, ces maladies banales les déciment commes des mouches.

* L’insécurité des ZEN, où l’incursion fréquente des troupes Khmers rouges provoque des combats sanglants.

Chassés pas les maladies, la misère et la guerre, bon nombre d’implantés regagnent la ville, où ils vivent entassés dans les marchés, sur les trottoirs, sous les ponts… Leur retour nuit au plan de développement des ZEN. Après les vagues de départ des volontaires (essentiellement des pauvres, des chômeurs), les autorités locales ont du mal à recruter les nouveaux. Alors, des mesures draconiennes s’imposent, pour forcer certaines catégories à partir. Ainsi, doivent se rendre dans les ZEN:

– tous ceux qui n’ont pas la carte de résidence dans les villes.

– tous les chômeurs et tous ceux qui ne peuvent justifier un emploi stable.

– tous les “rééduqués” (“traîtres militaires et civils), à l’exception de ceux qui sont classés dans la catégorie scientifico-technique.

– tous les “capitalistes-exploiteurs du peuple” ainsi nommés lors des vagues de réprésailles contre eux dans les années 1976, 1978, 1983-1985.

Aux yeux des Sud-Vietnamiens, les ZEN sont synonymes de “camps de déportation” semblables aux “goulagsIls cherchent à s’y soustraire à tout prix. Le déplacement des populations vers les provinces frontalières du Nord ne peut également s’effectuer, en raison de fréquents accrochages militaires sino-vietnamiens et de l’insécurité causée par les mouvements de résistance des minorités ethniques (en particulier du FULRO). Hanoi est obligé de suspendre temporairement le développement des ZEN (1979-1981). Il mise alors sur “l’émigration semi-officielle des boat-peoplepour mener à bien la “désurbanisation” du Sud.

3. “L’émigration semi-officielle des boat-people”. Cette politique prend une grande ampleur en 1978-1981. Des vagues de réfugiés de la mer déferlent sur les côtes de l’ASEAN. Selon le Haut commissariat aux Réfugiés (HCR), de 1975 à 1985, 650 000 “boat-people” ont quitté le pays. Des dizaines de milliers d’autres ont péri en mer, victimes des vagues, du soleil, des garde-côtes vietnamiens, malais, des pirates thaïlandais, ou de l’indifférence des navires marchands sillonant la mer de Chine méridionale. Cela veut dire qu’en dix ans (1975-1985), près d’un million de “boat-people” ont fui le régime communiste. Ce “trafic humain”, d’après David Ford, ministre de l’Information de Hongkong, “a rapporté à Hanoi 3 milliards de U$ en 1978-1979” (6). La tragédie des “boat-people” suscite une vive émotion dans le monde, amenant le secrétaire général de l’ONU à tenir une conférence internationale à Genève (juillet 1979), où le Vietnam est invité. Sous la pression de l’opinion internationale, Hanoi doit s’engager à supprimer “l’émigration semi-officielle des boat-peopleEn contrepartie, l’Occident accepte d’élaborer avec l’ONU le programme ODP (initiales du mot anglais “Orderly Departure Programme” ou programme de départs organisés).

4. Le programme de “départs organisésD’après le HCR, jusqu’à la fin décembre 1985, on compte 80 000 “départs légaux” par la voie aérienne, alors qu’un demi-million d’autres personnes ont déposé des demandes. Comme les pays d’accueil ne laissent entrer les réfugiés qu’au compte-gouttes (essentiellement les Etats-Unis, le Canada, la France et l’Australie), et seulement pour des raisons politiques ou de regroupement familial, Hanoi est dans l’impossibilité de faire face au chômage sans cesse grandissant, qui va de pair avec la super-inflation (700% par an, chiffre officiel). Aussi doit-il recourir à d’autres solutions.

5. “L’exportation de “départs organisés” vers le bloc soviétique et la relance du développement des ZEN. Au début, les travailleurs “expatriés” sont en nombre limité. Leur recrutement est soumis à des critères sévères. Des jeunes en bonne santé, âgés de moins de 30 ans et dotés d’un “bon” curriculum vitae (7) sont choisis en priorité. Nombre d’entre eux corrompent les autorités pour partir travailler à l’étranger. Cependant, face aux besoins croissants d’ouvriers non qualifiés (mineurs, manoeuvres…), Hanoi fait alors appel aux volontaires, surtout aux jeunes sans emploi, pour qu’ils “s’expatrient”, dans le cadre du “devoir d’internationalisme et de division du travail socialiste” (sic). Le ministre du Travail fait savoir (8) que sur les 250 000 travailleurs “expatriés” en 1990, 240 000 se trouvent dans le bloc soviétique, et 10 000 en Irak (16 000 selon les sources occidentales). Ils rapportent à l’Etat 100 millions de roubles/an du bloc soviétique (1 rouble valait 1,40 US$ en 1990) et 30 milliions de US$ de l’Irak. Nos enquêtes auprès des réfugiés révèlent que (9):

– un tiers de leur salaire est retenu par le pays d’accueil (dans le cadre du remboursement de la dette du Vietnam à cet Etat).

– 12% à 15% sont retenus par l’ambassade du Vietnam dans le pays d’accueil (comme “impôt de réédification de la patrie”).

– le reste revient aux intéressés.

En Allemagne de l’Est, pour un travail identique, un ouvrier vietnamien par exemple touche seulement 650 marks/mois (équivalent à 40% à 50% du salaire d’un ouvrier est-allemand), dont 350 marks pour la nourriture, et 300 marks pour les autres dépenses. Cette somme est considérée comme à peine suffisante pour “joindre les deux boutsDepuis 1991, les anciens pays socialistes décident de renvoyer les travailleurs vietnamiens au terme de leur contrat. L’Irak fait de même, après sa défaite dans la guerre du Golfe. Leur retour massif au Vietnam pose le problème du transport et certains pays d’accueil ne peuvent les rapatrier, faute de moyens financiers. Alors ils demandent l’aide de la communauté internationale. Ainsi, lors de la crise du Golfe, 14 000 ressortissants vietnamiens (sur 16 000) d’Irak ont été évacués, grâce à la CEE et au Japon (selon l’AFP du 28-01-91). Après la réunification de l’Allemagne, il reste encore 24 300 travailleurs vietnamiens (sur 60 000 venus en Allemagne de l’Est dans la décennie 80), et l’on sait que 10 000 d’entre eux ont déposé des demandes d’asile politique, les autres continuent d’y rester illégalement (d’après l’AFP du 20-02 et 13-03-92). Pour débloquer la situation, Bonn propose d’aider le Vietnam d’une somme de 10 millions de marks pour leur rapatriement, mais aucun accord n’est jusqu’à présent conclu. Hanoi semble vouloir différer et rééchelonner leur retour, pour éviter d’aggraver le chômage qui pèse sur le pays. C’est pour cette raison qu’il a demandé officiellement (selon l’AFP du 20-03-92) aux ex-pays socialistes frères de retarder leur rapatriement. Sur 140 000 travailleurs “expatriés” en Europe de l’Est (10), 34 000 personnes (dont 12 000 en provenance de la CEI) rentrent au Vietnam fin 1991. Par conséquent, leur effectif actuel oscillerait autour de 100 000 hommes.

Malgré leur misère et les mauvais traitements qu’ils subissent dans les pays d’accueil (salaire bas, humiliation…), ils préfèrent s’y accrocher. En Bulgarie par exemple, 7 000 travailleurs vietnamiens (sur 13 500) sont sans emploi. Pour survivre, ils se livrent à toutes sortes de trafics (marché noir, contrebande). Certaines travailleuses se prostituent. Leurs débordements sont choquants et exaspèrent les populations indigènes, provoquant des conflits sociaux et même raciaux (en Bulgarie, en ex- Allemagne de l’est, en ex-Tchécoslovaquie).

Parallèlement à “l’exportation des travailleurs”, Hanoi réactive le développement des ZEN. Renonçant désormais à la conquête des sols pauvres (11), il cherche à mettre en valeur les terres rouges (provenant de la décomposition des roches basaltiques) et les sols alluviaux récents, fertiles. Malgré cela, il est loin d’éviter les obstacles. L’insécurité permanente l’oblige à abandonner le projet de déplacer les implantés vers les provinces frontalières du Nord. Tous ses efforts se portent alors sur le transfert des Nord-Vietnamiens vers les hauts plateaux du Centre et vers le Sud-Vietnam encore peu peuplés. Pour les Nord-Vietnamiens, le Sud est “le paradis terrestre” (d’après les réfugiés). L’afflux des émigrés volontaires pose au gouvernement des problèmes de transports, de mise en valeur des terres vierges, d’équipement, d’infrastructure d’accueil etc… Faute de moyens, le transfert des Nord-Vietnamiens vers le Sud progresse lentement. Bon nombre d’implantés n’hésitent pas à corrompre les responsables pour partir. Parfois, des villages entiers abandonnent leur site et émigrent collectivement vers le Sud. Comme la politique “d’exportation de travailleurs” et de “désurbanisation” du Sud est peu efficace, face à l’amplification du chômage, Hanoi décide d’adopter, à l’issue du VIe congrès (mi-décembre 1986), une nouvelle politique, dite du “dôi moi” (renouveau).

6.”L’ouverture économique” vers les pays non socialistes. Depuis l’effondrement du bloc soviétique, l’économie vietnamienne dérive. Ses échanges commerciaux avec ce marché traditionnel sont en chute libre (12). Ceci s’explique par la réduction brutale de l’aide économique soviétique, ramenée de 2,2 milliards de US$/an (période 1986-1990) à 100 millions seulement en 1991. Pour survivre, Hanoi ne peut faire autrement que de “se reconvertir”, selon l’expression de l’Etat, “en économie de marché à orientation socialiste”. Son “renouveau” économique est impératif et prend effectivement de l’ampleur depuis 1990. Dans le même temps, Hanoi cherche à normaliser ses relations avec la Chine (13) et les Etats-Unis. Durant ces trois dernières années (1990-1992), il coopère activement avec ce dernier pays dans les recherches de soldats américains disparus pendant la guerre (programme connu sous les initiales M.I.A. = Missing in action), ainsi que dans le programme ODP. Les échanges commerciaux du Vietnam avec les pays de la région (ASEAN, Taiwan, Hongkong, Corée du Sud, Japon…) ne cessent de progresser (14). Grâce à la libéralisation économique, le commerce privé et les autres activités de service sont revivifiés. Simultanément, Hanoi mise sur les investissement occidentaux, en faisant amender à maintes reprises le code des investissements étrangers. En quatre ans (depuis sa promulgation, fin-décembre 1988), plus de 500 projets de 40 pays sont agréés, pour un montant total de 4 milliards de US$ (dont un quart a été utilisé). La nouvelle orientation économique du Vietnam marque donc un premier pas important dans la bonne direction. Elle ouvre la voie vers l’augmentation et la diversification de débouchés d’emploi. Cependant, sur la longue route du redressement de l’économie nationale, il se heurte à de nombreuses difficultés. Parmi celles-ci, l’embargo américain constitue l’obstacle majeur. Bien qu’il soit partiellement levé (depuis avril 1992, en échange de sa coopération avec les Etats-Unis dans les programmes M.I.A. et O.D.P.), le blocus commercial et les pressions exercées par Washington contre toute coopération avec Hanoi persistent: ni accès aux crédits internationaux (FMI, Banque mondiale, Banque de développement de l’Asie etc…), ni afflux de capitaux étrangers au Vietnam, seuls capables de financer de grands travaux (remise en état des infrastructures, création des entreprises). Selon la Commission d’Etat pour la coopération et les investissements, les entreprises étrangères occupent 20 000 travailleurs vietnamiens (16) en 1992 (15 000 d’après les sources occidentales), chiffre modeste, bien inférieur aux prévisions de Hanoi (45 000 à 50 000 emplois créés).

II.-LE BILAN DE LA POLITIQUE D’ANTI-CHOMAGE

Malgré les efforts déployés par Hanoi depuis 1975, aucun objectif de sa politique d’anti-chômage n’est atteint jusqu’au présent:

1. La politique de “désurbanisation” se heurte à l’opposition généralisée des populations sud-vietnamiennes. Sur environ 1,6 million de citadins expulsés des villes du Sud (au lieu de 4 millions prévus, dont 1,2 million de “Saigonnais”):

– 150 000 réfugiés (essentiellement des “Saigonnais”) évacués par les Etats-Unis, avant la chute du régime de Saigon, en avril 1975 (17).

– 200 000 “Saigonnais” ayant quitté Hô Chi Minh-Ville (1975-1978), pour rentrer dans leur province natale ou se rendre dans les ZEN.

– 153 000 “capitalistes” (y compris les membres de leur famille), chassés des villes du Sud (surtout de Hô Chi Minh-Ville), lors des réprésailles contre eux dans les années 1976, 1978, 1983-1985 (18).

– 900 000 à 950 000 “boat-people” ayant fui le régime communiste.

– 80 000 “départs légaux” dans les années 1979-1985 (19) etc…

A cela s’ajoutent 276 000 “land-people”, tous d’origine chinoise, chassés des villes du Nord-Vietnam (et accueillis par les autorités de Pékin), lors de la guerre sino-vietnamienne (février-mars 1979), ce qui porte les effectifs totaux de citadins expulsés des villes à 1,8 million de personnes (dont près de 1,5 million ont fui le régime communiste par la voie aérienne ou la mer, et environ 300 000 seulement sont retournés à la campagne, pour devenir paysans.

2. La politique de développement des ZEN. Mis à part l’échec des ZEN créées dans les années 1975-1978, la même politique réactivée depuis la décennie 80 semble avoir eu quelques résulats positifs en ce qui concerne le déplacement des Nord-Vietnamiens vers les hauts plateaux du Centre et vers le Sud-Vietnam. Ce flux migratoire, encouragé par l’Etat, se poursuit de plus belle lors de la famine qui frappe le Nord-Vietnam (1987-1988). Cependant, le transfert des implantés s’avère lent par rapport au programme fixé par l’Etat. Les implantés se chiffrent à 433 000 personnes (20), alors que d’après ses prévisions, 10 millions auraient dû être déplacés en 1975-1990 dont 2,4 millions d’implantés dans le 2e plan (1976-1980) et 2,5 à 3 millions, au rythme de 5 ou 600 000 implantés/an, dans le 3e (1981-1985) et le 4e plan (1986-1990) (21).

3. Le programme ODP. – Jusqu’à 1992, on compte 380 000 “départs légaux”, dont 60% s’installent aux Etats-Unis. Les vagues de “départs organisés” s’accélèrent au cours de ces trois dernières années (22): 45 000 personnes en 1989, 70 000 en 1990, plus de 100 000 en 1991 et 83 000 en 1992.

CONCLUSION

En un mot, le bilan de la politique anti-chômage se solde par un échec patent. Forcés de quitter les villes, les “capitalistes” s’opposent à la méthode de “reconversion professionnelle”, lors des réformes économiques dans les années 1975-1985. Plutôt s’expatrier ou périr en mer que devenir paysans, “exilés” dans les ZEN. Avant 1975, ils appartenaient à des classes d’élite de la société sud-vietnamienne. Ils créaient les emplois, les richesses, la prospérité du pays. Hanoi commet une grave erreur, en les qualifiant “d’éléments improductifs, parasitaires, incompatibles et nuisibles à la société socialiste”. En confisquant leurs biens et les expulsant à l’étranger, il casse l’appareil de production, il tue “la poule aux oeufs d’or”. Ayant déjà perdu bon nombre d’intellectuels et de “bourgeois saigonnais” dans la première vague d’exode des réfugiés (avril 1975), le Vietnam souffre, encore une fois, d’une fuite des “cerveaux”, en 1978-1981. Les réfugiés de la seconde vague d’exode appartiennent à toutes les couches sociales: les “bourgeois saigonnais” (banquiers, industriels, compradores, médecins…) et surtout les classes moyennes (chefs d’entreprises “familiales”, artisans, contremaîtres etc…). Leur fuite massive à l’étranger crée soudainement un vide, se traduisant par la paralysie de l’économie nationale, d’où l’effondrement de la production, l’inflation galopante, le chômage (23). Les carences des cadres se généralisent à tous les niveaux et dans tous les secteurs économique, depuis que le Vietnam décide de se convertir à l’économie de marché. Cependant, en s’ouvrant au monde capitaliste sans changer sa structure politique marxiste-léniniste, Hanoi a du mal à sortir le pays de la crise. Comment réduire les dépenses excessives consacrées aux appareils du parti (1 700 000 membres) et de l’Etat (2 millions de fonctionnaires) (24), qui grèvent le budget national? Comment accéder aux crédits internationaux et attirer l’afflux de capitaux étrangers? Tout dépend des relations bilatérales entre Américains et Vietnamiens. Ces facteurs sont déterminants, pour la relance de l’économie vietnamienne. Actuellement, 7 millions de travailleurs sont sans emploi ou sous-employés (30% de la population active). D’après le Bureau international du travail, la capacité d’absorption du secteur agricole est dépassée (20 millions de travailleurs). La création des entreprises privées est la meilleure solution “qui puisse régénérer les emplois”. Hanoi semble mis au pied du mur. La population vietnamienne atteindrait probablement 81 millions en l’an 2 000. On se demande comment il va résoudre le problème de l’emploi, au rythme de plus d’un million de jeunes entrant chaque année sur le marché de travail d’ici à la fin du siècle.