Eglises d'Asie

“DANS LA COMPASSION DE JESUS” Lettre pastorale des évêques philippins sur le sida

Publié le 18/03/2010




“Nul ne vit pour lui-même et ne meurt pour lui-même (Rm 14,7-8). Si un membre souffre, tous souffrent avec lui… Vous êtes le corps du Christ et chacun de vous, individuellement en est membre” (1Cor 12,26-27).

Chers soeurs et frères dans le Christ,

Ces mots de saint Paul nous rappellent avec force que nous sommes responsables les uns des autres. Il sont répercutés dans la déclaration du second Concile du Vatican: “La joie et l’espoir, la peine et l’angoisse des peuples de notre temps, particulièrement ceux des pauvres et des affligés, sont la joie et l’espoir, la peine et l’angoisse des disciples du Christ” (“L’Eglise dans le monde moderne”, n°1). Plus récemment, ces mêmes mots ont été repris par le second concile plénier des Philippines (PCP II: “Acts and Decrees, n° 295…).

De nos jours, l’appel au souci mutuel et à la solidarité est plus urgent que jamais: dans notre pays, nous devons faire face à une menace qui porte en elle une promesse de catastrophe encore plus terrible que les éruptions volcaniques, les inondations et les conflits… Nous voulons parler du sida.

La situation : une pandémie

D’abord identifiée en 1981, cette terrible maladie s’est, en moins de dix ans, répandue à une vitesse terrifiante, sur tous les continents. C’est vraiment une pandémie. Elle a ravagé des millions de vies; celle des malades qui sont atteints et celle de leurs proches. Elle passe les frontières géographiques et culturelles. Elle ne respecte ni la classe sociale, ni l’âge. Les jeunes, cependant, en sont les principales victimes.

Aux Philippines, d’après les statistiques couvrant la période qui s’étend d’octobre 1984 à 1992, 356 personnes seulement ont été reconnues porteuses du virus. Parmi elles, on a dénombré 84 cas de sida déclaré. Mais les services de santé pensent que le chiffre réel est inconnu, en raison de la crainte dans laquelle vivent les victimes. Celles-ci ont peur d’être montrées du doigt, rejetées, condamnées, couvertes de honte.

Le sida se transmet par des transfusions de sang ou de produits sanguins infectés, par les transplantations d’organes, ou encore par l’utilisation de seringues non stérilisées, dans les cas des drogués ou même dans des dispensaires. Une mère porteuse du virus peut aussi communiquer celui-ci à l’enfant qu’elle porte en elle. Mais le sida se transmet le plus communément par le contact sexuel.

A l’heure actuelle, on ne connaît aucun vaccin, ni aucun remède qui permette d’arrêter la maladie. On peut vivre de nombreuses années sans qu’apparaissent les symptômes; mais le virus provoquera éventuellement l’apparition de maladies qui entraîneront la mort. Nous vient immanquablement à l’esprit l’image sinistre de l’Apocalypse: “Je regardai et voici: il y avait un cheval gris-pâle. Son cavalier s’appelait Mort” (Ap 6,8).

Réflexion morale sur la situation

Il est clair que cette situation exige un souci pastoral de la part de l’Eglise. Car l’Eglise a pour devoir de continuer la mission de Jésus. Quand il proclamait la Bonne Nouvelle du salut, quand il guérissait les malades, pardonnait les pécheurs, montrait sa miséricorde aux multitudes, Jésus disait à l’Eglise ce qu’elle doit faire. Le Peuple de Dieu doit être présent aux côtés de ceux qui souffrent. Tout spécialement pour ceux qui sont dans le besoin aujourd’hui, pour ceux qui souffrent aujourd’hui, l’Eglise doit être la compassion de Jésus.

Dans notre ministère de miséricorde envers les affligés, nous devons vaincre nos peurs, dépasser nos préjugés. Jésus nous a montré l’exemple: par sa manière d’aborder les lépreux, ceux qui étaient rejetés, les “intouchables” de son temps. “Rempli de pitié, il étendit la main, toucha le lépreux et lui dit: Je le veux, sois purifié” (Mc 1,41).

Pour nous, la rencontre avec les malades du sida devrait être un moment de grâce, une occasion d’être pour eux la présence miséricordieuse du Christ, en même temps que nous ferons l’expérience de la présence du Christ en eux.

1. – Notre attitude première doit être celle de serviteurs. Ils portent un lourd fardeau, ceux qui ont contracté le sida: que ce soit par accident, ou en conséquence de leurs propres actions, ils doivent faire face au rejet par la société, à la mise à l’écart, à la condamnation. Allons vers eux, accueillons-les, servons-les, comme Jésus l’a fait pour les malades de son temps. Si nous allons à eux dans leur peine, c’est le corps mystique tout entier, c’est sa Tête, le Christ lui-même, que nous servirons.

S’il y a eu responsabilité morale, comme Jésus l’a fait pour la pécheresse, soyons prêts à dire: “Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus” (Jn 8,11).

2. – Nous voulons aider à endiguer le flot de cette terrible maladie: pour cela l’Eglise doit collaborer avec les autres organisations d’aide sociale et, avec elles, proposer une information basée sur les faits. L’ignorance populaire sur cette maladie est immense. Elle est la cause d’une attitude irresponsable, cavalière, désinvolte, vis-à-vis des relations sexuelles. Et les mythes qui entourent celle-ci sont tellement nombreux qu’ils peuvent empêcher une action pastorale efficace.

3. – Surtout, nous devons reconnaître la dimension morale de cette maladie. La médecine nous dit qu’il s’agit d’un virus: notre foi nous enseigne que sa cause et son remède vont plus loin que le simple domaine physique.

Et si, par le truchement de cette pandémie, le Seigneur qui nous aime, nous adressait un appel à un renouvellement profond, à une conversion? C’est une possibilité que nous ne pouvons ignorer: “Ceux qu’il aime, il les met à l’épreuve; il soumet à sa discipline l’enfant qui lui appartient (He 12,6; cf 1Cor 11,32 ; Pr 3,11-12). Le sida, comme les autres calamités qui nous atteignent, n’est pas forcément la punition imposée par un Dieu qui nous aime et nous pardonne nos péchés personnels et collectifs. Nous savons bien que la nature possède en elle-même ses propres lois, qu’elle récompense ou punit selon ce que nous avons fait, librement ou non.

4. – La dimension morale du problème du sida nous pousse à considérer de façon très négative la distribution de préservatifs comme approche du problème.

Nous croyons qu’une telle approche est simpliste et qu’elle est une dérobade. L’Etat risque de tomber dans l’erreur de la complaisance, en laissant croire qu’une solution adéquate a été trouvée. Au contraire, il ne fait qu’éluder et négliger ce qui fait le centre même de la question, à savoir la formation à des valeurs sexuelles authentiques.

De plus, l’Etat cherche à éviter le conséquences d’une conduite immorale, sans chercher à modifier cette conduite elle-même. L’invitation au “sexe en toute sécurité” ne consiste en rien d’autre qu’à fermer les yeux sur la promiscuité et la permissivité sexuelles; elle encourage l’indifférence à la loi morale, dans la mesure où l’on peut éviter les conséquences sociales et médicales de cette promiscuité et de cette permissivité.

Par ailleurs, devant la direction que prend la politique gouvernementale de planning familial, nous craignons avec raison que la promotion à laquelle on se livre en faveur des préservatifs pour lutter contre le sida, ne soit en fait qu’un moyen de faire accepter cet usage des préservatifs à des fins de contraception.

Pour les raisons qui précèdent, nous condamnons avec force la campagne médiatique qui veut imposer aux gens l’idée du “sexe en toute sécurité”, grâce aux préservatifs. Qu’il s’agisse de contraception ou de se garder du sida, l’usage des préservatifs n’est pas une assurance de sécurité.

5. – Nous n’insisterons jamais assez sur la nécessité de tenir ferme à nos règles morales sur l’amour et la sexualité humaine et de les mettre fidèlement en pratique. Tout cela afin d’arrêter l’avance de la maladie et de fournir une aide pastorale efficace et pleine de compassion à ceux qui en sont atteints.

Au rang de nos convictions morales, nous plaçons la beauté, le mystère, le caractère sacré de l’amour humain, don de Dieu. Il reflète l’amour même de Dieu, fidèle et porteur de vie. Ce don merveilleux est aussi une grande responsabilité, car l’amour sexuel doit être fidèle, pas licencieux. Il doit être un engagement, ouvert à la vie, pour la vie et non pas désinvolte. C’est la raison pour laquelle l’expression de l’amour humain à travers la sexualité est réservée, dans le mariage, à ceux qui sont mari et femme.

La fidélité à un°e) seul(e) partenaire, la chasteté dans le mariage, sont des exigences morales qui découlent de l’amour humain comme don et elles sont la responsabilité des époux.

Quant à tous ceux qui ne sont pas mariés, nous les inviterons sans cesse à respecter les mêmes règles morales. Le mentalité profane qui est la nôtre peut amener les gens à les considérer comme “vieux jeu”. Mais le monde monderne et ses valeurs ne peuvent invalider la parole de saint Paul: “Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu… Supprimez ce qui en vous appartient à la terre: l’immoralité, l’impureté, les mauvais désirs et la cupidité qui est idôlatrie” (Col 3,3-5).

Si nous vivons dans la foi, comme devraient le faire tous les disciples du Christ, nous n’aurons pas de peine à nous convaincre que la chasteté et le refus de se laisser prendre dans des activités sexuelles extra-maritales sont la meilleure protection contre le sida.

Aux prêtres qui nous sont si chers, aux religieux et aux laïcs qui se sont engagés dans une vie de célibat, nous disons: “Pour les autres, vous êtes le signe qu’une chasteté vécue pour le Royaume de Dieu et une sexualité bien intégrée, disciplinée, non seulement sont possibles, mais sont en fait vécues authentiquement”.

6. – Devant l’avancée rapide de ce fléau qu’est le sida, nous ne dirons jamais assez le besoin où se trouve notre peuple d’un renouveau moral profond. C’est l’appel qui a été lancé par le second concile plénier des Philippines, pour une transformation de notre société. C’est le même appel que nous lançons, pour une prévention radicale du sida. Il nous faut rien moins que cette transformation de notre société, si nous voulons atteindre la cause morale profonde du problème. C’est un problème moral. Par conséquent, tout en recherchant une solution médicale, nous ne devons pas oublier cette nécessité d’un renouveau moral.

Conclusion

Nous invitons toutes les personnes de bonne volonté à montrer leur solidarité avec les malades du sida. Ils sont nos soeurs et nos frères. En eux, nous voyons le visage du Christ souffrant lui-même: “Ce que vous faites au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous le faites” (Mt 25,40).

Lorsque nous nous mettons au service des affligés, nous proclamons devant tous l’infinie compassion de Dieu, ainsi que la Passion et la Mort rédemptrices du Christ, le Sauveur de tous les hommes.

Nous invoquons la Bienheureuse Vierge Marie sous les noms de Mère, de Santé des malades, de Consolatrice des affligés: qu’elle nous accompagne au long de cette passion de nos temps modernes.

Signé au nom de la Conférence des évêques catholiques des Philippines