Eglises d'Asie – Philippines
Sida et contrôle des naissances : le ministre de la Santé poursuit sa politique malgré l’opposition de la hiérarchie catholique
Publié le 18/03/2010
Un mois à peine après la prestation de serment de Ramos en 1992, le cardinal Sin avait lancé sa première attaque contre le programme de contrôle des naissances de la nouvelle administration : elle sacrifiait la dignité humaine pour freiner la croissance de la population. Flavier avait eu un entretien avec le cardinal au mois d’août 1992 pour discuter de cette question, mais malgré leur accord pour encourager plus activement les méthodes naturelles de planning familial, ils étaient restés encore fort éloignés l’un de l’autre (16).
Le cardinal Sin a continué depuis lors de critiquer le gouvernement. La conférence des évêques des Philippines a publié il y a deux mois une lettre pastorale, lue dans les églises du pays, qui, à la suite du pape Jean-Paul II, condamne le recours aux préservatifs dans la lutte contre le sida (17). L’Eglise catholique tient que le préservatif n’est qu’une arme de plus dans la panoplie du programme de contrôle des naissances et que l’abstinence sexuelle est la seule méthode de prévention du sida. Flavier répond que l’abstinence, puis la fidélité dans le mariage sont en effet des solutions, mais que, si elles échouent, il faut bien en venir au préservatif. “Nous allons éduquer et informer le public, dit-il, puis nous laisserons les gens décider. Ce n’est ni à l’Eglise ni à moi de prendre les décisions”.
L’Eglise catholique n’est pas d’accord. Pour elle, l’utilisation des préservatifs encourage la promiscuité et l’immoralité sexuelles. Elle s’inquiète de voir ces moyens de prévention, encouragés par Flavier, de plus en plus disponibles au grand jour (18).
La mentalité des catholiques philippins évolue pour bien des raisons. La population rurale a de plus en plus accès aux médias qui lui permettent de se décider sur les problèmes pour lesquels elle s’en remettait à l’Eglise catholique ou à ses dirigeants politiques locaux. Une autre influence est due aux prêtres militants, nombreux, dont beaucoup se battent pour des causes progressistes avec des idées qui ne sont pas tout à fait celles du Vatican. Comme les autres travailleurs ruraux confrontés à l’extrême pauvreté, ils se demandent comment les Philippines qui, il y a à peine trois ans, ont dû importer du riz, vont nourrir une population promise vraisemblablement à doubler d’ici l’an 2020 jusqu’à atteindre 120 millions d’habitants. Le gouvernement a beau affirmer que la population du pays s’accroît de près de 2,5 pour cent par an, les experts étrangers pensent que ce taux est au moins 2,8 pour cent.
En fait, c’est l’ensemble des femmes des Philippines qui s’impliquent beaucoup plus dans les problèmes qui les concernent, même si leurs hommes avec leur amour-propre de mâles trouvent encore humiliant d’utiliser un préservatif. Selon une récente enquête du gouvernement, pas moins de 2,7 millions de femmes en âge de fécondité, sur 5,8 millions, disent qu’elles souhaiteraient utiliser un moyen de contrôle des naissances s’il était mis à leur disposition. Plus silencieux, le soutien des deux Chambres est aussi ferme. Selon une enquête récente, 90% de leurs membres se sont déclarés favorables à un programme de planning familial plus vigoureux. Il devient donc impossible de croire que l’opinion défendue par Flavier équivaut à un suicide politique. Nombreux aussi sont ceux qui ont placé la surpopulation parmi les problèmes majeurs du pays, avec l’énergie et la corruption.
L’extension du sida en Thaïlande effraie Flavier. “Si nous ne faisons rien maintenant, dit-il, nous aurons la même chose ici”. Jusqu’à présent, les Philippines ont enregistré 373 séropositifs, 22 cas déclarés de sida, et déjà 66 décès. Ces chiffres sont faibles par rapport à ceux des autres pays, mais Flavier soupçonne que le nombre réel des séropositifs est probablement cent fois plus élevé, soit de l’ordre de 37 000. “Nous ne voyons que la partie émergée de l’iceberg, dit-il. Il nous faut faire beaucoup de tests sanguins, en particulier dans les provinces”. Des projets sont en voie d’exécution pour créer trente centres dans le pays, destinés à contrôler cinq groupes sociaux : les individus impliqués dans le commerce du sexe, les militaires, les travailleurs d’outre-mer sous contrat, les étudiants et les conducteurs de camions. Le contrôle, qui sera fait sur la base du volontariat, revêt pour les responsables de la santé publique une importance capitale s’ils veulent déterminer l’étendue réelle du problème. Ils se préoccupent spécialement des 2 millions de travailleurs sous contrat dont 500 000 reviennent chaque année au pays.
Il devient évident que beaucoup de Philippins pensent que l’Eglise catholique a perdu le contact avec notre époque et qu’ils font de moins en moins attention à ce qu’elle dit sur des problèmes comme le sida et le contrôle des naissances. L’Eglise, qui parvenait à se faire entendre sous le régime de Corazon Aquino, s’aperçoit qu’elle n’a plus la même audience auprès du gouvernement du président Fidel Ramos, protestant. L’élection de celui-ci en 1992 a marqué pour l’Eglise un net recul, en particulier pour le cardinal Jaime Sin, archevêque de Manille, qui avait publiquement apporté son soutien à d’autres candidats (19). Cela ne signifie pas qu’aujourd’hui Ramos ou Flavier soient engagés dans une guerre à outrance avec la hiérarchie catholique. Ils ont au contraire procédé avec la plus grande prudence. Mais il est clair qu’au sujet du sida et du contrôle des naissances, le président ne permettra pas à l’Eglise catholique de lui dicter sa politique, même si 80% des 63 millions de Philippins sont catholiques.