Eglises d'Asie

UNE LETTRE OUVERTE DES AUMONIERS DE TRAVAILLEURS IMMIGRES Aux membres de l’Assemblée nationale

Publié le 18/03/2010




Introduction

Aumôniers nommés par les évêques de la Conférence épiscopale pour servir les travailleurs immigrés, nous entendons, nous vivons, nous sentons et nous partageons la peine et l’angoisse des travailleurs immigrés à Taiwan. Nous sommes conscients des circonstances difficiles qui les ont amenés à quitter leur patrie pour améliorer leur vie et celle de leurs familles bien aimées.

En tant qu’aumôniers chrétiens, notre foi s’enracine dans la conviction que les migrants méritent un environnement plus humain, plus juste et plus paisible que celui dont ils jouissent aujourd’hui. Notre tradition chrétienne affirme que la dignité humaine de chaque personne est un don de Dieu. Cette tradition met l’accent spécialement sur les petits et nous enseigne à aimer notre prochain comme nous-mêmes.

Nous reconnaissons que le gouvernement a pris certaines mesures pour améliorer la vie des travailleurs immigrés. Cela reflète bien cette dimension de la riche tradition chinoise qui promeut l’harmonie, la charité et la justice. Nous y découvrons une réelle attention au bien-être de tous les hommes, une sagesse transmise par les grands maîtres comme Confucius, Mencius et d’autres.

Confucius nous enseigne à « ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent », et Mencius nous exhorte à « aimer les membres de notre famille, tous les autres êtres humains, tous les hommes ordinaires, et plus encore toutes les créatures de la terre ».

Par ailleurs, il y a une longue histoire de migration du peuple chinois à travers le monde, en Asie et récemment à Taiwan. Cette expérience a été pénible pour tous ceux qui y ont été engagés.

Nous pensons par conséquent qu’il y a des raisons majeures pour que l’hospitalité soit considérée comme une valeur très importante quand on propose des lois et des procédures qui concernent les travailleurs immigrés d’aujourd’hui.

La situation

Nous avons remarqué que la nouvelle « Charte de l’emploi » et ses règlements ne changent guère les situations d’exploitation, de discrimination et d’injustice dans lesquelles se trouvent les travailleurs immigrés. Nous constatons que ces lois et régulations laissent intactes beaucoup de violations des droits de l’homme. Elles rendent même ces violations et ces abus acceptables parce qu’entérinés par la nouvelle structure juridique de l’emploi dans le pays.

Nous croyons que les articles suivants de la « Charte de l’emploi », réglements, pratiques ou clauses particulières des contrats des travailleurs immigrés, sont des violations des droits de l’homme tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la charte internationale des droits civils et politiques, et les recommandations du Bureau international du travail :

1 Le droit est dénié aux travailleurs étrangers de se marier, de concevoir, et de faire venir leur famille à Taiwan (cf. Fonteneau G. in International Migration, Vol. XXX, 1992, p.64).

2 Les travailleurs étrangers travaillent souvent sans sécurité et dans des conditions malsaines.

3 Les travailleurs étrangers ne sont pas protégés contre les profiteurs du commerce des hommes :

– Les agents recruteurs les exploitent en exigeant des commissions exorbitantes;

– On permet aux employeurs de les payer à des taux qui sont plus bas que ceux des travailleurs locaux, et de les forcer à faire des heures supplémentaires sans compensation adéquate (cf idem, p.63);

– Les impôts qui sont infligés aux travailleurs étrangers sont injustes pour ceux qui ne bénéficient pas d’une couverture sociale pendant leur durée de travail à Taiwan.

4 Les travailleurs étrangers qui restent dans le pays au-delà de la durée légale de leur séjour sont enfermés avec les criminels de droit commun dans les locaux surpeuplés de la police et dans des conditions qui ressemblent à la prison (cf idem p.6):

– Des conditions d’hygiène adéquates ne sont pas disponibles pour les travailleurs détenus dans cette situation;

– Les personnes confinées dans ces conditions ne peuvent pas prendre de l’exercice ou marcher;

– Des hommes sont ainsi détenus sans qu’il y ait d’inculpation;

– Beaucoup de travailleurs immigrés accusés d’être en possession de faux passeports sont simplement les victimes innocentes des pratiques de certains agents recruteurs.

5 Le rapatriement est injustement lent à cause des mesures inadéquates et inefficaces des gouvernements tant du pays d’accueil que du pays d’origine, ce qui force les personnes à vivre dans des conditions de détention, d’ennui et de désespoir qui sont contraires à leur dignité humaine (cf idem pp.64-65).

6 Le licenciement arbitraire des ouvriers qui s’organisent est contraire au droit d’association (cf idem p.64).

7 La confiscation arbitraire des passeports par les agents recruteurs ou les employeurs.

8 Les limitations arbitraires imposées à la liberté de mouvement (cf idem p.64).

9 Le manque de protection légale dans les conflits du travail (cf idem p.63).

10 Le non-respect du contrat de travail (cf idem p.63) :

– des déductions illégales sont faites sur les salaires sous prétexte de payer les garanties financières, la nourriture et le logement qui sont légalement à la charge de l’employeur;

– les heures supplémentaires obligatoires;

– les licenciements arbitraires en cas de maladies mineures;

– les changements dans le contenu du contrat que l’on découvre en arrivant;

– l’utilisation arbitraire des travailleurs en dehors des termes du contrat.

11 L’utilisation arbitraire d’une clause vague concernant « l’agitation sociale » pour forcer à la soumission les travailleurs insatisfaits.

Un appel

Nous savons que le gouvernement a pris des mesures pour améliorer le sort des travailleurs immigrés comme par exemple dans le cas de la politique de recrutement. Pourtant, si l’on tient compte de ce que nous venons de mentionner de la « Charte de l’emploi » et à la lumière de ce que nous avons décrit des situations et des circonstances dans lesquelles vivent les travailleurs étrangers, nous appelons les législateurs à :

– réviser sérieusement les provisions et procédures mentionnées; faire les changements nécessaires conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, de la Charte internationale des droits civils et politiques et des recommandations du Bureau international du travail;

– s’assurer que les fonctionnaires du ministère du Travail, les employeurs, les agents recruteurs et la police se conforment aux aspects positifs des lois existantes et de toute loi qui pourrait être passée au bénéfice des travailleurs.

Nous appelons à la considération urgente et à l’action sur les points suivants :

1 Donner aux travailleurs étrangers la liberté de se marier, de concevoir, et de vivre avec leurs familles.

2 Rendre obligatoires les normes de sécurité sur les chantiers et poursuivre ceux qui enfreignent les lois dans ce domaine.

3 Rendre obligatoire le principe ‘salaire égal à travail égal’ pour les travailleurs indigènes et les étrangers pour que ceux-ci ne deviennent pas une main-d’oeuvre à bon marché.

4 Faire payer des impôts seulement aux personnes qui jouissent d’une protection sociale de la part du gouvernement qui lève les impôts, et donc ne pas les imposer aux travailleurs étrangers qui ne jouissent pas de cette protection.

5 Ne pas traiter les étrangers qui ont dépassé le temps légal de leur séjour comme des criminels et les garder séparés des criminels de droit commun; rendre les procédures de rapatriement plus rapides.

6 S’assurer que le passeport reste en possession de la personne à laquelle il a été délivré par son gouvernement.

7 Garantir la liberté de mouvement des travailleurs durant leurs heures de loisir.

8 S’assurer que les employeurs ne déduisent pas des salaires les garanties financières qu’ils doivent payer au gouvernement.

9 Appliquer la loi qui protège les droits des ouvriers :

– celui de ne pas faire d’heures supplémentaires forcées;

– celui d’avoir les heures supplémentaires payées selon la loi;

– celui d’avoir une journée de libre par semaine.

10 S’assurer que le contrat de travail est en conformité avec la loi et que tous ses termes sont respectés. Faire en sorte que les travailleurs puissent légalement contester les ruptures de contrat telles que nous les avons mentionnées plus haut.

11 Faire en sorte que la vague clause concernant ‘l’agitation sociale’ ne soit pas utilisée pour empêcher les travailleurs de faire valoir leurs revendications.

Conclusion

Dans le passé, nous avons fait l’expérience de la peine et de l’angoisse de la migration quand deux millions de personnes ont quitté le continent chinois pour s’installer à Taiwan. Par les sacrifices et le dévouement de tous, Continentaux et Taiwanais, cette île a pu se développer et devenir une communauté prospère. Cette expérience, sûrement, doit donner naissance à une attitude de bienvenue vis-à-vis des travailleurs étrangers temporaires qui, nous le croyons, contribuent aussi à notre développement.

Nous demandons sincérement aux législateurs de ne pas oublier notre propre histoire de migration mais, à la lumière de ces pénibles expériences, de sympathiser avec les migrants en notre sein en protégeant leurs droits et en passant des lois justes et bienveillantes conformes à nos traditions.