Eglises d'Asie – Philippines
LA REBELLION MUSULMANE A MINDANAO et dans les îles voisines
Publié le 18/03/2010
Dans l’île de Basilan, au large de Mindanao, le 9 février 1993, 25 militaires étaient massacrés par un groupe de quelque 190 personnes armées. Le 28 du même mois, une bombe explosait à l’aéroport de Zamboanga, faisant une vingtaine de blessés. Le 2 mars 1993, deux vedettes de la marine nationale étaient attaquées en mer : un député de l’assemblée régionale ainsi qu’un leader politique étaient tués. Le 23 mars 1993, au cours d’un meeting politique préparatoire aux élections, une bombe éclatait, faisant quatre morts et 42 blessés.
Quelques jours plus tôt, le 18 mars 1993, un religieux espagnol, le P. Bernardo Blanco, avait été enlevé, ainsi que le petit-fils, âgé de 5 ans, d’un riche commerçant de Basilan (3). Déjà, le 14 janvier 1993, deux religieuses espagnoles avaient été kidnappées dans l’île voisine de Sulu. Elles ont été libérées quelques semaines plus tard.
Selon M. Blas Ople, président du comité sénatorial pour les affaires étrangères, “la menace la plus grave pour la sécurité nationale se trouve maintenant à Mindanao”.
Cette menace n’est pas nouvelle. Le Front moro de libération nationale (4) a commencé ses activités en 1972, après la déclaration de l’état d’urgence par le président Marcos. Cette organisation de guérilla, alliée au “Front moro islamique de libération”, se lançait alors dans une véritable guerre pour l’indépendance de Mindanao: 100 000 personnes au moins en sont tombées victimes. La lutte s’est temporairement apaisée après les accords de Tripoli en 1976: un cessez-le-feu était décidé et promesse était faite que l’autonomie serait accordée aux treize provinces à majorité musulmane de Mindanao et des îles voisines.
En fait, les combats ont continué. En 1986, Mme Aquino signait un nouvel accord de cessez-le-feu avec M. Nur Misuari, le leader du Front moro de libération nationale. En 1989, à la suite d’un référendum, quatre des provinces acceptaient l’offre d’autonomie, au sein de la République des Philippines, telle qu’elle leur avait été faite par le gouvernement, formant ainsi la “Région autonome du Mindanao musulman”. Les neuf autres provinces interrogées préféraient garder le statu quo.
Au début de cette année 1993, c’est une véritable guerre qui s’est rallumée. Selon M. Sharif Sain Jali, porte-parole du Front, “le cessez-le-feu est terminé”. L’inquiétude s’accroît du fait que, depuis quelque temps, d’autres groupuscules ont fait leur apparition. Tel celui dirigé par Abu Sayyaf, un prédicateur musulman de 28 ans, formé en Libye, qui a pris la tête du “Commando des mujahideen de la liberté”. Ces “soldats” sont pauvres, bien instruits du Coran et ils ont déclaré la guerre sainte en vue d’obtenir un Etat islamique séparé. Abu Sayyaf, par exemple, a donné un avertissement: à chaque fois que les militaires “infligeront des souffrances aux musulmans innocents, des chrétiens aussi souffriront par la grâce d’Allah”. M. Mashur Jundam, qui appartient, au sein de l’Université des Philippines, à l’Institut d’études islamiques, explique: ces guérilleros “sont les fils et les orphelins des soldats du Front moro de libération nationaleIls ont étudié à Sabah (5). De là, munis d’une bourse d’études, ils ont continué leur formation à l’islam dans les pays du Moyen-Orient. C’est inquiétant. Ils ont leur propre drapeau et sont liés par serment”. Leur nombre ne dépasse pas encore quelques centaines, mais il ne cesse de croître. “S’appuyant sur une interprétation littérale du Coran, ils ont déclaré la guerre sainte”, dit M. Rafael Alunan, ministre de l’Intérieur, qui ajoute: “Ils sont persuadés que beaucoup de musulmans se sont éloignés du chemin tracé par le Coran”. Il faut dire aussi que l’île de Basilan, qui sert de refuge au groupe Abu Sayyaf, a rejeté l’autonomie lors du référendum de 1989 à une forte majorité de 71%.
Pour le moment, c’est encore le Front moro de libération nationale qui est le plus dangereux. Son chef militaire, M. Abou Amri Taddik, dit bien haut sa foi “dans la Longue marche de Mao Zedong”. Selon certains rapports, au cours de l’année 1992, 6 000 fusils modernes auraient été introduits en contrebande à Mindanao. Des contacts secrets avaient été pris avec le gouvernement. Une rencontre devait avoir lieu à Jakarta. Mais, en décembre 1992, le gouvernement revenait sur sa décision. Dès janvier 1993, la violence reprenait. Le Front moro exige que soit abrogée la loi établissant la Région autonome du Mindanao musulman et que, pour 10 provinces (sur 22), soit formé un gouvernement de transition. Le porte-parole promet une “surprise” pour le mois d’avril.
En fait, M. Misuani lance un avertissement: “Si le processus de paix échoue, je suis sûr que nous aurons la guerre. Certains parmi les jeunes perdent patience”. Et la colère ne fait qu’augmenter à la suite des élections du 25 mars 1993. Malgré la consigne de boycottage lancée par le Front moro, plus de 80% des électeurs y ont participé. La candidat soutenu par le président Ramos a été élu gouverneur.
Ce dernier, M. Pangandaman, voit le danger de guerre venir de quatre horizons différents: les groupes sécessionistes que sont le Front moro et le Front islamique, les “seigneurs de la guerre” en quête de pouvoir politique, les malfaiteurs et les citoyens honnêtes qui se sont armés pour se protéger des trois autres groupes.
Le gouverneur de Basilan, M. Gerry Salapuddin, qui est un ancien chef de la guérilla, accuse la pauvreté ainsi que la négligence dont, selon lui, le gouvernement s’est rendu coupable: “Dans beaucoup de municipalités, dit-il, il n’y a ni eau ni électricité, ni routes ni écoles. Les gens vont à Sabah en quête d’une vie meilleure. Leurs fils et leurs filles vont chercher du travail dans les pays du Golfe”.
Après l’attaque du 9 février 1993, six bataillons de l’armée ont été déployés à travers l’île de Basilan. Leur commandant, le général Guillermo Ruiz, a dû défendre ses soldats devant les accusations portées contre eux par la population: 300 maisons auraient été brûlées, ainsi que 3 écoles; 12 000 personnes auraient été déplacées. Mais, dit le général, “Ce sont les hommes d’Abu Sayyaf qui ont fait cela”. Le mécontentement grandit dans la communauté musulmane. Beaucoup craignent que la violence ne reprenne dans des villes musulmanes comme Marawi (province de Lanao del Sur) ou des cités à majorité chrétienne comme Cotabato, la capitale de la province de Maguindanao.
Parmi les musulmans, c’est Mme Santiana Rasul, qui occupe le rang le plus élevé sur la scène politique. Pour elle, la situation à Mindanao reste très fragile, car “depuis bien longtemps, la population est exploitée, négligée. Les régions à majorité musulmane ne possèdent aucune infrastructure, pas de communications, pas d’écoles, pas d’institutions. Le gouvernement doit redire aux musulmans qu’ils font vraiment partie de la nation. Sous l’administrations précédente, il y avait deux ou trois ministres musulmans. Il n’y en a plus. Les musulmans se sentent mis sur la touche”.