Eglises d'Asie – Divers Horizons
BOAT-PEOPLE VIETNAMIENS Les atteintes aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile continuent
Publié le 18/03/2010
En 1989, en vue de trouver une solution au problème posé par le flux incessant de réfugiés en provenance du Vietnam depuis la fin de la guerre en 1975, la nouvelle conférence internationale a élaboré de nouvelles directives et suggestions. Le résultat de cette rencontre internationale fut le plan global d’action dont les trois éléments principaux étaient les suivants.
1 – Décourager la population de s’enfuir illégalement du Vietnam.
2 – Effectuer un tri parmi les “boat-people” arrivés dans les pays de l’Asie du sud-est après la date du 27 septembre 1991 pour déterminer qui d’entre eux étaient de véritables réfugiés politiques. On encouragerait ceux qui n’auraient pas été reconnus comme réfugiés à revenir au Vietnam.
3 – Augmenter le nombre de ceux qui quitteraient le Vietnam dans le cadre du “Programme de départ ordonné” de telle sorte que la population s’aperçoive qu’il s’agissait là de la meilleure solution pour quitter la Vietnam dans la sécurité et la légalité.
Cependant, de ces trois orientations, seul le “Programme de départ ordonné” a répondu à ce que l’on attendait de lui. Grâce à lui, près de cent mille Vietnamiens ont pu émigrer, dont la moitié aux Etats-Unis. Les deux autres orientations présentaient de sérieux inconvénients et ont eu de graves conséquences.
Certes, depuis la mise en place du plan global d’action, le nombre de “boat-people” abordant sur les côtes de l’Asie du sud-est a chuté spectaculairement. Le flux s’est pratiquement tari. Quelques unités seulement sont arrivées à Hongkong en 1992. En Indonésie, en Thaïlande, en Malaisie et aux Philippines, le nombre d’arrivées pour chacun de ces pays est passé à moins de cinquante, alors que l’on en avait compté des dizaines de milliers dans les années précédentes.
Cependant, ces chiffres ne disent pas la vérité. Ce qui n’a jamais été connu, c’est l’intensification des efforts accomplis par les autorités vietnamiennes pour empêcher physiquement la population de quitter le pays. Pendant la période de trois ans qui va de 1989 à 1991, les embarcations de 17 000 “boat-people” ont été arraisonnées le long des côtes du Sud-Vietnam (la neuvième région militaire). 15 229 d’entre eux ont été arrêtés, ainsi que 279 organisateurs de voyages. Le général Tran Minh Phu a reconnu tout cela, dans un article de la “Revue de la Défense nationale du peuple tout entier” (Tâp Chi Quôc Phong Toan Dân) du mois de septembre 1992. Combien d’entre eux sont encore détenus? Combien auraient été considérés comme d’authentiques réfugiés politiques s’ils avaient réussi à atteindre le rivage d’un pays étranger? Personne ne le sait et, d’ailleurs, la plupart des gouvernements étrangers n’en ont cure. Pourtant l’intensification des mesures de sécurité n’est que la réponse du Vietnam aux pressions étrangères pour réduire le flux de réfugiés en provenance du Vietnam. Que celles-ci aient contribué à augmenter le nombre de prisonniers politiques au Vietnam, cela n’inquiète en rien les gouvernements responsables, pas plus d’ailleurs que le Haut-commissariat aux Nations Unies.
Il a été prouvé que la procédure de sélection (screening) destinée à séparer les réfugiés authentiques des “migrants économiques” était gravement défectueuse et, de plus, partiale. Elle a suscité les objections de nombreuses associations des droits de l’homme, telles que “Amnesty international” et le “Comité des juristes pour les droits de l’homme”. Malheureusement, ces défauts et cette partialité ont été encore intensifiés à Hongkong dans la nouvelle procédure sommaire destinée à accélérer le processus de sélection. Selon Nguyên Thang, responsable du “Comité S.O.S. Boat-People”, la sélection des Vietnamiens n’est plus effectuée selon les critères du droit international, mais au contraire, elle n’est plus qu’un expédient visant à mettre un terme à tout exode de réfugiés vers n’importe quel rivage. La conséquence en est que les vrais réfugiés ne sont plus reconnus, à savoir ceux qui ont passé des années dans les camps de rééducation, dans les prisons, ou encore ceux qui ont subi de longues périodes de travaux forcés.
Le “Comité S.O.S. Boat-People” nous a décrit un certain nombre de cas de demandeurs d’asile rejetés:
Le vénérable “Thich Khong Dat”. Ce religieux de 34 ans, originaire du Centre-Vietnam, est rentré à la pagode à l’âge de dix ans. Depuis 1975 jusqu’à son départ du Vietnam en 1989, il a été l’objet de harcèlements et d’interrogatoires répétés de la part des autorités vietnamiennes. De 1975 à 1980, chaque année, pendant six mois, il a été soumis aux travaux forcés. Après 1980, la pression a diminué; cependant, toutes les semaines, il a dû se présenter au poste de police pour y faire un rapport sur ses activités et y écrire son autocritique. Après que le gouvernement eût créé sa propre Eglise en 1981, il a été soumis à des interrogatoires répétés et à de courtes périodes de détention, destinés à lui faire rejoindre la nouvelle Eglise. Il fut arrêté et torturé à nouveau en 1984 après la répression gouvernementale contre les religieux dissidents. Après s’être enfui en 1989, il débarqua aux Philippines. Malgré tout son passé, le gouvernement philippin a rejeté sa demande d’asile et le Haut-commissariat n’a pas répondu à sa demande de recours. Il est très rare que l’on maltraite des religieux bouddhistes au Vietnam. C’est pourquoi, il est surprenant que le droit d’asile lui ait été refusé. Il nous a été dit que d’autres religieux ou religieuses ont eux aussi été déboutés de leur demande d’asile.
M. Nguyen T.P., ancien prisonnier dans un camp de rééducation, s’est vu refuser le droit d’asile au mois d’août 1991 par les fonctionnaires thaïlandais. Durant la guerre du Vietnam, il avait été interprète pour les militaires australiens et américains. A la fin de la guerre, il avait le grade de sergent. En juin 1975, il fut arrêté, interrogé et accusé de travailler pour la CIA. On le tortura jusqu’à ce qu’il avoue. Il fut ensuite enfermé dans une cellule souterraine obscure, enchaîné par une jambe. Il s’échappa en décembre 1975. Repris en 1978, il fut à nouveau incarcéré dans une cellule obscure, cette fois enchaîné par les deux jambes. Au bout de douze mois, il avait perdu quinze kilos; il souffrait de béribéri et ses jambes étaient pratiquement paralysées. Il fut libéré en 1982, en partie à cause de sa santé précaire, en partie en considération des sommes d’argent versées pour lui par sa famille. Cependant, dès son rétablissement, il fut obligé d’accompagner une équipe chargée de désamorcer des mines. En 1986, le gouvernement s’est emparé des terrains de sa famille et l’a forcé à se reloger dans un autre village. La même année, Nguyên essayait sans succès de fuir son pays et pendant un temps vivait dans la clandestinité pour éviter la police. En avril 1990, un de ses collègues fut arrêté pour participation à un mouvement anticommuniste. On lui fit savoir que le gouvernement le cherchait activement. Il n’eut alors d’autre choix que de fuir … Comment est-il possible de refuser la qualité de réfugié à une personne possédant de tels antécédents?
Les 39 de Hongkong. Au cours de l’automne 1991, Nguyên Quy Khanh et 38 autres Vietnamiens constituèrent un groupe anticommuniste dans le camp de Whitehead, qu’ils appelèrent le “Groupe uni contre le communismeIls écrivirent une lettre à un groupe de résistance basé en Californie, le “Gouvernement provisoire vietnamienA cette lettre étaient joints des documents décrivant la constitution du groupe, la liste des membres, le plan d’action et des photos. La lettre datée du 7 août 1991 ne fut pas acceptée par la poste des Etats-Unis qui ne put identifier l’adresse. Mais, par erreur, au lieu d’être renvoyée à Hongkong, la lettre fut adressée au Vietnam. Lorsque, trois mois plus tard, elle parvint enfin à Hongkong, son contenu était largement connu au Vietnam. Craignant d’encourir de grands dangers s’ils retournaient au Vietnam, les membres du groupe contactèrent alors le Haut-commissariat pour lui demander protection contre un éventuel rapatriement forcé.
Selon Thang Nguyên: “Le Haut-commissariat aux réfugiés décida que les cachets qui marquaient l’enveloppe étaient des faux et refusa d’accorder aux membres du groupe le statut de réfugié. Par l’intermédiaire d’un avocat local, ceux-ci demandèrent alors à la poste de Hongkong de faire vérifier les cachets. Le 3 mai 1993, le service des postes vietnamien confirmait l’authenticité des cachets sur l’enveloppe. Ainsi une simple erreur de la poste américaine, la politique du rapatriement forcé de Hongkong et le refus du Haut-commissariat d’accorder le statut de réfugié font encourir à ces 39 personnes un réel danger”.
L’injustice de la procédure de sélection, les pressions exercées sur les personnes écartées du statut de réfugié pour qu’elles retournent au Vietnam sont autant de facteurs contribuant à aggraver les tensions à Hongkong et dans les autres camps de l’Asie du Sud-Est. Un certain nombre de suicides publics ainsi que d’autres formes d’auto-mutilation ont eu lieu ici et là.
A Hongkong: Nguyên Van Hai s’est pendu au centre de détention de Vhitehead. Une femme s’est infligé des blessures sévères devant le bureau du Haut-commissariat. Tous les deux venaient d’apprendre que le statut de réfugié leur était refusé. Sept autres personnes se sont immolées en même temps en présence des officiers de la sécurité du camp, pour protester contre leur rapatriement forcé. Un autre réfugié s’est donné la mort en s’ouvrant le ventre sur l’ère d’envol de l’aéroport de Kai Tak alors que l’on voulait le forcer à entrer dans l’avion à destination du Vietnam. Au mois de mai, 183 pensionnaires du camp de Whitehead ont entamé une grève de la faim et trente d’entre eux ont constitué une brigade suicidaire s’engageant par serment à se donner la mort au cas où la police ferait mouvement vers eux pour les changer de camp. 9 d’entre eux ont eu une syncope et ont été hospitalisés (…)
En Malaisie: Lam Van Hoang et Nguyên Ngoc Dung, deux jeunes âgés de vingt ans, se sont poignardés. Vi Thi Thuy Diêm a absorbé des tranquillisants pour mettre à fin à ses jours. Tous s’étaient vu refuser le statut de réfugiés.
En Indonésie: Trinh Kim Huong, Trinh Anh Huy, Trân Huy Anh et son fils Luu Hong Hanh se sont immolés après qu’on leur eut refusé le statut de réfugiés. Nguyên van Minh, ancien officier de l’armée du Sud-Vietnam s’est pendu bien qu’il eût reçu le statut de réfugié: son enfant ne l’avait pas obtenu. Huynh Van Gioi, Pham Quôc Thang et Dinh Dang Thuc se sont infligé à eux-mêmes de graves blessures en présence du délégué du Vatican pour protester contre l’injustice de la procédure de sélection.
En Thaïlande: Hoang Thi Thu Cuc s’est pendue après avoir été déboutée de sa demande d’asile politique.
Aujourd’hui, plus de 80 000 Vietnamiens vivent encore dans les camps du Sud-est asiatique, dont la moitié à Hongkong. Le programme de rapatriement volontaire s’est accéléré grâce aux incitations au départ données par la communauté européenne, à savoir 360 dollars par tête. Cependant beaucoup résistent encore. Pour augmenter la pression exercée sur les demandeurs d’asile classés migrants économiques, le gouvernement de Hongkong a, jusqu’à maintenant, rapatrié de force plusieurs centaines d’entre eux. Un tollé général a accompagné le premier convoi de rapatriés de force au mois de décembre 1989. Les fois suivantes, il y a eu très peu de protestations de l’opinion internationale, à l’exception de celles de la communauté des Vietnamiens à l’étranger.
Un autre type de pression exercée contre les vietnamiens consiste à réduire la qualité des services dans les camps pour forcer les pensionnaires à mener une vie misérable et, ainsi, les pousser à rentrer au Vietnam. A certains égards, cela est depuis longtemps la politique non affichée mais effectivement pratiquée, particulièrement à Hongkong où les réfugiés sont logés dans des quasi-prisons où les conditions sont inhumaines. Aujourd’hui cependant, il semble que ce soit le Haut-commissariat qui passe lui-même aux actes. En février et mars 1993 (1), cet organe des Nations Unies a informé un certain nombre de services sociaux et médicaux qu’ils devaient brusquement mettre un terme à leurs activités à Hongkong.
Dans un rapport confidentiel rédigé par l’officier responsable des services sociaux de la région, Christine Mougne, des propositions similaires sont faites à propos des Vietnamiens du camp de Palawan aux Philippines. Christine Mougne recommande avec insistance au gouvernement des Philippines de soutenir une proposition visant à réduire les services fournis aux Vietnamiens. Elle recommande que soient limités les envois d’argent en provenance de l’étranger aux résidents du camp. Elle propose que de plus grandes restrictions soient mises aux déplacements à l’intérieur et à l’extérieur des camps, que l’on pratique des coupes sombres dans les services médicaux et que la scolarité des enfants de réfugiés soit réduite au primaire. Près du cinquième des 3 800 pensionnaires de ce camp est composé d’anciens officiers de l’armée du sud et de leurs familles. 70 % ont des parents proches aux Etats-Unis. Ces chiffres pourraient laisser supposer que beaucoup de pensionnaires du camp sont d’authentiques réfugiés politiques. Pourtant tous “ont fait l’objet de décisions négatives en première instanceselon Christine Mougne. Au lieu de suggérer des mesures qui puissent remédier aux défauts de la procédure de sélection (screening), Christine Mougne se plaint dans son rapport que la procédure de recours leur accorde de “long délais … qui ne servent qu’à renforcer dans l’esprit des résidents de Palawan l’idée que le rapatriement reste une possibilité lointaine”.
Christine Mougne reconnaît que la réduction de la qualité du service dans les camps “suscitera l’hostilité et l’agressivité” des pensionnaires des camps et que l’on doit prendre les précautions nécessaires “en tenant sérieusement compte de l’éventualité d’un redoublement des tensions et du risque d’explosion de violenceDe l’avis des travailleurs sociaux, la réduction des services dans les camps “ne favorisera pas forcément la mise en oeuvre du programme de rapatriement volontaire; par contre, très certainement, elle y éveillera la violenceLa conséquence de la réduction des services aura été de détourner des fonds destinés aux activités des services sociaux aidant véritablement les gens pour les faire servir au financement de programmes policiers visant à les brimer et à les punir. C’est ce qu’a noté le bulletin du “Comité S.O.S. Boat-People”:
“Il ne semble pas que ce soit l’état des finances du Haut-commissariat qui soit responsable de cette décision. Les diverses organisations se sont portées volontaires pour assumer, elles-mêmes, tous les frais mais leurs offres ont été repoussées. Il est donc vraisemblable que cette décision fait partie d’un plan du Haut-commissariat visant à rendre les conditions des camps moins tolérables et à décourager leur pensionnaires d’y rester”.
Sur ce chapitre, la dernière mauvaise nouvelle est la disparition de la revue “Tu Do” (Liberté) publiée par les Vietnamiens du camp de Whitehead, sous le patronage du Haut-commissariat. Depuis sa création en juin 1990 jusqu’à cette année, la revue avait fait paraître trente numéros. Lue tous les mois par 700 lecteurs, elle se fournissait en nouvelles dans la presse de Hongkong et servait de tribune aux demandeurs d’asile qui y exprimaient leurs vues et leurs aspirations. Comme le rapporte son directeur, Dang Ngoc Giao, “l’existence du magazine a été menacée depuis que le gouvernement de Hongkong et le Haut-commissariat ont planifié le rapatriement des “boat-people” et ont réduit toutes les activités du camp au strict minimum”. Pourtant, au moment même où ils suppriment cette revue, ils font circuler dans le camp de Whitehead des publications en provenance du Vietnam et, apparemment, projettent de créer une nouvelle revue pour le camp, destinée à servir de tribune à la propagande pour le rapatriement.
Le fait que le Haut-commissariat aux Nations Unies fournisse aussi peu d’aide aux Vietnamiens déboutés de leur demande d’asile, qu’il s’acharne à réduire la qualité de la vie des pensionnaires des camps et qu’il veuille essayer de censurer ceux qui protestent, doit être considéré comme un scandale international. Cela nuit au renom de cet organe des Nations Unies, au rôle de protection qu’il assume à l’égard des réfugiés. C’est un mauvais service rendu à beaucoup de ses membres, courageux et généreux, qui travaillent depuis des années dans les camps et qui ne supportent plus une politique aussi inhumaine.